Titre : Les Fantastiques Aventures du Prince Bertie et de son Fidèle Serviteur Reginald Jeeves

Auteur : Lychee

Fandom : Jeeves et Wooster, livres et série TV

Genre : Jeeves et Wooster relecture de Neil Gaiman écriture parallèle d'un conte de fée omg Bertie serait trop bon en prince tout niais. Voici donc une aventure de Bertie et Jeeves à la sauce conte de fée. Ce qui donne, je trouve, un merveilleux décalage.

Rating : Pour l'instant PG. Pré-slash.

Disclaimer : loué soit Wodehouse. Les personnages lui appartiennent, sauf Judykaelle Carlysle-Chasney et Gaspard Todd-MacNamara-Todd qui sont miens.

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Les Fantastiques Aventures du Prince Bertie

et de son Fidèle Serviteur Reginald Jeeves

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Chapitre Premier :

Où Bertie se retrouve une fois de plus à aider les amours compliqués de ses amis,

et où Jeeves commence à élaborer des plans ingénieux.

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Il y a des jours – vous savez, ces jours où le soleil perce chaleureusement à travers les branchages d'un vert tendre qui bordent le chemin, où le chant des oiseaux voletant résonne mélodieusement à vos oreilles, où la forêt elle-même semble vous accueillir tendrement en son sein – non pas que les forêts aient des seins, bien entendu, mais vous voyez ce que je veux dire – il y a de ces jours, disais-je, où un homme respectable, chevauchant paisiblement de compagnie avec son fidèle serviteur, peut se sentir en droit d'apprécier pleinement la vie qui lui est offerte. Cueillir les fleurs de la vie ou quelque chose, comme disait le poète.

C'était plus ou moins mon état d'esprit alors que nous nous acheminions vers le château de ma chère tante Dehlia. La chère vieille chose, telle la bonne fée qu'elle était, m'avait invité en sa demeure pour célébrer les fêtes de printemps, et je me léchait d'avance les babines à l'idée du banquet qu'allait nous concocter Anatole, son cuisinier, venu à travers les mers du lointain royaume de je ne sais plus trop quoi – Jeeves saurait – pour notre plus grand bonheur. Sans compter qu'elle m'épargnait ainsi la corvée de rendre visite à ma tante Agatha. Celle-ci était davantage bâtie sur le modèle de la méchante sorcière marâtre, qui dévorait ses neveux pour le petit-déjeuner. On racontait parmi ses gens que son mari avait mystérieusement disparu, le soir où un énorme sanglier avait été présenté sur la table des invités.

Mais je m'égare, cher lecteur. C'est donc le sourire au cœur et la joie aux lèvres, ou l'inverse, que ce matin-là Bertram Wooster s'acheminait à travers la forêt rieuse et chantante. Jeeves lui-même avait accueilli la nouvelle de notre départ avec un certain plaisir – je veux dire par là que son regard s'était légèrement éclairé et qu'il avait prononcé un respectueux "Bien, monsieur", mais après des années à partager la même vieille tour douillette, je peux affirmer sans rougir que je commençais à savoir interpréter les infimes indications que laissaient apparaître les traits sinon impassibles de mon valet. Nous avions donc empaqueté nos affaires – enfin, Jeeves avait fait mes malles tandis que je me représentais à haute voix toutes les grives fourrées et les cuissots de chevreuil qui m'attendaient – et nous étions partis pour la campagne.

Un léger incident avait entaché ma joie : voyez-vous, mes cousins Eustace et Claude m'avaient emmené dans cette merveilleuse boutique, et j'avais, sur un coup de cœur, acheté un très beau pourpoint bouton d'or. C'était une chose magnifique, avec des broderies dorées et des manches à crevées vertes. Malheureusement, Jeeves, dont l'opinion, concernant un habillement convenable, reste assez conventionnel, n'avait pas du tout apprécié ce nouvel apport à ma garde-robe. S'en était suivi le subtil mais ardent affrontement de deux volontés de fer, et c'est sans mentir que je puis affirmer que l'homme avait finalement plié avec humilité et respect. Il avait bassement rusé en me proposant de le porter immédiatement, mais un Wooster n'est pas assez fou pour ignorer ce qu'un voyage à cheval peut faire à un pourpoint bouton d'or. Non, je le réservais pour la soirée, et je ne doutais pas qu'il m'attirerait alors de nombreux compliments.

- Bertie, mon stupide caneton ! beugla Tante Dehlia en me saisissant dans une étreinte digne d'un troll alors que je posait pied à terre devant ses portes.

