Une famille de nobles a toujours eu des obligations, alors on avait fini par se dire que la seule héritière de cette famille allait remplir le rôle de vassale du Lord Godfrey, comme la tradition l'imposait. Cependant, quand arrive un petit frère, pourquoi s'entêter ? Aaron Midoes est justement à l'image de son maître, entêté, et décide que sa fille sera une guerrière servant d'exemple à son frère. Comment aller contre ce destin ?


Chapitre 1 : Sans prétention

Prudence avait toujours porté un grand intérêt au travail en extérieur. Fille de petit Seigneur sur la côte gilnéenne, elle était habituée à mettre la main à la pâte puisque ce genre de petits seigneurs avait de fait peu de moyens pour entretenir les terres qu'on leur confiait… mais qu'il devait bien entretenir malgré tout, en particulier lorsqu'on dépendait d'un Lord aussi intransigeant que Lord Godfrey. Elle passait un grand nombre de ses matinées à aider aux écuries de son père, à prendre soin des chevaux et même à assister à des mises à bas en pleine nuit dès son plus jeune âge. La jeune enfant se réveillait d'ailleurs d'elle-même quand la mère était sur le point d'entreprendre le long et laborieux travail qui l'attendait. Ses étranges prédictions étaient si exactes que le palefrenier et le maître d'écurie en étaient venus à faire confiance aux intuitions de la fillette.

Comprenez qu'il est tout de même déroutant de voir une enfant à peine âgée de trois ans se lever en pleine nuit et se diriger droit vers le box d'une future maman. À la longue, cependant, on s'y habitue.

Les matinées étaient donc essentiellement consacrées aux bêtes. Les après-midis par contre, l'enfant préférait se promener dans le jardin du manoir et apprendre mille et une choses auprès du jardinier. Elle était une assistante curieuse et dévouée.

Comprenez qu'il peut être déroutant de voir l'héritière du seigneur des lieux vaquer à de telles occupations mais quand on était simple fille de vassal de la Cour de Gilnéas, il était nécessaire de ravaler son orgueil pour remplir ses obligations, quitte à s'adonner à des pratique que certains aristocrates qualifieraient de « campagnardes » puisqu'ils passaient le plus clair de leur temps à prendre soin des terres qu'on leur avait confiées.

L'attitude de la petite Prudence allant dans ce sens, et même de manière plus prononcée que celle de ses prédécesseurs, ses parents l'encourageaient à continuer ainsi dans ses jeunes années : il ne faisait aucun doute que si elle prenait à l'avenir autant soin de leurs terres qu'elle le faisait dans le petit terrain familial, elle serait une jeune vassale irréprochable, irréprochable représentante de la petite noblesse gilnéenne.

C'est pourquoi ces années de simple liberté, où on ne nommait pas ses étonnantes facultés, où faire la fierté de son père était aussi simple que respirer, restaient un souvenir d'un bonheur devenu indescriptible… mais pur et innocent, hors de sa portée.

Au début, on se contenta de dire qu'elle était une enfant très sensible, mais très vite on remarqua qu'elle avait une certaine influence sur ce qui l'entourait, et plus ce qui l'entourait était proche d'un état naturel, plus cela était évident. Tout d'abord, il lui semblait impossible de se faire désobéir d'un des chiens de la maison. Elle n'avait même pas à hausser la voix. En grandissant, elle finit par ne plus avoir besoin de la parole pour se faire entendre. Ensuite, les plantes du potager n'étaient plus tombées malades depuis qu'on avait fêté ses trois ans. Enfin, sa mère l'avait surprise à parler aux arbres ou sembler écouter pendant des heures les murmures des branches et du vent. Les oiseaux venaient alors se percher sur ses épaules et picoraient ses cheveux de couleur auburn sans montrer la moindre frayeur. Certains s'endormaient même dans les plis de ses habits.

Ce dernier constat amena Hyacinthe Midoes, sa mère, à prendre contact avec un druide de la Moisson.

La petite Prudence avait d'ailleurs toujours apprécié la Fête de la Moisson, où des druides s'adonnaient à des prestations de leur magie tous les ans. Son appréciation tenait de l'émerveillement et approchait l'adoration, comme un jeune élève qui apprenait et buvait l'enseignement qui lui était donné et reconnaissait tout ce qui lui restait à apprendre.

Il existait un certain nombre de druides qui prenaient des élèves pour leur formation, mais Hyacinthe Midoes avait jeté son dévolu sur une personne bien particulière.

L'archidruidesse, titre donné par l'ordre des druides de la moisson de Gilnéas, regarda le manoir des Midoes avec un air qui en disait long sur son envie d'entrer dans cette habitation. Sourcils froncés, nez plissé, posture rigide, non vraiment, une force la tirait vers l'arrière.

