Disclaimer: quoi, tous les personnages sont à Pratchett?? et moi qui croyais les avoir inventés en rêve, dans un élan de folie géniale... (déception, déception, déception)
Rappel: le lilas fait partie d'une récente tradition morporkienne: tous ceux qui ont participé (dont: Vimaire et le Patricien) à la terrible barricade opposant le Guet (puis les bonnes volontés qui passaient dans le coin, y compris un jeune Assassin :) aux sbires du méchant patricien Remontoir en commémorent le souvenir en portant un brin de lilas le jour venu. Voir Ronde de Nuit.
Genre: je précise 'délire'?... Cette petite histoire a un nombre de chapitres tout à fait indéterminé. Pas sûr qu'il y ait une vraie fin un jour. On verra bien.
Notes de bas de page: help! elles pullulent plus vite que des lapins crétins (et ont le même degré d'intelligence), si quelqu'un a une méthode pour s'en débarrasser (à part: les transformer en OS, j'ai déjà essayé avec les Objections, ça ne suffit pas), j'achète...
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Le Parrain.
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1- Thé et traditions.
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Le Patricien descendit de calèche à une cinquantaine de mètres de la grille : la demeure des Ramkin dominait la ville, et une petite flânerie printanière à Ankh Morpork juste avant l'heure du thé avait un charme très pittoresque.
Tandis qu'il marchait en battant nonchalamment le pavé de sa canne, un sifflement retentit. Il eut à peine le temps de voir le bolide en fusion jaillir d'un quartier lointain et filer dans les nuages : ah, mise en orbite réussie pour la théière des Alchimistes (1). Il sut qu'il était à l'heure en franchissant l'entrée du domaine : son ouïe exercée percevait un hurlement assourdi, encore un imprudent qui avait goûté au thé de Planteur JMTLG. Un touriste mal renseigné ou un suicidaire masochiste.
Le Seigneur Veterini ne put retenir un sourire : les valeurs sûres d'Ankh Morpork n'étaient pas prêtes de se perdre. Et, comme en confirmation, le maître d'hôtel de Sybill Vimaire s'avançait dans sa direction : la dernière des Ramkin, plus habile à purger les dragons et à décrotter leurs cages qu'à manier le crochet à dentelle (4), respectait à la lettre le protocole aristocratique pour l'accueil d'un invité, même lors d'un tea-time informel.
Lorsque le Patricien et le domestique atteignirent le perron, un léger flottement dans la réalité leur signala que le thé de l'U.I. venait de ressurgir dans la dimension du Disque-Monde. Le Seigneur Veterini marqua un temps d'arrêt et tendit l'oreille avec inquiétude : il arrivait que la théière rescapée revienne (mal) accompagnée, mais le secteur de l'U.I. restait calme cette fois. Il ne comprenait pas vraiment cette lubie de l'Archichancelier qui mettait inutilement en danger la Cité (5). Il gravit les marches en soupirant : il dirigeait sans doute l'unique ville du Multivers où le rituel du thé pouvait se commuer en apocalypse par la seule force de la Tradition.
Le Maître d'hôtel le précéda dans le grand hall et ouvrit les portes donnant sur le Petit Salon vaguement rosâtre. Il entra avec un mouvement de tête affable tout prêt à l'emploi en réponse à l'accueil nécessairement souriant que lui réservait dame Sybill... et il se heurta à la mine plus que renfrognée du Commissaire Divisionnaire, qui semblait aussi à l'aise dans ce décor qu'un dragon dans un tonneau de poudre: s'il ne desserrait pas les mâchoires, il allait finir par se casser une dent.
Le Patricien fronça un sourcil : ce n'était pas la première fois que Dame Sybill l'invitait à prendre un thé des plus traditionnels et visiblement la Cité connaissait à tea-time une subite recrudescence de délits, puisque le Commissaire avait toujours dans ces occasions une affaire urgente qui l'empêchait de rester. Peut-être la maîtresse des lieux, suite à un empêchement, avait-elle demandé à Samuel Vimaire de ne pas se défiler? Voilà qui promettait une fin d'après-midi amusante : Vimaire exécrait tous les rituels de l'aristocratie, mais dame Sybill l'avait a priori convaincu (vu le tour de force, le Patricien lui emprunterait bien son manuel de rhétorique) de s'y plier. Connaissant la souplesse du bonhomme en la matière, le tableau ne manquait pas d'intérêt.
