Disclaimer : Tout l'univers et les personnages appartiennent évidemment à la fabuleuse JKRowling !
Après... 2 ans je crois, je me lance enfin dans l'écriture d'une nouvelle fanfiction ! Celle-ci sera bien plus longue et ambitieuse que La Fuite de Peter, puisqu'elle sera découpée en 7 tomes. J'espère qu'elle vous plaira.
Certains chapitres seront peut être violents, mais je vous en avertirais à chaque fois.
Bonne lecture !
Avec délice, Remus huma les vapeurs de son thé dix bonnes secondes. Sa mère venait juste de verser l'eau bouillante dans sa tasse, et il s'y brulait le bout des doigts. Peu à peu, une odeur fruitée embauma la pièce. Framboise, groseille et églantier. A chaque gorgée, le garçon savoura le goût qui glissait sur sa langue, avant d'attaquer ses deux et uniques toasts... Un petit déjeuner frugal, comme chaque matin. C'est pourquoi Remus accordait une attention toute particulière à ne pas l'engloutir trop vite. Il consacrait ainsi parfois près de dix minutes à mastiquer un toast qui ne mesurait pas plus de dix centimètres carrés.
Néanmoins, aujourd'hui, cette lenteur excessive répondait à un but différent : détourner ses pensées, apaiser son mental. Remus se raccrochait à ce moment calme du quotidien pour oublier le visiteur prévu en début d'après-midi. C'était un exercice pénible. Malgré lui, le poids sur son estomac s'intensifia.
Il soupira, d'aise, de malaise, et contempla par la fenêtre la campagne écossaise brulée. Une canicule, ici ? C'était une première, et les températures anormales se maintenaient. En ce début de Septembre, le soleil chauffait toujours autant qu'au mois de Juillet et d'Août. Heureusement, son père était un sorcier. Un sortilège de refroidissement, et hop ! la fraicheur d'un début de printemps s'abattait sur la minuscule maison.
Remus, sa mère, son père vivaient de façon modeste. La maison était vieille et étroite pour eux trois, leurs vêtements de seconde main. Sans magie, ils n'auraient pas eu assez d'argent pour s'offrir une climatisation décente. Ses parents auraient roulé des heures sous cet enfer brulant pour se ravitailler à des kilomètres de là. Mais les sorciers comme son père possédaient d'autres moyens de transports, autrement accommodants. Le transplanage, les cheminées, les portoloins…
— Remus, veux-tu que je te fasse griller un troisième toast ?
C'était toujours deux toasts chacun, pas plus, pas moins. Ça lui suffisait bien. Mais aujourd'hui, sa mère rayonnait. Il déglutit : cette joie assumée l'angoissait. Elle signifiait toutes les attentes et les espoirs d'Espérance Lupin.
— Pas la peine, dit-il avec un faible sourire. De toute façon, je n'ai plus faim.
Vrai. Avec l'estomac et la gorge noués, il n'avalerait rien de plus.
— Oh, allez ! Ça se fête ! … Est-ce que, par hasard, tu serais stressé ?
A sa droite, son père rit nerveusement et se passa une main sur le visage. Les mains de Remus tremblèrent :
— Tu sais, Maman… Il y a peu de chance que j'y aille vraiment…
— Ah, oui… Je sais.
L'étincelle dans les yeux de sa mère s'éteignit, et Remus regretta aussitôt ses paroles, bien que sincères. Il lui sourit :
— Moi, je suis très heureux ici, avec vous. Ce n'est pas grave si je ne vais pas à Poudlard.
Sur ce dernier mot, sa voix lui échappa dans un étrange trémolo et le trahit. En silence, son père lui pressa l'épaule, sa mère lui passa une main affectueuse dans les cheveux. Comment cesser d'y penser, maintenant ?
