Bonjour à tous et à toutes !
Je suis fière de vous présenter ma première fanfiction sur Rise of the Guardians ! L'une des nombreuses que j'ai en préparation. Pour être honnête, j'écris cette fiction depuis plus d'un an et j'en suis actuellement au quatrième chapitre fini sur... dix. Oui, je ne vais pas vite. Je voulais attendre d'avoir fini d'écrire le tout pour le poster, mais je dois me rendre à l'évidence : si je procède de cette manière, elle ne sera jamais publiée. Du coup, je poste afin d'avoir (peut-être, oui, non) quelques reviews. Parce que les reviews me motivent énormément, et j'ai l'espoir qu'elles augmenteront mon rythme d'écriture. Ca en plus de la culpabilité de vous laisser sur votre faim. Bref, on verra comment ça se goupille, mais je vous avoue que ça va pas fort en ce moment. Je compte sur vos petites mains pour me dire ce que vous en pensez, même si vous n'avez pas aimé ! La critique, c'est toujours bon pour s'améliorer !
Si vous vous attendez à une fiction qui finit avec un couple bien connu du fandom, vous allez être très déçus ! Avec un rating K+, n'espérez même pas un petit bisous, ce n'est pas le but de cette fiction. Désolée les fangirls !
Inutile de vous rappeler que je ne possède aucun droit sur le film Les Cinq Légendes ou sur les personnages inspirés des livres de William Joyce. Autant vous dire que, si je les avais, il y aurait déjà eu plusieurs suites, dont certaines (si ce n'est toutes) sur Pitch. Mais bon, c'est toujours beau de rêver.
Sur ce, bonne lecture à tous et à toutes ! J'espère que vous apprécierez !
Prologue
Jack n'oublia jamais cette nuit d'octobre.
Sautant d'arbre en arbre avec une aisance qui lui était propre, l'esprit de l'Hiver vagabondait près de Burgess en sifflotant une vieille comptine française. À cette heure avancée de la nuit, une bonne partie du village s'en était allée dans les bras de Morphée, et les quelques grains de sable doré qui subsistaient encore dans les airs pouvaient clairement en attester. Mais le jeune homme n'avait pas besoin qu'il fasse jour et que les rues soient bondées de monde pour s'amuser. Après tout, il avait été seul chaque nuit durant plus de trois cent longues années, et il avait vite appris à s'occuper, à défaut de pouvoir changer de continent à chaque fois. Il y avait tellement de choses à faire qu'il n'avait que l'embarras du choix pour commencer à profiter de sa nuit.
En étouffant un rire, l'adolescent atterrit sur une branche avec tellement de force que la quasi-intégralité des feuilles orangées en tomba. Il aimait bien l'automne : non seulement il annonçait le début de l'hiver – qui était pour lui une période de réjouissance – mais également parce que la nature se dépouillait de ses biens et que cela en était amusant. Les feuilles mortes, par exemple : quelle joie de les faire virevolter dans les airs après qu'un malheureux bonhomme eut passé la matinée à toutes les rassembler au prix de son pauvre dos. Le voir râler et jurer tout en maudissant le temps était tout simplement exquis et n'avait de cesse d'amuser l'esprit qui restait plié de rire de longues minutes. Il adorait également regarder les disamares s'envoler des érables et tournoyer sur elles-mêmes avant de s'échouer plus loin, ou encore la pluie s'inviter sans prévenir et les courants d'air glaciaux se lever. Et puis, il s'entendait bien avec l'esprit de l'Automne, bien que cette jeune rousse se soit montrée assez asociale au début de leur relation. Leurs rencontres étaient d'ailleurs trop rares pour qu'il la qualifie d'amie, et les brèves occasions de lui parler étaient trop courtes pour qu'il fût en mesure de nouer avec elle un quelconque lien. L'esprit regrettait amèrement ce fait, surtout qu'il ne s'entendait pas avec les deux autres saisons, qui avaient en horreur le froid.
En époussetant une feuille venue se coller à son sweat-shirt, Jack leva la tête vers le ciel, sombre. Cette grande dame était absente ce soir. Cela se produisait une fois par mois : l'Homme de la Lune se retirait, dévoilant ainsi la face cachée de sa planète et lui laissant alors une nuit de répit. D'après les dires de Fée, ce bon bonhomme devait surtout angoisser vis-à-vis des enfants, parce qu'il les laissait sans surveillance. Même en présence des Gardiens, il ne devait pas être tranquille. Et il avait toutes les raisons de ne pas l'être. Car quand son regard perçant était absent, il s'en passaient, des choses.
