Après que Susan fut revenue de ses voyages, elle ressentit un profond mal-être qu'elle ne pouvait s'expliquer. Elle finit par admettre la vérité qu'elle avait tenté de se cacher en voyageant, et en essayant de se distraire. C'était seulement lorsqu'elle était seule, tard dans la nuit ou tôt dans la matinée, que la sensation l'écrasait, le même genre de sentiment que celui qui l'assaillait quand ses frères et sa sœur parlaient de Narnia.

Après la mort de sa famille dans l'accident de train, un certain engourdissement l'envahit, la laissant dans le brouillard pendant des mois, presque un an. Elle n'arrivait pas à se souvenir comment elle avait pu survivre – quelqu'un devait avoir pris soin d'elle, s'être assuré qu'elle mangeait, qu'elle quittait son lit, s'habillait et sortait. Susan se souvenait être allée à une occasion au Zoo de Londres, et avoir regardé l'enclos des lions, contemplé les grands animaux derrière les barreaux. Elle se souvenait de larmes et de pleurs (des hurlements et des exclamations ? Venaient-ils d'elle ?), des gens qui la fixaient et qui se précipitaient pour l'aider, puis quelqu'un qui l'emmena enfin chez un docteur qui voulait parler de sa famille, de son enfance, et de toutes les choses que Susan ne voulait pas regarder de près.

Il suggéra une maison de repos jusqu'à ce qu'elle se sente mieux et Susan n'avait pas vraiment de raison de protester.

Elle s'y rendit mécaniquement, avec d'autres gens aimables, des infirmiers, des docteurs, et une personne, une fille qui rappelait un peu à Susan une dryade qu'elle avait connue, mais aussi Lucy, et qui lui suggéra de parler à une autre fille, Alice. « Je trouve que vous vous ressemblez toutes les deux », dit-elle avec un sourire mystérieux.

Susan ne suivit pas le conseil, elle dessina plutôt des images de lion, ses frères et sœurs en tant que rois et reines, une souris adoubée et elle-même en tant qu'archère aux côtés d'un beau prince sombre avec un sourire espiègle.

« Ils sont magnifiques », dit une voix inconnue par dessus son épaule, et Susan se retourna pour voir une jeune femme blonde, qui semblait faire briller les vêtements ordinaires de la maison de repos. « Qu'est-ce que c'est ? »

Elle n'avait pas dit le mot sans dérision depuis des années, mais cette fois, lorsque Susans dit « Narnia », cela semblait nostalgique.

« Ça me rappelle le Pays des Merveilles. » La blonde sourit à Susan, et se pencha vers son oreille pour chuchoter, « Mais le Pays des Merveilles est complètement fou. »

Plutôt que de s'éloigner, Susan hocha la tête et sourit. « Narnia était parfois dangereux, il y a avait des guerres. Nous avons du nous battre. Plutôt les garçons, » ajouta-t-elle. « Peter et Edmund n'aimaient pas que nous nous battions. »

« Mais c'est parfois nécessaire, n'est-ce pas ? » La blonde sourit et s'inclina devant Susan.

« Votre Majesté, je suis Alice Liddell, une des Reines Blanches du Pays des Merveilles. »

Susan se leva de sa chaise pour s'incliner comme elle l'avait appris à Narnia. Une reine rencontrant une reine. « Quel heureux hasard, Reine Alice, quel heureux hasard. »