Chapitre 1: Bienvenue à Beef Town
« On est bientôt arrivés? Bougonna Kyle à l'intention de Mme Cartman.
-Pas encore, répondit celle-ci de son éternelle voix sereine. Mais il ne reste plus beaucoup de chemin, ne vous en faites pas.
-Qu'est-ce qui t'arrive le juif? Ricana Eric Cartman. Tu en as assez d'être coincé entre le pauvre et la tarlouze?
-Ta gueule gros lard! » répondirent simultanément les trois intéressés.
Sans cesser de ricaner, Eric jeta un coup d'œil dans le rétroviseur, et fut ravi de voir qu'ils étaient tous énervés, même si sa remarque n'y était pas pour tout.
Stan Marsh, Kyle Broflovski et Kenny McCormick étaient installés à l'arrière de la voiture de Liane Cartman depuis près de trois heures. Tous ensemble, ils se rendaient dans la résidence familiale des Cartman, située à Beef Town, coin isolé du Colorado dont aucun d'entre eux n'avait jamais entendu parler.
Cartman voulut continuer la joute verbale.
« En même temps je te comprends Kyle. Ca doit pas être facile d'avoir un pauvre qui pue d'un côté et un pédé de l'autre. Il essaye pas de te tripoter au moins? »
Stan poussa un soupir et se tourna vers la fenêtre. Il ne répliqua pas, peu motivé à encourager Cartman dans ses remarques merdiques. Kyle et Kenny l'imitèrent, au grand désappointement de Cartman.
A bientôt 14 ans, Stan était un très beau garçon. Ses cheveux noirs et indisciplinés encadraient un visage légèrement bronzé, couvert ici et là de quelques boutons qu'il s'efforçait de cacher sous une crème spéciale. Dans ses yeux bleus, on devinait une grande maturité et un grand sérieux. Son beau visage, ajouté à sa manie de vouloir toujours être bien habillé, avait poussé Cartman à le surnommer « la tarlouze », bien qu'à la connaissance de ses amis il n'ait jamais été intéressé par les garçons. Ce n'était pourtant pas faute de les attirer.
Kyle, assis à sa gauche, était son meilleur ami depuis des années. Il avait 14 ans lui aussi. Sans posséder la beauté de Stan, il avait un certain charme, du entre autre à sa chevelure rousse et bouclée qu'il s'obstinait à cacher sous un bonnet vert. Malgré les affirmations des autres, qui lui disait qu'elle lui allait bien, il détestait cette coiffure. Son visage était un peu pâle, sans la moindre trace d'acné, mais parsemé de taches de rousseur. Ses yeux étaient verts, et avaient tendance à briller quand il était furieux, ce qui ne lui arrivait qu'avec Eric Cartman. Il ne le savait pas, mais souvent Cartman faisait exprès de le provoquer, rien que pour voir cette étincelle dans ses yeux, qui le rendait beaucoup plus sexy qu'en temps normal.
Kenny était le plus grand d'eux tous. Il était vêtu pauvrement, de vêtement sûrement récupérés à l'Armée du Salut. Un léger duvet blond couvrait ses joues et son menton, qu'il ne se souciait pas de raser. Ses yeux étaient bleus, d'une teinte plus claire que ceux de Stan, et habituellement ils pétillaient. Même si sa vie n'était pas des plus faciles, il était toujours de bonne humeur, et sa vie amoureuse était déjà bien remplie.
Cartman, assis à l'avant du véhicule, était de loin le plus gros des quatre. Il pesait environ cent kilos pour un mètre quarante-cinq, et actuellement ses bourrelets dépassaient de son siège. Il avait un gros visage assez banal, curieusement lisse, des yeux marrons, et des cheveux châtain foncé, plats et ternes. Les gens qui ne le connaissaient pas avaient tout d'abord tendance à le plaindre, avant de revenir sur leurs sentiments. Eric Cartman était un être cruel et calculateur, d'une redoutable intelligence et d'un égocentrisme total. Il était en plus de ça un raciste notoire, ce qui n'était pas au goût de Kyle, victime préférée de son antisémitisme.
Les trois autres garçons se demandaient souvent pourquoi ils restaient amis avec Cartman. Ils se le demandaient notamment en cet instant, alors que ça faisait trois heures qu'ils étaient coincés dans cette voiture. Cartman les avait invités tous les trois à venir passer deux semaines avec lui et sa mère dans leur résidence familiale à Beef Town. A l'en croire, c'était un endroit super, avec un camping, un château à proximité, des supers magasins et le câble dans la maison! Après quelques hésitations, ils avaient accepté, même si comme l'avait dit Kyle: « Si c'est si génial que ça je me demande pourquoi il veut nous y inviter. »
La voiture s'engagea dans un petit chemin de terre et fut aussitôt agitée de soubresauts. Ballotés dans tous les sens, les garçons s'accrochèrent comme ils purent.
« Voilà on est arrivés » s'exclama Liane Cartman.
Ils écarquillèrent les yeux. Devant eux venait d'apparaître une grande et vieille maison délabrée, au beau milieu d'un jardin envahi de mauvaises herbes et de ronces. Quand la voiture s'arrêta devant la porte, ils sortirent. Ils remarquèrent aussitôt que les fenêtres étaient couvertes de toiles d'araignées et de poussière. Au fond du jardin, une cabane en bois était restée ouverte, révélant un siège de toilettes crasseux.
