Le monde était bien différent de ce qu'il imaginait il y a dix ans.
Plus jeune, on lui avait promis une vie de rêve, de l'argent facile s'il travaillait et qu'il mettait du cœur à l'ouvrage. On lui avait prédit de si belles choses mais la vie en avait voulu autrement. Ses plans de carrière dans la musique n'avaient pas abouti, pire, cela l'avait même dégoûté de l'industrie du divertissement. Réaliser que des chansons plates écrites par des robots rapportaient beaucoup plus que ses chansons à lui avait été difficile à accepter mais il s'y était fait, puis il avait abandonné, ses rêves brisées en mille morceaux. Son frère jumeau en compagnie de sa sœur avaient bien entendu tenté de lui redonner la motivation et la force de repartir de bons pieds, la musique était sa vie, lui avaient-ils répété, son essence même. Mais ces derniers avaient déchanté quand Yongguk leur avait énuméré le nombre d'humains qui réussissaient dans l'industrie du divertissement, comparé au nombre de robots. Tout finissait automatisé, même l'art, un des rares domaines purement humains avait été pris d'assaut par les robots.
Yongguk n'avait rien contre les robots. Ces machines avaient réussi à s'intégrer de plus en plus dans la vie des êtres humains et au contraire, elles leur étaient d'une grande aide pour beaucoup d'entre eux. Mais il ne pouvait s'empêcher de sentir une rage monter contre elles en réalisant qu'une machine pouvait être meilleure que lui en art, en musique, en composition qui plus est.
Mais depuis, Yongguk avait ravalé sa fierté piétinée ainsi que ses désillusions et avait alors tenté de dénicher du boulot pour payer le loyer et les factures qui s'entassaient dans un coin de son modeste appartement. Il avait des charges dont il devait s'occuper et rester au chômage n'allait pas l'aider. Heureusement, une usine avait alors bien voulu l'embaucher et n'avait pas été très regardante concernant son parcours scolaire et professionnel laborieux. Il était loin d'être payé une fortune mais cela réglait les éventuels problèmes financiers qu'il avait pu rencontrer suite à son échec dans le monde de la musique.
Une alarme résonna dans le bruit ambiant et répétitif de l'usine, tous les employés s'arrêtèrent de travailler et Yongguk releva la tête se demandant ce qui pouvait bien se passer pour que les managers réclament l'attention de tous les employés présents. Il retira ses gants et se dirigea vers la petite salle des employés avec hâte, il préférait profiter de cette pause inopinée pour se reposer les jambes et mieux valait se dépêcher et obtenir une place avant qu'elles ne soient toutes prises d'assaut par ses collègues.
Yongguk se déplaça aussi vite que possible et en profita pour récupérer discrètement son portable posé dans son casier, pas de messages de Junhong. Pas de nouvelle, bonne nouvelle, se dit-il, refourguant son portable dans la poche de son bleu de travail.
Il arriva dans la salle des employés à bout de souffle, ayant dû éviter les managers qui n'auraient pas manqué de l'engueuler copieusement pour avoir fait un détour par les casiers en plein meeting de dernière minute. Miraculeusement, il trouva un siège au fond de la salle et ne se gêna pas pour bousculer ses collègues qui râlèrent sur son passage.
« Désolé les gars, je ne fais que passer. » déclara-t-il, un sourire en coin et heureux de pouvoir enfin poser son postérieur sur une chaise, aussi misérable soit-elle. Une fois que tous les employés furent entrés dans la salle, l'équipe des managers vinrent se poster devant l'audience, les mines étaient fermées, presque crispées. Deux d'entre eux discutaient à voix basse, évitant le regard même de chaque employé. Même le manager préféré de Yongguk, Jung Daehyun, évitait soigneusement son regard.
« Ça ne sent pas bon pour nous. » pensa Yongguk, triturant sans le vouloir sa paire de gants fétiches.
L'un des managers se racla la gorge, obtenant le silence en un temps record et se présenta à l'assemblée.
« Bonjour à tous, nous avons de terribles nouvelles à vous annoncer aujourd'hui. Comme vous le savez, notre entreprise a traversé une période très difficile, les affaires ne sont plus ce qu'elles étaient autrefois et un changement dans la direction a entraîné d'autres modifications. »
« Quel genre de changement ? » demanda un homme à forte carrure devant Yongguk. Plusieurs personnes autour de lui se mirent à murmurer des théories plus folles les unes que les autres, théories qui firent sourire Yongguk.