Poudlard. La plus grande école de Sorcellerie de Grande-Bretagne. Remus, comme son père, possédait un potentiel magique. La norme aurait ainsi voulu qu'il soit inscrit d'office dans cette école, dès sa naissance… Cependant, comment une personne telle que lui pourrait prétendre à la normalité ?
Pour faire bonne figure, se dégourdir l'esprit et le corps, Remus se leva et aida sa mère à ranger et nettoyer façon moldue. Pour autant, il ne parvenait ni à se vider la tête, ni à se débarrasser de la tension logée dans son ventre, qui grandissait, s'étendait à ses bras et ses jambes au rythme du tic, tac de l'horloge…
Depuis longtemps, Remus avait ravalé sa douleur, sa rancœur. Il acceptait dorénavant l'idée de terminer sa vie en ermite loin de la société, sorcière comme moldue. Recevoir cette lettre de Poudlard, raviver ses espoirs… Quelle cruauté.
Remus se souvint… A une époque lointaine, quand il n'était encore qu'un petit garçon, lui et ses parents avaient habité en ville. Les maisons, toutes en hauteur, colorées, s'entassaient les unes sur les autres, débordant sur la rue pavée et piétonne. Les enfants des voisins, des moldus sans pouvoirs magiques comme sa mère, jouaient avec lui au ballon ou aux cartes. Des inconnus emplissaient souvent le salon de leurs bavardages intempestifs, dérangeant ses lectures. Merlin. Tout de ce passé lui manquait. Les repas copieux, les voyages en France, les habits neufs, le bruit. Ses parents jacassaient et le taquinaient souvent à propos d'un éventuel petit frère ou petite sœur… Il n'en fut plus jamais question, après ça…
La morsure. Celle d'une bête, d'un monstre hirsute, épouvantable. Remus frissonna. Cet animal peuplait encore ses nuits de cauchemars. Il ne se rappelait pas tout de cet animal. Juste sa forme. Sa silhouette immense et terrifiante, parfaitement éclairé par une lune pleine. Ses yeux jaunes, sa gueule pleine de dents à l'haleine putride, alors qu'une douleur lui déchirait l'épaule et le tirait brutalement du sommeil. L'odeur du sang et de la sueur, les draps poisseux, son propre souffle haletant. Puis un bourdonnement assourdissant dans ses oreilles, suivi du vide.
Son père avait perdu son travail au ministère. Les sorciers avaient cessé d'aller et venir dans la maison. Ses parents s'étaient enfoncés dans le chagrin et la détresse. Lui-même, il n'avait saisi qu'un mois plus tard, le lendemain de la pleine lune, alors qu'il gisait dans son lit, abruti de douleur, ensanglanté et nu. Un loup-garou… Un loup-garou l'avait mordu…
Ses hurlements inhumains, bestiaux, avaient terrorisé les voisins. Deux jours plus tard, ils avaient quitté la ville pour une campagne isolée, à la demande pressante du ministère. Il en allait de la sécurité d'autrui.
Ainsi, la pleine lune le transformait et le transformerait, chaque mois et à jamais, en un loup assoiffé de sang. Il supportait la souffrance physique de ces métamorphoses forcées, la terreur de s'éveiller le matin près de ses parents morts, l'humiliation d'être enfermé dans une cage, le dégout, la haine, la honte.
Ce désastre… La faute à une dispute stupide entre son père et un lycanthrope nommé Greyback. Un homme malsain et cruel, qui avait fait de lui, un enfant, l'objet de sa vengeance...
Remus soupira et posa près de l'évier la dernière tasse qu'il venait d'essuyer. Sa mère, de toute évidence très concentrée, relisait la liste des fournitures pour l'école. Il se retint de lui signaler que cela ne servait à rien : un loup-garou n'aurait jamais droit à une scolarité normale, et il jeta un regard las à son père. L'homme exécrait que l'on évoque le conflit qui l'avait opposé à Greyback, cause de leur infortune.
— Ça ne va pas ?
— Si, si, lui assura Remus.