Ses compères avaient eu beau le prévenir, l'adolescent avait fait la sourde oreille : les nuits sans lune étaient dangereuses. Simple esprit, il n'avait rien remarqué. Jouant un rôle mineur – faire tomber la neige et verglacer les routes n'étaient apparemment pas quelque chose d'essentiel –, il avait suscité un intérêt quasi -inexistant auprès des Facétieux et avait ainsi bénéficié d'un droit à la liberté qu'il exerçait chaque jour depuis qu'il avait été créé. Mais à l'instant exact où il avait juré de protéger les enfants, se sacrant ainsi Gardien de l'Enfance, il fut considéré comme dangereux et pris pour cible.
Les Facétieux, c'est ainsi qu'ils aimaient se faire appeler. Simples élémentaires, ils avaient eu la réputation durant de nombreux siècles d'être farceurs et de ne manquer aucune occasion pour faire une petite bouffonnerie aux humains une fois la nuit arrivée. Mais l'extension du Royaume de la Lune et les réprimandes de cette dernière face à leur attitude ont changé la donne : se tapissant dans les sombres recoins, ces petits groupes évitaient aujourd'hui de sortir et préféraient quand l'astre était absent pour se glisser hors de leur trou. Au fil du temps, leurs contacts avec les esprits nés de la main de Lune s'étaient dégradés et les élémentaires vouaient à présent une aversion totale pour chaque être ressuscité au moyen des rayons lunaires. Mais malgré cette haine persistante, seuls les Gardiens devaient faire face à leurs attaques, et surtout les nuits sans lune. Le jeune esprit avait déjà eu affaire à eux, la première fois où il avait dû rejoindre l'atelier du Père Noël en urgence : d'apparence presque humaine, ils pouvaient se matérialiser et se dématérialiser à volonté en fonction de l'élément dont ils dépendaient. Il y en avait quatre principaux : les Facétieux aquatiques, les Facétieux terrestres, les Facétieux volatiles et les Facétieux incandescents. Chacun représentant l'un des quatre éléments qui régissaient l'équilibre de la Nature. Il y avait bien entendu des dérivés de chacun d'eux, ce qui faisait qu'il existait des Facétieux de glace ou des Facétieux électriques. Bien trop d'ennemis qui se terraient patiemment en attendant qu'un Gardien pointe le bout de son nez pour l'attaquer.
C'était pour cela que Nord, après lui avoir rappelé qu'il était alors trop dangereux de sortir cette nuit, et ce comme chaque nuit sans lune de chaque mois durant les deux dernières années, l'avait enfermé sans remords dans l'une des chambres du Pôle après lui avoir jovialement ri au nez à travers la porte quand il avait voulu s'enfuir. Mais loin de se décourager, Jack avait trouvé le moyen de sortir et il était actuellement en train de faire le mur. Ce n'était pas très responsable de sa part, mais qui le remarquerait s'il revenait dans sa chambre sain et sauf avant le petit matin ? Après tout, il n'était pas de nature à se laisser enfermer.
Sortant de sa rêverie, l'esprit de l'Hiver se redressa et se remit en route. Il s'éloigna de Burgess à grands sauts de puce pour s'enfoncer dans l'amas sombre que constituait la forêt et entreprit de rejoindre son lac, là où il avait vu le jour en tant qu'enfant de la Lune. Cela faisait longtemps qu'il n'y était pas retourné, il n'aurait d'ailleurs jamais cru que les Gardiens avaient autant de responsabilités aussi contraignantes. En deux ans, il n'avait pas eu un seul instant à lui, à part les quelques rares virées en hiver, sans en dire un mot à ses compères, où il prenait quelques minutes pour aller rendre visite à Jamie et ses amis. Il avait été seul durant si longtemps qu'avoir des amis – de surcroît ses premiers croyants – était quelque chose de précieux à ses yeux et ne pas les voir souvent était assez difficile. Il prenait un nouvel élan et sautait quand quelque chose attira son attention.
