Disclaimer : Aucun des personnages présentés ici n'est de ma production, ils appartiennent à la merveilleuse JKR qui continue de nous faire tant rêver.

Tita Dong Dong Song*

Le 16 août 1981

Tes yeux sont gigantesques.

Gris, comme ceux de ton père. J'ai ardemment espéré qu'ils soient bleus. Tu regardes l'univers qui s'étend devant toi avec tant de curiosité, tant d'innocence ! Tu es incapable de résister à l'envie de poursuivre tout ce qui te passe sous les yeux. Hier c'était une hirondelle, aujourd'hui, c'est une fourmi, demain un nuage.

Du haut de ton unique année, tu as déjà un regard si expressif ! Lorsque la colère obscurcit tes yeux, je sais que c'est le début des prémices d'un gigantesque caprice. Tu n'arrêtes jamais avant d'avoir ce que tu veux, et je ne sais si je dois désespérer ou m'en réjouir. Petit obstiné.

Je suis fascinée par tes prunelles si pâles, surtout lorsque tu m'observes d'un air interrogatif, comme si tu attendais quelque chose de moi en toute circonstance. Dans ces moments-là, ton visage rond et encore poupin me semble obsolète, comme si, tu étais déjà beaucoup plus âgé, parce que tu poses sur moi un œil inquisiteur et intransigeant. Je frissonne souvent sous le poids de ce regard.

Aujourd'hui, nous sommes dans le jardin, sous l'ombre du plus grand saule du manoir. Je fais semblant de lire un livre, mais en réalité, je surveille le moindre de tes faits et gestes. Tu as déjà sali ta chemise, et tu es très occupé à coller ton oreille contre l'herbe pour essayer d'entendre les dragons souterrains, héros de l'histoire que je t'ai lue hier soir avant que tu t'endormes. Au bout d'un moment, agacé d'attendre sans que rien ne se passe, tu te relèves, ton visage d'enfant est tordu par une moue boudeuse. Tu me lances un regard accusateur, comme si tout était de ma faute, et tu te diriges vers les paons en me tournant le dos. Tu sais pourtant que ton père t'a interdit d'aller ennuyer ses animaux, mais tu es attiré par l'interdit comme un phalène vers une bougie.

J'ai beau t'appeler plusieurs fois pour que tu reviennes jouer vers moi, tu n'en a cure, et fais semblant de ne pas m'entendre. Déjà indépendant et victime de ton mauvais caractère. Une partie de moi est fière. Te voilà à quelques mètres des paons à présent. Merlin, que je déteste ces bêtes ! Leur regard rouge est mort, et leur pâleur spectrale est effrayante. Mais rien ne t'arrête, tu t'approches inexorablement.

Je me lève pour aller te chercher, quand soudain, mon cœur manque un battement, tu es trop près, et le paon te regarde d'un air mauvais. Il te fait face et fait la roue, déployant ses immenses plumes. Tu sursautes de frayeur et recule en trébuchant. Lorsque tu tombes au sol, je sais que tu t'es fait mal, parce que j'ai mal, moi aussi.

Tes cris emplissent bientôt le parc, vrillant mes tympans, et je me précipite vers toi. Des larmes de peur inondent tes joues rosies par l'émotion, et tu tends vers moi un doigt ensanglanté. Je ressens presque la douleur rien qu'en regardant ta blessure. Je t'explique que tu n'as rien, que ce n'est qu'une écorchure et que nous allons la soigner. Je prends ta petite main qui n'est pas blessée dans la mienne et je t'emmène fermement vers la maison. Je serre un peu plus fort ta paume minuscule et chaude dans la mienne, toujours froide. Je sais que tu veux que je te porte, mais tu dois apprendre dès maintenant qu'un Sang Pur ne se met pas à la merci des autres et ne demande pas leur pitié.

Une fois à la maison, je te fais asseoir sur la table de la cuisine et je sors ma baguette pour réparer la plaie. Tu me regardes faire avec attention et tes yeux s'agrandissent. Puis, pour te récompenser d'avoir été courageux, je vais chercher tes friandises préférées, et je t'observe engloutir les Chocogrenouilles avec satisfaction. Tu fermes les yeux pour mieux sentir le goût, pour qu'il t'envahisse. Je me souviens de cette sensation magique des premiers chocolats qui fondent sous la langue. Tu prends un temps considérable pour apprécier ton expérience gustative.

Lorsque tu as fini de te barbouiller de chocolat, tu me regardes, me souris et te précipite vers le jardin sans demander ton reste. Je te suis du regard, ne cherchant pas à t'arrêter. Tu cours en riant vers mes lys blancs, et tu t'arrêtes soudainement devant eux. J'ai eu peur que tu les piétines, mais je crois que tu sais que je les aime. J'ai envie de croire que tu les préserves pour moi. Tu me jettes un regard malicieux, puis tu plonges ton nez dans une des fleurs. Ton visage est presque entièrement englouti par les pétales opalescents. Lorsque tu t'éloignes un peu des lys, je vois que le bout de ton nez est plein de pollen, et tu éternues, sans comprendre. Tu m'observe à nouveau du coin de l'œil, puis sauvagement, sans prévenir, tu saisis un de mes lys par la tige et tire de toutes tes petites forces. Je te vois peiner, et finalement, tu parviens à arracher la fleur et ses racines. Tu souris devant le travail accompli. Et tu reviens vers moi, triomphant et gauche, manquant de marcher sur la tige de ma plante morte. Lorsque tu es à ma hauteur, je m'accroupis, pour ne pas te regarder d'en haut. Tu sens à nouveau le parfum de la fleur déjà à moitié fanée par tes efforts, ton nez est à nouveau englouti par les pétales. Tes yeux sont fermés. Puis, posant à nouveau ton regard gris sur le monde, tu me tends la fleur d'un air mi-figue mi-raisin.

Cela fait trois jours que tu sais marcher et que tu découvres le monde, expérimentant tout ce qui est à ta portée. Je sais que tu te sens fort, puissant, parce que depuis trois jours, tu es téméraire. Elle est belle, cette innocence qui est la tienne, mais elle ne pourra pas durer. Aujourd'hui, tu es Roi au Royaume des Odeurs, Seigneur des Chocogrenouilles, Vainqueur sur l'Herbe qui Te Chatouille, Conquérant des Grillons qui Chantent, et Divinité du Ciel que Tu Regardes. Mais demain, sauras-tu combattre la souffrance ?

N.

* Tita dong dong song est une chanson d'Hubert Felix Thiéfaine