Cette histoire est un crossover bien plus long que prévu entre Captain America et Political Animals, écrite au départ par besoin de fluff après tout le mal que les deux fandoms avaient fait à mon petit coeur (et à celui d'innombrables victimes, comprenant ma chérie aussi)
Pour ceux d'entre vous qui ne connaissent pas Political Animals, l'histoire devrait être compréhensible malgré tout, si vous considérez simplement qu'il s'agit d'un AU. Political Animals, donc, est une petite série annulée bien trop tôt, dans laquelle Sebastian Stan (aussi connu pour jouer Bucky, donc) joue le fils homosexuel, Thomas, ou TJ, d'un ex-président et d'une future présidente des États-Unis. Sa famille est loin d'être un milieu idéal, et sa vie amoureuse est loin d'être entièrement rose elle aussi. Après une overdose et une tentative de suicide, son futur était un peu incertain lorsque la série se termina.
Forcément, j'ai donc décidé de le pousser dans les bras d'un gentil petit blond qui saurait faire son bonheur.
Bonne lecture!
(Hey! Feufeu ne connait même pas les personnages de Political Animals! ...Bon, on va mettre Bucky à la place de TJ...)
(Hey! numéro deux: Le titre est tiré de Princess Bride, Princesse Bouton d'Or, un film que je vous recommande vivement si vous ne l'avez jamais vu)
As You Wish
ou
Ce qui serait tout à fait indubitablement et très certainement arrivé dans la saison deux de Political Animals si la série avait été renouvelée, d'abord, non mais
Il avait rencontré l'amour de sa vie dans la période où il s'y était le moins attendu. Les choses allaient de mal en pire tout autour de lui, à l'époque; la séparation d'Anne et de Douglas, le chaos politique qui avait une fois de plus ébranlé toute la fragile structure de leur pitoyable famille, le tout largement appuyé par la culpabilité que tous faisaient peser sur ses épaules, consciemment ou non, pour sa deuxième mort ratée... Non, Thomas n'avait pas été dans une période où il attendait quelque événement positif que ce soit, et certainement pas une rencontre comme celle qu'il fit. Rétrospectivement, il admettrait que le moment en avait été d'autant plus parfait pour rencontrer Steve.
Il s'agissait d'une énième visite à la Maison Blanche où toute la famille était convoquée. La possibilité que le président ait été tué dans un acte terroriste était encore considérée comme suffisamment probable pour rendre obligatoire la présence de gardes du corps autour de tous les autres membres un tant soit peu important du gouvernement, et de leur famille proche. Autant dire que les fils d'un président et d'une présidente potentielle n'avaient plus la liberté de passer dix minutes seuls sans qu'un grand costaud en complet noir ne surgisse par la porte en menaçant la pièce de son revolver et lui ordonner de se coucher.
Il pouvait apprécier le fait de n'avoir absolument aucune chance de s'éclipser pour faire des achats qu'il regretterait, certes -il ne pouvait même pas aller à la salle de bain sans être accompagné-, mais être entouré en tout temps de gardes du corps qui avaient mangé leur sens de l'humour avant d'entrer dans le métier devenait rapidement lassant.
Dans le salon de la maison présidentielle, pendant que sa mère et son frère argumentaient une fois de plus avec le vice-président le plus incompétent de l'histoire des États-Unis, il était avachi sur le canapé en regardant avec lassitude le plafond. Il envisageait de plus en plus sérieusement de lancer un objet scintillant d'un côté pour attirer l'attention des gardes du corps et fuir dans la direction opposée, ou à tout le moins de leur suggérer de tourner le dos pour qu'il puisse s'amuser un rien lui-même, juste pour voir comment ils réagiraient, lorsque la porte s'ouvrit un peu avant seize heures (heure du changement de quart), provoquant un soupir soulagé chez son garde (eh, oh, il ne l'obligeait pas à rester là, debout, dans un coin, à le fixer, non plus) qui s'interrompit brusquement.
-C'est une blague?
Il baissa le nez, curieux, et puis le baissa un peu plus bas après un moment.
Il y avait de quoi se poser la question, oui. Le type qui venait d'entrer dans la pièce faisait aisément une tête de moins que celui qu'il venait (pas sérieusement, si?) remplacer, et Thomas était à peu près certain que le complet qu'il portait avait dû être acheté dans la section des pré-adolescents, vu l'absence de muscles visibles du minuscule blond qui regardait le premier garde avec un air insulté.
-Non, sérieusement, insistait celui-ci, l'air plus perplexe que moqueur. Je pensais que Harvey venait me remplacer. Tu fais quoi, Grant?
-Harvey a attrapé un rhume. Je te remplace.
-...Et Rick?
-Sa voiture est brisée, il n'a pas pu venir. Tu peux y aller.
-Diane?