Apercevant de la lumière au beau milieu de la forêt, le jeune homme s'interrogea. Camping ? À cette époque-ci de l'année, c'était peu probable. Une petite balade nocturne ? Il était de notoriété publique que les loups sillonnaient souvent la forêt, personne ne s'y serait aventuré, de surcroît en pleine nuit. Stoppant sa course, l'esprit scruta ce petit point lumineux avec suspicion. Des enfants pouvaient être là-bas, et le devoir qui l'incombait ne lui laissait aucun choix : il devait aller voir de quoi il retournait. En se redressant, le jeune homme adressa une rapide prière à un dieu quelconque. Si c'était important, il devait en référer à un autre Gardien qui saurait alors qu'il s'était baladé cette nuit, et ça, il aimerait éviter.
Son affectation en tant que Gardien était assez récente : à peine deux années s'étaient écoulées depuis la chute du tristement célèbre Pitch Black, et c'était seulement maintenant que Jack arrivait à tout gérer, plus ou moins péniblement. Alors qu'auparavant, sa vie se résumait à la liberté et à la solitude, elle pouvait aujourd'hui être qualifiée de prison dorée : il avait de nouveaux amis sur qui il pouvait compter, mais cela lui avait coûté sa liberté de mouvement. Tant de charges lui étaient tombées dessus d'un coup, et il avait mis plus d'un an avant de concilier ces dernières avec le peu de temps libre qu'il arrivait à se dégager. Il fut d'ailleurs grandement impressionné que ses compères sachent, eux, effectuer leur devoir avec rapidité et efficacité, si bien qu'ils avaient bien plus de temps pour eux que pour les tâches de la Lune qui étaient réglées immédiatement. Jack avait eu beau les questionner, la seule réponse qui ressortait de leurs conseils avisés était la persévérance. Et il comprenait aujourd'hui ce que cela voulait dire.
Intrigué, le Gardien s'approcha plus près de cette source lumineuse. Plus il réduisait la distance qui le séparait de l'endroit illuminé, plus il avait la sensation de connaître les environs. C'est alors qu'il dépassait une petite bute familière que cela lui revint brusquement en tête : la clairière de Pitch n'était plus très loin. Et c'était d'ailleurs de là que provenait la lumière. Un affreux pressentiment prit l'adolescent : deux ans n'étaient pas assez suffisants pour que le Roi des Cauchemars réunisse la force nécessaire pour les affronter de nouveau, mais avec un petit coup de pouce, il pouvait aisément être remis sur pied. Sa surveillance était d'ailleurs l'une des tâches importantes dont devait s'acquitter chaque Gardien. Vérifier s'il était toujours dans son trou, regarder de près les cauchemars qui allaient et venaient, s'assurer qu'il ne trafiquait pas un autre mauvais coup. Même si sa carrure frêle et fière n'avait pas été aperçue depuis sa défaite, il n'en restait pas moins actif, et ce malgré sa faiblesse. Mais jusqu'ici, il n'y avait eu aucun problème et les quelques songes qu'il libérait servaient uniquement à le maintenir en vie. Rien qui puisse inquiéter les Gardiens de l'Enfance, en somme.
Il s'approchait de l'endroit avec une rapidité croissante. La crainte que lui inspirait le retour de son ennemi lui donnait des ailes, et il devait absolument s'acquitter de ce pressentiment qui lui tordait les entrailles. Surtout que faire son grand retour une nuit sans lune était une excellente tactique pour les prendre par surprise, étant donné qu'aucun Gardien ne devait se promener dans ces moments-là. Enfin, théoriquement. Et il était bien capable d'obtenir l'aide des Facétieux malgré son appartenance au Royaume de la Lune, au grand dam de tous. Ça pouvait devenir mauvais pour eux. Très mauvais. Atterrissant enfin aux abords de la fameuse clairière après quelques minutes de course effrénée, tous ses sens en alerte, l'esprit de l'Hiver s'immobilisa et jeta un œil confus tout autour de lui : rassemblés aux alentours de la faille qui marquait l'entrée du Royaume du Croque-Mitaine, des dizaines d'esprits discutaient joyeusement entre eux.