Comme si des robots pouvaient prendre la direction de l'entreprise, se dit-il. Bien entendu, les robots avaient réussi à obtenir une énorme place dans leur société actuelle mais des lois avaient été établies afin de leur éviter de prendre le pas sur l'être humain, des lois strictes avec de lourdes peines pour quiconque enfreindrait ces dites lois. Les robots, malgré des droits et des devoirs, restaient sous le contrôle de l'être humain, de leur tuteur. Aucun ne dérogeait à la règle et si l'un d'eux venait à enfreindre cette règle simple, il était déconnecté, purement et simplement. Ainsi, il était difficilement envisageable qu'un groupe de robots ait assez de liberté de la part de leurs tuteurs pour racheter une entreprise et la gérer selon leur bon vouloir.
Cela paraissait fou pour Yongguk et il était clair que cela paraissait également fou pour Daehyun qui contenait son rire tant bien que mal.
« Un groupe d'investisseurs étrangers a investi beaucoup dans notre entreprise pour la rendre plus rentable. »
Un silence se fit dans la salle, le temps que l'information parvienne aux cerveaux de toutes les personnes présentes. Plusieurs, confus, échangèrent des regards, l'air perdu. D'autres néanmoins comprirent très rapidement ce que le manager sous entendait, catégorie dont faisait partie Yongguk qui se sentit vaciller après avoir reçu la confirmation d'un mouvement de tête de la part de Daehyun.
« Qu'est-ce que vous entendez dire par-là ? »
« On n'est pas assez rentable, voilà ce qu'ils veulent dire et une poignée de robots feront un bien meilleur boulot que nous tous combinés. » expliqua Yongguk, la gorge sèche et les mains moites.
Son monde venait une fois de plus de s'écrouler à cause de ces foutues robots. Après lui avoir volé son rêve, les voilà qu'ils lui volaient son avenir et sa stabilité. Comment allait-il bien pouvoir payer les frais de scolarité de Junhong ?
« Comment pouvez-vous nous faire cela ? » s'emporta alors un homme bourru, la cinquantaine passée. « J'ai des enfants à nourrir et mes parents dont je dois m'occuper ! »
« Après des années de loyaux services, c'est de cette manière que vous nous remerciez ! »
« Allons messieurs, calmez-vous. » tenta de tempérer Daehyun, maladroitement et de toute évidence mal à l'aise. Lui qui était adoré par la majorité des employés se sentait inconfortable à l'idée d'annoncer cette nouvelle, dans le mauvais camp.
Yongguk pouvait le voir, son ami et supérieur avait du mal à prendre la parole devant ses collègues. Et c'était parfaitement compréhensible, il venait d'obtenir cette promotion. Auparavant, il était l'un des leurs, partageant le dur labeur ainsi que la fatigue tous les jours à leurs côtés, il devait sa position à son travail acharné, ses bonnes relations avec la direction ainsi que sa bonne tête. Yongguk ne le blâmait pas, qui n'aurait pas saisi cette opportunité pour monter en grade et gagner un peu plus à la fin de chaque mois ? A présent, Daehyun devait probablement réaliser qu'à quelques mois près, il aurait été à leur place, à subir les lubies de la direction ou plutôt du changement de la direction.
Yongguk quant à lui ne se sentait même plus l'âme de se battre contre leur direction comme le prévoyaient déjà plusieurs de ses collègues syndiqués. A quoi bon ? C'était peine perdu, il avait déjà tenté de se battre contre les robots et cela s'était mal terminé pour lui. Il ne lui était resté que désillusions et déceptions.
« Tu es des nôtres Yongguk ? » lui avait demandé à la fin de la réunion ses collègues, en aparté.
« Laissez tomber les gars, vous ne pouvez rien contre les robots et encore moins contre la direction. » murmura Yongguk, las. Il reprit le boulot, la tête vide de tout, en mode automatique.
Pour une fois, Yongguk ne voulait pas quitter son lieu de travail car cela signifiait qu'il allait devoir annoncer la mauvaise nouvelle à Junhong une fois rentré. Ce dernier ne manquerait pas de paniquer s'il apprenait que son père n'allait pas tarder à être licencié prochainement.
« Il faut que je prévienne Himchan, lui saura comment le lui annoncer sans provoquer une crise de panique. »
OoO
« Bang ? Tu voulais me voir ? » demanda Himchan, en entrant dans le vif du sujet, déposant son sac par terre et en se laissant tomber en face de Yongguk.