- What ho, vénérable vieux crapaud ? répondis-je avec entrain, tandis que Jeeves emmenait les chevaux à l'écurie.

- Le seigneur Glossop est déjà ici, je crois que tu connais sa fille, Honoria ?

Vous savez, quand vous lisez un roman et que le héros sent son cœur se glacer à l'énoncé d'une mauvaise nouvelle ? Et bien, ce n'est pas qu'une métaphore.

- Les Glossop ? couinai-je.

Il faut vous dire que j'avais déjà été fiancé une ou trois fois avec demoiselle Honoria, suite à de nombreux quiproquos, et que je n'avais certainement pas envie de renouveler l'expérience. Mes relations avec son père avaient plutôt mal commencé – il me pensait alors victime d'une malédiction qui m'avait rendu dément – mais finalement, tout s'était arrangé et nous nous entendions bien. Ce n'était pas pour cela que j'avais envie d'épouser sa fille.

- Ton ami Tuppy Glossop est là également. Ils ont amené des amis, une demoiselle Judykaelle Carlysle-Chasney, et un jeune seigneur Gaspard Todd-MacNamara-Todd.

- Connais pas, marmonnai-je avec mélancolie.

Je me sentais l'âme du preux chevalier tombé dans la fosse aux serpents, qui sait qu'il va bientôt mourir et qui pense à son lointain et bien-aimé royaume.

Je me dirigeai vers la salle d'armes pour saluer mon oncle Tom – il collectionne des armes décoratives en argent – quand Tuppy me tomba dessus. Il me saisit le bras avant que je ne puisse m'enfuir. Tuppy avait longtemps été fiancé à ma cousine Angela, avant que celle-ci n'épouse un prince d'un royaume voisin qui avait occis un dragon pour la gloire de ses yeux. Certains types ont de ces idées, franchement. Dans tous les cas, Tuppy continuait à se faire régulièrement inviter au château pour profiter des œuvres d'art d'Anatole. On était en fin de matinée, et il avait déjà des taches de sauce sur son habit.

- Bertie, mon vieux, me chuchota-t-il à l'oreille avec empressement. Il faut que tu m'aides, j'ai rencontré la fille de mes rêves, oh Bertie elle est absolument parfaite, ses yeux sont deux châtaignes grillées à point, sa peau est comme la gelée d'un confit de canard, et ses cheveux -

- Holà, holà, dis-je en m'écartant pour éviter ses postillons, je crois que j'ai compris, mon vieux. Qu'est-ce qui t'empêche de te déclarer ?

Il roula des yeux – un spectacle que je trouve personnellement peu attirant, si vous voulez bien me croire.

- Tu es fou ! C'est la princesse héritière d'un royaume tout entier, et ma situation pécuniaire ne s'est certainement pas améliorée !

- Ton commerce de carrosses de luxe n'a pas fonctionné ?

Il prit un air embarrassé.

- Hummm non, c'est une histoire assez complexe…

- Elle a peut-être l'esprit moderne ? Tu sais, avec tous ces princes qui épousent des bergères, ces dernières années ? Pourquoi pas l'inverse ?

Il examinait l'idée, les sourcils froncés, quand un cri nous fit sursauter. Il provenait, constatai-je, d'un jeune homme qui présentait plutôt bien, accourrant vers nous avec la grâce d'un sanglier traqué en bout de course.

- Ah, Tuppy ! s'exclama-t-il d'un ton haletant en s'arrêtant près de nous. Ah, Tuppy, reprit-il après quelques grandes goulées d'air, quelle douce demoiselle que voilà ! Me voici complètement ensorcelé, mon vieux ! Quelle noblesse… quelle fierté !

Je sentis immédiatement se profiler les ennuis. Voyez-vous, mes amis ont tendance à s'embarquer dans de complexes histoires sentimentales, et je suis tout prêt à leur apporter toute l'aide que je pourrais leur fournir. Mais dans certains cas, un homme doit régler ses problèmes en homme. Même si cela implique d'enfoncer vingt centimètres d'épées dans le ventre d'un autre homme.

- De qui parles-tu ? demanda froidement Tuppy.

L'autre le regarda d'un air indigné.

- Et bien, de ta cousine, demoiselle Honoria ! Quelle grandeur, reprit-il avec un air de crapaud extasié. Quelle hauteur !

- Oh, dit Tuppy. Ah ! Bertie, laisse-moi te présenter Gappy Todd-MacNamara-Todd. Gappy, voici Bertie Wooster, dont je t'ai raconté quelques unes des imbécillités.

