Merci à ma muse. Qui sait de quoi est fait l'avenir ? De toi.
Alors que la dernière mandragore s'endormait sur l'ultime couplet de sa comptine, un sourire satisfait s'étala sur le visage du jeune professeur de Botanique. C'était presque par hasard qu'il avait découvert qu'au son d'une comptine, ou de toute chanson fredonnée d'un ton apaisant, les racines de mandragore cessaient de hurler.
Cette découverte avait suscité l'intérêt des chercheurs en botanique du monde entier, et Neville ne comptait pas en rester là.
Selon lui, il devrait être possible que les racines développent d'autres propriétés si elles étaient exposées pendant leur croissance à des berceuses répétées.
Neville s'assit à la table en bois au centre de la serre, où tant de générations d'élèves s'étaient assises pour suer sang et eau à dépoter, rempoter, couper feuilles et boutures. Et le professeur Londubat espérait que d'autres générations continueraient à s'asseoir encore longtemps sur ces bancs. Mais en attendant, ce qui lui accaparait l'esprit, c'était ses recherches sur les Mandragores.
Il sentait être proche de quelque chose, mais il devait rester vigilant. Une tache brunâtre familière attira son attention sur la table usée par les ans. Il repensa avec émotion à ce cours de Botanique en deuxième année où il avait réussi à se couper un sérieux morceau de doigt avec un sécateur. Le professeur Chourave avait sans doute laissé la tâche de sang pour lui rappeler la prudence.
Le souvenir de ce Neville plus empoté que les racines de Mandragore dont il s'occupait, au lieu de l'emplir de honte, lui rappelait avec fierté le chemin qu'il avait accompli, s'affranchissant enfin du terrible souvenir de ses parents et des espérances de sa grand-mère pour paver sa propre route.
Mais le soir tombait déjà, et il dut se résoudre, non sans regrets, à laisser la serre pour rejoindre ses quartiers. C'est en soupirant qu'il gravit la volée de marches menant au deuxième étage. Il se sentait beaucoup plus à l'aise dans la serre que dans sa chambre froide, où l'attendait un Bureau vide –il préférait écrire au grand air- et un lit froid. « Je suis marié à mes plantes », avait-il rétorqué avec un air malicieux à sa grand-mère qui s'inquiétait une nouvelle fois de son célibat. Et ce n'était pas si faux que cela, il fallait bien l'avouer. Son absence de vie amoureuse ne le dérangeait pas plus que cela. Son manque de confiance en lui et sa maladresse avaient proprement écarté les jeunes filles durant sa scolarité, si l'on exceptait une brève aventure avec Luna l'été qui avait suivi sa 7ème année. Finalement, il était parti en Afrique étudier les plantes tropicales. Ils s'étaient écrits quelques temps, mais il avait fini par se lasser des élucubrations de la jeune fille sur les dangers de créatures inexistantes, et elle ne partageait de toute évidence pas sa passion pour les plantes, ils avaient donc perdu contact progressivement. Il lui envoyait toujours une carte à Noël, quand il n'était pas trop pris par les travaux à la serre.
Jetant un œil à la fenêtre, il crut discerner deux formes sombres se glisser dans le Parc. Probablement deux jeunes en quête d'un endroit tranquille loin des yeux de Rusard, qui restait vaillant malgré les cheveux blancs qui teintaient maintenant sa chevelure, et lui donnait l'air davantage aigri, si c'était possible.
Neville s'endormit sur des souvenirs d'autres sorties nocturnes, de cape d'invisibilité et de faux gallions.
