Commentaire : Cette fanfiction est tiré de Gorgeous Carat, manga de You (ou Yû) Higuri.
Quelques
mots sur les personnages…
Noir :
Il s'agit d'un voleur de bijoux (disposant d'un très bon
train de vie…). Il est un lointain parent des Rochefort. Son père
était d'origine arabe. Sa mère était
apparemment issue de la famille de noble français des Courland
mais il a vécu un moment au Maroc, en tant qu'orphelin,
suite au décès de celle-ci. En société,
il prend le nom de Ray Balzac Courland. Il est attiré par
Florian (ces yeux sont la première chose qu'il a remarqué).
Florian :
Il vient d'une famille de noble désargenté, les
Rochefort, autrefois alliés aux Bourbon. De cette alliance,
ils ont conservé la Flamme de Mughal (diamant de 120 carat),
que convoitait Noir. Florian est devenu orphelin suite à la
mort de sa mère, tuée par son propre oncle (qui
cherchait aussi le diamant). En raison de ses dettes, il travaille à
présent pour Noir.
Laila :
Elle est certainement d'origine marocaine et est très
attachée à Noir (il lui aurait sauvé la vie).
Bien qu'on pourrait la considérer en premier lieu comme une
employée, elle est plutôt une amie d'une voleur. Elle
est secrètement amoureuse de celui-ci, jalouse parfois Florian
(apparemment, elle devine l'attirance que Noir éprouve pour
lui) mais ne le déteste pas.
Les autres
personnages sont de ma création. L'histoire se déroule
durant le volume 1, avant l'affaire du Petit Noël.
J'ai fait cette fanfiction pour le plaisir, et je n'ai pas cherché à faire un scénario bouleversant de complexité. Ne soyez donc pas déçus si l'histoire est finalement "banale".
Les pierres d'Eros
Noir
faisait tourner entre ses doigts le pendentif qu'il s'était
récemment procuré. Son œil expert considérait
chaque éclat de cette émeraude trapiche, d'un
vert clair, qui se trouvait emprisonnée d'un carcan de
platine, ensemencé de diamants qui jetaient milles feux.
Ce bijou,
il se l'était procuré non sans mal, dans la propriété
d'un de ces riches parvenus incapable de saisir la pure beauté
des pierres précieuses. Sa femme le portait chaque soirée
autour de son cou et se pavanait comme une dinde trop nourrie devant
ses amies. Lorsque Noir l'avait vu pour la première fois,
lors de l'une de ces festivités mondaines, il n'avait pu
résister, il avait aussitôt su que le collier serait à
lui, quoiqu'il lui en coûterait.
L'acheter
tout simplement était un luxe qu'il aurait pu s'offrir
mais cela aurait été à l'encontre de sa
réputation. La ville de Paris frissonnait rien qu'à
entendre son nom. Il était le voleur insaisissable, le fantôme
du nom de Noir. Bien entendu, seules quelques rares personnes étaient
au courant de cette identité. Dans la vie de tous les jours,
il se faisait appeler Ray Balzac Courland. Le comte Courland. Pour
tous, il n'était qu'un parent de la famille des Rochefort,
famille de nobles désargentés. D'ailleurs, dans sa
grande « générosité », il
avait accueilli chez lui l'un des héritiers : Florian.
Accueillir
était en vérité un bien grand mot pour décrire
le chantage qui avait abouti à la venue de Florian chez lui.
La mère du jeune homme, subissant une trop grande fierté
due à son rang, avait refusé de ralentir ses dépenses
alors que les finances de la famille battait de l'aile. Vendre les
meubles du manoir Rochefort n'avait pas suffi à couvrir
leurs dettes mais elle avait pourtant refusé de voir Florian
travailler, comme un simple roturier. C'était l'orgueil de
cette femme qui avait causé la perte de son fils.
Noir s'était un jour présenté à l'une
de leur réception et il avait proposé son soutien
financier. A l'époque, il cherchait à mettre la main
sur un diamant unique au monde : la flamme de Mughal. Pensant
pouvoir faire céder la mère, il avait tout d'abord
proposé son argent en échange de Florian. Certes, il
avait convoité le jeune homme dès l'instant où
il avait vu ses deux yeux couleurs améthystes mais le diamant
l'intéressait bien plus. La pauvre femme avait réagi
avec violence face à une proposition aussi perverse et Florian
lui-même n'avait pu cacher son horreur. Alors Noir en avait
profité pour offrir la seconde solution sur un plateau :
si on lui donnait ce diamant de 120 carat, alors il aiderait les
Rochefort et Florian n'aurait pas à venir avec lui.
Cela avait été un échec. La pauvre dame avait
manqué de tourner de l'œil et Florian s'était
sacrifié pour sa mère, acceptant d'accompagner Noir
dans sa demeure.
Depuis, Florian vivait là, avec lui, ses serviteurs, et Laila,
son « bras droit ».
Noir reposa le collier sur la table lorsqu'il entendit la porte du
bureau s'ouvrir. Tout en sortant un cigare de sa boite pour
l'allumer, il jeta un coup d'œil à Florian qui venait
d'entrer.
Sa silhouette fine était soulignée par le costume
blanc, parfaitement taillé, qu'il portait. Ses cheveux
blonds encadraient son visage presque féminin et ses grands
yeux mauves brillaient comme deux gemmes. Les mains du jeune homme
témoignaient de son origine noble : elles n'avaient
jamais été abîmées par un quelconque
labeur.
Florian était l'image même de l'éphèbe
sur lequel un poète aurait pu s'emporter de passion et
écrire une ode. Celui ou celle qui le regardait ne pouvait
qu'imaginer la douce texture que devait avoir sa peau parfaite et
ressentir le désir de la toucher. Un peintre qui l'aurait eu
nu pour model n'aurait pu résister à l'envie de
l'examiner de plus près et de lui faire prendre des
attitudes lascives.
Mais ce qui retenait l'attention, ce n'était pas
uniquement son corps : ses yeux avaient une couleur atypique et,
même s'il avait hérité d'une apparence
physique moins flatteuse, il aurait su capter l'attention de tous
avec ceux-ci.
« - Qu'es-tu en train de faire ? »
questionna Florian de sa voix douce.
Noir s'arracha à sa rêverie. Bien qu'il avait pris
l'habitude à présent d'avoir le noble sous son
toit, il se laissait parfois aller à le contempler. Florian,
sans doute par innocence, ne semblait pas se rendre compte que le
regard qui le couvait brûlait parfois d'une envie qu'il
n'aurait peut-être pas été capable de
satisfaire.
« - J'examinais cette pierre, » répondit
Noir en désignant le collier d'une main et en menant entre
ses lèvres le cigare allumé. Il se détourna
ensuite de Florian et contempla le bijou d'un regard pensif.
Florian, intrigué, s'approcha du bureau et examina la
nouvelle pièce de la collection de Noir. Il avait déjà
vue cette émeraude et pour cause : feu sa mère
invitait souvent la propriétaire à ses réceptions.
Il se souvenait d'une femme fort peu agréable, qui avait
coupé toute relation avec les Rochefort lorsque la misère
avait fait son office, alors voir le bijou ici lui procura
soudainement plus de plaisir qu'il ne l'aurait du.
« - Quand l'as-tu volé ? »
demanda-t-il en fixant le profil de Noir.
Un sourire étira les lèvres du voleur. On ne l'aurait
pas dit ainsi mais il était un peu plus jeune que Florian. Ils
étaient aussi différents que le jour et la nuit. Les
cheveux de Noir étaient d'un ébène profond et
sa peau légèrement halée témoignait de
ses origines. Il était né au Maroc, d'une mère
européenne et d'un père arabe. Plus grand que Florian
et d'une carrure plus solide, il inspirait le respect lorsqu'il
était habillé à la mode européenne et
faisait trembler les nobles trop peureux lorsqu'il mettait des
vêtements plus… Exotiques. Florian se souvenait combien il
avait fait « sensation » lorsqu'il avait
débarqué ce soir là en habits traditionnels,
lors de la réception donnée par sa mère. Le
jeune homme lui-même l'avait alors vu pour la première
fois et n'avait pu s'empêcher d'être surpris.
« - Je suis entré dans sa propriété,
pendant que tout le monde dormait. Elle gardait le bijou dans un
coffret, qui n'était même pas fermé à
clef. »
Le regard vert de Noir croisa celui mauve de Florian.
« - Son mari était absent. En voyage, je crois.
J'ai intentionnellement fait du bruit, au moment de partir, pour la
réveiller. Lorsqu'elle m'a vu debout sur le balcon de sa
chambre, elle s'est mise à crier de toutes ses forces. Au
moins, elle pourra se vanter d'avoir été volée
par moi. »
Florian secoua la tête comme s'il blâmait Noir pour son
attitude puérile mais il retenait aussi un rire qui ne
demandait qu'à sortir.
« - Je ne suis pas venu te parler de cela, en fait, »
finit par dire le jeune homme, alors que Noir fumait pensivement son
cigare. « Laila m'a demandé de te dire… »
Il s'interrompit brièvement, en se demandant s'il était
écouté, mais haussa finalement les épaules.
« - … Que la famille Fontaine organisait une réception
ce soir et qu'il y au...
« - Fontaine… N'est ce pas ces parvenus dont le mari
se passionne pour l'archéologie mais qui vole en fait les
antiquités qu'il découvre ? »
l'interrompit Noir en retirant le cigare de sa bouche.
Florian poussa un soupir avant de continuer.
« - C'était à cela que je voulais en
venir. A ce qu'il paraît, il aurait ramené de
nombreuses pièces de son dernier voyage et notamment des
boucles d'oreilles en rubis. Il y a une légende qui entoure
les pierres qui ont servi à fabriquer ces bijoux :
lorsqu'on les offre à une femme, elle tombe sur le champ
amoureuse de son bienfaiteur, comme si elle était sous
l'emprise du dieu Eros.