Lorsque Sire Samuel ouvrit la bouche, un éléphant invisible lui écrasait le pied, vu sa grimace de douleur.
« Enchanté de vous recevoir... »
L'éléphant sautait maintenant à pattes jointes sur ses orteils.
« ... sire Havelock. »
Le susnommé s'inclina avec componction devant un tel exploit.
« Tout le plaisir est pour moi, monsieur le Duc. »
Tout un troupeau d'éléphants traversa le Petit Salon vaguement rosâtre pour élire domicile sur les chaussures (vernies !!) du Duc. Havelock Veterini commençait à trouver la situation fort plaisante. D'un geste de guillotine, le Duc l'invita à s'asseoir. Les deux hommes se toisèrent en silence. Manifestement, Sire Samuel n'avait pas potassé le chapitre « faire agréable figure devant son invité. »
Le maître d'hôtel servit le thé puis sortit. Au bruit des pas, le Patricien sut qu'il restait derrière la porte, l'oreille collée à la serrure. Il semblerait en définitive que l'absence de dame Sybill ne soit pas fortuite : elle tenait à ce que son mari voie le Patricien. Pour ?...
Samuel Vimaire ne touchait toujours pas à sa tasse. Finalement il mit la main à sa poche et en ressortit un ruban de soie blanche, brodé d'initiales aux deux bouts. Havelock Veterini blêmit : il connaissait cette tradition, bien sûr. Une invitation, le ruban et la question. Mais jamais personne ne l'avait sollicité pour un tel rôle. Pour la première fois depuis longtemps, il se sentit légèrement désemparé. En face, Samuel Vimaire paraissait à la torture. Les mots qu'il finit par lâcher lui étaient sans aucun doute extorqués aux pincettes.
« Nous feriez-vous l'honneur... »
Portées au rouge.
« ... d'être le parrain de Sammy ? »
Le Seigneur Veterini fixa le ruban : SV et HV en fils d'or aux deux extrémités, reliés par un entrelacs argenté. Sans y penser, il tendit la main et s'arrêta à quelques centimètres de l'étoffe. Il devait réfléchir avant: les implications politiques d'un tel geste... Mais sans qu'il sache comment, ses doigts avaient déjà saisi le ruban et lissaient machinalement les broderies. Pire que tout: il se rendit compte qu'il souriait.
Samuel Vimaire, l'air à la fois soulagé (la séance de torture prenait fin) et mécontent, se leva et lui tendit mécaniquement la main. Son invité la serra et manqua grimacer en entendant craquer ses phalanges : finalement le mécontentement ducal l'emportait sur le soulagement.
Tandis que le Commissaire Divisionnaire l'escortait au pas de charge vers la sortie, le Patricien s'interrogeait sur les arguments qu'avait trouvés Sybill. Il voyait tout ce qui avait pu ne pas convaincre Vimaire (C'est un homme puissant, une garantie de protection pour notre fils, etc etc) mais pas le reste.
Alors qu'ils franchissaient le seuil, une silhouette remontait lentement l'allée du domaine. Sybill Vimaire ne se pressait pas : Sire Samuel Junior indiquait d'un « Da ! » péremptoire tout ce qui méritait un arrêt, et ses mains curieuses semblaient vouloir saisir le jardin entier. Dame Sybill, apercevant son époux et son invité, accéléra toutefois le pas (au grand dam de Samuel Junior qui tendait des bras éplorés vers un buisson de marguerites).
« Sire Havelock, navré pour mon retard : Sammy couvait un petit rhume, nous avons dû aller chercher le nécessaire. »
"Sire Havelock" s'abstint diplomatiquement de faire remarquer que, la mine boudeuse à part (visiblement Sire Samuel Jr aimait beaucoup les marguerites), l'enfant se portait comme un charme, et que c'étaient en général les domestiques qui se chargeaient de ce type d'achat. Il hocha vaguement la tête d'un mouvement amical.