-En vacances en Californie. Je vais m'occuper du fils de Mme Barrish.
-...Grant, retourne au bureau, ils ont dû se tromper. Je vais rester avec lui, dis-leur de contacter Elson-
-Elson est en garde permanente sur la maison du vice-président. Je gère, je te dis, tu peux y aller.
-...Je me suis engagé pour assurer la sécurité de ces gens... Je peux pas te laisser avec lui avec ma conscience professionnelle. Je peux pas. Tu pourrais pas le plaquer au sol en cas de danger, tu t'assommerais sur sa cage thoracique.
-...'Il' est dans la pièce, dites...
Perplexe, il observa les deux hommes se tourner vers lui avec un air de surprise. Pas tout à fait inattendu, il était habitué à ce que les hommes en costume oublient qu'il était un être vivant plus qu'une charge à protéger. En revanche, l'air obstiné du gringalet et la moue franchement concernée de son garde précédent étaient définitivement nouveau. Les deux hommes parurent incapables de répondre un bref instant, puis le maigrichon hocha la tête, sa moue sérieuse.
-Tout va bien, Mr. Hammond, assura-t-il, jetant un regard en coin à son collègue. Je m'en occupe, je te dis, poursuivit-il, marmonnant. Je suis aussi qualifié que toi ou les autres.
-Grant...
-Thompson, intervint Thomas, faisant une fois de plus se figer légèrement le garde dans son expression désespérée. Je ne suis pas en danger de mort, vous pouvez y aller.
Le regard que lui jeta son garde du corps semblait hautement douter de ce fait, mais il finit par hocher la tête très légèrement et tourner les talons, sur un coup d'?il incertain au nommé Grant. Celui-ci ferma la porte derrière lui, l'air soulagé, et se posta alors devant celle-ci, les mains croisées devant lui dans une posture régulière. Thomas le fixa un moment, le sourcil haussé dans un mélange de perplexité et d'amusement.
-...Je te connais pas, toi...
-Agent Steve Grant, monsieur Hammond, déclina immédiatement le garde.
Le ton solennel et définitif le fit cligner des yeux. Eh beh?
-T'es nouveau, toi... Tu sors de ton entraînement, ou bien? Questionna-t-il d'un ton léger, s'allongeant de nouveau dans le canapé sans quitter le blond des yeux.
-Je peux vous assurer que j'ai terminé ma formation il y a plusieurs mois, monsieur. L'opportunité d'être utile à votre famille ne s'est pas présentée jusqu'ici, cependant.
Thomas voulait bien le croire, oui. S'il avait dû confier la sécurité de quelque chose de précieux à quelqu'un, il aurait probablement arrêté son choix sur un individu d'un gabarit un peu plus conséquent. Il semblait improbable qu'une veste pare-balles ait jamais été faite pour quelqu'un de si petit. Le plus étonnant était qu'il avait l'air de vouloir être là...
-...Et vous faites quoi dans ce métier, par curiosité, Steve?
Peut-être qu'il s'agissait d'une tradition familiale par chez lui? Voilà qui aurait justifié sa présence improbable dans le domaine. Mais l'agent secoua la tête, le menton toujours levé avec dignité, toujours en évitant de le regarder droit dans les yeux. Eh beh.
-Je suis entré au FBI pour essayer d'obtenir ce genre de poste dès la fin de mes études, monsieur.
-Études en quoi?
-Technique policière, principalement, monsieur.
-Et à part ça?
-...Arts plastiques.
Sacré combo, avait songé Thomas, amusé. Il n'en avait toutefois pas pensé grand-chose, interrompus qu'ils avaient été par la sortie d'Élaine du bureau du président, un Doug clairement exaspéré la suivant en tentant de la raisonner. Thomas roula des yeux, las, mais se tira hors du divan pour les suivre docilement, résigné à se traîner les pieds derrière le reste de sa famille depuis des années. Steve fit immédiatement un pas de côté pour libérer l'accès à la porte, avant de passer derrière Thomas, regardant autour de lui comme s'il redoutait de devoir le protéger du deuxième garde qui venait de les rejoindre.
La soirée avait été longue, après ça. Très longue. Un énième débat sur la candidature, ou pas, d'Élaine à la présidence, les échanges de plus en plus venimeux entre son père et sa mère, entre Doug et leur grand-mère, et vraiment, la présence des gardes du corps qui écoutaient sans mot dire les insultes qui volaient dans la pièce ne faisait rien pour rendre le tout moins désagréable. Thomas s'était progressivement avachi dans le canapé de cuir au fur et à mesure que le temps passait, peu tenté de participer aux échanges.
-Toi, mon garçon, après avoir vendu ta mère à une journaliste parce qu'elle avait de beaux seins, tu n'as pas à la critiquer sur ce qu'elle a dit à la presse!
