Le retour au lycée
Je ne me souviens plus trop … Avant ce moment, rien, nada … Comme si ce n'était jamais arrivé. Et pourtant ! Je le vois là, seul mais vivant, et en bonne santé …
Non. La chose qu'il a dans le cou, sur le cou, … à la place d'une partie de son cou, si précieux pour moi … nie cette vérité. (Réalité) Si je m'étais pressée, il n'y aurait pas eu ça ! Si je m'étais pressée, les secours auraient pu le sauver ! Si je m'étais pressée, il ne serait pas seul et rejeté de tous, à l'heure qu'il est.
Ce matin, lorsque je suis arrivée au Loge, Scott et Mila étaient là. Nous avons commencé à parler, mais pas de ça : non, nous n'en avons pas parlé. Cette petite brunette, au teint halé, et ce grand garçon blondinet, formaient un couple adorable. Pourtant, ils sont si différents l'un de l'autre : l'une extravertie et insouciante et l'autre plutôt réservé et sérieux. Ils se complétaient parfaitement.
Le Loge est un établissement haut de 4 étages, tous reliés par un grand escalier extérieur double : pour les montées et les descentes, bien qu'aucun ne soit sujet à restrictions. La structure blanche, dont la peinture commençait à s'écailler, était un simple lycée de ville. Ni trop renommé, ni trop attardé, les élèves n'étaient pas du genre à se faire remarquer. Parlant du contrôle de mathématiques arrivant prochainement, je laissais courir mon regard vers le grand escalier. Ce fut le trouble pour moi quand je le vis monter les marches, cerné de partout par ces regards inconscients, qu'ont les gens qui ne comprennent pas. M'éloignant du groupe, je m'accrochai à la rambarde pour ne pas tourner de l'œil. Non. Que lui avaient-ils fait ? Qu'avaient-ils fait de MON Matthew ? Son cou avait deux moitiés maintenant. Une de chair comme je la connaissais, et une de métal et fils électriques, ou autre chose, tenant cette horrible chose, sur sa chair blessée.
Arrivé en haut des marches, il me regarda. C'était le genre d'adolescent tout à fait ordinaire, qui se fondait dans la masse. Du haut de son mètre quatre-vingt trois, d'un châtain assez foncé, il avait un visage assez fin et des épaules musclées par ses entrainements de basket. Cependant, je n'osais pas soutenir son regard, mais observait avec écœurement ce que j'avais engendré. ''C'est pas joli, hein ?'' Je n'y répondis pas, honteuse, regardant mes baskets, ainsi que les siennes et cherchant mes mots, je me mis à pleurer : ''Pardonne moi, pardonne moi je t'en supplie.'' ''Eh, chut !'' Il essuya mes larmes d'un doigt, je lui pris la main dans les miennes, il passa l'autre derrière ma tête, en signe de protection : ''Ce n'est pas de ta faute, tu n'y es pour rien ! Si tu n'avais pas prévenu les secours, je serais mort à l'heure qu'il est : tu m'as sauvé la vie, pas besoin de pleurer pour ça, ça ne sert à rien. '' ''Mais, je me suis arrêtée, j'aurais du courir, courir sans m'arrêter pour les prévenir au plus vite. Je ...'' ''Tu as fait ce qu'il fallait, sans toi je serais mort ! L'essentiel est que je sois en vie, et ceci grâce à toi !'' Il me serra dans ses bras. Nous rentrâmes en cours sans un mot.