- Enchanté, dit Gappy en secouant ma main.

- Ravi, répondis-je, avec peut-être un peu de froideur.

Mais je mis de côté ma fierté froissée et me tournai vers Tuppy avec curiosité.

- Alors, et toi, de qui parles-tu ?

- De demoiselle Judykaelle !

- Judykaelle Carlysle-Chasney ? Tante Dehlia m'a dit que c'était une amie d'Honoria.

- C'est ça ! Si tu la voyais, Bertie, elle a la douceur d'un gâteau au miel, la tendresse d'un civet de lapereau –

- Honoria est une telle dame ! continuait Gappy. Cette énergie, cette autorité –

Je fus sauvé d'une éternité à écouter leurs roucoulements par une exclamation d'un volume sonore tel qu'elle ne pouvait appartenir qu'à une seule autre personne, exceptée ma tante Dehlia. Je me retournait pour aviser Honoria, avançant vers nous telle un navire de guerre toutes voiles dehors.

- Bertie ! répéta-t-elle en arrivant à ma hauteur. Quelle joie de te revoir ! (Elle me donna une bourrade amicale qui manqua m'envoyer au tapis.) Toujours oisif et inutile ? demanda-t-elle avec bonne humeur.

- Vous vous connaissez ? demanda Gappy d'un ton soupçonneux.

- Oh, nous avons été fiancés assez de fois pour bien nous connaître, n'est-ce pas Bertie ? demanda Honoria avec un grand éclat de rire.

Avant que je n'aie pu répondre quelque chose – quelque chose qui, de préférence, aurait fait disparaître le regard meurtrier des yeux du jeune Todd-MacNamara-Todd – Honoria se tourna vers une mince jeune fille qui se tenait patiemment derrière elle.

- Bertie, laisse-moi te présenter Judykaelle Carlysle-Chasney ! Ne te laisse pas impressionner par ses bonnes manières, Judy, Bertie a la volonté et l'esprit de décision d'un poisson rouge.

Le jeune demoiselle me sourit gentiment. A côté d'Honoria, elle semblait un modèle de douceur et de discrétion, fort joli par-dessus le tout. Je commençais à comprendre Tuppy.

- Judy et moi allons faire un tour à cheval, proclama Honoria. Quelqu'un veut venir avec nous ?

Mes deux compagnons se précipitèrent, bredouillant leur joie et leur honneur, et je déclinai poliment sous prétexte d'aller présenter mes respects à l'oncle Tom et de vérifier l'installation de mes affaires dans ma chambre – ce qui était une excuse ridicule pour n'importe qui connaissant Jeeves.

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- Jeeves, disais-je quelques moments plus tard, confortablement installé sur mon lit de plumes d'oies, tandis que ledit Jeeves vaquait à ses occupations avec fluidité et efficacité. Vous vous rappelez de Tuppy Glossop ?

- Certainement, monsieur.

- Et bien, il semblerait qu'il se soit remis de l'accident des douves, aux tentatives de noces de demoiselle Madeline Basset. Il est amoureux, Jeeves, de cette demoiselle Judykaelle.

- Vraiment, monsieur ?

- Vraiment, Jeeves. Mais il n'ose rien dire parce qu'elle est très riche. Son père semble être un roi d'un des petits royaumes du sud.

- En effet, monsieur. Le seigneur Carlysle-Chasney possède des terres couvrant un territoire conséquent sur la côte.

- Savez-vous toujours tout, Jeeves ? demandai-je en relevant la tête.

L'homme cessa un instant d'aligner mes bottes le long du mur.

- Je ne me le permettrais pas, monsieur. Mais il se trouve que l'un de mes oncles travaille au service du seigneur Carlysle-Chasney.

- Oh, dis-je. Et ce Gappy Todd-MacNamara-Todd semble amoureux d'Honoria Glossop, Jeeves. Je me demande s'il est victime d'un sortilège qui transforme ce qu'il voit… musardai-je en me retournant sur le lit, cherchant une position où les plumes d'oies cesseraient de former des creux en plein milieu de mon dos.

Jeeves toussota respectueusement.

- D'après ce que je sais, monsieur, son Altesse le Prince Todd-MacNamara-Todd doit hériter du trône de son père. Il est fort probable que le prince a été élevé dans l'idée qu'une épouse possédant une claire vision des choses et une forte volonté serait un atout pour son royaume, monsieur.

- Vous voulez dire qu'on lui a répété qu'il lui faudrait une femme forte depuis qu'il est tout petit ?