C'était un trait que Yongguk adorait chez son meilleur ami de toujours, il ne tournait jamais autour du pot, préférant parler des sujets importants, quitte à mettre parfois les pieds dans le plat. Yongguk, un milkshake à la main, se racla la gorge, nerveusement.
« Attends, tu permets que j'aille me chercher mon Americano d'abord ? » demanda-t-il. « J'ai besoin de ma dose de caféine avant, je sens qu'on en aura pour longtemps. »
« Bien sûr. » répondit Yongguk, un léger sourire en coin.
Son meilleur ami était une vraie pile électrique et un accro à la caféine. Non, pas à la caféine, plutôt à l'Americano. Il avait besoin de ses multiples doses quotidiennes ou il finissait par péter un câble et devenir mauvais. Himchan n'avait pas sa langue dans sa poche d'ordinaire mais il pouvait devenir insupportable une fois en manque de caféine. Mais cela s'expliquait par la vie survoltée que menait son meilleur ami, ce dernier travaillait dans la mode et il avait très peu de temps libre à sa disposition. Il passait ses journées à planifier des défilés et des collections et même ses nuits à dessiner des tenues. Himchan était passionné par son boulot mais il parvenait toujours à trouver du temps pour Yongguk ou pour Junhong quand ce dernier se sentait trop seul mais que son père était trop occupé par son boulot pour s'occuper de lui.
« Ce qui ne risquait plus d'arriver de toute manière. » pensa Yongguk, démoralisé par les événements.
Quelques minutes suffirent à Himchan pour récupérer son bien-aimé Americano et retrouver sa place en face de Yongguk, la mine inquiète.
« Désolé pour le retard, j'ai fait aussi vite que possible mais on m'a retenu au boulot parce que on requérait mon avis sur un modèle qui faisait des siennes, encore une fois. »
« Robot ou humain ? Attends, laisse-moi deviner, humain. Les robots ne sont pas aussi difficiles. »
« Loupé, cette fois-ci c'était un robot et son tuteur qui ne voulaient pas comprendre que la fourrure est so has been. » s'offusqua Himchan, en buvant une gorgée de son café. « Mais passons mes péripéties au boulot, nous sommes ici pour toi, qu'est-ce qui se passe ? Ton message me laisse présager le pire Bang. »
Yongguk but une gorgée dans son milkshake à la banane, évitant le regard de son meilleur ami. Comment lui dire que son entreprise avait de nouveaux plans et qu'il n'en faisait pas parti ?
« C'est si grave que ça ? » interrogea le styliste, posant son Americano.
« Je vais être licencié Himchan. »
Son meilleur ami marqua une pause.
« Attends, quoi ? »
Dans d'autres circonstances, Yongguk se serait moqué d'avoir finalement réussi à avoir rendu son meilleur ami sans voix. Néanmoins, ce dernier se ressaisit très vite et avala le reste de son café brulant en une gorgée.
« Tu viens de te brûler la gorge n'est-ce pas ? » murmura Yongguk, en fixant Himchan avec de gros yeux globuleux.
« Pour information, oui mais là n'est pas la question. Comment ça ils vont te licencier ? Qui est l'imbécile qui a pris cette décision que j'aille lui dire deux mots ? Et ne me dis pas que Daehyun est impliqué dedans sinon il va avoir à faire à moi. »
« S'il te plaît, calme-toi, tu fais peur à tous les clients. » murmura Yongguk, en regardant autour de lui, l'air gêné. Ce n'était pas la première fois que l'attitude un peu trop démonstrative embarrassait Yongguk mais cette fois-ci il aurait aimé que Himchan garde son calme, il n'avait pas encore parlé de ce qui le dérangeait.
« Au diable les autres, c'est un cas de force majeure Yongguk, comment peuvent-ils oser te virer, après toutes ces années de bons et loyaux services. Quelle est la raison ? »
Yongguk inspira et ferma les yeux, il savait que son meilleur ami n'allait pas bien prendre la nouvelle.
« La majorité des employés vont être remplacés par des robots. »
« Pardon ? C'est une blague ! » s'emporta alors Himchan, le ton sec et tapant du poing sur leur table.
« Channie, je t'en supplie, calme-toi ! »
« Mais hyung, comment peux-tu rester aussi calme face à cette situation ? Ce n'est pas la première fois et- »
« Justement, ce n'est pas la première fois et ce ne sera sûrement pas la dernière donc par pitié, assieds-toi et parle moins fort. »
Himchan se calma et se rassit, remarquant au passage que, dans sa colère, il s'était levé et avait manqué de faire basculer leur table.