Toute la journée, les gens, sur notre chemin, nous regardaient avec curiosité et peur, me semblait-il, du moins. Ce qui me fit le plus de mal pour Matt, ce fut surtout que ses amis ne s'adressaient plus à lui que par mon intermédiaire, ne lui accordant pas même un regard, ou une écoute. Je le voyais, il se sentait seul. Seul et écarté du monde, de ses amis et même, je le sentais, de moi. Mais il niait, tout le temps. Me disant que tout allait bien, mise à part la sensation du métal sur son cou, … mais il disait s'y habituer. Je ne le croyais pas. Comment pouvait-on s'habituer à un tel sort ? ''On le fait, c'est tout !'' me répondit-il lorsque j'exprimais cette question, à haute voix le midi. ''Ce n'est pas une vie ! Ce n'est pas de ta faute ! C'est de ma …'' ''C'est de la faute de personne'' me coupa t-il. ''Et puis les gens ignorants sont toujours distants avec ce qu'ils ne conçoivent pas. C'est la nature humaine.'' Je détestais quand il sortait des phrases philosophiques telles que celles-ci, car je ne trouvais jamais quoi répondre. Mais là, sur le moment je le retrouvais tel qu'il était avant, pour ainsi dire : ça me soulageait qu'il dise cela. ''Mouais … N'empêche que c'est dégueulasse !'' La sonnerie retentit, nous rangeâmes nos affaires pour aller en cours d'histoire. Le père de Mila était bien le seul professeur qui ne mettait pas le mal de Matt en (barrière) pendant ses cours, la seule personne du lycée quand j'y pense. Quand il nous demanda de rester à la fin du cours, Matthew et moi lui expliquâmes la situation, dont il avait eu vent par Mila, mais de façon très floue et rapide : quasiment faussée. ''Donc, si je comprends bien, tout le monde au lycée délaisse Matthew depuis cette blessure. Même tes amis ? Même Mila ?'' ''Oui, tout le monde. Même Scott ne lui parle plus !''Répondis-je. ''Je vois, c'est tout de même étrange, surtout de la part de Scott'' ''Oui, surtout de sa part …'' Matt paraissait perdu. Scott et Matthew étaient amis depuis l'enfance, toujours à se fourrer dans de beaux draps et faire les pires bêtises, jamais l'un sans l'autre. Toujours complices et collègues de galères : ils se défendaient mutuellement et se soutenaient durant les coups durs. Ils étaient comme des frères l'un pour l'autre. La réaction de Scott avait de quoi en surprendre plus d'un. ''J'en toucherai deux mots à Mila, n'ayez crainte. Sa réaction est immorale : je ne l'ai pas éduqué comme ça !'' ''Non, ça ira monsieur Bleint. C'est normal après tout, ces changements sont trop éloignés de mon ancien moi pour qu'ils puissent m'accepter tout de suite comme ça. Il leur faut juste un peu de temps, je …'' ''Mais tu vas arrêter de dire ça ! S'ils étaient vraiment tes amis, ils comprendraient et accepteraient même si c'est difficile. Arrête de leur trouver des excuses pourries ! Ça ne tient pas : ils n'ont pas à avoir ce comportement vis-à-vis de toi !'' ''Maï, on en a déjà parlé …''Une pointe de colère se lisait dans sa voix. ''Parler oui, mais pas assez à mon avis ! Tu n'as toujours pas compris que quelque chose ne tourne pas rond depuis ta blessure ? Personne n'aurait eu ce genre de réaction avant !'' Je commençais à m'énerver : ne comprenait-il pas ? ''Peut-être que j'ai juste changé ! Tous ces événements ont du rendre différent mon caractère … comme mon physique.'' Il se toucha le cou, j'explosai : ''Mais tu le fais exprès ma parole ! Oui tu as changé, maintenant que tu me le dis ! Cette blessure t'a rendu docile, trop ! Avant tu ne te serais pas laisser faire comme ça.'' Sur ce, je partis en courant me réfugier à la bibliothèque, seul endroit où je me sentais vraiment moi-même.
