Je ne me souviens pas de mon enfance. Enfin, pas de faits précis, juste de sentiments, de flashs comme on les appelle. Je revoie des larmes, de la violence, des flammes. Et du sang. Surtout du sang. Je me rappelle avoir senti autour de moi de la peur, de la panique et beaucoup de tristesse aussi. Je crois que des gens criaient aussi. De désespoir ou de rage, je ne sais plus. Des deux peut-être.
Ma mémoire s'est mise en marche le jour où j'ai ouvert les yeux dans un laboratoire. J'étais dévêtue et ma tête était douloureuse, mes membres raides. L'air froid m'enveloppa. Un homme me regardait, ses grands yeux en amandes de couleur ambre et aux pupilles fendues à la manière des serpents, d'un regard victorieux et empli de satisfaction. Je sentais surtout dans les flammes sombres de ses prunelles une soif immense, insatiable, de quelque chose que je ne savais reconnaître. Aujourd'hui, je peux le désigner par le terme « pouvoir ». Il ouvrit ses lèvres obscures qui étaient étirées en un sourire et dit : « Voici mon œuvre. »
Un autre homme était présent. Avec ses cheveux blonds ramenés en queue-de-cheval et ses lunettes, bien qu'il soit tout de noir vêtu, il ne ressemblait en rien à celui qui m'avait définie comme étant « son œuvre ». Celui-ci semblait plus terre-à-terre avec les choses. Au lieu de s'extasier et de me dévorer des yeux, voyant que je grelottais presque, il m'enveloppa dans une couverture rugueuse. Je sentis en lui un mélange complexe de sentiments et de pensées entrelacés je n'avais pas pu déchiffrer. Bien que son cœur fût calme, je pouvais presque entendre ses neurones s'agiter dans tous les sens. Il se prénommait Kabuto.
A présent, j'étais fatiguée d'avoir la tête si lourde. On m'emmena dans une chambre, ou plutôt une cellule et je m'endormis aussitôt comme une souche. A mon réveil je trouvais un bol de riz encore tiède et quelques lamelles de viande séchée que je dévorais goulûment. Plus tard dans la journée, cela devait se situer dans l'après-midi, Kabuto m'a rendu visite. Il me raconta que l'armée d'Orochimaru, l'homme aux grands yeux dorés, avait détruit mon village, ma famille. J'y avais perdu des parents et un frère dont je n'ai aucun souvenir. Il me demanda si je voulais récupérer leurs affaires. Je répondis que non. Comme je voulais savoir la raison pour laquelle on m'a épargnée, il parut un peu gêné. Il hésita avant de me confier : « Eh bien… Pour tout te dire, nous avons effectué quelques modifications sur ton corps… Mais Orochimaru-sama t'expliquera bientôt tout ça. »
Effectivement, mon corps n'était plus celui d'une fille de quatorze ans ayant vécu tranquillement dans un village paisible entourée de sa famille. Je ne dis pas qu'il était devenu verdâtre ou rouge brique ou que j'avais trois jambes, non, rien de tout cela. Les effets se manifestaient à un tout autre niveau. En effet, je suis capable de ressentir les émotions d'autrui et de les changer à ma guise. Mais pour que je sois arrivée à ce niveau, il m'a fallut de dures années d'entraînement. Je n'étais pas douée pour me battre. Même après ce labeur épuisant dans lequel je m'investissais, mes techniques de combats, que ce soit à distance ou au corps à corps, ne restent suffisantes que pour me défendre. Cependant, ce qui me différenciait des autres et me rendrait plus qu'utile sur le champ de bataille, c'était ma capacité à manipuler l'état mental de tout être vivant.
Lorsque je fus arrivée à ce niveau où je contrôlais parfaitement mes aptitudes pour le moins spéciales, Oro-san décida qu'il était temps de me donner un nom. Jusque là, on me désignait sous le nom de « ym530 ». Il me nomma « Yuki » ce qui signifie « neige ». Il me dit que c'était à cause de la blancheur nacrée de ma peau et de mon regard glacial.
Ce soir-là, je me regardais pour la première fois attentivement dans un miroir. Mes cheveux, courts, s'arrêtaient à des hauteurs différentes au-dessus de mes épaules, c'est plus pratique lors d'un combat. Ils étaient bleus mais si clairs que l'on aurait pu les croire argentés. Des mèches inégales ombrageaient à peine mon front sans pour autant gêner ma vue. Il est vrai que ma peau est très claire mais je ne voyais pas ce que voulait dire Oro-san par nacrée. La nacre ne se trouve-t-elle pas dans les coquillages ? Je continuais mon observation. Le lobe de mes oreilles était percé trois fois et l'on pouvait y apercevoir les gouttes solides qu'étaient mes boucles d'oreilles en saphir d'un bleu profond. Je portais mes habits de tous les jours : un haut en résille à manches courtes, col haut et qui se termine juste en dessous de ma poitrine. Par-dessus un gilet à fermeture éclair fait de tissu léger mais résistant dont les manches étaient plus courtes que celles en résille, assez décolleté en V pour que l'on puisse apercevoir la naissance de mon corsage. Un minishort et des bas qui couvraient mes genoux complétaient ma tenue de combat, noire de la tête aux pieds, évidemment. Je terminais mon examen minutieux par mes yeux. Ils sont grands, aux cils noirs, pas longs mais pas courts non plus. Je n'ai pas de pupille. Comme ce clan de Konoha, les Hyûgas, d'après les dossiers sur les ninjas connus où l'on classe toutes les informations telles que leurs techniques de combat, etc... Sauf que eux ont les yeux blancs, et moi les yeux bleus. Mes yeux se reflétaient, lointains, vagues dans le miroir. Je m'aperçus soudain que c'étaient parce qu'ils étaient inexpressifs. Impossible. Je m'efforçais de sourire. Si les coins de ma bouche remontèrent, l'expression n'atteignit pas mes iris. Comment, moi, qui contrôle les sentiments, comment puis-je ne pas en avoir ? Je cherchais au plus profond de moi, dans ce que les autres nomment le cœur. Je ne trouvais rien. Vide. A cette découverte, mon cœur ne battit pas plus vite, mes pensées ne s'affolèrent pas. En fin de compte, depuis le début, j'avais été une coquille abandonnée par mon âme, le jour de la destruction de mon entourage.
Cette absence me parut encore plus évidente le jour où je croisais l'autre protégé d'Oro-san. Sasuke Uchiwa, dont le clan fut massacré par Itachi, son frère aîné. Son visage, impassible, ne m'empêcha pas de ressentir chez lui une forte détermination, une rage de vaincre. Puis une vision m'effleura l'esprit. Un regret. On y sentait la chaleur d'un soleil, d'un sourire. Une touffe blonde et une autre, entourée d'un sentiment plus doux, de la couleur des fleurs de cerisier. Sasuke éprouvait pour l'un, de la fraternité, ce qu'il ignorait. Pour l'autre, il éprouvait…une émotion que je n'avais encore jamais ressentie chez quelqu'un…
Sasuke, qui allait être dépossédé de son corps, avait beaucoup plus à perdre que moi.