Vigilance constante. La devise du regretté Maugrey Fol-Œil n'avait pas perdu sa pertinence avec la mort du Seigneur des Ténèbres. La magie noire continuait d'attirer des partisans, et le monde magique en général regorgeait toujours de dangers. Neville, pourtant un sorcier expérimenté, l'apprit à ses dépens en entrant dans la serre pour préparer le matériel pour le cours du matin. Alors qu'il était à quatre pattes pour essayer d'attraper une planche à découper qui s'était glissée sous une table, un bourdonnement fit vibrer ses oreilles. Le temps qu'il se redresse, il était assailli par une dizaine de doxys. Les petites créatures le piquaient déjà en de multiples endroits, et avant qu'il ait pu sortir sa baguette et paralyser une seule des petites créatures, sa vue se brouilla, et il tomba, recroquevillé en position fœtale, protégeant sa tête de ses mains. Par chance, les premiers élèves arrivèrent en avance, probablement pour tenter de lui extorquer quelques précisions quand aux examens de Botanique, et ils alertèrent immédiatement Mme Pomfresh.
Quelques heures plus tard, Neville se reveilla dans un lit de l'infirmerie, la bouche rendue pateuse par la mixture que Mme Pomfresh lui avait fait avaler de force. Il tenta de se lever, mais la redoutable infirmière le menaça de l'attacher au lit s'il ne prenait pas de repos. Chancelant, Neville se rendit de bonne grâce. Quand il se réveilla en pleine nuit, ce fut une expression de terreur qui animait ses traits. Ses mandragores. Alité, il avait oublié de les bercer ce soir, et n'avait pas eu la présence d'esprit de demander à quelqu'un de le faire pour lui. Jurant tout bas, il s'habilla en vitesse, et sortit de l'Infirmerie en tentant d'allier pour le mieux rapidité et discrétion. Arrivé dans le couloir, il pressa encore davantage le pas, et c'est essoufflé qu'il arriva à la Serre.
Ses Mandragores dodelinaient doucement de la tête, comme chaque soir une fois endormies. C'était tout bonnement impossible. Il avait tenté de les endormir avec un enchantement qui fredonnait la comptine à sa place à heures fixes, mais les plantes n'avaient pas été dupes, il leur fallait une voix humaine. Il sentit comme un souffle derrière lui, se retourna vivement, et crut apercevoir une ombre près des citrouilles, au fond de la serre. Il s'approcha précautionneusement, baguette sortie, mais arrivé aux plants de cucurbitacées, il ne vit personne. Un éventuel intrus n'aurait pas eu d'autre choix que de revenir vers Neville pour sortir de la serre. Il avait donc rêvé, après tout il était encore convalescent après l'attaque des Doxys. Ou bien… Neville leva brusquement sa baguette et clama « Humenum Revelo ! ». Rien. Si intrus il y avait eu, il n'était pas devenu invisible.
Restait néanmoins l'énigme des mandragores. Comment donc avaient-elles pu s'endormir ce soir-là ? C'était d'autant plus étrange que le professeur n'avait parlé de ses recherches à personne. Il préférait attendre d'avoir des certitudes… Dans le cas où sa théorie ne mènerait nulle part, il imaginait sans peine les quolibets qui accableraient le « professeur qui berçait les mandragores ».
Un bruit provenant de l'entrée attira soudain l'attention de Neville. C'est avec horreur qu'il reconnut le visage sévère et la bouche pincée de Mme Pomfresh, la baguette sortie et l'air menaçant. Il bredouilla tant bien que mal :
« - Oh, Ma… je veux dire Po… Poppy, quelle belle soirée pour faire un tour dans la serre, n'est-ce pas ? Di… Dites, vous n'avez croisé personne en venant ? »
- Non Professeur, personne. Vous êtes le seul à vous être échappé de votre lit, il semblerait.
- Je… J'avais besoin d'un peu d'air, je retourne à l'Infirmerie immédiatement, il ne faut pas rire avec la convalescence, n'est-ce pas ?
Une moue mi-amusée mi-sceptique passa sur le visage de l'Infirmière, mais elle tint tout de même à l'escorter jusqu'à son lit, et il entendit distinctement les sortilèges de fermeture qu'elle appliquait à la porte une fois qu'il fut de nouveau alité.