- Exactement, monsieur. Si vous me permettez cette remarque, monsieur, je crains que la répétition de vos mouvements de contorsion ne mette en péril l'apparence de vos vêtements, monsieur.

D'un mouvement de reins que j'estimai souple et gracieux, je m'assis sur le rebord du lit. Ma tentative se termina cependant de façon piteuse, partiellement – si le mot existe – parce que les plumes d'oies ne forment définitivement pas une base solide sur laquelle s'asseoir. Le lit manqua m'engloutir.

- Aucune importance, Jeeves, lançai-je joyeusement en m'extirpant tant bien que mal, puisque je porterai mon nouveau pourpoint pour le repas du midi.

J'y avais réfléchi, voyez-vous, et le banquet du soir s'annonçait trop dangereux pour un pourpoint fraîchement sorti de chez le tailleur.

- Bien, monsieur, répondit Jeeves après une brève hésitation.

Il m'aida sans une remarque à ôter mes affaires froissées, mais son sourcil tressauta quand il me tendit la pomme d'or de la discorde.

- Jeeves, il s'agit juste d'un vêtement, lui dis-je avec le ton raisonnable qu'emploierait une mère pour faire remarquer sa puérilité à un enfant de cinq ans.

- Tout à fait, monsieur, me répondit-il dignement. Monsieur est légèrement décoiffé, monsieur souhaitera peut-être remettre un peu d'ordre à sa coiffure avant de descendre.

Je retins un grognement, parce que souvent, Jeeves remet lui-même rapidement mes cheveux en place(1) et que je trouve ces occasions terriblement amusantes. Mais il se contenta de me demander avec son fichu air respectueux s'il pouvait disposer, et disparut.

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Le repas fut délicieux, et ce fut avec une petite larme d'émotion que je quittai finalement la table. Je me dirigeai vers les jardins avec l'intention d'y faire une petite promenade digestive, mais le sort en avait décidé autrement.

- Wooster ! hurla-t-on derrière moi.

Gappy Todd-MacNamara-Todd fonçait vers moi au pas de charge. Ses intentions me semblaient plutôt dangereuses, aussi m'empressai-je de préciser quelques petites choses avant qu'il n'ait atteint le rapprochement requis pour m'envoyer un bon coup de poing dans le nez.

- Il n'y a plus rien entre Honoria Glossop et moi ! bredouillai-je rapidement.

Il stoppa net, m'adressant un coup d'œil suspicieux.

- C'est vrai ?

- Aussi vrai que nous aurons tous une indigestion après le repas de ce soir, affirmai-je.

Cela sembla le convaincre, et il se dégonfla de façon considérable, preuve du pauvre état d'esprit dans lequel il se trouvait.

- Oh, Bertie – je peux t'appeler Bertie ? – comment lui avouer que mon cœur est entièrement à elle sans qu'elle ne se moque de moi ? soupira-t-il langoureusement, si langoureusement est bien le mot que je cherche.

Personnellement, je ne voyais pas trop où se situait le problème, mais je fouillai tout de même mon esprit à la recherche de quelques idées imparables.

- Une sérénade ? proposai-je. On doit bien pouvoir trouver une harpe ou un luth quelque part.

Son visage s'éclaira, puis s'assombrit presque aussitôt.

- Je ne sais ni jouer ni chanter, avoua-t-il.

Je lui tapotai le bras.

- Je me débrouille avec un luth, l'assurai-je. Quant à chanter, crois-moi, c'est l'effort qui compte et Honoria y sera sensible.

- Tu crois ?

- J'en suis certain, répondis-je avec assurance.

Nous nous séparâmes, après avoir convenu de nous retrouver sous la fenêtre d'Honoria deux heures après la tombée de la nuit.

J'entamai ma promenade digestive, mais à peine avais-je fait trois pas que Tuppy apparut au détour d'une allée.

- Bertie ! Oh, Bertie, il faut que tu m'aides pour Judy ! Ton homme(2), Jeeves, aurait sûrement une idée ?

- Je peux très bien t'aider sans l'aide de Jeeves, répondis-je un peu froissé. Je viens juste de suggérer une excellente idée à ton ami Gappy, qui l'a trouvée géniale.

- C'est parce qu'il vient juste de te rencontrer et qu'il ne sait pas de quoi tu es capable, me coupa le traître. Viens, allons voir Jeeves !

Nous retrouvâmes mon impassible serviteur dans les cuisines, en train de discuter avec Anatole. Une fois emmené dans un endroit tranquille et mis au courant de la situation, Jeeves resta un moment silencieux, les yeux dans le vague.

