Titre : A Total eclipse of the heart
Auteur : Katoru
Rating : M
Disclaimers : Glee ne m'appartient pas, je ne fais qu'en emprunter les personnages pour jouer un peu avec. Promis, je les rendrai en bon état.
A total eclipse of the heart
Kurt n'aimait pas la sensation de s'éveiller, ce lent retour à la conscience qui chasse les rêves sans que la réalité s'impose aussitôt, ce moment de flottement au cours duquel l'esprit encore embrumé essaie de se souvenir. Il aimait dormir et être éveillé, encore que certains jours il n'était pas trop sûr pour la seconde option, mais la transition entre les deux états lui était très désagréable. Ce matin là ne fit pas exception, d'autant moins que dès les premières secondes son instinct lui avait soufflé que quelque chose n'était pas comme d'habitude. Il y avait un poids sur son torse, une masse chaude collée à son flanc. Une masse qui aurait pu être Pickwick, son chat, si l'animal n'avait pas une sainte horreur de dormir ailleurs que dans son panier. Son chat était un snob. Il ouvrit les yeux. Le temps de faire la mise au point, de s'habituer à la faible luminosité passant par les interstices des volets et il eut la confirmation de ce qu'il savait déjà : il y avait un autre homme dans le lit. Et le lit n'était pas le sien. Merde, il avait été si déprimé que ça la veille au soir ? À quand remontait la dernière fois qu'il avait suivi un inconnu chez lui pour s'envoyer en l'air sans voir plus loin que le bout de sa queue ? Il ne se souvenait pas de grand chose, sauf que le gars qui dormait à côté de lui – c'était quoi son nom déjà ? – était plutôt doué. Et vraiment séduisant avec sa gueule mal rasée de latino, ses abdominaux sculptés et sa fossette sur la fesse droite. Une bonne pioche mais pas au point que Kurt ait envie de s'attarder. Il était revenu depuis longtemps de ses rêves d'adolescence sur l'amour éternel, il s'était libéré – peut-être même un peu trop – mais n'était toujours pas à l'aise avec ses aventures d'une nuit et il préférait la fuite aux scènes embarrassées du réveil. Il avait déjà testé les silences gênés et les yeux qui se fuient, le petit-déjeuner avalé à la hâte et la douche passée à la trappe pour partir plus vite. Ce n'était pas pour lui. Ça ne l'empêchait pas d'avoir des aventures sans lendemain, ce qui aurait été le plus simple et le plus frustrant, mais ce n'était pas fait pour lui. Il repoussa la couverture et se leva le plus silencieusement possible. Son amant d'une nuit grogna, gigota un peu sous les couvertures.
Kurt prit le temps de jeter les préservatifs et les mouchoirs usagés avant de ramasser ses vêtements et de se faufiler dans la salle de bain. Le miroir lui renvoya aussitôt une image qu'il aurait aimé gommer. Sa nuit était inscrite sur sa figure, ainsi que chaque verre d'alcool qu'il avait pu boire dans la soirée. On commençait à peine à ne plus lui demander systématiquement sa carte d'identité quand il commandait de l'alcool dans un bar mais à cet instant sa majorité ne faisait aucun doute. Il avait les traits tirés et des cernes sous les yeux, une ombre de barbe sur les joues, les cheveux en bataille et des suçons peu discrets sur les épaules et dans le cou. La fatigue le vieillissait. La gueule de bois aussi. Il remercia le ciel qu'on soit dimanche, il n'aurait pas trop de la journée pour se remettre de ses dernières frasques.
Il posa ses affaires dans un coin et se jeta sous le jet brûlant de la douche. Il resta juste assez longtemps dans la cabine transparente pour se débarrasser de l'odeur qui collait à sa peau et calmer le battement douloureux dans ses tempes. La vraie toilette serait pour plus tard, chez lui. Il se sécha à toute vitesse et enfila son vieux jean à la même allure. Il fourra son slip dans une poche de sa veste et quitta l'appartement encore à moitié nu, ses chaussures à la main et les chaussettes roulées en boule à l'intérieur. Son amant d'une nuit n'avait pas bougé.
Ce n'est qu'une fois dans l'ascenseur que Kurt finit de s'habiller, en prenant soin de tourner le dos au miroir accroché dans le fond. Il ne se sentait pas d'humeur à voir sa tête plus que nécessaire. Ses clés de voiture tombèrent sur le sol quand il défroissa sa veste, et avec elles le porte-clés en métal que Mercedes lui avait offert la première fois qu'ils étaient venus à New-York. C'était en 2011. Il avait alors dix-sept ans et ne rêvait que de Broadway, de mode et de pluies de paillettes tombant sur son extraordinaire destin. Il était jeune. Et il était con. La vie s'était chargée de le lui faire comprendre. Oh, il n'était pas à plaindre du tout : il avait un bon job et un bel appartement, et un chat, mais il ne menait pas la vie qu'il aurait voulu avoir. C'était d'une banalité affligeante.