Ils venaient de tous les bords : des naïades chantonnaient au beau milieu d'un parterre de lutins et d'elfes, des nains agitaient leur pioche en déblatérant sur les potins des mines. Voletant au-dessus et décrivant des cercles gracieux, des fées riaient joyeusement tandis que des élémentaires inoffensifs de la forêt jouaient avec la poussière scintillante qu'elles semaient. Des minotaures étaient couchés dans un coin, plaisantant avec ce qui semblait être un vieil Atlante, il était rare d'en voir hors de leur cité mythique. Il y avait même quelques trolls – qui n'étaient pourtant pas réputés pour être de bonne compagnie – assis en dessous d'un arbre et qui sympathisaient avec des esprits. Il aperçut quelques succubes à moitié dénudées se vanter de leur dernière coucherie avec fierté, ce qui arracha à l'adolescent un imperceptible rougissement. Les esprits de l'Aube et du Crépuscule, inséparables, étaient assis côte à côte sur un rocher, silencieux, semblant attendre quelque chose : ces deux-là ne se parlaient jamais, leur présence respective leur suffisait amplement. Il crut même reconnaître l'esprit de l'Été, et aussi celui du Printemps, partageant une corbeille de fruits et une boisson chaude, au vu de la fumée qui se dégageait de leurs tasses colorées.
Jack en restait interloqué. Que venaient donc faire tous ces gens dans un endroit aussi… dangereux ? Un tel rassemblement était inhabituel et soulevait des tonnes de questions.
Il resta immobile de longues minutes, perdu, observant le petit monde qui s'épanouissait devant lui. Son entrée impromptue avait d'ailleurs attiré l'attention puisque plusieurs esprits chuchotaient entre eux en jetant à l'adolescent de petits coups d'œil furtifs, ce qui le rendait plus ou moins mal à l'aise. Il hésitait : que devait-il faire ? Rester pour voir comment allaient évoluer les choses et prévenir un autre Gardien au besoin, ou laisser tout cela en plan ? Il secoua la tête, se sortant cette dernière idée de la tête. Il y avait un rapport avec Pitch Black, le Roi des Cauchemars, il devait rester sur place et constater de lui-même se qui s'y tramait. Peut-être que, si c'était quelque chose d'important, sa petite fuite serait vite pardonnée. Il releva la tête et lorgna d'un air déterminé les personnes présentes. Il fallait qu'il leur demande ce qu'elles faisaient ici en plein milieu de la nuit – surtout une nuit sans lune – mais au vu des regards qu'il avait l'occasion de capter, il s'aperçut très vite que sa présence n'était pas désirée. On prenait d'ailleurs le soin de l'éviter quand on passait près de lui, et cela le perturbait au plus haut point. C'était un Gardien, non ? Pourquoi cette gêne si soudaine alors ?
« Tiens donc, mais regardez qui voilà. »
Perdu dans ses pensées, il n'avait pas vu qu'une silhouette s'était approchée de lui au lieu de le contourner. Sursautant, l'esprit de l'Hiver pivota vers une sublime femme aux cheveux roux et ondulés, cascadant sur ses épaules cachées par un châle sombre et épais. Elle portait ses habituelles bottes montantes noires à talons aiguille et son pantalon en cuir pourpre, tandis que sa célèbre lanterne en forme de navet pendait à ses mains habillées de vernis rouge et de diverses bagues.
« Jack O'Lantern, salua l'adolescent d'une voix morne.
— Frost, répondit la jeune femme sur le même ton. C'est un plaisir de te voir. On fait l'école buissonnière ? Tu sais que c'est dangereux pour toi, par ici.
— Vraiment ? Je ne l'avais pourtant pas remarqué, rétorqua son interlocuteur en affichant un sourire narquois. Voilà quelques heures que je me promène et je n'ai croisé aucune âme errante.
— On se demande bien pourquoi, ricana la rousse. Je ne donne pas cher de ta peau si un Facétieux te tombe dessus. »
Son sourire s'élargit à cette remarque. Bien que l'esprit d'Halloween n'eût jamais attaqué celui de l'Hiver, il régnait toujours entre eux une légère animosité à chacune de leurs rencontres. Et pour cause : Jack O'Lantern avait toujours proclamé qu'elle préférait s'allier à Pitch plutôt qu'aux Gardiens, et ces derniers eurent plus vite fait de la considérer en tant qu'ennemie plutôt que d'essayer de la rallier à leur cause. Ils savaient par ailleurs que c'était peine perdue : la fidélité de la rousse envers le Croque-Mitaine semblait éternelle, et elle ne dérogeait jamais à l'un de ses appels. Enfin, c'est ce qui se racontait. Personnellement, Jack n'avait jamais vu les deux compères ensembles, toujours séparément. Il n'avait que très rarement croisé le Roi des Cauchemars avant sa confrontation deux ans plus tôt, et il s'arrangeait toujours pour aller embêter O'Lantern le jour d'Halloween, car ce n'était que durant cette journée qu'il pouvait espérer la croiser. Sa présence ce soir, même si le trente-et-un octobre n'était plus très loin, était pour l'esprit de l'Hiver une grande surprise, et il ne savait pas s'il fallait la considérer comme bonne ou mauvaise.