Il promena son regard sur la table, à la recherche d'une distraction. Remuer ces souvenirs désagréables ne l'aiderait pas. Ils avaient juste le mérite d'étouffer ces espoirs ridicules d'entrer à Poudlard.
— Tout se passera bien, fils.
Remus accrocha le regard de son père. Son sourire bienveillant manquait de franchise et de naturel.
— Tu as l'air aussi rassuré qu'un petit cochon face au grand méchant loup.
— Remus, grogna-t-il.
Le garçon haussa les épaules, se voulant désinvolte.
— Désolé.
Ces plaisanteries n'amusaient jamais son père, mais l'ironie constituait sa seule arme contre l'apitoiement. Il ne se sentait pas du tout l'âme d'une drama queen.
Son regard continua machinalement son inspection de la pièce, jusqu'à se poser sur la Gazette du Sorcier qui dépassait d'un tiroir mal fermé. Parfait. De quoi lui occuper l'esprit une bonne demi-heure. Cependant, au moment où il tendit la main, la voix de son père s'exclama derrière lui :
— Accio Gazette !
Remus sursauta et se retourna. Lyall Lupin, sa baguette encore en main, avait saisi le journal au vol. Il le miniaturisa d'un nouveau sort, puis s'empressa de le fourrer dans la poche de sa chemise, le froissant au passage. Ahuri, le garçon cligna plusieurs fois des yeux. Au-delà de l'impolitesse du geste, pourquoi lui chiper la Gazette sous le nez si ce n'était pas pour la lire ? Qu'est-ce que c'était que cette réaction bizarre ? Son père, mauvais acteur, peinait à dissimuler son malaise.
— Heu… Papa ? Je voulais la lire, tenta Remus, décontenancé. Et toi non, de toute évidence.
Espérance leva la tête de la liste de fournitures, et l'adolescent nota, perplexe, le regard effrayé qu'elle échangea avec son mari. Il fronça les sourcils :
— Qu'est-ce qu'il se passe ? Il y a quelque chose que tu… que vous, rectifia-t-il en observant sa mère rougir, ne voulez pas que je lise ?
— Pas du tout.
— C'est qu'il faut te hâter ! s'exclama Espérance, en brandissant dans sa main l'objet de tous ses espoirs. Ce n'est pas le moment de lire le journal.
Conscient de la manœuvre malhabile, Remus ne put cependant empêcher ses yeux de glisser sur la lettre à la belle écriture arrondie. Sa lettre de Poudlard. Son cœur s'accéléra malgré lui.
— Le professeur Dumbledore nous visite cette après-midi, tu te dois d'être impeccable !
Remus grogna, mais se laissa pousser docilement hors de la pièce par sa mère enthousiaste. Juste avant de grimper les escaliers, il se retourna et lança un regard appuyé à son père. Celui-ci, l'air de rien, plongea son nez dans ses papiers. Ba, il lirait ce journal, à un moment ou à un autre.
Remus monta jusque sa chambre et se laissa choir de tout son poids sur son lit, la tête dans son oreiller. A l'image du reste de la maison, elle était minuscule : à peine neuf mètres carrés, et mansardée. Juste la place de caser, en plus de son lit, un bureau et une armoire. Pour autant, il ne s'en plaignait pas, se contentant de peu sans soucis.
L'adolescent resta immobile deux minutes, les poings serrés sur la couverture, avant de se retourner sur le dos en inspirant profondément.
— Le professeur Dumbledore, hein ? soupira-t-il à voix haute. Rien que ça, le directeur de l'école en personne.