Les portes de l'ascenseur se rouvrirent en silence. Il traversa le hall au trot et ne ralentit qu'une fois dans la rue. Les réverbères éclairaient la rue à intervalles réguliers. La bonne nouvelle était qu'il savait où il se trouvait, à Flushing, Queens, pas très loin du Shea Stadium la mauvaise était que sa voiture était garée suffisamment loin pour qu'il doive la rejoindre en métro. Il ferma son blouson en grognant et reprit son chemin vers une bouche de métro qui ne devait pas être trop loin. Avec un peu de chance. Il ne connaissait pas bien le réseau dans cette partie de la ville, il se débrouillait mieux à Manhattan et dans son quartier.
Il était encore très tôt, New York commençait à peine à se réveiller – en dehors de cette partie de la ville qui ne dormait jamais. Les lumières commençaient à s'allumer derrière les fenêtres des immeubles et de la musique se faisait entendre de temps à autre par une fenêtre ouverte. Kurt avait vraiment envie de rentrer chez lui mais il avait beaucoup trop bu la veille et n'était pas au mieux de sa forme. Il fit un premier arrêt dans une pharmacie pour acheter des antalgiques et un second dans un café pour avaler deux cachets avec une grosse part de tarte aux fraises. La serveuse lui apporta sa commande avec un sourire compatissant et un verre d'eau qu'il n'avait pas demandé mais accepta plus que volontiers. Elle s'éloigna vers une autre table en lui lançant un clin d'œil et il haussa un sourcil surpris en constatant qu'elle avait griffonné son numéro de téléphone sur une serviette en papier. Elle n'allait pas tarder à lui en vouloir mais il s'en fichait pas mal.
Seul à sa table, il fit de son mieux pour ne pas laisser ses pensées dériver vers ce dont il ne voulait pas se rappeler mais ce fut peine perdue. Les souvenirs affluèrent, plus douloureux que son mal de tête. Le mal qu'il s'était fait à lui-même la veille, qu'il se faisait régulièrement sans trop savoir pourquoi. Puis d'autres, plus lointains. Les années de fac, la première passée à faire n'importe quoi et les suivantes à tenter de réparer les dégâts. Le jour où il avait quitté Lima en se jurant de ne plus y revenir que pour les fêtes de famille. Il parvint à arrêter le flot avant de revoir ses années de lycée mais ne put s'empêcher de ricaner amèrement en pensant à ce qu'avait été le destin de chacun des glee clubbers de son temps. Les paillettes étaient loin. Peut-être pas pour tous mais pour une bonne part d'entre eux. Le jeune homme avala sa part de tarte sans appétit et quitta le café dès que son mal de tête commença à se dissiper. Il laissa derrière lui la serviette en papier et un billet de vingt dollars.
Il dut marcher encore un moment avant de voir une bouche de métro. Il s'engouffra dedans et sauta dans la rame alors que les portes se refermaient. Il n'y avait que quelques personnes mal réveillées dans le wagon. Ce n'est qu'une fois assis que Kurt s'aperçut qu'il n'avait même pas vérifié son chemin. Il avait agit par réflexe : il avait entendu un train arriver et avait suivi le bruit avant de presser l'allure et de se faufiler in extremis dans un wagon. Ce qu'il pouvait être con ! Il n'avait pas son plan sur lui et ceux qui étaient affichés à côté des portes coulissantes avaient tous été retouchés à coups de marqueurs. Dépité, il se résolut à demander son chemin à un étudiant qui somnolait deux sièges plus loin malgré un iPod lancé à plein volume – jeune inconnu qui eut la bonté de ne pas rire en répondant à ses questions. Il devait le prendre pour un touriste. Ce n'était pas plus mal. Kurt prit un peu de temps pour le regarder et ce n'était pas désagréable. Il y aurait eu du travail à faire sur les vêtements et la coiffure, et un traitement contre l'acné n'aurait pas été du luxe, mais le matériel brut avait déjà son petit charme. Et il aimait apparemment la musique. Ses écouteurs crachaient à toute berzingue un air de pop que Kurt ne mit que quelques secondes à reconnaître. Il l'avait entendu pas plus tard que la veille. En live. Il pâlit et remercia rapidement son sauveur, pressé de s'éloigner. De toute façon, il devait descendre à l'arrêt suivant et reprendre la ligne dans l'autre sens.
Quelques minutes plus tard, il se retrouva sur un quai désert avec la furieuse envie de pleurer des heures sur fond de musique triste. La sensation précise qui l'avait amené, la veille, à boire et à coucher avec le premier venu. Il avait eu du temps pour tourner la page, dans une certaine mesure on pouvait dire qu'il l'avait fait, mais c'était plus fort que lui il fallait qu'il le voie – même perdu au fin fond d'une salle de concert bondée.