-Oh, c'est vrai, j'oubliais que je me tenais en compagnie d'un modèle de vertus et de fidélité. Comment s'appelle la dernière de tes conquêtes qui est passé à Saturday Night Live, déjà?
-Ne me blâme pas pour ton irresponsabilité, Douglas!
Pas qu'il avait quoi que ce soit à ajouter, par ailleurs.
-Le vice-président menace de te poursuivre en justice pour l'avoir frappé, ne me parle pas d'irresponsabilité. Mes erreurs ne vont pas faire la première page du New York Times demain si on ne les en empêche pas!
-Ah, c'est vrai que l'annulation de ton mariage, elle, n'a embarrassé personne.
-Maman, s'il te plait- Douglas a raison, Bud. La priorité est d'empêcher Collier de faire plus de bêtises que nous ne pouvons en gérer. S'il lance une poursuite contre toi, le scandale...
Thomas ferma les yeux, las, laissant les voix se mêler dans une incohérente tempête d'anxiété et de colère. Son opinion sur les problèmes 'sérieux' de la famille (tousse, tousse, du gouvernement) ne valait pas la peine d'être entendue, il en était conscient (et peu concerné par ce fait), et qu'aurait-il pu vouloir ajouter d'autre? Demander à aller à sa boîte? Ben tiens. Faire remarquer aux autres qu'il y avait exactement un mois depuis l'ouverture et son overdose? Il imaginait déjà le blanc qui suivrait. Dire ce qu'il pensait sur les échanges de plus en plus vifs du petit groupe? Rajouter de l'huile sur le feu n'améliorerait pas les choses, et au rythme où le débat avançait, ils y seraient probablement encore lorsque sa mère se changerait pour aller retrouver un président étranger ou un monarque quelconque.
Il se tira hors du canapé, jetant un coup d'?il au dos tourné de sa mère et à la posture tendue de son frère, avant de prendre la direction de la cuisine, passant une main dans ses cheveux. Il n'était pas sûr d'à quand remontait son dernier repas, mais il n'avait pas faim. Un énième symptôme du manque de substances dans son organisme, songea-t-il, se demandant vaguement quoi boire pour passer aussi longtemps que possible dans la pièce vide. Il envisageait un simple verre d'eau quand il se retourna à demi en réalisant qu'il avait été suivi.
Il cligna des yeux sans comprendre, puis baissa le nez, et émit un petit 'oh'.
-Steve, salua-t-il. Un truc à boire?
-...Je veux bien, monsieur.
Il eut un petit rire, secouant la tête, et ouvrit le frigo pour en sortir la carafe d'eau que quelqu'un d'autre avait mise à refroidir pour eux. Il remplit deux verres et en tendit un au garde du corps, vaguement soulagé de voir qu'il était capable d'en soutenir le poids.
-Appelle-moi TJ, tout le monde le fait. Garde les 'monsieur' pour Douglas, il aime ça.
À une époque, il avait été amusé de voir son frère bomber le torse d'un air important lorsque, pour la première fois, il avait été Monsieur Hammond et non 'petit' ou 'gamin'. Des années et des années plus tôt, bien sûr, lorsque Doug et lui étaient encore des jumeaux et avaient encore quoi que ce soit à partager.
-Bien, mons- ...TJ.
Thomas eut un petit rire, se laissant tomber dans un siège de l'îlot de la cuisine. Steve l'imita, l'air un peu hésitant.
-N'aie pas l'air si gêné, renifla Thomas, amusé malgré lui. De nous deux, c'est toi qui assistes à mon lavage de linge sale familial. Vous êtes entraînés à garder votre sérieux quand deux présidents se disputent, ou bien c'était juste trop embarrassant pour intervenir?
-Les affaires personnelles de nos clients ne nous concernent pas, répondit Steve avec un petit haussement d'épaule hésitant. Nous ne sommes là que pour assurer leur sécurité.
-Mouais. Bon, t'as parlé d'arts, tout à l'heure. T'étais en quoi?
Autant essayer de chercher une distraction. Peut-être pourraient-ils s'entendre, si le petit blond avait un intérêt pour la musique? Mais il fut rapidement contrarié dans ses espoirs.
-Dessin. J'ai étudié une petite année à Brooklyn. J'avais raté les tests de qualifications pour être policier la première fois, mais je les ai eus ensuite.
-...Tu dessines encore?
-Un peu, monsieur. J'ai pas mal de temps libre. Je, euh. Je tends à rester en renforts. Au cas où.
Surprenant. Thomas eut un sourire.
-TJ.
-...TJ.
-Je fais du piano, moi. Jamais été doué pour le dessin, remarque.