Il ne l'accepterait pas sérieusement à Poudlard, si ? Une erreur, se persuadait Remus avec amertume, une terrible erreur. En sa présence, tous les élèves seraient en danger... Depuis qu'il avait reçu cette lettre d'admission inattendue, inespérée, son humeur fluctuait à une vitesse vertigineuse. Epuisant, stressant. Remus s'égarait parfois dans des rêves inatteignables. Lui, un rebus de la société, aurait-il la chance d'étudier ? La plupart du temps, il ne se berçait guère d'illusions. Dès que ses pensées le lui permettaient, il effaçait cette fichue lettre de sa mémoire et tout ce qu'elle remuait en lui, tel un couteau dans la plaie. Malheureusement, à quatre heures à peine du verdict, de l'arrivée de l'un des plus grands sorciers de ce siècle, cela se révélait impossible.
Pour atténuer ses crises de panique à l'approche de la pleine lune, ses parents lui avaient appris des exercices de relaxation. Remus en tenta quelques-uns pour déloger la boule d'angoisse dans son ventre. En vain. Sa gorge, prise dans un étau douloureux, l'empêchait de respirer de façon convenable. Il étira ses bras le plus haut possible au-dessus de sa tête pour détendre ses muscles, et fit quelques pas dans sa chambre. Rien à faire. Il se sentait fébrile, agité. Sa précieuse tablette de chocolat noir, sagement rangée à l'abri de son regard dans un tiroir de son bureau, l'aguichait, mais Remus y renonça. A quoi bon céder à ce rare plaisir si c'était pour le gâcher ? Aujourd'hui, un morceau de chocolat ne suffirait pas à l'apaiser.
Renonçant définitivement à se calmer, Remus se mit en quête d'une chemise présentable, moins abimée que les autres, et qui dissimulerait correctement ses cicatrices. Merlin, en dehors des contrôleurs envoyés par le ministère, personne ne les avait plus visité depuis si longtemps. Il ignorait si la perspective le réjouissait ou l'effrayait. Tant d'années qu'il ne côtoyait d'humain que ses parents… Remus était presque sûr d'avoir développé une sorte de phobie sociale.
-o-
-o-
Toc toc ! Merlin, il y était… Lyall Lupin s'empressa d'aller ouvrir, Espérance sur les talons. Ils étaient tous deux tendus, ça se voyait comme le nez au milieu de la figure, mais à côté de lui, ils paraissaient aussi décontractés que des lutins de Cornouaille. Oh, bien sûr que Remus se sentait bien ! Aussi bien que s'il présentait un exposé des bienfaits de la magie noire au ministre de la magie. Autrement dit, juste mal, mal, affreusement mal. Que dire ? Comment se tenir ? Les mains dans le dos ? Jointes devant lui ? Dans les poches ? Surtout pas, se fustigea l'adolescent, il paraitrait désinvolte. Le miroir de l'entrée minuscule lui assura le contraire : il se découvrit tétanisé, raide comme un balais, le teint verdâtre. Ridicule…
— Bonjour, Monsieur Lupin.
Remus tressaillit. On lui parlait ? Absorbé dans l'étude de son pitoyable reflet, il s'était déconnecté de la réalité. Sans doute un vilain tour de son esprit pour se soustraire à ce moment pénible. Son cerveau tournait au ralenti. Quelques secondes, stupéfait qu'un humain autre que ses parents n'ose lui adresser la parole, il détailla le vieil homme qui lui faisait face.
Albus Dumbledore, dans son apparence, était à la hauteur de sa réputation. Longs cheveux et longue barbe argentée, lunettes en demi-lune sur un nez crochu, robe de sorcier bariolée. Agé, mais grand et droit ridé, mais l'œil vif et brillant. Le visage ouvert, souriant, il respirait la bienveillance, la force tranquille, et forçait le respect malgré son excentricité.
Impressionné, mal à l'aise, Remus faillit reculer d'un pas, mais il était presque sûr que ce ne serait pas une attitude convenable. D'autant plus que le directeur de Poudlard lui tendait la main… Le directeur de Poudlard, sérieusement ! Pourvu qu'il ne soit pas resté silencieux plus longtemps qu'il ne le faut. Avant que son esprit ne se disperse à nouveau en questions angoissantes — avait-il bien boutonné sa chemise, par exemple ? — il tenta un « bonjour » d'une voix rendue rauque par le stress.