Kurt était à deux doigts de s'effondrer sur un banc quand son téléphone vibra, le sortant à point nommé de sa déprime galopante. Un texto de Mercedes. Son Dieu la bénissse !
Quoi que…
From : Mercedes
To : Kurt
Hey White Boy, sache que je compte débarquer chez toi avec de la bouffe chinoise vers midi. T'as intérêt à être là !
Et merde. Elle lui avait fait promettre de ne plus se torturer et il était à peu près sûr qu'elle savait qu'il avait remis le couvert. Elle avait un sixième sens pour ces choses-là. Il allait se faire engueuler, c'était aussi certain qu'il y aurait des embouteillages le lendemain. Il n'avait plus qu'à rentrer chez lui et se faire beau en espérant qu'elle ne flairerait pas l'arnaque – il n'y avait aucune chance, c'était Mercedes, son amie depuis dix ans, mais il paraît que l'espoir fait vivre. Il se dirigea dans les couloirs gris du métro new-yorkais en traînant la patte et monta dans la bonne rame, direction sa voiture.
Kurt se gara devant son immeuble en soupirant de soulagement. Il avait quelques heures devant lui avant l'arrivée de Mercedes, soit assez de temps pour finir sa nuit et se rendre à peu près présentable. C'était dimanche, il pouvait se permettre d'être négligé. Il récupéra ses clés dans la boîte à gants et sortit de sa voiture sans se presser. Quand il était gamin, il ne voyait de brownstones que dans les séries télévisées. Il visionnait en boucle des scènes de soirées entre copains passées sur les marches de ces bâtiments, des packs de bière et paquets de chips étalés jusque sur le trottoir. Les escaliers menant au rez-de-chaussée surélevé par rapport au niveau de la rue, les façades en pierre bien alignées de chaque côté de la rue, les platanes au bord des trottoirs. Il avait su qu'il était gay en même temps qu'il avait su qu'un jour il vivrait dans un de ces immeubles. Et Kurt Hummel n'était pas homme à s'asseoir sur ses rêves. Pas sur tous. Il venait à peine de débarquer sur le marché du travail quand il avait trouvé son appartement. Il n'avait pas de salaire mais, grâce à son père et à sa belle-mère, il avait des garanties assez convaincantes pour que le propriétaire le laisse emménager. Qu'il ait dû lui faire du rentre-dedans au marteau-piqueur pour appuyer ses arguments, et faire baisser le loyer tant qu'à faire, n'était qu'un détail sans importance. Il avait signé le bail avec un grand sourire niais. Il avait ensuite dû se serrer la ceinture pendant des mois pour rester où il était, faire des petits boulots en pagaille, mais il s'était accroché à ses murs en espérant pouvoir bientôt les meubler avec autre chose que du matériel de camping récupéré à l'armée du salut. Et il avait fini par trouver un poste de maquettiste pour un magazine culturel. Il aurait préféré travailler pour un magazine de mode – au hasard, pour Vogue – mais il n'allait pas se plaindre. Il avait un bon travail, des collègues avec qui il était agréable de travailler et un grand bureau pour lui tout seul. Et renouveler complètement la maquette du magazine pour la rendre plus moderne lui avait valu une jolie augmentation. Non, il n'était pas à plaindre. Il aurait même pu arrêter de travailler comme barman trois soirs par semaine mais il aimait bien ce boulot-là aussi, ainsi que le complément de salaire qu'il représentait. Un complément qui lui avait permis de se débarrasser de ses meubles de fortunes et qui lui permettrait de s'acheter des vêtements de jeunes créateurs ou de partir en vacances tous les étés.
Il ouvrit la porte de son appartement avec un profond soupir de soulagement. Kurt se sentait tellement fatigué qu'il envisagea un temps de s'écrouler sur son canapé et de ne plus bouger avant quelques heures mais il n'était plus si sûr que dormir soit une bonne idée. Mercedes devait passer et il ne tenait pas à se faire enguirlander une nouvelle fois, sauf qu'il lui faudrait du temps pour essayer de masquer les effets de sa dernière bêtise en date. D'un autre côté, la connaissant, elle savait déjà. Est-ce que ça valait la peine de se donner autant de mal, sachant qu'il n'échapperait pas à un sermon dans les règles ? Il hésitait encore quand il vit Pickwick en train de roupiller comme un bienheureux dans son panier.
« T'as bien raison », marmonna Kurt.
Il se débarrassa de ses vêtements sur le chemin de sa chambre et se laissa tomber comme une masse sur son matelas. Sur sa table de chevet, une photo le narguait. Une photo qu'il n'avait pas le courage d'enlever de là.
Un portrait.
De Blaine.
À suivre…