« Pardon Bang, tu me connais. »
« Malheureusement, je te connais un peu trop bien. »
Himchan eut la décence de paraître gêné puis reprit son calme, piquant le milkshake de Yongguk.
« Mais comment fais-tu pour boire cette horreur ? C'est immonde ! »
Yongguk le fusilla gentiment du regard, Himchan reposa alors le milkshake de Yongguk sur la table.
« Désolé, il fallait que je trouve un moyen de me calmer et tes goûts étranges m'y ont aidé. Tu sais comment tu vas l'annoncer à Junhong ? »
Yongguk détourna le regard : « Justement, je comptais sur toi pour lui en parler, me connaissant, il va mal comprendre les choses, paniquer et entraîner une crise ce qui pourrait le déconnecter. »
« Bang, tu sais que Junhong est assez fort pour supporter cette nouvelle. »
« Je sais, j'ai juste tellement peur pour lui. A tous les coups, il va se sentir coupable et il serait bien capable de tenter de trouver un petit boulot pour subvenir à ses besoins alors que je lui ai interdit. »
Himchan se racla la gorge et Yongguk sut aussitôt quel sujet allait revenir sur le tapis, ce n'était pas la première fois qu'ils en parlaient et son meilleur ami était toujours extrêmement délicat quand il tentait de lui faire entendre raison.
« C'est non Himchan, il en est hors de question. »
« Bang... »
« J'ai dit non. »
« Bang, écoute-moi pour une fois. Si tu continues de mentir à Junhong, viendra le jour où il l'apprendra et il ne pourra juste plus te faire confiance hyung. Si tu lui dis la vérité dès maintenant, il comprendra pourquoi tu as fait autant de sacrifice. »
« C'est non, il est beaucoup trop jeune et il ne comprendrait pas. »
« Raison de plus pour lui dire maintenant, il a 16 ans, il est en âge de comprendre. »
« A ton avis, que se passera-t-il lorsque tu lui avoueras la vérité compte tenu de tout ce qui a été dit sur le sujet pendant des années ? Il connaît ta position, il connaît la mienne et l'apprendre de cette manière va le désorienter et le blesser plus que tu ne le penses. Les robots ne sont pas des machines sans émotions comme tu sembles le penser. » expliqua son meilleur ami, le ton posé.
« Je suis au courant de tout ça mais tu sais aussi que la situation est compliquée. »
« Fais-moi confiance pour une fois Bang. »
« J'y réfléchirai. » termina Yongguk, en jouant avec la paille de son milkshake. « Merci Himchan. »
« Pas de quoi. »
OoO
Yongguk poussa la porte de son appartement, les mains tremblantes. Himchan l'avait raccompagné chez lui et l'avait motivé à discuter avec Junhong mais à présent qu'il était chez lui et qu'il percevait les sons de la télévision, son courage s'amenuisait.
« P'pa ? Tu es rentré ! » s'exclama l'adolescent, du haut de son mètre quatre-vingt-cinq. Ce dernier vint l'accueillir et lui donna une bonne vieille accolade.
« Tout s'est bien passé au boulot ? C'est inhabituel de te voir rentrer aussi tôt. » déclara Junhong, confus.
Yongguk sentit sa gorge s'assécher, comment lui dire ? Comment pouvait-il lui gâcher une aussi belle journée ? Il devait rentrer des cours et devait probablement plancher sur ses exercices tout en regardant la télévision du coin de l'œil. Junhong avait des tâches d'encre sur sa joue et ses doigts qu'il n'arrêtait pas de passer dans ses cheveux – artificiels – châtains.
« Oui, le travail a été fait rapidement aujourd'hui, on m'a autorisé à rentrer plus tôt. » mentit Yongguk, dissimulant sa culpabilité derrière un sourire. Mais sa culpabilité fondit comme une glace au soleil lorsque son fils adoptif lui offrit son grand sourire ravi.
« Cool, je comptais te préparer à dîner mais comme tu es là, on va pouvoir cuisiner ensemble, comme avant. » s'exclama Junhong, en se dirigeant vers leur petite cuisine.
Yongguk ne sentit vraiment pas d'humeur à lui raconter la vérité sur sa présence avec lui.
Et encore moins de lui expliquer qu'il n'était pas un être humain comme lui ou Himchan mais une machine faite d'engrenages et de bouts de métal assemblés.
Bonne année à tous ! J'espère que cette (petite ?) fanfiction vous plaira !
A la prochaine !