« - Pourquoi faut-il que ce soit toujours une femme, »
marmonna pour lui-même Noir. Il avait, en effet, déjà
une certaine idée de ce qu'il pourrait faire avec de pareils
joyaux magiques... « Je pense qu'il est nécessaire
que nous nous invitions à cette réception, »
ajouta le voleur, d'un ton plus clair.
Les coins de ses lèvres s'étaient étirées
en un sourire. Il se leva tout en posant la main sur l'épaule
de Florian.
« - Fais moi l'honneur de mettre ta plus belle robe et
allons-y. »
Le jeune homme s'empourpra et eut un geste de recul.
« - Pourquoi est-ce moi qui doit toujours porter la
robe ? » se plaignit-il, alors qu'il songeait que
Laila aurait pu tout aussi bien faire l'affaire.
Fort heureusement pour l'humeur de Florian, il n'eut pas besoin
de se travestir pour accompagner Noir à la soirée. Ce
genre d'artifices n'était nécessaire que lorsque le
voleur avait besoin d'une « belle jeune femme »
pour distraire l'assistance, pendant qu'il dérobait les
bijoux. Une des techniques habituelles était que Florian fasse
semblant d'avoir un malaise et ne reprenne conscience que lorsque
Noir avait fait son office. Là, il ne comptait faire qu'une
première visite, afin de repérer les lieux et vérifier
si le jeu en valait la chandelle.
Pour autant, il ne fut guère bavard dans la voiture qui les
menait au manoir des Fontaines. Sur le chemin, il avait croisé
les ruines encore calcinées du lieu où il avait vécu
toute sa vie et où sa mère était morte,
assassinée par son propre frère qui souhaitait lui
aussi s'emparer de la Flamme de Mughal. L'homme avait alors
essayé de faire porter le chapeau à Florian, qui
naïvement s'était jeté dans la gueule du loup en
allant se réfugier chez lui, et la police l'aurait
certainement arrêté si Noir n'était pas
intervenu pour le sauver. C'était à partir de là
qu'il avait commencé à apprécier le voleur,
qui l'avait pourtant rudoyé pour essayer de savoir lui aussi
où se trouvait le diamant.
Mais cet événement dramatique était encore
récent, remontant à peine à quelques mois.
Florian avait senti son cœur se serrer au souvenir de sa mère
tant chérie et il avait perdu toute envie de bavarder. Si
quelqu'un l'y avait poussé, sans nul doute serait-il entré
dans l'une de ses rares colères.
En tout cas, Noir ne semblait guère éprouver le désir
de rompre le silence. Etait-ce parce qu'il avait senti le mal-être
de Florian et souhaitait respecter le deuil qui l'affligeait
encore ? Ou parce que lui-même n'avait pas envie de
bavarder, pour une raison ou une autre ?
Lorsqu'ils arrivèrent dans le parc du manoir, un certains
nombre de voitures étaient déjà garées.
Florian fut le premier à descendre. Il portait toujours le
même costume blanc et, sous la veste, une chemise d'un doré
très clair. Lorsque sa mère donnait des réceptions,
il avait souvent eu à vêtir l'uniforme militaire de
son père, blanc lui aussi, mais il avait brûlé
avec le manoir Rochefort, ce jour là…
Noir descendit après lui et, comme à son habitude, il
allait certainement surprendre quelques cœurs trop sensibles. Il
avait à nouveau revêtu un thobe blanc sur lequel
était passé un bicht ouvert, qui ressemblait à
un manteau d'apparat de coton noir et de galons de fils d'argent.
Il était coiffé d'une ghutra blanche. Il
s'agissait d'un tissu couvrant les cheveux et retombant sur les
côtés du visage, maintenu par l'aqal, une corde
de couleur noire.
Florian, sans aucun doute nostalgique ce soir là, se rappela à
nouveau leur toute première rencontre. Lorsque Noir l'avait
vu, il s'était dirigé droit sur lui et avait porté
la main à son visage. Florian avait eu peur, bien entendu,
mais avait usé de la fureur pour la cacher. Son bras s'était
levé et il avait repoussé violemment cet homme sans
manière, jusqu'à lui assener une gifle. Il se
rappelait très bien qu'elle avait été la
première réaction de Noir : il s'était
moqué de lui. Puis il s'était excusé, plus
poliment, en vantant la beauté des yeux de Florian. Le noble
avait d'autant plus vu rouge. Et son oncle lui avait appris ensuite
que Noir était un lointain parent de la famille Rochefort.
A bien y réfléchir, si Noir ne l'avait pas sauvé
du même oncle, l'assassin de sa mère, sans doute leur
relation n'aurait guère évoluée pour être
ce qu'elle était à présent. Car Noir n'était
pas un homme bon et droit. C'était un voleur et il
n'hésitait pas à utiliser tous les moyens en son
pouvoir pour obtenir l'objet de son désir. Même si,
pour cela, il devait faire preuve de violence envers autrui. Il avait
de toute manière mauvais caractère.
Se mêler à la foule ne fut pas bien difficile pour
Florian, surtout que Noir capta l'attention de tous, qu'elle fut
admirative ou au contrairement révulsée. Certains,
connaissant déjà le comte « Ray Balzac
Courland » et son lien de parenté avec la famille
Rochefort, l'accueillirent comme il se le devait. Quelques femmes
se pressaient déjà autour du voleur pour le
complimenter et essayer d'attirer ses faveurs, tandis que les
hommes qui se situaient aux alentours se plaignaient du charme
exotique du comte, qui raflait l'attention de la plupart des jeunes
filles.
Tandis que Florian buvait un verre de champagne, à distance,
il vit Noir lui adresser un regard alors qu'une de ses admiratrices
restait pendue à son bras. Un instant, le noble se demanda si
le voleur n'essayait pas de le rendre jaloux mais il effaça
aussitôt cette pensée stupide de son esprit. Noir était
certes étrange mais pas à ce point là. Florian
était certain qu'il n'avait pour lui aucune attirance et
que leur relation était purement amicale.
« - Est-ce bien vous, Monsieur Rochefort ? »
fit soudainement une voix dans le dos de Florian.
Le jeune homme sursauta presque et faillit laisser tomber son verre.
Il se retourna pour voir une jeune fille vêtue d'une robe
bleue, au visage un peu trop maigre et aux cheveux raides et roux.
« - Oui, c'est moi, » répondit
Florian, un peu perplexe. Il ne put lui demander, en retour, qui elle
était car elle l'interrompit aussitôt.
« - Oh, j'ai appris ce qui est arrivé à
votre mère. C'est tragique. Et dire que la police a osé
vous soupçonner de cet acte horrible ! »
L'entendre faire mention du meurtre de sa mère raviva en lui
une profonde souffrance. Florian eut un sourire poli de circonstance
mais une partie de lui mourrait d'envie de la congédier sur
le champ pour son manque de tact.
« - Mademoiselle, votre sollicitude me touche, »
mentit le jeune homme, en s'inclinant légèrement du
buste pour marquer ses paroles.
La jeune fille, en vérité, ne semblait à présent
ne plus lui porter réellement attention. Son regard était
fixé sur Noir, qui se tenait à plusieurs mètres
de distance et discutait avec des convives.
« - Dites-moi… Cet homme avec lequel vous êtes
venu… ?
« - Oui ? » soupira Florian en se
demandant ce qu'elle lui voulait.
« - Je n'avais jamais vu de personne comme lui d'aussi
près. Oh, c'est si excitant ! Mon père me parle
souvent de ses voyages en Afrique et en Asie mais il n'y a rien de
tout ça à Paris.
« - Mademoiselle, » intervint Florian en
essayant de faire preuve d'un minimum de tact. « Le
comte Ray Balzac Courland n'est pas un objet de curiosité. »
Elle lui adressa un regard assassin. Visiblement, elle n'aimait pas
qu'on lui fasse la leçon sur son attitude.
« - Cela je le sais ! Pour qui me prenez-vous ? »
tempêta-t-elle en claquant de la langue et en tapant
capricieusement du pied au sol.
« Si vous le savez, alors montrez-le, » pensa
Florian, dégoûté par son comportement futile.
Elle ne lui avait adressé la parole que dans l'espoir d'en
savoir plus sur Noir. Et, encore, seulement parce qu'elle le
prenait pour une distraction des plus exotique.
« - Comment l'avez-vous rencontré ? C'est
certainement une histoire passionnante ! »
s'exclama-t-elle finalement, comme si elle avait déjà
oublié le motif de sa colère précédente.
Florian fit de son mieux pour ne pas laisser paraître son
profond agacement mais il était à deux doigts de
craquer. Peut-être cela se voyait-il à ses yeux
améthystes. Ils s'étaient quelque peu assombris.
« - Je l'ai rencontré à Paris. C'est un
parent de ma famille, » déclara-t-il, jugeant que
le reste ne regardait que Noir et lui.
Elle parut profondément déçue par ce très
court récit qui ne devait guère coller avec ce qu'elle
s'était imaginée. Toutefois, elle se reprit aussitôt
et afficha une expression fière.
« - S'il vit a Paris et qu'il est votre cousin, alors
ce n'est pas un vrai arabe. Mon père, lui, a passé
deux semaines parmi les Bédouins. Il est allé à
Marrakech et Alger aussi.
« - Qui est votre père ? » demanda
poliment Florian, sachant qu'elle attendait une réponse,
n'importe laquelle, à son bavardage. Avec cette fille de
mauvais caractère, mieux valait feindre l'intérêt
que l'ignorer.
« - Voyons ! Vous êtes chez lui en ce moment
même ! » s'exclama-t-elle d'un air surpris.
