Prince d'Asgard

Tout en méprisant sans fards la médiocrité et la bassesse naturelle des Midgardiens, le Dieu des Mensonges devait reconnaître leur inventivité en matière de divertissements.

La bande de crétins en latex moulant se faisant appeler Vengeurs auraient probablement fait une drôle de tête en apprenant que Loki adorait les histoires. Mais une histoire, qu'était-ce donc, lorsqu'on y réfléchissait bien ? Rien de plus qu'un mensonge. Une déviation de la réalité.

(Le titre dieu des mensonges ne signifiait pas grand-chose quand il avait été attribué à Loki. C'était plutôt positif, en fait, les Asgardiens aimaient tous les contes et les sagas. Le titre n'avait pas gardé cette connotation, bien sûr, après tout, Loki corrompait tout ce avec quoi il entrait en contact, c'était dans la nature des monstres de faire cela, n'est-ce pas ?)

Et les Midgardiens avaient tellement d'histoires à offrir. Des histoires à écouter sur cassette ou sur CD, des histoires à lire, des histoires à regarder en images imprimées ou sur un écran plat et lumineux.

Loki tenait beaucoup à son téléviseur. Et à sa collection de films. Celle-ci grandissait par à-coups, le temps que le Trompeur décide si tel film valait son estime ou non. Sans surprise, le Seigneur des Anneaux et Harry Potter figuraient en bonne position.

Un choix plus étonnant – classé tout en haut de la pile car le dieu visionnait le récit au moins une fois par semaine – se trouvait être le Prince d'Egypte.

Loki détestait ce film. Et pourtant, il était incapable de se débarrasser du DVD. Après chaque visionnage, il se jurait de ne plus le regarder, et il recommençait la semaine d'après.

L'histoire en elle-même était des plus simples, le second fils du roi apprenant qu'il appartenait à un peuple esclave finissait par combattre son frère pour libérer les siens – et y réussissait.

Un second fils de roi. Originaire d'une peuplade méprisée. Apprenant que toute sa vie n'avait été qu'un mensonge. Retrouvant sa vraie nature et la portant comme un gant.

Les ressemblances faisaient montrer les dents à Loki.

Il abhorrait cette histoire. Il haïssait les larmes qui lui picotaient les paupières quand le second prince entonnait le couplet Je suis chez moi, essayant sans succès de se convaincre qu'il avait tout ce qu'il pouvait souhaiter, que sa vie était parfaite.

(Mais elle ne pouvait plus l'être, comment pouvait-on encore éprouver un semblant de réconfort dans son quotidien alors que l'immonde vérité avait ressurgi de son trou ?)

Il haïssait l'humidité qui envahissait infailliblement ses joues quand la reine affirmait à son (faux) fils qu'il avait réellement une place au sein de la famille souveraine.

(Et il aurait tant voulu cesser d'entendre la voix de la Reine d'Asgard par-dessus celle de la Reine d'Egypte, cette voix si douce qui lui répétait tu es notre fils et nous sommes ta famille.)

Et plus que tout, il haïssait la scène où le second prince fuyait dans le désert, laissant derrière lui son (soi-disant) frère qui le suppliait de rester.

(Sauf que le second prince n'aurait jamais pu rester. Le sang avait parlé. Le sang finissait toujours par parler.)

Loki haïssait réellement le Prince d'Egypte. Et toutes les semaines, il mettait le DVD dans le lecteur avant de s'installer sur le canapé pour visionner le film.

Il aurait vraiment voulu pouvoir se débarrasser de l'histoire. C'était juste qu'il n'y arrivait pas.

(Peut-être parce que cette histoire, c'est aussi un peu la sienne. Reste à savoir comment elle se finira.)