-Oui, j'en ai entendu parler. Euh -enfin-
Cette fois, Thomas eut un rictus franchement amusé au coin des lèvres. Il décida d'épargner quelques souffrances à l'apprenti-garde du corps. Celui-ci était agréable à avoir près de lui, notamment parce qu'il n'était pas encore très doué à son boulot. Il était dédié à ce qu'il faisait, c'était évident, mais il était clair qu'il n'avait pas l'habitude d'être auprès de cibles à protéger. Il était mignon, tiens.
-Si ça te dit, tu m'enverras quelques dessins la prochaine fois que tu viendras me protéger.
Il n'était pas le plus grand fan d'arts visuels qui soit, mais il savait reconnaître une jolie chose quand il en voyait une. Et la dernière fois qu'il avait vu son club, la seule et unique fois, il s'était dit qu'il manquait de décoration. Il pourrait au passage encourager un peu le petit blond. Celui-ci cligna des yeux, puis sourit. Thomas, amusé, vida son verre d'eau en gobant au passage une pilule verte que lui avait donné le médecin familial, pour aider à réduire les effets de manque.
-Je vais dormir, ils vont argumenter toute la nuit. Empêche-les de me réveiller s'ils finissent par se demander où je suis, tu veux? À moins que tu veuilles te joindre à moi, hein, ajouta-t-il avec un clin d'?il seulement à demi sarcastique, prenant la direction des escaliers.
Il doutait fort que son offre soit prise au sérieux, mais au final, il n'avait partagé son lit avec personne en plus d'un mois, et l'ennui commençait à se faire sentir de ce côté-là. Il attrapa deux somnifères sur sa table de nuits pour arriver à fermer l'?il, et se glissa sous les draps sans particulièrement avoir hâte au lendemain. Un drame aurait été évité ou aurait eu lieu; qu'importe, la situation n'en serait pas plus calme ou agitée dans la maison, et lui n'aurait pas davantage à faire.
Il ne revit pas Steve avant trois jours; à la place, Thompson reprit son poste habituel en le surveillant pendant toutes ses heures éveillées. Ce ne fut que lorsque Thomas demanda à avoir des nouvelles de Steve Grant que celui-ci réapparut. Ce n'était pas que Thompson était particulièrement désagréable, mais, précisément, il n'était pas particulièrement quoi que ce fût. S'il était écrit dans ses directives qu'il ne devait pas se mêler de la vie de ses clients, il prenait la question très au sérieux, manifestement, au point de prétendre ne pas entendre lorsque Thomas lui parlait. Steve refit son apparition un après-midi où il était seul chez ses parents, et avait passé la journée à écouter la télévision en évitant les chaînes de nouvelles.
-Hey, le salua-t-il avec un petit sourire, levant une main pour tapoter ensuite le canapé à côté de lui. Thompson a fait sa ronde avant de partir, pas de tueur fou planqué dans un placard. Tu me rejoins? Je cherche un film à écouter.
-...Si vous voulez appeler vos amis, je peux vous laisser avec eux, monsieur, offrit le blond avec une moue. Je devrais les fouiller à l'entrée, mais...
-Laisse tomber, j'ai pas d'amis, Steve. Allez, je suis pas si pénible et tu es payé pour ça, donne-moi une idée de film ou occupe-moi.
-Je... N'ai pas vraiment d'idées...
Thomas soupira, se rappuyant contre les coussins du canapé avec une moue lasse aux lèvres. Voilà qui était plus pitoyable qu'il ne l'avait espéré. Soit, soit, songea-t-il, attrapant la télécommande sur la table de la cuisine pour changer de chaînes. Infopublicités. Dessin animé pour enfants. Télé-réalité. Scandale de drogue de l'une des participantes, blonde avec des seins qui auraient probablement fait perdre son anglais à son père. Il retourna aux émissions pour enfant, tendant le bras au-dessus de sa tête pour attraper les pilules contre les symptômes de manque qu'il commençait à ressentir de nouveau. Steve demeurait silencieux. L'amener ici avait peut-être été une mauvaise idée.
-En fait, lança le garde, juste comme Thomas envisageait de se redresser et d'aller chercher quelque chose à boire pour s'occuper, je ne sais pas si ça peut vous intéresser, monsieur, mais j'ai commencé à écouter un film hier soir que je n'ai pas fini. Sacré Graal, c'est de l'humour britannique-
-Je connais, coupa Thomas, levant le nez avec un rien de surprise, puis un sourire. Tu le trouve sur Netflix et je vais chercher du pop-corn?
Ils passèrent ainsi les deux heures suivantes devant la télévision, un peu mal à l'aise d'abord, puis de plus en plus amusés par le film et confortables à laisser leur rire passer devant l'autre. Steve avait un rire assez mignon, une fois détendu, observa Thomas, se demandant vaguement s'il arriverait à chasser le professionnalisme de l'autre pour l'attirer à l'étage et découvrir quels autres sons il pourrait obtenir de lui. Pour l'heure, toutefois, il fut content de voir le garde conserver un large sourire une fois le film terminé, l'air moins sérieux qu'avant.