« Je t'utiliserais comme bouclier humain et je m'enfuirais.
— L'humour te sied si bien. »
Elle fit tourner sa lanterne en affichant un air dédaigneux, et son interlocuteur en profita pour jeter un œil aux alentours. Il ne saisissait pas encore pourquoi tant de monde était rassemblé ici, et son vis-à-vis ne l'aidait franchement pas. Voyant que la rousse n'était pas très encline à la conversation – elle regardait ses ongles d'un air indifférent – Jack tenta une approche, assez maladroite.
« Pitch reçoit, à ce que je vois. »
La femme daigna lever la tête, s'arrachant à la contemplation de ses doigts, pour fixer l'adolescent d'un regard interrogateur.
« Ça a l'air de t'étonner, fit-elle remarquer.
— À vrai dire, j'ai du mal à concevoir que toutes ces personnes aient Pitch comme ami, avoua son interlocuteur en se frottant la joue.
— Il ne l'est pas. Aucun d'entre eux ne lui adresse la parole, à part moi, bien entendu.
— J'ai compris. Ils se sont tous réunis ce soir pour le narguer de leur liberté tandis que toi, tu es venue le défendre, je me trompe ? débita-t-il en affichant un sourire goguenard.
— Absolument. Tu as des idées farfelues, tu sais ? »
Le jeune homme fit la moue. Autour de lui, les esprits commençaient à s'échauffer et les regards se firent plus insistants. Il n'aimait pas ça du tout, pourquoi mettre autant de distance entre eux et lui ? Il était un Gardien, bon sang, un Gardien ! Il veillait sur les enfants, sur leur bonheur, il ne passait pas ses journées à faire le mal, bien au contraire. Ce comportement soudain et étrange le blessait plus qu'il ne voulait l'admettre.
« Il y a quelque chose que vous me cachez ? » demanda alors de but en blanc l'adolescent d'une voix forte.
Des têtes se tournèrent subitement vers lui, des regards s'échangèrent, inquiets. Il avait touché un point sensible, apparemment. Et malgré cela, il ne comprenait toujours pas.
« Pourquoi cacherait-on quelque chose à un Gardien ? répondit théâtralement O'Lantern. Surtout en ce qui concerne le méchant et maléfique Pitch Black ! »
Des ricanements s'élevèrent. Il semblait que leur conversation était suivie avec attention si on considérait le silence d'or qui régnait maintenant dans la clairière. Il se sentait encore plus mal, d'être épié comme ça. Mais quelle idée lui était passée par la tête, de sortir cette nuit ?
« Je suis sérieux, dit le jeune homme. Pourquoi y a-t-il un tel attroupement autour du domaine de Pitch ?
— Pourquoi devrais-je te répondre, Frost ? rétorqua la femme en gardant son enthousiasme exubérant.
— Je ne comprends tout simplement pas, c'est tout. »
Le Gardien commençait à être passablement énervé que son interlocutrice élude ses questions pour les laisser sans réponse claire. O'Lantern semblait, par ailleurs, s'amuser du trouble de son cadet et n'hésita pas à en rajouter une épaisse couche qu'elle étala avec une délectation non feinte.
« Tu ne comprends pas parce que tu es un ignorant, voilà tout. Chaque personne ici sait pourquoi elle est venue ce soir et, crois-moi, ils ne perdent pas leur temps.
— Tu tournes autour du pot, cette conversation commence sérieusement à me lasser, bougonna l'adolescent en affichant une mine de plus en plus sombre.
— Tu m'en vois ravie ! »
La jeune femme lança son navet en l'air et rattrapa son anse en faisant tournoyer sa lanterne de fortune autour d'un doigt, l'air distraite, un léger sourire collé au visage. Un long silence s'installa, troublé par le regard lointain d'O'Lantern et l'œillade contrite de Jack Frost, qui s'impatientait.
