Au départ pourtant, il rejetait obstinément son attirance pour son colocataire, n'espérant pas même un brin de compréhension, et encore moins de l'amour de sa part. Alors, s'il avait pu dissimuler ses sentiments jusqu'au bout, il l'aurait fait sans hésiter. Mais voilà, une vieille amie s'annonça encore une fois, comme une fatalité. La détonation vrilla ses tympans, la balle défonça la chaire...


RATED : M

Disclaimer : bien sûr les personnages ne sont pas à moi et sortent tout droit de l'imaginaire de Sir Arthur Conan Doyle. L'histoire se base elle, sur le film Sherlock Holmes de Guy Ritchie – que je pense, n'est plus la peine de présenter -.

Avis aux fans de slash plein d'action, de rebondissements, de passions apolliniennes (et il faut bien l'avouer, parfois même de belles partouzes) : ne vous attardez pas ici, cette fic ne vous plaira sans aucun doute pas du tout.

Pour la musique, l'album « An Awesome Wave » de l'excellent groupe Alt-J a été pour moi un agréable accompagnement tout au long de l'écriture.

PETITE PRECISION : tout est écrit du point de vue de Watson.

Bref, je crois avoir tout dit... Bonne lecture !


PARTIE 1

oOOOo

Inspiration. Expiration.

Sens en éveils, les yeux écarquillés.

Je n'entends plus que le tic-tac du temps qui défile. Celui qui s'écoule indéfiniment, et qui pourtant, m'échappe toujours.

T-O-U-J-O-U-R-S.

Son rire résonne en moi, tout comme ses derniers mots. Et ma mémoire me rappelle en boucle ces dernières années si mouvementées, ces derniers moments troublants, ce dernier soir, ces derniers instants... Lentement, elle me permet de remonter jusqu'à « l'accident ».

Une, deux, trois. Trois semaines en arrière.

Allez. Retour arrière.

oOOOo

Le ciel était gorgé de flocons. La neige tombait en rivière autour de nous, impactant mon œil de sa blancheur immaculée et mon visage de sa froideur pourtant, sans que je ne puisse luter, je sentais dans mon corps un feu me brûler de l'intérieur, retournant mes viscères et mon être tout entier. Je ne puis réprimer un hoquet de douleur qui répandit un filet de sang chaud et poisseux sur mes lèvres.

Ainsi la scène se répétait... Inlassablement. Mais cette fois il y avait quelque chose de différent, et non parce que la blessure était plus grave. Une question alors s'imposa à moi.

Jusque-là, elle ne m'avait jamais posée aucune difficulté car la réponse me paraissait toujours évidente, claire. Et pourtant, à ce moment, était-ce vraiment si simple ? Être aussi profondément attaché à quelqu'un... Cela m'était à la fois rassurant et inquiétant. Est-ce vraiment une bonne chose ? Tous ces sentiments étaient-ils indéniablement nécessaires ? Toutes ses questions sans réponses ne me faisaient que davantage perdre le fil de ma pensée. Elles s'étiolaient, insaisissables.

Au final il n'y avait qu'une chose à comprendre, qu'une question à se poser...

Lui qui était toujours si stoïque, rationnel et renfermé, encré dans l'ironie et le mépris, son regard sombre à ce moment le trahissait. Je le laissais compresser l'hémorragie de ses mains jointes pour empêcher les saignements abondants d'affluer, aboyant aux curieux qui s'amassaient autour de nous d'appeler une ambulance. Accroupi près de moi, comprenant que son geste de premier secours était inutile, il m'agrippa soudainement fermement la main, espérant vainement dans ce geste-ci de m'empêcher de plonger. Son visage restait figé, stoppé en un rictus. Alors intérieurement, il hurlait... une détresse grandissante et béante. Je le regardais avec un sourire qui se voulait rassurant, essayant sans résultat de le calmer ne serait-ce qu'un peu. Mais déjà, la vision du dédale de rues se faisait floue, et le brouhaha assourdissant de la foule en panique me paressait venir du tréfonds de la terre, comme un grondement profond. Je ne distinguais plus que la forme de son visage. Peu à peu sans que je ne puisse résister, elle m'échappa.

« Tout va bien » réussi-je à articuler. Tout va bien...

Un voile sombre dansa devant mes yeux, comme un rideau tombant à la fin d'un acte. Je fus lentement happé par les ténèbres et son calme planant. Tout était silence. Plus rien. Le néant.

oOOOo

Il ne m'aurait fallu qu'une seconde de lucidité. Une seconde et j'aurais tout arrêté.

Pas de complication, pas de douleur, pas de perte. Il n'y aurait eu aucun doute, j'aurais choisi la méthode la plus sûre : la fuite.