« - Vous êtes mademoiselle Fontaine ? »
Elle acquiesça d'un air lassé, puis jeta à
Florian un regard quelque peu embarrassé, celui qu'on avait
tendance à adresser à une personne lorsqu'on la
soupçonnait d'avoir un conflit de longue date avec
l'intelligence. « Quelle jeune fille stupide, »
songea Florian en soutenant son regard. Si elle avait décliné
son identité, comme toute personne bien éduquée,
il n'aurait pas eu à lui poser cette question. Il serra les
poings mais parvint pourtant à réfréner la
colère qui montait en lui, notamment car il eut l'idée
de profiter de la situation pour l'interroger. Après tout,
si elle était la fille de l'homme qui avait ramené
les pierres d'Eros, alors elle aurait peut-être des
informations à ce sujet.
« - Votre père n'a-t-il pas ramené nombre
d'objets précieux de son dernier voyage ?
« - Oh oui ! » Apparemment, il suffisait
de la relancer sur un sujet pouvant flatter son ego ou celui de sa
famille pour qu'elle retrouve sa bonne humeur. « Il va
les vendre aux enchères.
« - Une enchère ? Il me plairait d'y
assister… »
La jeune fille secoua la tête et se gonfla d'orgueil.
« - Ce n'est pas possible. Il n'y convie que des
personnes de son choix. »
Certainement des personnes disposant de grandes fortunes, oui.
Florian comprenait : qui aurait envie d'inviter à une
vente aux enchère un Rochefort désargenté. Il ne
pourrait absolument rien acheter. Malgré ses efforts, il ne
put que se montrer quelque peu vexé mais elle ne sembla
s'apercevoir de rien et continua son babillage.
« - Et il sera impossible de voir les pièces en
dehors de cette vente. Elles sont si bien gardées que même
Noir, le voleur fantôme, s'y casserait les dents. »
Elle se mit à glousser, une main devant les lèvres.
Cela lui donnait vraiment l'air d'une grosse dinde.
« - Quand aura lieu l'enchère ?
« - Demain soir. »
Florian eut un léger sourire. Un sourire en coin.
« - Eh bien, j'espère que ce Noir n'aura pas
envie de tester vos dispositifs de sécurité d'ici
là, » déclara-t-il sans pouvoir effacer ce
sourire.
Elle lui adressa un regard intrigué, puis recula d'un pas
comme si elle craignait d'attraper une maladie très
contagieuse en restant un instant de plus à proximité
de Florian.
« - Je suis désolée, j'ai quelques amies à
voir.
« - Mais faites, je vous en prie, » répondit
Florian, soulagé de s'en débarrasser enfin malgré
les informations qu'il avait recueillit.
Elle s'éloigna, non sans jeter par dessus son épaule
quelques coups d'œil dans sa direction, puis elle disparut dans le
foule.
Florian s'adossa contre le mur qui se trouvait à proximité
et porta le verre de champagne à ses lèvres. Il se
disait que le vol des boucles d'oreilles remettrait certainement à
sa place cette pimbêche trop fière.
Il rejoignit Noir et lui exposa rapidement la situation. Si jamais
les bijoux étaient vendus le soir suivant à une autre
personne que Noir, il serait sans aucun doute plus difficile de les
obtenir ensuite. Cependant, le voleur ne parut guère troublé
par la proximité d'une vente aux enchères.
« - Alors, il me faudra intervenir cette nuit, »
résuma-t-il simplement tout en se dirigeant vers la sortie.
Florian, qui le suivait de près, ne semblait pas de son avis.
« - Mais tu ne sais rien de la façon dont sont
protégés les boucles d'oreilles.
« - Des gardes, des portes, des serrures et peut-être
un coffre fort, » énuméra Noir avec un
sourire trahissant son amusement. Face au vol, il ressemblait à
un enfant qui s'apprêtait à recevoir le dernier jouet
à la mode.
Une fois dehors, il s'arrêta et examina la façade du
manoir en se grattant le menton d'un air pensif. Florian stoppa à
ses côtés et chercha à voir ce qui pouvait ainsi
attirer son attention.
« - Il me faudra sans aucun doute un grappin, »
conclut le voleur avec un haussement nonchalant des épaules.
Florian poussa un soupir. Une certaine angoisse montait en lui et son
ventre se nouait en réponse à son état
émotionnel.
« - Noir… Tu ne vas pas voler les bijoux ce soir, tout
de même ? » s'inquiéta-t-il en se
mordillant légèrement la lèvre. « Et
puis, tu es riche et connu, tu pourrais pousser Monsieur Fontaine à
t'inviter à cette enchère et acheter les… »
Noir se tourna brusquement vers lui et posa l'index sur les lèvres
du noble d'un air contrarié. Il agissait comme celui qui
s'empressait de retenir son compagnon de dire une injure.
« - Non, non… Le voleur fantôme n'achète
pas. Il prend. Ou serait l'intérêt, sinon ? »
Florian savait qu'il s'agissait d'une bataille perdue d'avance
et se contenta donc de lui adresser un regard quelque peu
désapprobateur.
Noir semblait ne pas y accorder importance. Il se détourna et
se dirigea à pas rapides vers leur voiture qui les attendait
toujours dans le parc du manoir des Fontaine.
Une fois rentrés, ils furent accueillis par Laila.
« - Vous voilà enfin de retour ! Je vous ai
préparé un bon repas car cette soirée à
sans doute du vous donner faim ! »
Laila était toujours pleine de bonnes intentions mais on ne
pouvait pas dire que ses talents en cuisine avaient de quoi
enthousiasmer les palais des gourmets. Non, ils les faisaient pleurer
et réclamer une mort rapide. Alors, en entendant la mention du
repas qu'elle avait préparé, Florian faillit
défaillir et, cherchant à se défiler, s'empressa
de prétexter une fatigue soudaine qui ne réclamait
qu'un bon lit. Noir se contenta tout d'abord fixer la jeune
fille, eut un léger sourire et déclara qu'il avait un
vol à préparer. Trop manger risquait de nuire à
ses capacités.
Laila se retrouva bientôt seule dans le hall de la demeure.
Contrairement à ce que l'on aurait pu croire, elle n'était
pas vexée. Peut-être était-ce parce qu'elle
avait l'habitude de voir sa cuisine dédaignée ou
peut-être était-ce parce qu'elle se disait qu'elle
ferait mieux la prochaine fois et que cette prochaine fois serait la
bonne.
L'affection qu'elle portait à Noir était sans doute
trop grande pour qu'elle lui en veuille. Quant à Florian, il
n'était pas méchant, même si parfois il lui
arrivait de le détester car elle avait l'impression qu'il
avait plus d'importance qu'elle aux yeux du voleur.
Il était aux environs de minuit lorsque Noir revint au manoir
des Fontaine. Vêtu d'un sombre costume, d'une cape et d'un
chapeau haut de forme lui donnant un air théâtral, on
comprenait mieux d'où lui venait son surnom de voleur
fantôme. Non seulement il disparaissait des lieux de son crime
sans jamais laisser de traces, mais en plus il avait l'aspect d'un
de ces personnages que l'on ne pouvaient rencontrer que dans les
romans. Il était l'un de ces voleurs intrépides,
faisant frissonner les lectrices, mais il n'avait pas le cœur et
la bonté d'âme d'un Robin Des Bois. Il gardait pour
lui ce qu'il volait. Ses actes n'étaient nullement dictés
par une quelconque notion de justice.
Alors que la réception continuait de battre son plein malgré
l'heure tardive, Noir traça son chemin dans le parc, ombre
parmi les ombres, jusqu'à la façade Nord, plongée
dans le noir, de la vaste demeure. Là, son regard exercé
repéra un balcon au premier étage. Il n'y avait
aucune plante grimpante pour s'y hisser, tel l'amoureux voulant
surprendre sa belle, mais Noir avait plus d'un tour dans son sac.
De sous sa cape, il sortit un grappin attaché à une
solide corde. Il visa et lança, un tintement métallique
résonna et il tira pour vérifier que le tout était
bien accroché à la balustrade dont la pierre blanche se
détachait dans le noir. Ceci fait, il grimpa sans effort
apparent, passa par dessus cette même balustrade et sauta sans
bruit sur la terrasse du balcon.
Noir décrocha le grappin pour ne pas laisser l'opportunité
à quelqu'un de le trouver, puis il se glissa furtivement
jusqu'à la porte vitrée. Il la fit coulisser
lentement, pour émettre le moins de bruits possible. Ceci
fait, il fit quelques pas dans ce qui était, à première
vue, une chambre de femme.
Par curiosité, il s'approcha d'une table de toilette munie
d'une glace. Il avait aperçu la forme carrée d'une
boite, qu'il avait aussitôt identifié comme un coffre
à bijoux. A la lueur de la lune, il examina rapidement son
contenu mais il n'y avait rien digne de son intérêt.
Les pierres étaient trop banales, comme la finition des
bijoux.
Laissant là sa découverte décevante, il ouvrit
la porte de la chambre et sortit prudemment dans le couloir
faiblement éclairé par quelques appliques.
Du rez-de-chaussée émanait des bruits de conversations.
Où pouvaient donc se trouver les rubis tant convoités ?
Noir se remémora ce que lui avait dit Florian et il songea que
le plus simple restait d'explorer les lieux. Si jamais il était
surpris, il lui suffirait de dire qu'il n'était qu'un
convive égaré. Technique classique mais qui portait
souvent ses fruits. Personne ne mettait en doute la parole de Ray
Balzac Courland.
L'exploration du premier étage ne lui révéla
rien d'intérêt mais il ne se décourageait pas
pour autant.
Alors qu'il s'apprêtait à emprunter l'escalier
menant au second, il entendit une voix féminine le héler.
Décidément, ce n'était vraiment pas de chance.
Alors que Noir pestait intérieurement, il se retourna tout
sourire pour se retrouver devant la fille des Fontaine. Celle là
même qui avait tenu une dure conversation avec Florian.
Finalement, il aurait pu tomber plus mal. Cette idiote lui offrirait
peut-être quelques indices pour son enquête.
« - Que faites vous ici ? »
commença-t-elle par demander avant de se figer d'un air
perplexe. Son visage s'éclaira brusquement. « Mais
c'est vous, Monsieur Courland ! Veuillez me pardonner, je ne
vous avez pas reconnu avec ces vêtements. Vous vous êtes
changés ? »
Elle en paraissait presque déçue. Ca manquait
d'exotisme, sans aucun doute.