-J'adore ce film, marmonna-t-il, récupérant les trois derniers grains de pop-corn au fond du bol avec un petit rire. Leur meilleur, sérieusement. Princess Bride, tiens, tu connais? Voyons voir...
Il ne parvint pas à trouver le film en question, malgré ses efforts de recherche. Avec une moue, il avait donc offert à Steve de revenir le lendemain; qu'entretemps, il se serait arrangé pour aller chercher une copie physique du film. Le garde ne protesta aucunement, son adorable sourire demeurant au coin de ses lèvres.
Oui, vraiment, Thomas n'aurait rien contre les découvrir de plus près, ces lèvres, éventuellement, décida-t-il.
Steve repartit chez lui en après-midi, après qu'ils aient discuté cinéma et musique pendant une bonne heure, jusqu'à ce qu'un vieux garde du nom de Hopkins ne vienne relever le petit garde du corps, paraissant soulagé de voir les deux jeunes hommes vivants. Thomas jeta un regard un peu de travers au plus vieil agent après que la porte se soit refermée sur un blond un peu renfrogné par l'attitude de son remplaçant.
-C'est cool de voir que vous m'avez envoyé quelqu'un à qui vous faites confiance, hein, lança-t-il en récupérant un verre d'eau et deux cachets dans la cuisine. Relaxez-vous un peu. Si quelqu'un veut tuer un fils de mon père, ils viseront Doug.
Devant le silence professionnel qui lui répondit, il eut un sourire en coin en avalant les pilules, les yeux rivés sur Hopkins.
-Et en attendant, Steve a un peu de conversation, lui.
-Avec un sens des priorités pareil, en effet, personne ne perdra de temps à essayer de vous tuer.
Thomas eut un petit rire désabusé, finissant son verre d'eau en deux gorgées avant de prendre la direction du salon et du piano qui s'y trouvait toujours. En s'installant au clavier, il feuilleta les partitions qu'il y avait abandonnées la dernière fois qu'il avait joué. Steve Grant n'avait aucune connaissance de la moitié des auteurs classiques qu'il avait tenté de mentionner devant lui. Il l'avait perdu à Beethoven, qu'il avait dit, avant de se défendre en déclarant que son truc à lui, c'était plutôt les années vingt et trente.
Pensivement, il fit passer les titres des pièces, jouant quelques notes de-ci de-là pour les goûter du bout des doigts. Il entendit Hopkins soupirer à quelques reprises, clairement agacé par ses exercices, jusqu'à ce qu'il se lasse et aille s'installer devant la télévision, dans la pièce d'à-côté. Sans s'en préoccuper outre mesure, Thomas passa l'après-midi sur le banc du piano, à choisir des compositions ou d'autres qu'il aimerait faire découvrir au garde du corps rachitique; et il y mit plus d'enthousiasme qu'à n'importe quoi en plusieurs longs mois.
Steve revint le lendemain, et le surlendemain, et le jour d'après. Elaine et Douglas revenaient à peine à la maison avec assez de régularité pour dormir de temps à autres, et Thomas et Steve étaient donc presque toujours seuls. Steve se montra un bon appréciateur de musique classique, écoutant avec intérêt ce que Thomas lui présenta. Il gardait toutefois entre eux une certaine distance qui, sans être de la timidité, résultait clairement, aux yeux de Thomas, de son hésitation à transgresser les règles de son travail -quelque chose qu'il trouvait à vrai dire plutôt mignon. Steve était dédié à son travail avec une grande détermination, comme lorsqu'il arrivait à la maison et refusait de s'installer avec Thomas dans le salon avant d'avoir de lui-même fait le tour de la maison pour s'assurer qu'ils étaient bien seuls et qu'aucun terroriste ne se cachait dans le système de ventilation. Thomas se garda bien de lui demander ce qu'il avait l'intention de faire le cas échéant, ne tenant pas à insulter le petit blond en insistant sur son absence probable de capacités physiques. Patiemment, il l'attendait en grignotant quelques grains de pop-corn et en lançant le DVD du jour, attendant que le garde du corps le rejoigne pour s'allonger paresseusement dans le canapé et appuyer sa tête sur ses genoux.
Il l'embrassa pour la première fois alors qu'ils venaient de terminer d'écouter un film d'action. Il avait trouvé l'?uvre assez quelconque, blasé depuis longtemps des histoires de complots politiques menaçant la vie d'un président pour être particulièrement fasciné par le sauvetage in extremis de celui-ci dans le geste héroïque d'un grand macho musclé défendant sa patrie. Steve, toutefois, avait paru assez fasciné par le film, et Thomas s'était surpris à le regarder avec plus d'intérêt que le gigantesque écran de télévision.