— « Bonjour, Monsieur le directeur », le rectifia son père.
— Laissez, dit aussitôt Dumbledore l'air amusé. Ne soyez pas si formel.
Ah… Ne fallait-il pas l'être justement ? Son avenir à Poudlard se jouait... Pas du tout, se fustigea Remus en se tordant les doigts dans le dos, s'interdisant d'espérer. Sans aucun doute, cet entretien n'était destiné qu'à lui présenter des excuses pour la mauvaise blague qu'on lui avait faite. Le garçon se donnait l'impression de se liquéfier sur place. Il jeta un regard nerveux à ses parents qui l'encouragèrent d'un geste raide de la tête.
— Bonjour, Monsieur le directeur, reprit Remus d'une voix un peu plus claire, mais sans esquisser le moindre mouvement.
— Je suis un vieil homme, tu sais, répondit le sorcier d'un ton léger, alors qu'il lui tendait toujours la main. Je ne suis pas si impressionnant que tu le crois. Comptes-tu me laisser le bras en l'air encore quelques heures ? Tu sais quoi faire de tes mains ainsi.
Remus bloqua. Il n'avait jamais dit à voix haute qu'il le trouvait impressionnant, ou qu'il ne savait que faire de ses mains… Une simple coïncidence. Rien de plus facile à deviner, au vu de son attitude coincée et intimidée. Le vieil homme lui adressa un clin d'œil plein de malice, et Remus reporta son regard sur la main tendue. Il se sentait la tête emplie de courants d'air, plus vide que celle d'un Troll des montagnes.
— Remus, enfin, babilla sa mère avec un enthousiasme déstabilisant malgré son stress. Serre la main du professeur. Il ne va pas te manger !
Non, lui risquait de le manger en revanche, manqua de répliquer l'adolescent. Dumbledore rit en le regardant droit dans les yeux, et il déglutit. Le directeur s'amusait de la remarque de sa mère, ça ne pouvait être que ça. Il ne lisait pas dans les pensées.
Sa mère lui passa une main dans le dos. Ce contact électrisa Remus : c'était le même geste tendre qu'elle répétait chaque lendemain de pleine lune pour le consoler. Il s'y raccrocha. Rassemblant tout son courage, il demanda au directeur :
— Vous êtes sûr… de vouloir me toucher ?
— Et pourquoi ne le voudrais-je pas, jeune homme ? l'interrogea Dumbledore, le mécontentement perçant dans sa voix, les sourcils soudain froncés derrière ses lunettes en demi-lune. Serre-moi la main, je te prie.
Remus se tassa un peu sur lui-même, mais jamais il n'oserait désobéir à ce grand sorcier, aussi il s'exécuta. Pourvu qu'il n'ait pas la main moite. La poignée du directeur, quant à elle, était ferme mais chaleureuse. Ce contact, le premier qu'il ait depuis des années avec un autre humain que ses parents, le perturba. Encore plus quand Dumbledore ajouta :
— Merci Remus.
— De rien, répondit-il bêtement.
Il se sentait comme sur une autre planète, à un million d'année lumière de là. De quoi le remerciait-il au juste ? Cela n'avait aucun sens.
— Cela en a, rétorqua posément Dumbledore.
Son regard intense traversait le sien, et semblait plonger jusqu'à son âme. Remus crut y déceler une certaine tristesse. Déstabilisé, il détourna les yeux. Si, il lisait les pensées ! C'était absolument fou, hallucinant.
— Monsieur Lupin, vous êtes l'égal de tout être humain. Vous n'êtes ni dégoutant ni un monstre, et il ne me plait pas du tout qu'un de mes élèves se considère de la sorte.