Fuite de quoi ? Comme je disais, fuite de tout. De cette vie improbable, de ce décalage qui peu à peu s'est installé dans mon quotidien, de tous ces problèmes, parfois sans même savoir d'où ils provenaient. Fuite des sentiments... De ces sentiments qui substituèrent ma personne pour m'en imposer une autre, une autre que je ne comprends toujours pas. Je ne me retrouve plus. Où est passée ma rationalité inébranlable ? Où suis-je...? Je me suis perdu dans mes propres émotions.

Ce jour là, j'aurais tout donné pour pouvoir m'arracher le cœur, ne plus rien ressentir.

Égoïste n'est ce pas ? Et pourtant, dans cette histoire, je n'étais pas le seul à en démontrer.

oOOOo

Je me réveillais enfin d'une longue léthargie, les paupières lourdes, le regard voilé.

Dans la pénombre de la chambre, je constatais sans surprise que chacun de mes membres était ankylosé, tandis qu'une douleur sourde me brûlait le poumon gauche; la place où c'était insinuée tout près de mon cœur la balle de mauvaise fortune. Mon éveil ne fut pas long, déjà, l'épuisement reprenait le dessus. Soudain, alors que je m'enfonçais de nouveau peu à peu dans un sommeil sans rêve, quelque chose retint mon attention. Un bruit quasi inaudible, un frémissement. Je n'avais aucun doute là-dessus, quelqu'un s'était approché de mon chevet et ne voulait pas être surpris. L'esprit encore embrumé, englué dans la douleur et la fatigue, je ne pris pas même la peine de m'enquérir de la raison de cette visite tardive, me laissant juste happer par un demi-sommeil. Je le sentis imperceptiblement s'asseoir sur une chaise qui se trouvait à mes côtés, puis il resta un long moment là, figé comme une statue. L'ouïe aux aguets, je n'entendais alors à ce moment que son souffle très légèrement saccadé, preuve de la tempête intérieure qui le bousculait. Tout était confus pour lui autant que pour moi. Pour la première fois, il hésita.

Doucement, il se pencha au-dessus du lit puis, comme une caresse, frôla mes lèvres des siennes.

Cette fois je ne l'entendis pas partir il s'envola comme un mirage. Ne bougeant pas d'un iota, je n'arrivais plus à distinguer si cette scène « sensorielle » venait réellement de se dérouler ou si elle n'était alors qu'une machination créée par la douleur qui me lacérait.

Dans la chambre, l'odeur de désinfectant stagnait dans l'air comme un mauvais poison.

oOOOo

J'ai été stupide. Parfaitement stupide. C'était pourtant évident, depuis le début. J'aurais dû m'éloigner, réfléchir...

Bon sang, réfléchir ! C'était trop en demander ? « Apparemment pour votre cervelle, oui » m'aurait-il balancé cette remarque en plein visage, avec juste au coin des lèvres un mince sourire satisfait se dessinant.

Ah-ah.

oOOOo

« Vous devriez voir votre tête, vous feriez pâlir de peur ma propre mère ; et c'est vous dire. »

Pour la seconde fois, mes yeux englués s'ouvrirent pour accueillir la lumière agressive du matin. Tournant légèrement la tête vers l'encadrement de la porte, je vis un Holmes accoudé au visage placide et neutre (comme à son habitude), tenant dans la main, posé sur son épaule comme une vieille canne, un bouquet de... coquelicots des champs. Je ne préférais même pas savoir comment il avait réussi à se fournir de telles fleurs au plein milieu de la capitale. Tout en laissant échapper un grognement, je me relevais douloureusement avec les coudes pour filialement reposer mon dos contre le mur où un oreiller avait été préalablement installé à la verticale.

- Cela faisait trois jours de suite que vous comatiez... Enfin, après tout ce que vous avez enduré jusque-là, ce n'est pas une énième petite balle qui va vous faire trépasser n'est ce pas ? Dit-il en s'approchant de mon lit, une légère pointe de moquerie dans la voix.

J'analysais son bouquet avec perplexité, marque de courtoisie d'ailleurs inhabituelle de sa part.

- Votre bonne amie vous aurez-elle faussé la main en vous faisant percevoir des roses plutôt que des coquelicots ? Répliquais-je à sa raillerie en faisant allusion à sa « douce » cocaïne.

- Il n'est pas dans mes codes de suivre les traditions, vous le savez bien. Dit-il un sourcil relevé, signe de son amusement, sans relever tout autant de mon sarcasme douteux.

« Mais là n'est pas la question. Comment vous sentez vous ? »

Malgré son air impassible, je sentis dans son timbre en certain malaise, et même, ne rêvais-je pas, une pointe... de culpabilité ? Sa question maladroite me laissa incrédule, pour finalement me soutirer sans que je ne puisse résister un léger sourire qui à sa vue, le fit se renfrogner davantage.