Le regard passionné du blond, la légère crispation dans sa mâchoire dès lors que l'action reprenait et que Rambo (ainsi Thomas avait-il amicalement surnommé le protagoniste du film, trop peu charismatique pour qu'il se rappelle de sa véritable identité) tentait une action téméraire pour sauver la patrie des infâmes terroristes qui menaçaient les États-Unis d'Amérique; tout dans cette attitude fascinée était absolument adorable aux yeux de Thomas. À la toute fin du film, alors que Rambo refusait généreusement une récompense pour services rendus à la patrie, il y avait eu une petite étincelle dans les yeux de Steve, un rien de sourire ému sur ses lèvres fines, et Thomas n'avait pu se retenir, attrapant le soldat par le devant de son T-shirt pour l'attirer à lui et embrasser ce sourire, le goûter contre ses propres lèvres.
Steve était demeuré figé sur place quelques instants, les joues rosies de surprise, avant de paraître rassembler beaucoup de son courage pour jeter un coup d'?il autour d'eux, puis de lui rendre son baiser, avec une adresse assez étonnante. Quand ils se séparèrent, Thomas sourit et lui caressa gentiment la joue avant de pointer le haut des escaliers.
-On monte à ma chambre? Offrit-il, amusé.
-...E-est-ce que vous êtes sûr? Je ne suis pas exactement- nous ne sommes pas vraiment de la même... classe, bafouilla Steve avec une hésitation touchante.
-Crois-moi, tu es pas mal plus haut que moi sur l'échelle sociale, ces jours-ci, rétorqua Thomas avec un sourire. Ça te tente, non? Alors où est le mal?
Steve n'avait absolument pas le talent au lit qu'il avait pour embrasser, découvrit Thomas durant la fin de l'après-midi. Il ne s'en formalisa pas particulièrement, satisfait, tout simplement, par la présence enivrante du joli blond dans ses bras et sa proximité qui le faisait se sentir plus vivant que quoi que ce soit ne l'avait fait depuis sa dernière ligne -et son overdose. Leur étreinte achevée, Steve lui demanda s'il avait des regrets en le voyant se lever pour aller prendre ses médicaments. Souriant, il se pencha pour embrasser son garde du corps avec douceur.
-On remet ça? Mon père va pas tarder, mais tu reviens demain, non?
Steve revint le lendemain. Ils remirent définitivement ça.
C'était devenu une routine, à présent. Steve venait le voir presque tous les jours, et Thomas s'assurait que le blond soit bien son garde du corps officiel, payé comme tel, et surtout, laissé seul avec lui la plupart du temps. Ils écoutaient toujours des films ensembles, jouaient aux vieux jeux vidéo de Douglas, mais désormais, il suffisait d'un coup d'?il de la part d'un d'entre eux vers les escaliers pour qu'il se retrouve sur son lit, incapable de penser à quoique ce soit d'autre qu'à son plaisir et à celui de Steve, le monde autour de lui entièrement oublié et remplacé par la présence enivrante du blond.
Sa vie en était améliorée, légèrement. Il aurait aimé avoir autre chose que ces étreintes à attendre tous les jours, lorsqu'il se levait pour se traîner à la table du déjeuner où il écoutait inlassablement les disputes de sa famille, mais il supposait qu'il s'agissait d'une amélioration par rapport à la drogue. En tout cas, c'est ce que considéreraient sans doute la plupart des gens. Et puis, le sourire de Steve était joli. Il aimait bien l'avoir pour lui et songer qu'il était en parti responsable de le voir paraître de bonne humeur. Il espérait silencieusement que Steve ne rentrait pas chez lui pour mentir à une jolie fille sur ses activités de la journée, mais n'aurait jamais interrogé le blond sur la question. De quoi le faire se sentir piégé.
La menace terroriste passa alors que la campagne politique s'ouvrait avec rage entre sa mère et le vice-président. La position fragile de celle-ci justifiait toutefois de continuer à employer un garde du corps à temps plein, et personne ne protesta lorsqu'il demanda à garder Steve la plupart du temps. Il se demandait si sa famille se doutait de ce qu'il faisait avec le blond lorsqu'ils étaient laissés seuls, ou s'ils étaient simplement soulagés de ne pas le voir se présenter à table avec les yeux rouges ou les mains tremblantes et de pouvoir se consacrer à leurs propres occupations. Il y avait du cynisme un peu égoïste dans la question, il le savait -mais il gardait ces réflexions pour lui-même et ne demandait même plus à aller à son club; on ne pouvait pas le blâmer de contrarier la campagne présidentielle familiale.