Le directeur se ménagea une pause, peut-être pour lui permettre de répondre, mais Remus n'en fit rien, trop abasourdi pour tenir une conversation. Un de ses élèves ? Sa vision se brouilla, et il fit mine de se recoiffer pour essuyer discrètement ses yeux humides. Il entendait mal, il délirait…
— En conséquence, à Poudlard, je vous prierais de me serrer la main chaque fois que nous serons amenés à nous voir. Et, notez-le tout de suite, je vous interdis aussi de baisser les yeux devant les autres élèves, comme vous le faites actuellement devant moi, de refuser leur amitié, de…
Dumbledore soupira et secoua la tête, avant de reprendre son ton amusé :
— Je vous ferais parvenir une liste de tout cela !
« A Poudlard » ? « Amenés à nous voir » ? « Les autres élèves » ? Remus accusa le choc. Le doute pouvait-il subsister après une telle déclaration ? Sa tête lui tourna. Il se sentait suffoquer. Serait-il possible que … ? Il parlait comme si… Un peu en retrait derrière lui, son père couina. Avait-il essayé de rire à la plaisanterie du directeur ? Remus se retourna vers lui mécaniquement. Lyall arborait un sourire crispé et paraissait prêt à fondre en larme. Par tous les sorciers, seule sa mère, moins secouée, moins surprise, gardait contenance.
— Bien, et si nous nous asseyions ? s'exclama-t-elle, extatique, ses longs cheveux tressautant sur ses épaules. Ne restons pas debout devant la porte !
— Avec plaisir, chère madame Lupin !
Sans attendre qu'on le guide — il ne risquait guère de se perdre — Dumbledore alla prendre place dans un vieux fauteuil à quatre mètres de là. Remus, assommé, laissa sa mère le tirer gentiment, lui et son père, jusqu'au canapé défoncé qui lui faisait face.
Ses oreilles bourdonnaient, aussi la suite de la conversation lui échappa. Il entendait juste le sang pulser contre ses tempes, son cœur cogner dans sa cage thoracique. Son cerveau refusait de digérait ces informations, de prendre leur pleine mesure. Il évoluait dans un nuage de coton, l'esprit et le corps engourdi. Ses yeux se fixèrent sur un défaut de peinture derrière le directeur…
« L'un de mes élèves… », « nous serons amené à nous voir », … Ca tournait en boucle comme un vieux disque moldu rayé, sans qu'il ne parvienne à en accepter le sens. Comme si son admission relevait d'une évidence !
— Remus ?
L'adolescent cligna plusieurs fois des yeux et s'ébroua mentalement. Le temps reprit son cours habituel.
— Remus ? Veux-tu du thé ?
Il n'avait pas remarqué que sa mère s'était levée pour en préparer, encore moins qu'elle était revenue avec une théière pleine. L'odeur de la boisson le réconforta un peu. Elle lui rappelait les instants tranquilles et sereins du quotidien.
Encore confus, il se contenta d'acquiescer et de prendre la tasse qu'elle lui tendait. En humant son parfum, il l'imagina agir comme un encens purificateur dans son organisme, capable d'apaiser ses battements de cœur frénétiques. Remus y trempa les lèvres : au thé se mêlait deux autres arômes, la camomille relaxante et le piment tonifiant. Il leva la tête pour remercier d'un regard sa mère de cette attention délicate, et remarqua du même coup les traits désormais détendus de son père. Cela acheva de le remettre d'aplomb. De toute évidence, l'adolescent avait manqué un chapitre. Dumbledore vint à son secours, alors même qu'il n'avait pas prononcé un seul mot :
— J'expliquais à tes parents que ce rendez-vous ne constitue qu'une formalité. Ne te fais aucun souci, car tu es d'ores et déjà admis à Poudlard ! s'exclama-t-il en ouvrant grand les bras. Ma présence tient plutôt au fait que je craignais de ne te compter parmi mes élèves à la rentrée, si je ne venais pas en personne vous convaincre de l'absence de danger, et témoigner de toutes les précautions prises.
