Un petit post-épisode au 5x01 (« Bury your dead » ou « A découvert » pour les profanes). J'espère être restée fidèle aux caractères de mes deux agents spéciaux préférés.

Il aurait dû revenir plus tôt

Il avait failli se perdre en venant. Juste failli, il s'était souvenu qu'il devait prendre la rue à droite avant de la dépasser, mais il avait dû braquer à fond et les adolescents sur le trottoir avaient eu la peur de leur vie. Ça l'avait mis en colère. Il n'aurait jamais dû avoir de doute sur ce trajet. Il s'était calmé en donnant un peu plus de travail à la police locale et en rappelant à une jeune femme qu'il faut toujours être prudent lorsqu'on traverse une rue, mais, alors qu'il faisait face aux boutons de l'ascenseur, la colère revenait. Comment pouvait-il ne plus être sûr de l'étage ? Il pressa plus fort que nécessaire le chiffre sept, espérant ne pas s'être trompé.

Il profita de la montée pour réfléchir à ce qu'il allait dire. Ou ne pas dire plus certainement. Après tout, les deux pizzas étaient là pour ça : une excuse pour ne pas parler. C'était comme ça qu'il faisait il restait silencieux et les autres lui parlaient.

Le ding-que l'ascenseur émit en arrivant à destination était différent de celui qui rythmait ses journées au Navy Yard. Il était plus sourd, moins net, et beaucoup moins familier. Une pointe d'inquiétude le pris lorsqu'il s'avança dans le couloir, mais elle fut vite remplacée par du soulagement lorsqu'il se rendit compte que ses pieds le menaient directement à la bonne porte. Il frappa.

A travers le bois, il entendit le bruit du verre qui se brise suivit d'un juron. Puis un silence, jusqu'à ce que la porte s'ouvre.

« Patron ? »

On avait beau être le soir, DiNozzo ressemblait à quelqu'un qui venait de se réveiller. Cheveux en bataille, pantalon de survêtement, T-shirt froissé et air un peu béat. Gibbs lui colla les pizzas sous le nez en réponse à toute question. Son agent écarquilla légèrement les yeux, surpris, mais s'effaça pour le laisser entrer.

L'ancien marine fit rapidement le tour de l'appartement du regard, mettant à profit son sens de l'observation. Il aurait aimé pouvoir dire exactement ce qui avait changé depuis la dernière fois qu'il était venu, mais il se rendit compte qu'il en était incapable. Il pouvait juste affirmer que l'impression générale qui s'en dégageait était identique et que le poisson rouge dans son bocal était nouveau.

« Tu veux quoi pour accompagner la pizza ? lança DiNozzo depuis sa cuisine. Café ? Bière ?

- Bière, » répondit laconiquement Gibbs en le rejoignant.

Il déposa son manteau sur le dossier d'une chaise et les pizzas sur la table, tout en notant le verre en morceau et le liquide ambré qui salissaient le parquet.

« Pas une grande perte, releva DiNozzo lorsqu'il remarqua l'objet de l'attention de son patron. Je ne sors pas les grands crus les soirées ordinaires. Mais puisque tu es là, ce n'est pas une soirée ordinaire. On sort donc les grands crus ! »

Et il entrechoqua deux bouteilles de bière avec un sourire insolent, avant de lui en tendre une.

« Et le poisson rouge ?

- Oh, le poisson rouge ne boit pas. Il parait que c'est mauvais pour son espérance de vie.

- Depuis quand as-tu un poisson rouge DiNozzo ? » soupira Gibbs.

S'il admirait la capacité de son agent à se sortir de n'importe quelle conversation d'une pirouette humoristique lorsque celle-ci était adressée à quelqu'un qui cherchait à le déstabiliser ou à asseoir son autorité sur lui, elle l'exaspérait quand il en était le destinataire.

« Longtemps. »

Il avait lâché ça simplement, sans plus sourire. Alors qu'il quittait la cuisine avec sa bouteille de bière et les deux cartons de pizza, Gibbs réalisa vraiment que ça faisait effectivement longtemps qu'il n'avait pas mis les pieds dans cet appartement. Et qu'il ne saurait pas pourquoi DiNozzo avait adopté un poisson rouge comme animal de compagnie alors que cela lui ressemblait si peu.

Les deux hommes se laissèrent tomber dans le canapé et se saisirent chacun d'une pizza.

« C'était après la peste, non ? »

L'ex-marine avait enfin retrouvé la dernière fois qu'il était venu rendre visite à son agent senior. Avant le Mexique. Avant Ari. Il aurait dû revenir plus tôt.

« Yep, après la peste. »

Il aurait vraiment dû revenir plus tôt. En rentrant du Mexique par exemple. C'aurait même dû être la première chose qu'il eût faite en revenant après sa retraite, venir voir DiNozzo. Pourquoi est-ce que ça ne lui était pas venu à l'esprit ? A la place de ça, il avait attendu qu'il manque de mourir dans l'explosion de sa voiture et que sa première histoire d'amour sérieuse depuis les ruptures de ses fiançailles avorte dans un fiasco.

« Je vais bien tu sais, lança finalement DiNozzo.

- Non, rétorqua doucement Gibbs.

- D'accord, je suis grillé. Je vais pas bien. Mais je vais aller bien. C'est pas la première fois qu'une de mes histoires de cœur finit mal. Ni la première fois que je blesse une de mes conquêtes. Et ce sera sans doute pas la dernière. Je vais m'en remettre. »

L'ancien marine examina encore une fois son agent. Et sut qu'il avait raison. Comme pour tout, il allait s'en remettre. Mais il aurait voulu l'y aider.

Toute cette affaire sur la grenouille lui laissait un goût amer. Il en aurait voulu à Jenny s'il n'était pas conscient d'avoir sa part de responsabilité. Elle s'était accaparée son agent, oui, et cela plus que tout lui hérissait les poils de la nuque, mais elle l'avait fait parce qu'il n'était plus là. Et si DiNozzo avait été loyal d'abord envers elle et seulement ensuite envers lui, il en était l'unique coupable il avait lui-même renoncé à être la personne à qui il était dévoué, il avait lui-même brisé la relation qu'ils avaient bâtie en cinq ans. Il n'avait pas le droit de lui en vouloir. Ni à lui, ni à Jenny.

Sa propre culpabilité le retenait de rendre visite à la directrice pour lui expliquer violemment sa façon de penser, comme elle l'avait retenu de faire un sermon à son agent lorsqu'il avait appris pour les missions sous couverture.

Il aurait dû revenir plus tôt. Il aurait pu lui parler. Ou plutôt l'écouter. Peut-être même lui aurait-il dit, ou du moins fait comprendre à mots couverts, le rôle qu'il jouait dans la vendetta de Jenny. Peut-être que cela aurait pu se terminer autrement.

Mais maintenant, il ne pouvait plus rien faire. A part savoir son agent en peine et le regarder se remettre seul.

« Tu ne mets pas un film ?

- Patron… Sérieusement ? »

L'ex-marine répondit au regard incrédule du cinéphile par un léger sourire.

« Gibbs qui accepte que je mette à jour sa culture ! Ce doit être la fin du monde. Et le film qu'il faut absolument que tu vois avant la fin du monde… »