Le problème était toutefois que l'image publique de la famille Barish était apparemment d'une importance capitale pour faire regagner des points à sa mère, et que ses précédentes 'bêtises', ainsi que les avait qualifiées son père, étaient encore fraîches dans la mémoire des électeurs. Il n'avait pu le nier longtemps : il écoutait bien les nouvelles télévisées, tard le soir, quand Steve était retourné chez lui et qu'il faisait tourner un verre de vin (pour mieux dormir) dans sa main. Si Mme Barish ne pouvait gérer ses propres fils, comment gérerait-elle un pays? Se demandaient les républicains avec froideur. Entre son frère, divorcé pour avoir trompé sa femme presque au moment du mariage, et lui, le scandaleux petit suicidaire gay drogué jusqu'au bout des ongles, à quoi devait donc s'attendre le pays si elle était élue? Se moquaient les nouvelles humoristiques du vendredi soir. Il était impératif qu'il apparaisse sobre, plein de soutien pour sa mère et en parfait contrôle de sa vie, avait rapidement conclu son père, lui faisant remarquer pour la première fois qu'il n'avait pas mis le pied hors de la maison plus de cinq fois en près de six mois.
Ainsi donc, les sorties officielles avaient commencé, à son grand regret. Aux discours publiques, aux visites officielles, il apparaissait auprès de sa mère, souriait et prétendait de ne pas remarquer que les flashs des caméras s'activaient furieusement à sa sortie de la voiture, attendant que les journalistes se lassent de chercher le moindre angle laissant paraître qu'il était aussi drogué qu'au moment de sa disparition du public. Steve se retrouvait à le suivre où qu'il aille, quelque chose qui le désolait quelque peu pour le pauvre garde du corps qui avait dû s'habituer à être payé sans vraiment avoir de travail.
Mais Steve ne se plaignait pas. Il apparaissait peu satisfait, fronçait les sourcils à l'occasion alors qu'il le précédait hors des voitures et le suivait comme son ombre, mais il ne faisait pas plus de commentaires qu'en aurait fait celle-ci. Et quand Thomas l'embrassait, dans l'espace privé de l'habitacle aux vitres teintées de la voiture, Steve lui répondait avec une tendresse qui lui faisait chaud au c?ur.
Rétrospectivement, vraiment, Thomas devait admettre qu'il avait été un abruti aux yeux fermés pendant toute la durée de la campagne. Il se demandait parfois s'il serait demeuré longtemps aussi passif, blasé et indifférent au monde qui l'entourait, si les choses n'avaient pas changé soudainement, le réveillant comme un seau d'eau glacée au visage.
La journée s'était mal passée depuis leur arrivée sur les lieux d'un énième discours. Il n'avait pas pu passer une journée tranquille à la maison avec son garde du corps préféré depuis une semaine presque entière, et il se sentait de plus en plus nerveux dès lors qu'il devait sourire à un public qui scrutait ses faits et gestes. Il faisait gris, il faisait chaud et collant et il avait soif, et Douglas, aussi sur les nerfs que lui, avait mal pris de le voir rouler des yeux et suggérer que la dispute qu'il avait avec son père était d'une importance négligeable.
-Et toi, hein?! Avait-il répondu avec froideur pendant que leur père quittait l'autobus de campagne en claquant la porte, les laissant seuls avec Steve et Hopkins, lequel avait prétendu être absorbé par sa contemplation de la fenêtre pendant l'entièreté de la dispute. Tu te montres utile dans tout ça, à traîner les pieds en permanence? J'essaie d'aider maman, contrairement à toi!
-On ne m'a rien demandé, à moi, rétorqua-t-il en croisant les bras sur sa poitrine et en jetant un ?il par la fenêtre. Tu t'impliques dans tout ça, tant mieux, mais elle n'a besoin de l'aide de personne.
-En attendant, encore heureux qu'elle n'ait pas besoin de la tienne! Le contra avec colère son frère. Tu crois qu'elle n'a pas remarqué que tu te fichais de sa campagne? Elle passe la moitié de son temps à garder un ?il sur toi parce que tu n'es pas foutu d'essayer de la rassurer-
-Oh, alors je suis le pire fils de nous deux, sourit Thomas, avant de laisser passer un rire nerveux. Je cause tellement plus de problème que toi, mon frère. C'est vrai que je n'essaie pas de blâmer l'échec de toute ma vie personnelle sur le fait que je fais un si bon travail professionnellement -est-ce que ce n'est pas ce qui est écrit dans tous les journaux, Doug, que tu es le type le plus intègre qui soit dans la politique actu- ah!
Il étouffa son cri de surprise quand Doug le poussa brutalement contre l'habitacle, manquant lui faire perdre l'équilibre. Sa mâchoire se crispa de tension, cependant qu'il fixait son frère avec choc, secoué et hors d'haleine. Doug paraissait aussi surpris que lui de son geste, mais il se reprit rapidement et lui jeta un regard de nouveau noir.