La jeune fille était vraiment telle que Florian l'avait
décrite mais Noir n'était pas du genre à
laisser paraître son ennui dans une telle situation. Il avait,
au contraire, possibilité de tirer profit de la conversation
et il devait faire en sorte de ne pas froisser son interlocutrice. Le
mieux était de répondre à ses espérances.
« - Mon ami Florian s'est senti mal, je l'ai donc
raccompagné chez lui et j'en ai profité pour changer
de vêtements et revenir ici.
« - Mais que faites-vous donc au premier étage ?
La réception est en bas… » demanda-t-elle
visiblement guidée par la curiosité.
« - Je crains de m'être perdu en cherchant un peu
le calme. J'ai un très mauvais sens de l'orientation. »
La fille des Fontaine prit un air compatissant. Visiblement, elle
n'avait pas relevé le faux prétexte ou elle s'en
moquait éperdument, trop heureuse d'être au côté
de son idole. Pourtant, les propos de Noir offraient quelques
incohérences. Etant donné le bruit que produisaient les
invités, il n'était pas difficile de retrouver la
salle de réception.
« - Et avez-vous trouvé le calme que vous
recherchiez ?
« - Non, pas vraiment. Car une pensée est
rapidement venue encombrer mon esprit et ne l'a plus quitté.
Je me demandais si votre père exposait dans ce manoir les
objets d'art rapportés lors de ses expéditions. »
Elle prit un air désolé et poussa un soupir.
« - Malheureusement, il les vend, pour la plupart.
Quelques pièces se trouvent dans la bibliothèque. Je
peux vous les montrer, si vous le désirez, »
proposa-t-elle, avec l'espoir visible que Noir accepterait son
invitation.
Le voleur avait déjà vu ladite bibliothèque et
les objets qui s'y trouvaient ne l'intéressaient guère.
Toutefois, jugeant que se montrer aimable motiverait sans doute la
jeune fille à lui en dire plus, il accepta l'invitation et
ils avancèrent tous deux jusqu'à la pièce dont
il était question. Afin de s'attirer un peu plus la
bienveillance de la jeune fille, Noir lui offrit galamment le bras.
Une fois dans la bibliothèque, elle lui présenta
quelques vases de Chine. Il feignit l'émerveillement.
« - Quelles pièces splendides ! Votre père
voyage vraiment beaucoup. Quelle chance il a. J'ai entendu dire
qu'il avait, cette fois-ci, ramené des trésors de la
Grèce Antique ? »
Elle acquiesça, toujours accrochée au bras de Noir et
visiblement bien décidée à ne pas le lâcher
de sitôt.
« - Il les vendra aux enchères, bientôt. »
La déception se lisait sur son visage.
« - Qu'y a-t-il ? Vous avez l'air triste
soudainement, » murmura Noir en laissant croire à
de l'inquiétude de sa part.
« - Oh, ce n'est rien… Enfin… Si… Il y a une paire
de boucles d'oreilles. J'aurai tellement aimé les avoir
mais il ne voudra jamais.
« - Ne pouvez-vous lui demander cette faveur ? Vous
êtes sa fille, après tout. »
Elle secoua négativement la tête, les sourcils froncés,
la main légèrement crispée sur le bras de Noir.
« - Alors, quelqu'un pourrait les acheter pour vous,
lors de cette vente, » déclara-t-il en souriant.
C'était bien plus une proposition qu'une question et elle
sembla fort bien le comprendre. Ses joues rosirent légèrement.
Une autre personne que Noir aurait certainement eu des scrupules à
manipuler une jeune fille, peut-être un peu imbue d'elle-même,
mais tellement innocente.
« - Monsieur Courland… C'est trop généreux,
je ne peux accepter. Et puis, mon père vous a-t-il invité ? »
Il se mit à rire avec insouciance et elle le considéra
d'un air surpris.
« - Qui refuserait l'accès à quelqu'un
d'aussi riche que moi ? »
Noir aimait acquérir les bijoux par le vol mais il voulait
absolument les pierres d'Eros. S'il devait pour cela les acheter,
alors il s'en accommoderait, même si cela manquait de
frissons. De plus, elle lui offrait un prétexte pour
participer à cette vente. Une fois le bien acquis, il lui
suffirait de lui offrir des faux pour respecter son engagement. Il
pouvait facilement trouver des rubis rouge de moindre qualité
mais d'aspect semblable.
Alors qu'il concevait son plan, la jeune fille lui fit alors une
proposition étonnante :
« - Voulez-vous les voir ? Je peux vous faire visiter
la salle où ils sont détenus.
« - Vraiment ? N'allez-vous pas avoir des ennuis
pour cela ? Votre père pourrait ne pas apprécier. »
Noir était bien entendu impatient à l'idée de
visiter le lieu où se trouvaient les boucles d'oreilles mais
il n'en restait pas moins surpris de cette proposition. Cela
dépassait toutes ces espérances. A croire que Dieu
était avec lui aujourd'hui. Une telle opportunité ne
se reproduirait pas de sitôt. Cela pouvait lui donner
l'occasion de subtiliser les bijoux et il avait déjà
une idée sur la façon de procéder.
« - Au Diable mon père ! »
s'exclama la jeune fille de son côté. « Cette
maison est aussi la mienne et je la montre à qui je veux.
Venez donc, Monsieur Courland. Il est normal que vous voyez l'objet
de votre investissement futur. »
Ils quittèrent la bibliothèque et ses vases chinois
pour gagner le second étage. Un sentiment d'excitation
envahissait Noir au fur et à mesure de leur avancée. Il
n'y avait rien de plus grisant que le vol. Enfin si. Mais le vol se
plaçait en tout cas dans le rang des choses les plus grisantes
que réservait la vie.
Ils arrivèrent devant une grande porte blindée, gardée
par un homme vêtu d'un uniforme de police. Il semblait
s'ennuyer ferme.
C'était le comité d'accueil pour le voleur fantôme,
sans aucun doute. Noir eut envie de ricaner à la pensée
que ce policier aurait son gibier sous les yeux mais ne s'en
rendrait même pas compte.
Florian était soucieux. Savoir Noir en train de jouer les rois
de la cambriole le rendait nerveux. Et quand il était nerveux,
il n'arrivait jamais à dormir car son esprit était
obnubilé par toutes sortes de pensées.
Pour essayer d'apaiser sa tension, il lisait le journal du matin
précédent à la lueur du feu brûlant dans
la cheminée du salon. Comme il connaissait déjà
les nouvelles, cela n'eut pas l'effet escompté. Son regard
ne cessait d'aller et venir du journal à l'horloge. Il
était déjà une heure du matin et Noir n'était
toujours pas rentré. Les serviteurs de celui-ci dormaient
alors il n'avait personne à qui faire part de son
inquiétude. Même Laila avait gagné son lit, peu
après le départ de Noir. Il arrivait pourtant souvent à
la jeune fille de l'accompagner dans ses escapades mais, cette
fois-ci, il avait tenu à y aller seul.
Florian n'arrêtait pas d'imaginer le pire. Noir était
peut-être, à l'instant même, en mauvaise
posture. Et lui se contentait de lire un journal pour essayer de
retrouver une certaine tranquillité d'esprit. N'aurait-il
pas du aller l'aider, au contraire ?
Alors que le jeune homme tentait de porter son attention sur la page
des finances, il entendit un bruit qui le fit sursauter dans son
fauteuil.
« - Florian, tu ne dors donc pas ? »
Le noble poussa un soupir de soulagement en reconnaissant la voix de
Noir. Il se leva prestement et fit face au voleur, qui se tenait à
l'entrée du salon. Dans sa main miroitait les rubis rouge
sang des boucles d'oreilles et l'or qui les cerclait. Les pierres
étaient bien plus grosses que ce qu'il avait imaginé.
Elles faisaient chacune la taille d'un pouce et on les avait taillé
de forme ovale, ce qui leur donnait, en prime, un aspect allongé
et donnait l'illusion qu'elles étaient encore plus
grandes.
« - Incroyable ! Tu les as donc dérobé ?
Mais comment as-tu fait ? » questionna Floian, sans
pouvoir contenir sa curiosité. Et sans pouvoir quitter du
regard les pierres étincelantes entre les doigts du voleur.
« - Ce ne fut pas bien difficile, » lança
Noir avec un sourire en coin. Avant de commencer son récit, il
se laissa tomber dans le fauteuil qu'avait occupé Florian,
quelques instants auparavant. Il examina les pierres durant quelques
secondes puis reporta son attention sur le blond, qui se tenait juste
à côté de lui. « Mademoiselle Fontaine
m'y a aidé, involontairement. »
Florian fit légèrement la moue. A l'évidence,
il n'appréciait vraiment pas cette jeune fille. Sans se
soucier de cela, Noir continua et expliqua comment il était
entré dans le manoir, puis de quelle manière il était
tombé sur elle. Comment, encore, il avait manœuvré
pour obtenir son entière confiance.
« - Elle m'a finalement invité à voir les
bijoux. Il y avait un policier devant la porte mais il n'a guère
représenté d'obstacle, puisqu'il ne voulait à
l'évidence pas contrarier Mademoiselle Fontaine. Nous sommes
donc entrés, elle m'a montré le coffret dans lequel
se trouvait les boucles d'oreilles. Il m'a suffit de détourner
son attention quelques secondes pour les subtiliser. Mais, comme je
me doutais que le policier me fouillerait afin de vérifier que
je n'avais rien dérobé, je les ai caché sur
elle. »
Florian haussa un sourcil.
« - Comment ? Tu les as caché sur elle ? »
Le sourire de Noir s'étendit un peu plus.
« - Bien sûr. Je lui ai donné ce qu'elle
attendait et ce fut très facile.
« - Je n'y crois pas ! Tu l'as donc embrassé ? »
s'exclama Florian d'un air consterné.