« C'est d'ailleurs tout aussi bien qu'un Gardien y assiste finalement, souffla-t-elle pour elle-même au bout d'un moment.
— Assiste à quoi ? répondit son vis-à-vis, las.
— Ce ne serait plus une surprise si je te le disais », eut-il pour simple réponse avec un petit clin d'œil.
Nouvelle moue. Toujours pas de réponse, et ça devenait long. L'esprit de l'hiver jeta un énième coup d'œil à son environnement : les autres piaffaient d'impatience, et il ignorait toujours pourquoi. De plus, il sentait sur lui des regards perçants qui le gênaient. Il savait qu'il n'était pas le bienvenu ici et, en plus de le mettre très mal à l'aise, il était intrigué.
Au loin, un bruit de cloche se fit entendre. À ce son, O'Lantern se mit à sourire et pivota vers l'entrée du Royaume des Cauchemars, un regard enfantin et impatient animant son visage. Jack haussa un sourcil à cette vue inhabituelle, et il commença sérieusement à se demander si rester ici n'était pas pire que de croiser quelques Facétieux ou d'affronter la colère de Nord.
« Minuit est là, ça va commencer, souffla-t-elle.
— Qu'est-ce qui va commencer ? », ne put s'empêcher de demander l'adolescent.
Elle laissa échapper un petit rire et gratifia son voisin d'un regard amusé mais également un chouïa exaspéré.
« Mais ce qui se passe ici chaque nuit sans lune, mon petit Frost.
— Et quoi donc ? Pitch organise un pique-nique collectif ? lâcha aigrement l'esprit.
— Mieux que ça. »
Il n'eut pas le temps de répondre qu'une lente note mélancolique s'éleva dans les airs et fit taire tout le monde. Une note qui persista, réclamant le silence, avant de s'atténuer lentement. Une douloureuse mélodie débuta alors, captant l'attention de chaque esprit. Il était amusant de voir comme une simple musique pouvait faire taire toute une assemblée. Le jeune Gardien chercha une longue minute avant de réaliser que la musique venait du trou qui constituait l'entrée du domaine des Cauchemars. L'évidence vint d'elle-même : c'est Pitch qui jouait. Passée cette révélation percutante, l'esprit de l'Hiver tendit l'oreille et, à l'instar de l'assemblée, écouta attentivement. Au fur et à mesure de la mélodie, des cauchemars prirent forme et se mirent à danser, représentant le musicien et l'histoire qu'il voulait nous conter. Il regarda la silhouette du Roi des Cauchemars se matérialiser, instrument en main, et il observa ce qui suivait. Son bras allait et venait, générant un son doux et nostalgique, et le sable crépitait autour de lui. Les grains flottaient, en de fins filaments qui tournoyaient, s'entremêlaient et qui créaient des motifs jusqu'à représenter plusieurs personnages inconnus. Ils se trémoussaient, gambadaient autour du pilier d'ombre que symbolisait leur maître, ce dernier continuant de jouer, paisiblement. Puis, après quelques instants, le ton changea. C'est à ce moment que l'esprit de l'Hiver perdit le contrôle.
Archet crissant sur les cordes d'un vieux violon, notes s'envolant au gré du vent, douce harmonie s'élevant et enserrant dans ses bras mélodieux Jack qui se sentit partir loin. Il ferma les yeux et se laissa bercer par cette tendre musique qui réveillait au fond de lui des sentiments longtemps oubliés, des souvenirs ensevelis qui lui arrachèrent un long sourire béat. Il ignorait de quoi il s'agissait, il savait seulement que c'était des bribes de mémoire qui le rendaient heureux. Sautant sur les notes qui le transportaient, dansant au son qui le faisait virevolter, il n'était plus dans la clairière, il parcourait son âme de long en large tout en poussant des cris d'extase. Il n'était plus un Gardien, il n'était plus Jack Frost, il n'était plus qu'une note qui composait cette symphonie qui se jouait devant lui. Plus rien n'avait d'importance à ses yeux, seule la musique comptait à présent.
Il perdit ses souvenirs. Il oublia pourquoi il était ici, comment il était arrivé à cette clairière, quel jour on était, que c'était dangereux de sortir cette nuit. Il se perdit dans la mélodie et s'abandonna à son écoute, loin de tout. Loin de son existence.
Il n'oublierait jamais cette nuit d'octobre.