— Aucun danger ? s'étrangla Remus, retrouvant sa voix. Les précautions ?
Le directeur se moquait de lui. Alors même qu'il recouvrait ses esprits et aurait dû se réjouir de voir l'un de ses vœux les plus chers exaucé, la honte, la peur de blesser autrui l'emportait. Peu importe la folie et la compassion de Dumbledore, il n'existerait jamais de place pour un loup-garou dans une école. Son cœur se serra : pour protéger la communauté sorcière, il ne se montrerait pas égoïste et se saborderait.
— Ce n'est pas une bonne idée. Vous…
Le directeur l'interrompit d'un geste de la main. Ses parents l'observaient, la mine inquiète. Ils semblaient s'être fait plutôt vite à l'idée. Logique. S'il quittait la maison, ils retrouveraient une vie plus confortable.
— Ne veux-tu pas apprendre la magie, Remus ?
— Bien sûr que si, mais…
— Ne veux-tu pas d'une scolarité normale ?
— Si, mais…
— Te faire des amis ? continua Dumbledore, sourd à ses protestations. Profiter de tes jeunes années pour faire des bêtises ?
Remus grimaça à la dernière des propositions. Ça, il ne croyait pas en ressentir l'envie, et venant du directeur lui-même, c'était une étrange question. Le garçon préféra garder le silence et baissa les yeux, malheureux. Oui, évidemment qu'il rêvait d'entrer à Poudlard, mais l'envie ne signifiait pas le droit…
A ses côtés, ses parents rayonnaient de bonheur et de fierté, et Remus imagina leur vie sans lui, sans les transformations, le sang, et la solitude forcée. Qui était-il pour le leur interdire ? Il se redressa et demanda avec tout l'aplomb dont il était capable :
— Personne ne risquera d'être mordu ? Je serais… Je serais enfermé dans une cage et attaché les nuits de pleine lune ?
— Certainement pas ! rétorqua sèchement le directeur.
Ses traits se durcirent, comme s'il venait de proférer une terrible insulte, mais cette fois, Remus ne flancha pas. Pas question de plaisanter avec la sécurité.
— Dans ce cas…
— Sache, Remus, le coupa le sorcier, que je prends toujours très au sérieux la sécurité et le bien-être de mes élèves, la tienne y compris.
Son cœur bondit dans sa poitrine.
— Il n'y aura ni cage, ni chaine en argent. Vous connaissez Pré-au-Lard, je suppose ?
— Bien sûr, répondit Lyall avec un sourire nostalgique, alors que sa femme lui jetait un regard intrigué et que Remus ne voyait pas où tout cela menait. Ce village sorcier magnifique, tout prêt du château... Ah, je n'ai pas remis les pieds aux Trois Balais depuis une éternité…
— Sacrilège ! plaisanta Dumbledore. Je vous y inviterai tous autour d'une Bierraubeurre ! Pour en revenir à votre fils, j'y ai fait pour son confort l'acquisition d'une petite maison.
Remus perdit toutes ses couleurs. Ses parents peinaient déjà à rembourser la leur, et cet homme en achetait une pour un loup-garou ? Absurde ! Pourquoi une maison entière ? Une cage faisait bien l'affaire. L'air catastrophé de Lyall et d'Espérance le conforta dans cette idée.
— C'est hors de question, souffla sa mère sous le choc, mais Dumbledore balaya sa protestation d'un geste.
— Cette maison est équipée de tous les sorts de protection possibles et inimaginables. Je vous assure, il n'y a aucun risque que le loup en sorte. Un tunnel secret la relie à Poudlard, et le passage est gardé par un saule cogneur, planté cet été pour l'occasion.
Remus ignorait ce qu'était un saule cogneur, mais quelle importance. Il comprenait surtout que son arrivée était finement orchestrée depuis des mois, à son insu. Ses mains tremblèrent, et il se mordit la lèvre inférieure pour retenir ses larmes.