Noir se mit à rire et se leva pour s'approcher de son
interlocuteur. Ils se fixèrent l'un et l'autre dans les
yeux.
« - Si je ne te connaissais pas, je pourrai penser que tu
es jaloux.
« - Il ne s'agit pas de jalousie, » rétorqua
Florian en s'éloignant de quelques pas pour croiser les bras
et tourner le dos à Noir. « Ton audace me surprend,
tout simplement. Si jamais elle s'était aperçue de
ton petit jeu, que serait-il arrivé ?
« - Tu t'inquiètes donc pour moi ?
« - Non, pour moi, » répondit Florian,
tout en sachant qu'il ne se montrait pas honnête envers Noir
et envers lui-même. « Dois-je te rappeler le contrat
que tu m'as obligé à passer ? Je dépend
entièrement de toi, je ne suis rien de plus que l'un de tes
serviteurs. Si tu vas en prison, il ne me resterait plus rien. »
L'expression de Noir changea du tout au tout. Son regard s'était
fait plus sombre et brillait d'un éclat plus dangereux. Tout
sourire avait disparu de ses lèvres. L'humeur bon enfant
qu'il avait eu en racontant ses péripéties n'était
plus.
« - Oui, c'est cela, » siffla-t-il entre ses
lèvres tout en refermant brutalement la main sur les bijoux.
« C'est bien qu'un noble désargenté
aussi ridiculement fier finisse par se rappeler qu'il n'est
absolument rien sans moi. Si je te jette hors de ma demeure, que
feras-tu pour t'en sortir ? »
Florian se retourna vivement pour foudroyer Noir du regard. Malgré
l'étincelle qui avait enflammé ses yeux mauves, la
surprise se lisait aussi sur son visage. Ses lèvres furent
prises d'un tremblement nerveux et, finalement, il laissa
s'exprimer sa propre colère.
« - Comment oses-tu me parler ainsi ? Je n'ai
jamais demandé à vivre ici ! C'est toi qui part
un odieux chantage… Et dois-je te rappeler de quelle façon
tu m'as torturé pour savoir où était ce maudit
diamant ? »
Le sourire réapparut sur les lèvres de Noir mais il
était bien plus malveillant. Il franchit la distance qui le
séparait de Florian. Les deux hommes se fixèrent l'un
et l'autre d'un regard glacial.
« - Oui, je m'en souviens. Ta résistance m'avait
impressionné mais tu n'es finalement qu'une vierge
pleurnicheuse… »
Le blond eut un mouvement de recul et ses joues se collèrent
quelque peu.
« - Quoi ? Je ne… »
Noir lui coupa la parole, tout en le regardant par en bas. Cela
rendait son expression un peu plus inquiétante et menaçante.
« - Maintenant que la Flamme de Mughal a disparu, tu ne
m'es plus d'aucune utilité. Plutôt que de me
critiquer, tu devrais me remercier de t'offrir le gîte et le
couvert. Veux-tu que je te dise de quelle manière tu pourrais
me remercier… ? »
Il y avait dans le ton du voleur des sous-entendus que Florian
lui-même était fort bien capable de deviner. Noir
parlait de la même façon que lorsqu'il avait proposé
à la mère de Florian de le garder auprès de lui
en échange d'argent. Sans doute à cause de cela, la
main de Florian partit et vint frapper Noir à la joue. Le
blond affichait une pâleur mortelle et se mordait presque la
lèvre tant il était offusqué par ces
insinuations. Certes, il avait appris à apprécier Noir,
il avait même songé, avant cette dispute, qu'ils
pourraient réellement devenir amis, mais, à présent,
il avait totalement oublié ses bonnes dispositions. C'était
comme si la cruelle réalité s'était emparée
de lui et avait détruit tout ses espoirs.
« - Puisque c'est ainsi, je partirai dans la matinée, »
annonça Florian d'une voix tremblante de rage.
Noir porta la main à sa joue et jeta un regard en coin à
Florian.
« - Je te l'interdis, » déclara-t-il
d'un ton froid tout en agrippant son interlocuteur par le col, pour
le tirer à lui.
Noir était plus grand que Florian et plus solide aussi. Si une
bagarre éclatait entre eux, il n'y avait aucun doute à
avoir sur le gagnant. Cependant, le noble ne semblait pas prêt
à lâcher le morceau. Si Laila n'était pas
entrée dans la pièce, intriguée par les éclats
de voix, les choses auraient certainement pris un tournant bien plus
grave encore.
« - Mais que faites vous ? » s'exclama
la jeune fille à la peau sombre. « Vous êtes
devenus fous ? »
Laila était vêtue d'une longue chemise de nuit
blanche, bien trop grande pour elle. Ses cheveux noirs coupés
courts lui donnaient l'air d'un garçon manqué et
elle s'habillait bien souvent comme un homme. Pourtant, avec une
robe, elle aurait certainement pu concurrencer sans aucune difficulté
les plus belles françaises.
A l'intervention de Laila, Noir sembla retrouver son sang froid. Il
relâcha Florian et recula d'un pas, afin de mettre un peu de
distance.
« - Tu m'appartiens. Tu ne partiras que si je t'en
donne l'ordre. Si tu te sauves, tu t'en mordras les doigts, »
annonça le voleur d'une voix calme.
Florian releva le menton avec orgueil.
« - Tout ce que tu souhaites, c'est qu'un esclave à
ta botte. Qui pourrait croire, après ça, que tu ais un
quelconque cœur ? »
Laila les regarda tour à tour alors que son instinct lui
soufflait de ne pas s'interposer pour le moment.
Florian quitta la pièce d'un pas rapide mais en conservant
une allure fière, comme s'il cherchait à énerver
par ce simple fait Noir qui l'insultait de n'être qu'un
noble trop arrogant.
« - Tu es encore allé trop loin, Noir, »
soupira Laila.
L'intéressé ne lui répondit pas et ne tarda
pas à quitter le salon à son tour.
Après avoir hésité un moment, Laila avait décidé
de suivre Florian jusqu'à sa chambre. Aucun bruit n'émanait
de celle-ci, même en collant son oreille contre la porte, elle
n'entendait rien. Après quelques secondes, elle décida
de frapper à la porte, tout en appelant à voix basse le
jeune homme. Elle n'eut aucune réponse mais elle
n'était pas du genre à se décourager pour si
peu. Aussi ouvrit-elle la porte et entra-t-elle aussitôt dans
la chambre.
Florian était assis sur son lit et se morfondait, les coudes
appuyés sur ses cuisses et les mains soutenant son visage. Il
ne releva pas la tête à l'entrée de Laila, par
contre il laissa échapper quelques mots :
« - S'il me touche, je le tue.
« - Florian ! » s'écria la jeune
fille d'un air surpris. « N'est-ce pas un peu
excessif ? Je ne sais pas ce qui vous arrive à tous les
deux mais… »
Florian ne lui permit pas continuer. Il se leva tout en grommelant :
« - Je me porte très bien ! C'est Noir qui
devrait aller passer un séjour dans un asile psychiatrique
pour se faire analyser l'encéphale. Tu penses que c'est
normal de détenir un homme contre son grès et de lui
proposer des choses odieuses ? »
Laila resta un instant songeuse et cligna des yeux.
« - Eh bien… Noir est excessif mais ce n'est pas
quelqu'un de mauvais. »
Elle eut un sourire radieux, espérant peut-être dérider
ainsi le noble. Malheureusement, celui-ci resta toujours aussi
sombre.
« - Quand je pense qu'en plus il a embrassé cette
fille… Il l'a embrassé… »
Le sourire de Laila disparut aussitôt pour laisser place à
un rictus énervé.
« - Une fille ? Quelle fille ? »
La jalousie venait de s'éveiller en elle. Elle n'avait
aucune rancœur envers Florian, tout en sachant très bien que
Noir tenait bien plus à lui qu'il ne l'avouait. Toutefois,
la concurrence d'une personne du même sexe qu'elle semblait
la mettre dans tous ses états. Surtout qu'elle n'avait
jamais réussi à avouer au voleur l'affection qu'elle
lui portait…
« - La fille des Fontaine.
« - Quelle salope, » laissa échapper
Laila, qui n'avait jamais eu un langage spécialement
soutenu. Pour marquer ses propos, elle tapa du poing dans son autre
main. « Mais qu'a-t-elle de particulier au juste ?
Je suis sûre que c'est une de ces blanches livides avec une
grosse poitrine enfermée dans un corset minuscule pour la
faire encore plus ressortir. Noir aime donc les filles avec de gros
seins ? »
Elle se tourna vers le miroir incrusté dans l'armoire de la
chambre et sembla s'examiner sous toute les coutures. Elle tira
même sur sa robe de nuit trop grande pour laisser entrevoir les
formes de sa propre poitrine.
« - Est-ce que je devrais mettre moi aussi un décolleté
plus grand pour plaire à Noir, » soupira-t-elle,
sans se rendre compte à quel point la conversation prenait un
tournant surréaliste. En vérité, ni elle, ni lui
ne s'en étaient aperçu. Leur comportement n'était
pas habituel.
« - Mais non, tu es très bien comme tu es, »
la rassura Florian avec un soudain sourire chaleureux. « Si
Noir ne s'en est pas rendu compte, alors il est idiot. »
Laila se tourna vers le blond et joignit ses mains fines avec une
quasi expression d'adoration. Elle lui sauta soudainement au cou
pour déposer un baiser sur sa joue.
« - Oh, Florian. Si je n'aimais pas Noir, c'est toi
que j'aimerais. Ne m'en veux pas mais je ne peux pas l'oublier. »
Elle s'écarta aussitôt après avoir glissé
ces quelques mots. Un instant de silence suivit et elle quitta la
pièce.
Florian gagna les couvertures de son lit quelques instants plus tard,
après s'être déshabillé et avoir revêtu
un pyjama. Il peina à trouver le sommeil et ce ne fut que vers
trois heures du matin qu'il s'endormit enfin mais sans pour
autant trouver une paix réparatrice.