« Putain mais c'est quoi cette maison? S'exclama Stan.
-C'est la vieille maison de ma tante Annie, répondit Mme Cartman. Personne ne l'a habitée depuis sa mort il y a vingt ans. C'est joli non? »
Sans attendre la réponse, elle sortit un trousseau de clés de sa poche et se dirigea vers la porte. Stan, Kyle et Kenny se tournèrent vers Eric, qui restait impassible.
« Cartman c'est quoi cette baraque? Tu savais qu'elle était comme ça?
-Non mais je m'en doutais. Ma mère m'a dit que c'était une vieille maison perdue et isolée. Les plus proches habitations sont à 2 ou 3 kilomètres d'ici.
-Quoi? Mais c'est quoi ces conneries? S'écria Kenny. Tu nous avais dit que c'était trop cool ici, qu'il y avait le câble, et un camping pas loin!
-Et vous m'avez cru?
-Mais pourquoi tu crois qu'on t'a accompagné?
-Je savais que vous accepteriez pas de venir si je vous disais la vérité. Moi non plus j'en avais pas envie mais ma mère tenait absolument à venir ici avec moi pour les vacances, alors j'ai raconté n'importe quoi pour que vous m'accompagniez. Sinon je me serais fait chié ici tout seul pendant deux semaines. »
Ils restèrent cois quelques secondes, puis Kyle s'emporta.
'Tu t'es foutu de nous connard! Gros fils de pute, je savais que tu nous préparais un sale coup!
-C'est vrai? Alors pourquoi t'es venu quand même?
-Je me suis encore fait avoir. Je devrais savoir depuis le temps que t'as plus de coups de pute qui mijotent dans ton cerveau que de graisse dans ton cul. Et c'est pas peu dire! »
Cartman s'empourpra de colère. Il allait sortir une méchanceté de son cru quand sa mère, ayant enfin réussi à débloquer la porte, poussa un cri de joie et se tourna vers eux.
« Les garçons! Venez m'aider à ouvrir les volets! »
Stan, Kyle et Kenny échangèrent des regards furibonds, puis se dirigèrent vers la maison avec un soupir de résignation. Cartman resta immobile, sans quitter Kyle des yeux.
« Enfoiré de juif de merde, murmura-t-il entre ses dents. Qu'est-ce que je donnerais pas pour te casser la gueule… »
Un plaisir acide l'envahit quand il s'imagina latter de coups Kyle. Le frapper, encore et encore, au visage, au ventre, dans les couilles, faire craquer les os, couler le sang, casser les dents…Un sourire naquit sur ses lèvres, et si Kyle avait pu lire les pensées de son vieil ennemi, il aurait frémi d'être l'objet d'une telle haine. Car s'il haïssait lui-même très fortement Cartman, ce n'était pas le même genre de sentiment. Celle de Kyle était intense, mais auréolé d'une certaine légitimité. Effectivement, personne n'aurait pu accuser le jeune juif d'éprouver une haine purement gratuite, étant donné que c'était toujours Cartman qui le cherchait. Il haïssait Eric Cartman à cause de sa méchanceté, sa médiocrité, son racisme, et son machiavélisme qui l'avait déjà fait inventé à plusieurs reprises des plans diaboliques pour obtenir ce qu'il voulait, que ce soit simplement une bonne note, ou carrément l'extermination des juifs. Mais à part cela, il ne ressentait aucune envie de lui nuire de quelque manière que ce fut.
Ce que le gros garçon ressentait vis-à-vis de Kyle était différent. C'était un sentiment puissant et possessif, un désir profond de lui causer du tort par tous les moyens, de lui faire mal et de l'humilier. Rien dans la vie ne satisfaisait autant Cartman que de pourrir l'existence de ce connard de juif, et chaque réussite était pour lui autant de bonheur. Un exutoire à son sadisme naturel, son antisémitisme et à son désir de domination.
Cartman repensa au visage furieux de Kyle et sentit un frisson descendre le long de sa colonne vertébrale. Malgré tout, il fallait reconnaître quelque chose à Kyle: il était mignon. Quand il s'emportait, il était même carrément sexy. Un des rêves les plus courant de Cartman consistait à s'imaginer provoquer Kyle, pour le voir s'énerver, pour faire naître dans ses yeux cette lueur de colère qui illuminait ses traits et l'embellissait considérablement. Puis ensuite de le tabasser.
Eric Cartman ne s'était jamais vraiment demandé ce qui le poussait à se pâmer devant Kyle comme ça, mais il se fichait de toute façon pas mal de la réponse. C'était comme ça et c'était tout. La seule chose qui importait à ses yeux, c'était de saisir la moindre occasion de faire apparaître chez Kyle la fureur qui le rendait si attirant à ses yeux. Ca, et bien sûr lui pourrir la vie.
« Hé Cartman! S'écria soudain Stan de l'intérieur de la maison. Bouge ton gros cul et viens nous aider! »
Cartman sortit en sursautant de sa rêverie, remit de l'ordre dans ses idées, et se dirigea sans se presser vers la maison.