Mercy Belladone retint un soupir, se composa un air plus neutre et tenta de chasser les pensées qui l'assaillaient.

Elle était bien placée pour savoir que le couple Midoes avait eu un petit garçon récemment puisque c'était elle-même qui avait arrangé le problème d'impuissance du Lord, due à sa vieillesse, et elle s'était également arrangé pour répondre à ses vœux afin que l'enfant soit un garçon. Bref, le couple avait un héritier et pouvait donc abandonner leur aînée aux mains des druides de Gilnéas. C'était du moins ce qu'elle avait pensé au premier abord : Lord Midoes avait l'intention de placer sa fille chez les druides, faute de mieux, ayant lui-même un fils pour lui succéder en tant que guerrier.

I n'en était cependant rien. Seule la mère de famille l'avait contactée, en insistant bien pour qu'elle vienne un jour où le patriarche ne serait pas là.

Cela avait donc suffisamment éveillé sa curiosité pour qu'elle se déplace et écoute.

En d'autre circonstances, elle serait venue pour ne pas froisser des aristocrates, ces derniers pouvant se montrer particulièrement retors quand il étaient vexés… puis elle aurait refusé de prendre l'enfant en trouvant un prétexte quelconque.

Là, elle écouterait et aviserait. Mais elle avait peu d'espoir : elle s'était promis de ne plus prendre d'élèves.

Et Hyacithe Midoes le savait très bien.

Qu'elle lui demande malgré tout de venir, l'intriguait davantage encore car Hyacinthe Midoes faisait partie de ces personnes que l'archidruidesse qualifierait d'avisée.

Maîtresse Belladone se résigna donc et s'engagea dans l'allée, les yeux mi-clos, à l'écoute des murmures des alentours. Ce qu'elle entendit, la bouleversa.

La nature était si sereine.

Comme si un esprit y veillait scrupuleusement.

– Pourrais-je connaître le fin mot de l'histoire, Lady Midoes ?

L'intéressée berçait d'une main le petit Josuah dans son landeau. Quand l'archidruidesse s'était assise en croisant les jambes, son bâton contre l'accoudoir, elle avait regardé d'un air absent son jeune fils.

– Prudence est assez… spéciale, comme je viens de vous l'expliquer, je pensais sincèrement que l'arrivée de notre fils lui permettrait de suivre la voie qui est faite pour elle, mais je connais trop mon Aaron et les discours qu'il tient en disent long sur ses intentions : il ne renoncera pas à ce qu'elle suive une carrière de guerrière pour montrer l'exemple à Josuah. C'est terrible, il a une peur obsessive de la mort et est effrayé par la seule idée de partir sans que sa famille ne soit prête à assumer son rôle de vassale envers le Sir Godfrey. Il souhaitera donc que sa fille reçoive les connaissances de la famille, au même titre que son frère… mais je trouve que c'est du gâchis. Notre fille semble si… ailleurs… comme à l'écoute d'autre chose.

– Oui… et vu ce que vous m'avez décrit elle montre des dispositions à notre art, effectivement.

Belladone eut à son tour l'air pensive. Elle voyait clair dans le jeu de la Lady.

– Vous voudriez que je prenne Prudence sous mon aile, c'est cela ? Et de préférence en restant ici ? C'est pourquoi vous avez besoin d'un druide n'ayant pas déjà d'élèves. Vous semblez cependant sous-estimer l'entêtement de votre propre mari.

– Non, je vous rassure. Je ne le sous-estime pas. En fait…

L'archidruidesse releva les yeux vers la jeune femme quand cette dernière s'interrompit. Bien que le visage de la druidesse, jeune et fin, n'en laissa rien paraître, elle fut surprise de voir un regard décidé et d'une extrême fermeté la regarder.

– Je sais, Maîtresse Belladone, que vous ne prendriez avec vous aucun élève capable de vous décevoir. Mettez à l'épreuve ma fille, et si elle répond à vos attentes, emmenez-la, avec ma bénédiction.

Elle ne sut pas ce qui l'impressionna le plus : la résignation de la mère qui était prête à laisser sa fille de sept ans à partir ou bien… son absolue confiance dans les capacités de sa fille.

– Je vous préviens, on ne m'impressionne pas facilement.

Mais ce qu'elle avait entendu dans le jardin de la propriété en disait déjà long. Sa curiosité allait grandissante pour la jeune fille qu'on voulait qu'elle prenne comme pupille.


J'espère que cela vous a plu ! N'hésitez pas à mettre des commentaires, j'aime beaucoup discuter avec mes lecteurs (même si je réponds par mp).