Son sommeil fut hanté d'étranges rêves qui, le
lendemain matin, continuaient de le faire frémir. Etaient-ce
les paroles méprisables de Noir qui l'avaient ainsi marqué
pour qu'il subisse pareilles images jusque dans ces songes ?
Il n'avait pas souvenir d'avoir un jour rêvé quelque
chose d'aussi dégradant. La honte l'aurait certainement
submergé si la colère ne l'avait pas fait en premier.
Lorsqu'il s'éveilla vers dix heure, son humeur était
plus massacrante encore que la veille.
Si Florian avait eu l'esprit à porter un peu d'attention
au monde qui l'entourait, peut-être se serait-il aperçu
de l'atmosphère étrange dans laquelle baignait la
demeure. A vrai dire, la moitié du service manquait à
l'appel, pour des causes diverses et personnelles, principalement
d'ordre sentimental.
Florian descendit pour prendre un petit déjeuner tardif. Il
espéra ne pas rencontrer Noir mais ses espérances
furent déçues quand il le retrouva déjà
installé à la table dressée de la salle à
manger. Le noble s'arrêta net à l'entrée de
la pièce.
Le voleur fumait un cigare tout en lisant l'un de ses livres. Une
tasse de café fumant se trouvait devant lui. Il fit tout
d'abord comme s'il n'avait pas entendu Florian puis, au bout de
quelques secondes, il referma sèchement son livre et darda ses
yeux verts sur le blond.
« - Je vois que notre princesse daigne enfin manger avec
le commun des mortels, » déclara Noir avec un
sourire narquois.
Florian hésita mais décida que battre en retraite
serait concéder la victoire à son ennemi. Il tira l'une
des chaises, en bout de table, face à Noir, et s'y installa.
Quelques secondes plus tard, Laila fit irruption en portant un
plateau rempli de toast trop roussis, pour n pas dire carbonisés.
A la grande surprise de Florian, elle portait une robe.
« - Laila, mais que fais-tu donc ? »
s'exclama-t-il alors que Noir reprenait stoïquement sa
lecture.
« - La cuisinière s'est sauvée avec le
jardinier durant la nuit. Qui aurait pu deviner qu'ils avaient un
amour aussi passionné… Mais, pas d'inquiétude, je
m'occupe de tout ! J'ai toujours aimé cuisiner. »
D'un air joyeux, elle distribua les toast dans les assiettes des
deux jeunes hommes.
Florian n'avait pas envie de la vexer, alors il chercha à
lui faire comprendre d'une façon gentille que ce n'était
peut-être pas une bonne idée.
« - Tu sais… Noir a assez d'argent pour engager une
autre cuisinière d'ici ce midi. »
Le voleur leva le nez de son livre alors que Laila et Florian
portaient leurs regards sur lui, visiblement en l'attente d'une
confirmation ou d'une dénégation. Tout en passant la
main dans ses cheveux noirs corbeaux, il jeta un regard aux tartines
grillée et sembla prendre sa décision en quelques
secondes seulement.
« - Florian a raison, j'ai assez d'argent pour le
faire… »
On aurait pu croire que Noir et Florian avaient enfin trouvé
un terrain d'accord depuis leur dispute d'hier soir mais il n'en
était rien, car le voleur ajouta aussitôt :
« - … Moi. »
Il venait à nouveau de faire mention de la pauvreté de
Florian. Celui-ci se leva de sa chaise et posa brutalement les deux
mains sur la table. Son regard lançait des éclairs au
jeune homme imperturbable à l'autre bout de la table. Laila
gardait son plateau serré contre sa poitrine, comme s'il
pouvait lui offrir une quelconque protection face à la dispute
qui approchait à grand pas.
« - Je ne t'ai jamais demandé ton aide, c'est
toi qui m'a obligé à venir ici, » gronda
le blond en donnant un coup de poing sur la table.
« - Mon aide, tu étais bien content de la recevoir
lorsque ton oncle a voulu faire croire que tu étais le
meurtrier de ta chère mère, » rétorqua
l'autre en posant son bouquin sur la table et en croisant les bras
sur sa poitrine d'un air railleur.
Florian se serait certainement jeté sur Noir si Laila n'avait
pas soudainement bougé pour l'attraper par le bras et le
retenir.
« - Calmez-vous ! Pourquoi êtes-vous si énervés
l'un envers l'autre ?
« - Il me retient ici contre mon grès, »
expliqua Florian d'un ton hargneux.
« - Son air suffisant m'insupporte, » fit de
son côté le voleur en tenant de son cigare entre deux
doigts.
« - Il se permet de me faire des propositions obscènes, »
renchérit le blond en tremblant de rage.
« - Et il ose me faire croire qu'il n'en a pas
envie, » conclut Noir.
L'échange de reproches aurait pu continuer bien plus
longtemps si l'un des employés de Noir n'était pas
entré en cet instant pour annoncer que mademoiselle Fontaine
l'attendait dans le hall.
« - Dans le hall ? Ne pouvais-tu pas la faire
directement entrer ici ? » lui reprocha le voleur
tout en se levant. Il jeta un regard à Florian et
Laila. « Désolé, mais j'ai des
affaires plus importantes que cette dispute qui m'attendent. »
C'est ainsi que Noir quitta la pièce avec le serviteur, sous
le regard de ses deux amis.
Au bout de quelques instants, ils se mirent tout deux à
parler.
« - Cette mademoiselle Fontaine… » commença
le blond.
« - Elle a embrassé Noir, » termina
Laila d'une voix où filtrait une certaine indignation.
« - On ne peut pas les laisser seuls sans surveillance. »
Parfaitement accordés sur ce point, Florian et Laila
s'empressèrent de rejoindre Noir, dans le but de vérifier
s'il ne ferait pas de nouvelles bêtises, comme embrasser
encore une fois cette pimbêche qu'ils s'étaient tout
deux mis à détester. Le blond ne réfléchissait
guère à la signification de ses initiatives. Comment
pouvait-il prétendre détester Noir alors qu'il était
à l'évidence guidé par la jalousie en cet
instant même ? Les rêves de la nuit n'étaient
peut-être pas si curieux que cela et en lui dormait sans doute
un désir dont il n'avait pas encore conscience.
Pour un observateur extérieur, les choses auraient été
de plus en plus claires : cela ne tournait plus rond dans cette
bicoque.
Tous deux arrivèrent dans le salon où se trouvaient
déjà Noir et la jeune noble en larme. Ils restèrent
à l'entrée de la pièce, car ils souhaitaient
observer et non pas se mêler à la conversation.
« - … Et les pierres d'Eros ont disparu ! »
raconta-t-elle en se tamponnant avec un mouchoir le coin des yeux
d'un geste nerveux.
« - Comment est-ce possible ? » s'exclama
Noir, faussement choqué, en la faisant asseoir dans un
fauteuil pour rester debout à côté d'elle.
« N'y avait-il pas un policier devant la porte ? Il
m'a même fouillé après que nous soyons sorti de
cette pièce. »
Laila eut un air meurtrier quand les sanglots de la jeune fille
redoublèrent.
« - Elle mérite bien son nom de Fontaine, »
marmonna Laila en serrant les dents. Mais personne, hormis Florian,
ne l'entendit.
« - Je le sais bien qu'il y avait un policier !
C'est à n'y rien comprendre. Père est comme fou. Je
suis sûre qu'il me soupçonnerait s'il connaissait
mon intérêt pour ces bijoux !
« - Vous, sa fille ? » s'horrifia Noir
alors qu'il tournait la tête pour apercevoir Florian et Laila
à l'entrée de la pièce. Il leur adressa un
curieux regard puis reporta son attention sur son invitée.
Alors qu'il s'apprêtait à reprendre la parole, il
fut interrompu.
« - Il serait plus raisonnable de penser qu'il s'agit
là de l'œuvre du voleur fantôme, »
intervint soudainement Florian.
Le corps de Noir sembla se contracter légèrement et il
adressa un nouveau regard au blond, un regard qui était cette
fois ci beaucoup plus agacé. La jeune Fontaine releva la tête
en direction des deux « espions ».
« - Oh, Monsieur Rochefort… Mais que faites-vous ici ? »
demanda-t-elle avec surprise.
« - Je vis ici, » rétorqua-t-il
froidement en avançant de quelques pas dans la pièce.
« Il est évident que votre voleur ne peut être
que Noir. Personne d'autre ne serait capable d'un tel prodige.
Peut-être s'est-il glissé parmi les invités,
afin d'en savoir plus sur la façon dont étaient
gardés les bijoux et…
« - Allons, allons, c'est aller un peu vite en besogne,
Florian, » déclara Noir en prenant la main de la
Fontaine qui ne quittait à présent plus du regard
Laila. Au moins avait-elle cessé de pleurer. « Tu
vas encore plus l'effrayer, alors qu'il serait plus juste de
penser avant tout à un membre de leur personnel. »
Un sourire étira les lèvres de Florian, comme s'il
avait une bien mauvaise idée derrière la tête.
« - C'est vrai, si c'était Noir, il aurait
certainement agi avec plus de panache. Il aime se faire remarquer.
Finalement, il agit un peu comme un enfant ou un adulte qui a oublié
de mûrir. »
La mâchoire du voleur se crispa. La dispute menaçait de
reprendre. Il n'en fut heureusement rien car la noble éplorée
se leva soudainement de son fauteuil pour s'approcher de Laila. Ses
yeux encore rougis brillaient d'un feu nouveau. Nullement celui de
la passion, c'était comme si elle venait de voir un démon.
« - C'est une servante ? »
demanda-t-elle à la ronde avec un certain effroi.
Laila lui attrapa soudainement le poignet pour ne plus le lâcher.
« - Tu cours après No… Ray mais moi j'ai déjà
la peau trop sombre et je ne peux être qu'une servante,
hein ? Pendant que j'y pense, je connais une recette de thé
qui va te requinquer, viens avec moi dans la cuisine. »
La jeune fille disparut de la pièce, entraînée
impérieusement par Laila.