- Vous avez une idée, mon vieux ? demanda Tuppy d'une voix inquiète.

- Il serait peut-être bon, monsieur, de s'enquérir tout d'abord des sentiments de la jeune demoiselle à votre égard, prononça pensivement Jeeves.

- Je m'en occupe, déclarai-je. Jeeves, savez-vous où est demoiselle Honoria ?

- Je crois savoir qu'elle comptait se rendre aux écuries pour s'enquérir de la bonne installation de sa monture, monsieur.

Je fus en deux temps trois mouvements aux écuries. Honoria m'accueillit avec un rire éclatant.

- Bertie, je n'ai pas osé te le dire au repas, mais quelle est cette horrible chose jaune que tu portes ?

J'écartai sa remarque d'un geste – enfin, d'un geste mental, si vous me comprenez.

- Honoria, vieille branche, tu as réalisé que Tuppy se meurt d'amour pour ton amie Judy ?

- Ca serait difficile de ne pas le voir, dit-elle d'un ton goguenard. Où veux-tu en venir ? Elle te plaît aussi ?

- Non ! protestai-je, horrifié.

- Oh, allez, Bertie ! Je t'ai vu la dévorer du regard !

- Non ! Je… je suis intéressé ailleurs, balbutiai-je, sous son œil dubitatif. Bref ! Penses-tu qu'elle ait une quelconque inclination envers Tuppy ?

- Et bien, elle l'a trouvé charmant. Mais son père ne laissera pas n'importe quel prince sans le sous l'épouser, tu sais. Tu es riche, non ?

- Mais s'il n'était pas sans le sou ?

- Oh, alors je suppose qu'il aurait toutes ses chances.

Je la remerciai et détalai.

- Visiblement, tu ne lui déplaît pas, Tuppy, annonçai-je en retrouvant mes deux complices.

- C'est vrai ? Oh, Bertie, c'est merveilleux, c'est –

- Quelle est votre idée, Jeeves ? le coupai-je avant qu'il n'entame une ode sur les qualités de la jeune fille.

L'homme toussota et dans ses yeux s'alluma la lueur des grands jours – celle qui indiquait qu'il avait une excellente idée.

- Et bien, monsieur, il me semble possible que monsieur Glossop puisse gagner la considération de la jeune fille – et de son père - par un moyen autre que l'aspect financier de sa situation. Je sais de source sûre que le seigneur Carlysle-Chasney est très sensible à l'honneur et au courage, monsieur. A dire vrai, il avait seize ans quand il a lui-même délivré l'actuelle dame Carlysle-Chasney des mains d'une armée de trolls qui avaient décidé d'en faire, de force, la reine de leur domaine au sein de la montagne, monsieur. L'affaire avait fait grand bruit à l'époque, et le seigneur Carlysle-Chasney a toujours tenu en haute estime les âmes chevaleresques. Il me paraîtrait indiqué, monsieur, que demoiselle Carlysle-Chasney se retrouve dans une situation difficile, d'où viendrait l'en tirer le seigneur Glossop.

- Brillant ! exhala Tuppy. Mais quelle genre de situation difficile ? demanda-t-il avec un soupçon d'inquiétude.

- Et bien, si monsieur Wooster emmenait le jeune demoiselle dans les bois, situés derrière le château, vers la tombée de la nuit, et se retrouvait malencontreusement séparé d'elle au beau milieu de la forêt –

- Hé là ! Tuppy et moi protestâmes en chœur.

- Monsieur Glossop et moi-même vous suivrions à quelques pas, bien entendu, assura Jeeves en s'inclinant légèrement.

- Il y a des loups et des gobelins dans cette forêt, remarqua Tuppy d'une voix emplie de doute.

- Les gobelins sont allergiques aux princes et nous en sommes deux, remarquai-je.

- Il reste quand même des loups.

- Oh, allez ! C'est le printemps, ils ont la panse bien garnie. Pense à la lueur de reconnaissance que tu liras dans les yeux de Judykaelle Carlysle-Chasney quand elle te verras apparaître, alors qu'elle pensera être perdue…

Tuppy se redressa, une étincelle conquérante dans le regard.

- Qui sait, j'assommerai peut-être même un ou deux loups !

- Exactement, fis-je en lui tapotant l'épaule.

Il fut décidé que je proposerai une promenade à Judykaelle Carlysle-Chasney aussitôt après le repas, et que Jeeves et Tuppy me suivraient de près.

A suivre

1 Bertie est tellement un gosse.

2 Expression utilisée dans les livres de Wodehouse, si si.