— Chaque soir de pleine lune, notre infirmière te conduira jusqu'à la maison, Remus, et elle viendra te chercher le lendemain matin.
— Une infirmière ? questionna sa mère en se penchant en avant, la voix pleine d'espoirs. Vous savez, je suis moldue. Je soigne mon fils du mieux que je peux, mais…
Remus s'agita, mal à l'aise qu'elle évoque ses blessures, et marmonna :
— Arrête. Tu t'occupes très bien de moi, maman.
Dumbledore sourit :
— Madame Pomfresh est en effet une infirmière qualifiée et une sorcière talentueuse. Ne craignez rien, elle prendra grand soin de lui.
L'adolescent eu soudain envie de disparaitre sous terre.
— Vous êtes certain que cela suffira ? demanda-t-il pour revenir au sujet qui l'inquiétait. Ça ne me dérange pas d'être en cage et enchainé.
Une maison laisserait le loup bien trop libre de ses mouvements à son goût. Son insistance parut irriter le directeur, mais l'angoisse poussa Remus à le harceler de questions, encore et encore, pendant au moins une demi-heure de plus. La patience et l'inflexibilité du Dumbledore se révélèrent remarquable, si bien qu'il rendit les armes malgré les doutes.
— Bien, maintenant que ceci est résolu — le directeur lança un regard appuyé à Remus, le défiant de le contredire — j'aimerais m'entretenir en privé avec tes parents. Pourrais-tu nous laisser ?
— Bien sûr, répondit-il en jetant un regard étonné aux deux concernés.
— Profites-en pour préparer ta valise et regarder ce que tu emporteras. Dans une semaine, tu seras à Poudlard, mon garçon !
Il le savait déjà maintenant, mais, visiblement, l'information n'était pas tout à fait montée jusqu'à son cerveau. Pour la seconde fois, elle le percuta de plein fouet, et il sentit une boule compacte de ressentiment, de rancœur, jusqu'alors enfouie tout au fond de lui, se déloger et remonter des profondeurs de son corps.
— J'aurais dû vous rendre visite plus tôt, s'excusa le vieux sorcier en se caressant la barbe, l'air songeur. J'ai été…
Remus ne tiendrait pas plus. La boule allait percer la surface, ses larmes déborder. Sans écouter la fin de la phrase du directeur, faisant fi de son impolitesse, il s'enfuit en courant. De toute façon, sa présence n'était plus requise. Il monta les marches deux à deux, la main plaquée contre sa bouche pour retenir ses sanglots, et claqua la porte de sa chambre derrière lui.
Tremblant des pieds à la tête, Remus se jeta sur son lit et s'y roula en boule. Il cacha sa tête dans ses bras, laissant éclater tout ce qu'il contenait depuis plus d'une heure, depuis des années en fait, espérant juste qu'en bas on ne l'entendrait pas pleurer, hoqueter, et renifler.
Il allait à Poudlard. Comment cela pouvait-il être si douloureux ? Dans une semaine, il entrerait dans l'école de sorcellerie la plus prestigieuse à ses yeux. Promesse incertaine, risquée, délicieuse. Enfin, il quittait ce coin perdu. A son échelle, c'était comme partir seul, nu, sans arme pour un pays lointain et inexploré. C'était merveilleux. C'était terrifiant.
Remus agrippa son oreiller à pleine main et y enfuit son visage pour hurler tout son soûl, toute sa joie, et cette douleur intense qui sortait d'il-ne-savait-où, mais qui lui déchirait les entrailles.
Alors ? Qu'en avez-vous pensé ? :) N'hésitez pas à me faire des suggestions ! Le rythme était peut-être un peu rapide ? J'ai aussi l'impression de ne pas avoir suffisamment développé les émotions de Remus.
Je ne peux pas vous donner de délais de publication, mais je poste la suite le plus vite possible !