Florian et Noir se retrouvaient seuls.
Tous deux restèrent un moment silencieux, sans même se
regarder. Ce fut le voleur qui rompit le premier le calme qui s'était
instauré. Il se laissa tomber dans le fauteuil tout en
commençant à rire. Etonné, Florian se retourna
pour le fixer. Le corps de Noir était secoué de
soubresauts alors qu'il ne semblait pouvoir s'arrêter de
s'esclaffer.
« - Qu'y a-t-il de drôle, au juste ? »
Les yeux verts de Noir vinrent se poser sur lui et Florian ressentit
une curieuse impression, qu'il préféra balayer
aussitôt pour se concentrer sur le mépris qu'il avait
pour cet homme.
« - Tu es jaloux, en fait.
« - Bien sûr que non ! » s'offusqua
Florian. Et il allait ajouter qu'il avait simplement voulu aider
Laila si Noir n'avait pas aussitôt repris la parole.
« - Tu croyais quoi ? Que j'allais m'enticher de
cette jeune idiote ? Je ne l'ai embrassé que pour la
distraire… Et parce que le voleur fantôme agit comme un
adulte qui a oublié de mûrir… »
Le blond commençait à être embarrassé. Il
détourna le regard tout en sentant sa hargne s'évaporer
comme eau au soleil. Il n'avait pourtant pas oublié ses
griefs mais il avait la soudaine impression que cela n'était
que secondaire.
Il y eut un nouvel instant de silence. Noir restait assis dans le
fauteuil tout en affichant un air pensif. Il avait les jambes
croisées et caressait son menton de son index. Florian, lui,
ne bougeait pas, si ce n'étaient ses mains qu'il frottait
l'une contre l'autre. La tension régnait dans chacun de
ses muscles. Il ne pouvait s'empêcher de repenser à
ses rêves. Qu'était donc Noir pour lui ? Quelle
sorte de sentiments lui vouait-il vraiment ? Pourquoi donc
était-il si troublé et nerveux en sa présence,
soudainement ? Ses yeux d'améthyste revinrent sur le
voleur. Lui qui s'était montré si en rage envers
Noir, il contemplait à présent son profil et sentait
une étrange sensation lui serrer le cœur. Il n'arrivait pas
à l'analyser clairement. Tout était confus. C'était
la première fois qu'il était confronté à
cela.
Lorsque Noir se leva, Florian ne put que sursauter. Absorbé
comme il était, il s'était aussi coupé pour un
temps de la réalité. A présent que la haute
stature du voleur le dominait, il semblait remettre les pieds sur
terre. Pris d'un soudain frisson nullement inspiré par une
quelconque passion, il recula d'un pas et croisa les bras.
« - Tu m'as dit des choses horribles, » lui
reprocha-t-il, en faisant sans aucun doute allusion à leur
dispute.
Noir se mit à sourire, une main sur la hanche.
« - Tu n'as pas été spécialement
diplomate, » fit-il remarquer en retour.
Le blond s'apprêta à répliquer alors que la
fureur gagnait à nouveau en lui, preuve que ses sentiments
étaient exacerbés et difficilement contrôlables.
Mais Noir intervint promptement pour l'empêcher de parler.
Son bras gauche passa autour de la taille de Florian pour le serrer
contre lui et sans doute l'empêcher de fuir, tandis que ses
lèvres se posaient sur celles du jeune homme.
C'était la première fois qu'une telle chose se
produisait entre eux.
Le cœur de Florian s'accéléra alors qu'il sentait
les lèvres de Noir contre les siennes. Ses pensées en
furent totalement court-circuitées. Durant un instant, il n'y
eut rien de plus qu'une sensation agréable de chaleur et de
douceur. Son instinct prit le dessus sur tout bon sens. Il se laissa
faire, la bouche entrouverte, les yeux fermés. Les cheveux
longs et sombres du voleur lui caressaient la peau. Il y avait dans
ce baiser quelque chose de presque chimérique, comme un rêve
prenant soudainement vie mais devant succomber au poids de la réalité
dès l'éveil. Florian s'en souciait peu. Il y
goûtait candidement tel Adam se voyant proposer le fruit
défendu.
Lorsque le baiser cessa et que Noir recula son visage sans toutefois
cesser de tenir le blond par la taille, Florian rouvrit les yeux en
ayant toujours l'agréable sensation sur les lèvres.
« - Il y a bien eu assez de disputes comme cela, »
déclara Noir comme si cela devait suffire à expliquer
son geste.
Florian posa les mains sur le torse de Noir, comme pour le repousser,
mais il suspendit son geste et baissa la tête.
« - Ne me demande pas l'impossible, »
murmura-t-il, avec un semblant de douleur dans la voix. « Tu
es un homme, ce genre de choses ne devraient pas se faire. Et Laila
t'aime tant, elle te mérite plus que moi. »
Noir souleva le visage de Florian d'une main.
« - Tes paroles pourraient avoir accent de vérité
si tes yeux d'améthystes ne dévoilaient pas autant de
passion. Ne te laisseras-tu donc jamais aller, même une seule
fois ? La vie ne vaut pas la peine d'être vécue
si tu te réprimes constamment.
« - Je ne me réprime pas, » souffla le
noble, alors que les lèvres de Noir ne lui étaient
jamais parues aussi proches. Pris d'un élan soudain et
irrésistible, il tendit le visage pour les toucher des
siennes.
Florian se sentit fébrile alors que sa bouche rencontrait à
nouveau celle de Noir. Une partie de lui se demandait ce qui lui
prenait. Si sa mère l'avait vu en cet instant même,
elle aurait certainement eu honte. Les hommes n'étaient pas
faits pour coucher ensemble, n'est ce pas ? Pourtant, il était
irrésistiblement attiré. Alors qu'il sentait la
langue de Noir sur la sienne, une impression de chaleur grandit en
son ventre.
Il n'arrivait déjà plus à se raisonner.
Noir le poussa et ils tombèrent tous deux enlacés sur
le canapé, allongés. Le baiser brièvement
interrompu par cet acte fut aussitôt repris, jusqu'à
ce que leurs souffles fussent trop courts pour poursuivre.
Noir ne resta pour autant pas inactif durant cette pause. Ses mains
caressèrent le torse de Florian à travers le tissu
blanc de sa chemise. Il arracha un soupir de plaisir au blond. Mais
celui-ci se raidit lorsque l'une des mains du voleur se fit plus
aventureuse sur sa cuisse.
« - Non, attend ! » s'écria-t-il
soudainement.
« - Tu n'as pas à avoir peur, »
répondit le voleur. « Laisse moi te donner un peu
plus de plaisir. »
Florian ne savait que répondre et l'autre en profita pour
glisser les lèvres dans son cou. L'agréable contact
eut tôt fait d'inhiber toute résistance. Les yeux à
demi entrouverts et la nuque reposant sur le bras du canapé,
le jeune homme se laissait faire. Sa respiration s'était
accélérée et quiconque aurait posé
l'oreille sur sa poitrine aurait perçu les battements
puissants de son cœur mais il offrait l'image même du
bonheur.
« - Ma jolie améthyste, » murmura Noir
alors que son souffle chaud dansait sur la peau du noble abandonné.
« - Pourquoi améthyste ? »
questionna Florian, songeant à l'étrangeté de
ce surnom.
« - Parce que tes yeux ont cette couleur si
particulière… »
La main de Noir vint se poser sur sa joue pour la caresser et le
voleur se redressa pour le regarder. Dans ses yeux verts brillaient
la passion qui le consumait. N'y avait-il pas homme au charme plus
étrange que celui-ci ? Métis d'une française
et d'un arabe, la peau sombre et les cheveux noirs pour un regard
d'un émeraude si vif.
« - Les tiens ont aussi la couleur d'une pierre, »
fit remarquer Florian.
« - Mais ils sont communs, » soupira le voleur.
Il embrassa Florian aussitôt ces mots prononcés, comme
s'il n'y avait déjà eu que trop de discussions et
qu'il souhaitait lui faire oublier toutes ces interrogations.
Florian n'était pas très actif, préférant
laisser agir Noir dans un domaine où il n'avait, de toute
manière, aucune expérience. Cela ne semblait guère
déranger le voleur alors qu'il découvrait le torse de
Florian tout en l'embrassant. Le blond se laissait transporter par
les sensations que les lèvres de Noir lui causaient. Sur son
nuage, il n'avait rien envie de faire si ce n'était
s'abandonner. L'inconnu aurait pu l'effrayer mais il ne
ressentait qu'une intense sensation de chaleur et un plaisir
grandissant. Il lui semblait que chaque marque d'attention de Noir
amenait sa félicité à croître d'autant
plus. Les yeux fermés et la tête toujours appuyée
sur le bras du canapé, il paraissait être l'esclave
abandonné à son maître. Ou bien, était ce
le maître qui en cet instant accédait aux désirs
de son serviteur, en le faisant plonger dans un océan de
délices interdits ?
Le jeune homme frissonnait lorsque l'air froid qui tourmentait sa
peau était remplacé durant un instant par le contact
plus tiède des mains. Il était comme fiévreux,
un rien le faisait trembler.
Laila versait l'eau chaude dans la théière tout en
jetant des regards en coin à la noble, assise à la
petite table de la cuisine. Son air arrogant la révulsait.
Elle était vraiment le genre de jeune femme à croire
que le reste du monde était là pour la servir. Un
rictus étira les lèvres de Laila, ce qui sembla attirer
l'attention de son « invitée ».
« - Qu'avez vous à sourire ainsi ? »
demanda-t-elle d'un ton irrité. Sans attendre de réponse,
elle ajouta : « Toutes ces histoires me donnent mal à
la tête. »
Laila recouvrit la théière une fois l'eau bouillante
versée, afin de laisser infuser. Si la jeune Fontaine avait eu
la moindre petite idée des compétences culinaires de
Laila, sans doute aurait-elle fait preuve d'un peu plus de
méfiance.