« Il n'y a pas de mal, dame Sybill. Ce thé en compagnie de Sire Samuel fut un réel plaisir. »
Non partagé, s'il en croyait le grincement de dents de sire Samuel.
« Ada ? »
Hum, a priori son presque-filleul se désintéressait des marguerites et manifestait une curiosité intense à l'égard de son futur parrain. Sybil sourit.
« Tenez, prenez-le.
- Hein ? Quoi ? Non, je... »
Avant qu'il puisse davantage protester, il avait un bambin de 8 mois dans les bras (diantre, que c'est remuant) et Vimaire quelques molaires en moins (il serrait trop les mâchoires, cet homme).
« Tourtoi. »
Sire Samuel Jr lui tendait gravement une brindille fleurie. Le sourire de dame Sybill s'accentua et Vimaire grommela en coin. Le Patricien comprit alors quel argument avait employé la dernière des Ramkin. Il saisit délicatement le présent enfantin en se laissant piéger le pouce au passage (comment de si petites mains pouvaient-elles avoir une telle poigne ?). Dame Sybill rit franchement et lui reprit un Sammy qui manifestait à nouveau son mécontentement avec force « Da ! Da ! Da ! »
Le Patricien sourit (pour la troisième fois de la journée : mais que lui arrivait-il ?) et s'inclina pour prendre congé. Avant de monter dans la calèche, il glissa le brin de lilas à sa boutonnière.
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Notes.
(1) Bien que peu visible sur la scène politique, la guilde des Fabricants de théières est une des plus prospères de la ville. Entre l'explosion quotidienne chez les Alchimistes, la tradition des Voleurs qui exigeait chaque jour une théière dérobée et le rituel du thé chez les mages (2), ils ne chômaient pas.
(2) Mustrum Ridculle affirme que le thé n'est jamais meilleur que lorsqu'il a traversé 3 ou 4 dimensions en infusant. En général il lui faut 6 essais (donc 6 théières) (3) avant de faire revenir un liquide boueux manifestement traumatisé par le trajet.
(3) Où passent les 5 autres ? Ridculle s'en moque, l'Econome beaucoup moins (après ingestion de ses pilules il s'affole pour son budget, sinon il pleure sur le sort des infortunées qui, il l'espère, coulent des jours paisibles au paradis des théières), et selon Cogite il doit y avoir des coins du Multivers où les théières ne manquent pas. En réalité, il y a quelques endroits où le dieu local a une drôle de bouille – ou plutôt de bouilloire, sans mauvais jeu de mots.
(4) Activité à laquelle sont formées toutes les jeunes filles de la Haute Société morporkienne dès leur enfance et qui mêle assez curieusement broderie et auto-défense: tout Assassin, si bien payé soit-il, hésite face à une femme armée d'un bout de métal pointu qu'elle agite avec affolement dans tous les sens. Sans le vouloir, elle pourrait bien lui crever un œil. Sybill, quant à elle, n'a jamais vu l'intérêt de brandir un petit crochet en poussant des cris de souris enrouée quand une épée ou une hallebarde faisaient tout aussi bien l'affaire. Voire un coup de genou judicieux lorsque l'assaillant appartenait à la gent masculine.
(5) Le Seigneur Veterini, après plus de 15 ans passés à survivre en tant que Patricien, était rompu aux différentes combines des ambitieux rêvant de prendre sa place, dont les plans géniaux présentaient souvent quelques failles suffisamment larges pour laisser entrer la moitié de la Basse-Fosse et tous les inconvénients subséquents. Mais il ne parvenait pas à concevoir que l'on risque la fin du Disque-Monde juste pour... le fun (6) . Comme dit le proverbe : Bonne volonté de mage, bien pire qu'un Bagage.
(6) En fait, seules 3 personnes ont réussi à comprendre la mentalité de l'U.I. : Rincevent, l'Econome et Cogite. Le premier passe donc son temps à fuir ses semblables, l'esprit du second a pris la poudre d'escampette dans un univers parallèle peuplé de bisounours et de souriantes pâquerettes, quant au troisième il se ronge les ongles et son ulcère n'est pas prêt de guérir.