- Comme un homme piétiné trois fois de suite par un troupeau de vaches Highland ; et c'est vous dire !»

oOOOo

Après avoir réussi à dérider le logicien, notre discussion devient plus frénétique, s'étirant comme nous en avions l'habitude encore et encore avant, finalement, de bifurquer inéluctablement à l'enquête en cours. Holmes m'annonça ainsi sans me ménager aucunement, et avec une pointe d'excitation dans la voie, que je n'étais malgré mon état pas sorti de course et qu'il y avait encore beaucoup à faire. Il me décrivit comment il avait lors de mon alitement coincé deux autres complices dans un bordel peu recommandable (en collaborant, ô miracle, avec la police londonienne) et récolté ainsi de nombreux indices supplémentaires qui confirmèrent ses suppositions qu'il avait jusque-là préféré garder pour lui, et qu'il avait maintenant hâte de partager. Ainsi, nous étions sur le point de découvrir un point capital d'une enquête certes des plus palpitantes. Mais je n'avais pas la tête à ça...

« … Vous n'auriez pas dû »

La phrase m'échappa avant même que je ne puisse la ravaler, coupant net son monologue. Elle est venue comme un boulet de canon, trop encombrante pour que je puisse la garder plus longtemps en moi, cette putain de réflexion.

Il y eut un froid. Il savait parfaitement de quoi je faisais allusion. Le regardant malgré tout dans le blanc des yeux, je lui fis comprendre qu'il n'était pas la peine d'essayer de me faire croire que son geste n'avait été qu'une mauvaise blague. Il ne dit rien, imposant un moment un silence, comme pour faire la part des choses... Je n'avais donc rien imaginé.

Le regard fixé sur un point invisible, il gardait comme une promesse dans les mains le bouquet qu'il m'avait apporté. Puis il le déposa dans un vase. Je remarquais du coin de l'œil, sans broncher, que sa poigne venait alors d'écraser sans ménagement les tiges des fleurs. Enfin, il prit la parole avec un léger sourire figé :

« C'est bien la première fois que vous me surprenez ainsi. Grossière erreur de ma part de m'être fait pris, et situation plutôt inconfortable par ailleurs. Je n'ai pas été assez vigilant, il faut croire que je ne suis pas dans le meilleur de mes performances ces derniers temps. »

Avant même que je ne puisse répliquer, il me coupa d'un geste de la main.

« Je comprends que vous soyez troublé, énervé... répugné. Mais permettez-moi au moins de vous demander un dernier service : de m'assister encore une fois, pour résoudre comme il se doit l'enquête. Vous pourrez partir ensuite comme bon vous semble de Backer Street, à n'importe quel moment avec n'importe qui, cela ne me regarde plus, je n'essaierai plus de vous mettre des bâtons dans les roues. Et pour ce... baiser, sachez-le clairement pour qu'il n'y est pas de malaise en plus qui s'installe entre nous -situation que j'exécrerai- : je ne vous demande rien en retour, je n'attends rien, je n'espère rien. Je ne demande rien de plus que de terminer ce que nous avons commencés »

Je ne savais que répliquer. Ses propos ne m'étonnaient guère, parfaitement le genre de la maison : sans artifices, neutres et secs, comme si son acte n'était rien de plus qu'une formalité sans arrière-pensées. J'en devais être soulagé, pourtant, tout au fond de moi, ce n'est pas ce que je voulais entendre. A ce moment-là, je ne comprenais pas moi-même ce qui n'allait pas, et pourtant, c'était évident.

Voyant que je ne répliquais pas, il en conclut que j'acceptais la demande quant à ses propos et ses sentiments, tout était plus compliqué. La discussion était close.

Un toquement à la porte me fit sursauter. Comprenant avec un temps de retard que

quelqu'un attendait réponse, je dis avec un léger enrouement dans la voix un « Entrez ! ».

Je vis avec soulagement, sans savoir vraiment pourquoi, entrer dans la pièce ma chère et future épouse, la mine inquiète mais heureuse de me voir sain et sauf.

Elle s'approcha de mon chevet, où nous échangeâmes un tendre baisé, puis faisant mine de remarquer à peine mon compagnon -sûrement en colère qu'il m'est encore une fois embarqué dans l'une ses enquêtes suicides- lança un léger et vague bonjour avant de s'enquérir de ma santé. Lui restait comme à son habitude stoïque, le visage indéchiffrable. Enfin, il déclara sans plus attendre :

« Je ne vais pas plus vous déranger, il est au tour des amants d'avoir de son intimité. »

Ignorant l'interdiction de fumer et le respect des malades, il coinça sa pipe -qu'il avait au préalable bourrée de tabac lors de l'arrivée de Marie- au coin de ses lèvres, l'alluma d'un geste vif, puis en guise d'au revoir, fit un bref signe de la tête à l'intention de mon épouse et de moi-même, et quitta la pièce.

J'eus du mal à le laisser partir ainsi, sans même avoir réussi à m'exprimer une seule fois.

Je savais que ce soi-disant geste de courtoisie n'était qu'une excuse pour s'éclipser. Il avait besoin de s'isoler, non pas pour réfléchir mais pour faire le vide dans son esprit.