« - Oh, ne vous inquiétez pas, cette tisane soigne
aussi les migraines, » affirma Laila tout en sortant une
tasse de l'armoire. « Ca va vous requinquer en moins de
deux. Ca oui… »
Mademoiselle Fontaine n'écoutait pas ce que pouvait dire
Laila. Elle était visiblement perdue dans ses propres pensées.
« - Il paraît que les pierres d'Eros ont un
pouvoir sur les gens… » murmura-t-elle en froissant de
ses doigts le tissu de sa robe.
« - Vraiment ? » s'étonna Laila,
plus intéressée qu'elle ne l'aurait voulu. « Quel
genre de pouvoirs ?
« - Ils intensifieraient les émotions et
pousseraient les gens à se déclarer leur amour. Des
croyances stupides, n'est ce pas ? »
Laila avait froncé les sourcils d'un air perplexe, peut-être
parce qu'elle ne pouvait s'empêcher de repenser aux
disputes de Noir et de Florian, ainsi qu'à l'étrange
comportement des serviteurs qu'elle n'avait cessé
d'observer. Et qu'en était-il d'elle ?
Agissait-elle bizarrement elle aussi ? Elle s'examina
soigneusement, tira même sur les pants de sa robe mais ne
trouva absolument rien d'anormal. S'il y avait un mauvais sort,
alors elle n'était certainement pas atteinte par celui-ci.
Oui, tout était comme d'habitude chez elle, elle n'avait
pas à s'inquiéter. Du moins pour elle…
« - Par Allah, » s'exclama-t-elle
soudainement. « Mais si ces rubis exacerbent les
sentiments, alors Noir pourrait… Avec Florian… Oh non… »
Elle porta les mains à ses lèvres tout en affichant une
expression d'affolement. Elle n'était pas idiote et
s'était bien rendue compte que le voleur portait un intérêt
peu convenable sur « les améthystes »
qu'il avait capturé. Florian était un garçon
droit et honnête, mais Noir qui peinait tant à garder
son sang froid par moment… Depuis cette nuit, leurs disputes
étaient fréquentes. Et si l'inverse se produisait ?
Alors que Laila sentait la panique la gagner, la noble haussa un
sourcil agacé.
« - Mais que racontez vous comme inepties ? Et puis
je vous ai dit que ce n'était qu'une légende. Vous
ne croyez tout de même pas que… » Elle marqua une
soudaine pause et la surprise passa sur son visage. « Noir ?
Vous avez dit Noir ? Le voleur fantôme ? »
Laila se rendit compte un peu trop tard de sa bévue. Tout en
ayant un sourire gêné, elle ne put s'empêcher de
dire :
« - Oh non, il va me tuer. »
Elle s'empara avec brusquerie de la théière et versa
son contenu dans la tasse.
« - Buvez, buvez ! On en discutera plus tard ! »
Ce qui brillait dans le regard de Mademoiselle Fontaine effraya
Laila. Ce n'était pas de la colère, ni de la haine,
ni du dégoût, mais de la convoitise. De la convoitise
pour Noir…
« - Noir vit ici, c'est tellement excitant ! »
s'écria-t-elle en rougissant légèrement. « Je
me demande qui il est… Oh… Cela pourrait-il être monsieur
Courland ? Alors c'est lui aussi qui a volé les pierres
d'Eros ? Mais comment ? Il doit vraiment être
habile de ses mains. »
Laila eut une soudaine envie en entendant cela ; celle de la
passer par le fil d'une épée.
« - C'est ça, c'est ça. Bon, tu vas
boire, oui ou merde ?
« - Oh, ça va, hein ? Pas la peine de vous
énerver comme ça ! » rétorqua la
noble, piquée au vif par le langage bien plus vulgaire de la
jeune fille qu'elle considérait toujours comme une simple
servante. Elle trempa ses lèvres dans la tasse tout en lui
adressant un regard meurtrier.
Un sourire fleurit sur le visage de Laila.
« - Est-ce que c'est bon, mademoiselle Fontaine ? »
demanda-t-elle alors que son interlocutrice continuait de boire.
« - Oui… Assez, » concéda la jeune
femme avec une moue. « Qu'y a-t-il là dedans ?
« - Eh bien, voyons voir, » soupira Laila tout
en énumérant sur ses doigts. « De la
Bourdaine, de la Figue… Du Psyllium… Et quelques ingrédients
secrets. Ca devrait faire son effet d'ici… Quelques instants.
« - Quel effet ? » demanda l'autre en
reposant sa tasse vide avec une soudaine méfiance.
Laila eut un regard innocent.
« - Oh, vous savez, mes talents gastronomiques ne sont pas
très appréciés mais ça ne m'empêche
pas de connaître quelques petits trucs efficaces. »
Les deux femmes se regardèrent l'une et l'autre durant de
très longues secondes, sans plus rien dire. Avec un peu
d'imagination, on aurait pu les prendre pour deux cow-boys prêts
à engager un duel mortel à l'aide de revolvers.
La jeune Fontaine se leva soudainement, une étrange mimique
sur le visage. Elle avait en un instant perdu toute son expression
arrogante et supérieure.
« - Euh… Euh… Où sont les toilettes, s'il
vous plait ? »
Fière de son mauvais coup, Laila quitta la cuisine en
chantonnant gaiement. Voilà qui apprendrait l'humilité
à cette noble poudrée. Il n'y avait rien de plus
embarrassant que de rester des heures au toilette après avoir
pris par mégarde un peu trop de laxatif.
Toutefois, cela ne réglait pas le problème posé
par les rubis. Laila n'était pas crédule mais elle
trouvait qu'il n'y avait aucune raison valable à
l'explosion de violence entre Florian et Noir. Mieux valait, en ce
cas, faire preuve de prudence, avant que la violence ne se transforme
en passion. Son employeur la tuerait peut-être une fois qu'il
se serait rendu compte que les pierres d'Eros avaient disparu mais
c'était un mal pour un bien. Noir finirait sans doute par la
remercier lorsqu'il se rendrait compte, avec le recul, combien il
avait agi anormalement. Et, ainsi, il ne ferait pas de bêtises
avec Florian. Ce qui était sans aucun doute le plus important
dans cette affaire.
Laila se glissa jusqu'à l'étage. Connaissant
parfaitement les habitudes de Noir, elle n'eut aucune difficulté
à dénicher ses fichues boucles d'oreilles. Comme
c'était dommage. Elles étaient vraiment belle. Mais
il y avait aussi quelque chose d'autre dans leur éclat
rouge. Quelque chose de glaçant et d'irréel. Elle su
alors, au plus profond d'elle-même, qu'elle avait fait le
bon choix.
Lorsque Laila revint un peu plus tard au manoir, tout était
calme, peut-être même trop. La pimbêche n'était
pas en vue. Noir et Florian non plus. Inquiète, elle chercha
dans chaque pièce jusqu'à trouver les deux hommes
dans la salle à manger, en train d'essayer de manger les
toast carbonisés à l'aide de confiture. Le silence
était total entre eux.
La jeune fille laissa passer quelques secondes à les observer
avant de prendre la parole :
« - Noir, avant que tu ne m'étrangles, sache que
je l'ai fait pour votre bien à tous les deux. Les pierres
d'Eros étaient maléfiques et rendaient les gens
irraisonnables, je les ai jetées dans la Seine. »
Le voleur sourcilla à peine alors qu'il passait le couteau
sur la tartine pour la beurrer.
« - Vraiment ? Tu as bien fait. »
Ce n'était pas qu'elle allait se plaindre de son manque de
réaction mais elle s'était attendue… A un peu plus
de colère de sa part.
« - La bonne nouvelle, c'est que vous n'avez pas eu le
temps de faire des bêtises… Enfin à part vous disputer
et vous engueuler mais c'est déjà le cas d'habitude.
Même si c'est moins souvent. »
Florian semblait se cacher derrière sa tasse de café
tout en la buvant. Il s'arrêta un court instant, pour
parler :
« - Laila, pourquoi portes-tu une robe ?
« - Une robe ? » répéta la
jeune fille, incrédule, tout en clignant des yeux. Elle baissa
la tête pour s'examiner elle-même et sembla pâlir.
Sans dire un mot, elle se précipita hors de la pièce.
« - On dirait qu'elle ne se doute de rien, »
finit par dire Noir, avec un sourire amusé.
Florian avait posé sa tasse et gardait les mains sur ses
genoux. Une certaine rougeur gagnait peu à peu ses joues.
« - Je n'ai jamais eu aussi honte de ma vie. »
Noir se mit à rire tout en plongeant une cuillère dans
son café après y avoir ajouté un peu de sucre et
de lait.
« - Oh, mais pourquoi ? Ce n'était pas comme
si tu étais toi-même… » lança-t-il
d'un ton nonchalant. « Tu as entendu Laila comme moi,
pourtant ? Ce n'était rien de plus qu'un mauvais
sort. Qui aurait pu croire que ces rubis avaient réellement un
pouvoir ? »
Les yeux de Noir pétillaient d'un certain plaisir. Florian
eut la curieuse impression qu'il avait su dès le départ
les possibles conséquences de son vol mais il préféra
effacer une pareille pensée de son esprit. Songer que Noir ait
pu voler les pierres d'Eros, en pariant sur leur pouvoir magique,
uniquement pour le posséder… Il faisait en plus preuve d'une
certaine arrogance en comptant sur le fait que Florian ne pouvait
être qu'attiré par lui et ne pourrait résister
sous l'impulsion d'un pouvoir occulte.
« - Oui, qui aurait pu le croire, » murmura le
noble tout en soufflant bruyamment.
Il avait envie d'effacer ces souvenirs dégradants de sa
mémoire. Il était certain qu'à présent
Noir lui rappellerait constamment dans quelle débauche il
s'était laissé entraîner.