M'enfonçant dans les allées sans trop regarder ou j'allais, je finis sur la porte de la réserve. ''Et merde …'' Dos à la porte, je m'écroulais d'avoir couru dans les couloirs comme une cinglée. Regardant autour de moi, je me rendis compte que j'avais pleuré. Quelle cruche : s'emmouracher du seul mec qui se met dans les plus grosses galères du monde, du jamais vu ! Depuis que mes parents avaient décidé de déménager à Asbestos, au Québec, j'étais passée par toutes les galères. De l'humiliation en classe, à celle en plein couloir, ma vie de lycéenne fut dure le premier mois. Manger toute seule à la bibliothèque ne m'avait pas paru trop dur les premiers temps, et était devenu une habitude. Tout cela sans Matthew, qui par mégarde un jour, me poussa dans les allées : lui aussi fana d'histoires fantastiques et historiques, nous étions devenus inséparables en quelques temps. ''Comme des frères'' disait ma mère. Sauf que je ne voyais pas du tout Matthew comme un frère. Son ''frère'' c'était Scott, moi j'étais une amie, une bonne amie. Très rapidement je suis tombée amoureuse. Malheureusement, ayant déjà une copine, Matthew dut refuser mes sentiments. Nous nous sommes écartés l'un de l'autre quelques temps pour qu'enfin, il réalise que j'étais plus importante qu'elle pour lui. Le jour où il rompit avec Clara, je ne réalisais pas encore que, même sans mots, nous nous comprenions. Ce fut plus tard, lorsque nous sortîmes ensemble ''officiellement'' que notre relation pris un tour, plus qu'inattendu. Ne pouvant plus nous passer l'un de l'autre, nos parents organisaient nos gardes une semaine sur deux. Les semaines paires chez lui, impaires chez moi : à parler d'histoire, à lire ou à étudier. Quand j'y pense maintenant, nous étions bien insouciants.
Je soupirais, j'avais mal dormi cette nuit, sans lui, sachant qu'il était à l'hôpital entre la vie et la mort. J'en avais pleuré tellement les 3 premier jours de son hospitalisation, qu'après, je n'en avais plus, ni la force, ni le besoin. Tout en réfléchissant, je pris un livre au hasard dans l'étagère la plus proche. De couleur sombre, je distinguais à peine les lettres dorées sur la couverture, abimée par le temps. J'allumais mon portable et réussis à comprendre les deux mots suivants : encyclopédie et humain. ''Mouais, encore un truc philosophique.'' Me dis-je en soupirant. Néanmoins, je l'ouvris au début et commençai à lire la table des matières : introduction, l'homme, notion d'humanité, histoire du genre humain, ancêtres, évolution jusqu'en 1900, … Petit résumé des chapitres de ce bouquin qui, à première vue, aurait fait fuir tout adolescent ordinaire. Je survolais l'introduction sans trop lire dans les détails, quand je vis mon prénom dans le texte. Essayant de retrouver la page, je n'entendis pas que quelqu'un arrivait dans l'allée. ''Ah tu étais là !'' C'était Matthew qui avait fini par me retrouver dans ce labyrinthe d'histoire. ''Laisse moi, j'ai besoin d'être seule.' 'Ne trouvant pas le paragraphe où j'avais aperçu mon nom, je commençais à m'énerver et tournais violemment les pages de l'encyclopédie. ''C'est pas pour ça qu'il faut que tu sois violente envers le livre,'' il me le prit des mains avec autorité. Elles étaient chaudes, et douces : comme dans mon souvenir. ''J'espère que ce n'est pas par ma faute que tu te défoules dans la bibliothèque. Les livres ne t'ont rien fait !'' Il sourit, cela me faisait du bien de le voir sourire. Me rappelant le temps où nous étions toujours fourrés ensemble, à parler dans la bibliothèque. Un temps j'en oubliais sa réaction dans la situation vis-à-vis de ses amis. Il s'assit en face de moi : ''Sinon à part ça, … Tu m'en veux ?'' ''De quoi ?'' ''Du fait que la situation ne m'atteint pas autant que tu l'aurais pensé, de la façon dont les autres me regardent, de t'avoir fait souffrir pendant mon hospitalisation, de tout quoi !'' Il me prit le menton pour me forcer à le regarder dans les yeux. ''Réponds-moi franchement.'' Je soupirais. Il était difficile de pouvoir résister face à ses magnifiques yeux vert pales: ''Tu sais très bien que je ne peux pas t'en vouloir. Et puis, ce n'est pas de ta faute, comme je te l'ai dit, la réaction des gens à ton égard est immorale. Tu n'y es pour rien'' ''Ca me rassure que tu le prennes comme ça.'' La sonnerie retentit. Il m'embrassa sur le front. Cette journée avait été riche en rebondissements, et j'espérais profondément que les choses s'arrangent rapidement.
Malheureusement le destin n'avait pas fini de nous jouer des tours à Matthew et à moi.
