Chapitre 1
À chaque tombée de la nuit – dans le Monde Céleste du moins – elle avait pour manie, depuis des millénaires, de jeter un coup d'œil à ce qui se passait sur Terre, avant qu'elle n'aille se coucher.
Elle avait commencé à prendre cette habitude la dernière fois que l'Humanité avait déçu Dieu. Ce qui lui avait par ailleurs coûté le Déluge.
Et en tant que Ange de la Vie, Gabrielle estimait qu'il était de son devoir de veiller sur celles qui battaient encore, et d'éviter le plus de dégâts possible.
De plus, cette pensée lui avait arraché un petit sourire nostalgique, car cela lui avait rappelé la fois où Azraël – l'Ange de la Mort – lui avait demandé ironiquement si elle avait dans l'idée de le mettre au chômage.
Une fois qu'elle fut arrivée devant la Salle d'Observation, les deux anges qui la gardaient s'inclinèrent devant elle – car être l'un des sept archanges était l'équivalent d'un rang princier – puis ils lui ouvrirent ensuite les portes qu'ils refermèrent derrière elle.
On pouvait aisément décrire la Salle d'Observation comme un gigantesque stade de football. Mais à la différence que le terrain de jeu était un immense bassin dans lequel se reflétaient tout un tas d'évènements se passant à différents endroits sur Terre.
Une fois par mois, tous les anges assez influents, se réunissaient en ce lieu afin de voir comment les humains évoluaient et agissaient. Puis, ils débattaient ensuite sur le fait s'ils devaient ou non intervenir.
Plus des trois quarts du temps, ils laissaient les choses coulées à cause du libre arbitre que Dieu avait conféré à l'Humanité. Et c'était probablement pour cela que, plus le temps passait, plus les mortels ne croyaient plus en l'Éternel.
Une attitude qu'aucun immortels ne pouvaient condamné car, les humains et leur esprit avaient suffisamment évolué pour ne plus être aussi naïfs et influençables pour croire en des choses qu'ils ne voyaient pas. Ils étaient en quelques sortes devenus des Saint-Thomas. Comme lui, ils avaient besoin de voir et de toucher pour croire.
À vrai dire, l'être humain a toujours eu le don de fasciner et de décevoir en même temps Gabrielle. Et ce cause de toute les contradiction dont il était fait. Qu'il soit capable à la fois de violence et de douceur, ou de tant de haine et d'amour, n'avait eu de cesse de la surprendre des siècles durant, et de lui faire se dire que l'humain était vraiment une créature unique en son genre.
Chez les immortels, on était soit l'un soit l'autre. Jamais les deux. Et les Déchus n'avaient pas traîné à le comprendre et à le mettre en pratique.
Contrairement à sur la Terre, au Paradis comme en Enfer, on ne changeait pas son fusil d'épaule en fonction de ce qui arrangeait. On choisissait son camps point final. Et aucun retour en arrière n'était possible.
Pour ça, Raphaël répétait depuis des millénaires que, les humains étaient pires que des ingrats de ne pas vouloir reconnaître le privilège que Dieu leur avait accordé en leur permettant de changer de voie comme bon leur semblait. Un point de vue sur lequel de plus en plus d'anges étaient d'accord.
Les anges bénéficiaient aussi du libre arbitre bien sûr. Seulement, pour eux, c'était jusqu'à un certain degré. Surtout en ce qui concernait les sentiments amoureux et les contacts physiques qui leur étaient rigoureusement interdits. Ils pouvaient bien entendu éprouver de l'affection ou de l'amitié. Mais pas plus! Et les seuls anges qui violèrent cet interdit furent tous déchus ou réduits à l'état de mortels.
À vrai dire, Gabrielle n'avait jamais réussi à comprendre pour quelles raisons Dieu leur interdisait l'Amour. N'était-il pas après tout le plus beau et le plus puissant des sentiments? Il fallait plutôt reconnaître que ce fruit défendu était en total contradiction avec ce que les Anges étaient censés incarner et représenter.
Être autorisé à aimer, c'était un honneur que Gabrielle avait toujours envié voire même jalousé aux mortels. En particulier depuis quelques temps où, plus elle observait la Terre, plus elle sentait en elle un gigantesque vide empreint de solitude.
Cela faisait également plusieurs nuits qu'elle avait du mal à trouver le sommeil.
Elle regarda une dernière fois au fond du bassin. Puis, elle quitta la Salle d'Observation en se sentant plus que blasée.
… à suivre