-J'ai fait des erreurs, TJ, mais j'essaie de me rendre utile. Toi, tu te contentes d'avoir l'air malheureux et d'agir comme si chaque heure que tu passes avec nous est une torture. Toi, et tout ce que tu as fait depuis deux ans, c'est un poids qu'on doit essayer d'assumer pendant toute la campagne, et c'est moi qui dois contrebalancer tout ça pour la presse et pour maman. Alors si tu pouvais arrêter de te lamenter sur ton sort et essayer d'avoir l'air de bonne volonté-
-Un poids, hein?
Sa voix était à peine plus qu'un sifflement, et il ragea envers lui-même lorsqu'il sentit ses yeux se remplir de larmes. Douglas parut repasser ses propres mots dans sa tête, et il secoua la tête, laissant passer un soupir.
-TJ, ce n'est pas comme ça. Je te demande juste de comprendre -TJ!
Il ne répondit pas à l'appel de son frère, claquant à son tour la porte de l'autobus. Dehors, il faisait toujours aussi chaud, collant et gris. Il jura en essuyant ses larmes d'un revers de poignet, faisant rapidement le tour de l'autobus pour éviter d'être vu et cherchant sa boîte de médicament d'une main tremblante. Il l'échappa au sol, ferma les yeux quelques secondes et se pencha de nouveau pour la reprendre. Il venait de faire sauter le bouchon lorsque la porte du bus se ferma de nouveau et il serra la mâchoire, un frisson courant le long de son dos malgré lui.
Pas d'incident, pas d'incident.
Calme. Il devait être calme, tenta-t-il de se convaincre, et puis le premier flash se fit entendre. Il rouvrit les yeux et réalisa soudainement qu'il serrait le flacon de médicament à demi-levé vers sa bouche, comme s'il avait eu l'intention de le vider. Puis il y eu un deuxième flash, une question qu'il entendit mal.
Pas d'incident, sourire, calme. Tout va bien. Pas un poids, pas un problème. Pas de scandale.
Il tenta de relever ses lèvres en un sourire, mais elles se tordirent malgré ses efforts et ses yeux s'embuaient, brûlaient de nouveau alors qu'il tentait de battre des paupières pour se débarrasser de ses larmes. « Mr Hammond? » « Regardez-ici! » « ...Programme de réhabilitation-? »
Pas d'incident. Il devait- Il devait faire face, sérieux, se défiler, sourire, calme, ne pas leur donner de scandale à utiliser. Il savait -il avait vu sa mère se tirer de ce genre de situations des dizaines de fois, sourire, partir, s'éclipser sans perdre le contrôle- s'il pouvait seulement lever la tête et savoir que ses yeux ne seraient pas rouges, que-
« ...le Républicain Sean Reeves... » « ...Vos intentions pour... » « Est-il vrai que vous avez une relation avec- » « S'il vous plaît- hors du chemin, oui, merci, reculez, reculez. »
Il inspira profondément, son souffle tremblant, lorsqu'une main serra son épaule. Il fut poussé à prendre une direction et rouvrit enfin les yeux, ahuri d'apercevoir la petite silhouette blonde à son côté. Confus, il manqua trébucher, et Steve le poussa vers le côté du bus, parlant avec fermeté, des mots qu'il n'entendait pas entièrement, ses propres oreilles bourdonnant trop fort. Avant qu'il ne comprenne bien pourquoi les voix des journalistes s'étaient soudainement tues, un moteur démarra et il réalisa brusquement qu'il avait été guidé par son garde du corps jusqu'à une voiture. Il cligna des yeux à quelques reprises et regarda par la fenêtre de la porte que Steve venait de claquer, à son côté, avant de faire le tour de la voiture et de s'installer au volant. Il démarra immédiatement, et Thomas le fixa sans comprendre.
-...Tu fais quoi, là? Le discours a pas commencé- Steve?
-Il y a des mouchoirs dans la boîte à gants, répondit le garde, ignorant le regard confus de Thomas pour s'étirer et regarder dans le rétroviseur en sortant la voiture de son parking.
Clignant des yeux à quelques reprises, il se pencha pour regarder à travers le pare-brise. Steve l'avait entraîné dans un des deux gros SUV noirs de la sécurité qui les accompagnaient à travers toute la campagne. Les journalistes avaient clairement suivi jusqu'à la voiture, mais les vitres teintées les avaient découragés de s'obstiner, et ils regardaient leurs appareils, se demandant visiblement s'ils avaient pu croquer quoique ce soit qui vaudrait un article ou une rumeur. Tentant à l'aide de profondes respirations de calmer les battements frénétiques de son c?ur, il chercha des yeux la scène derrière laquelle sa mère devait se préparer à son discours.
-...Steve, fais- fais juste le tour du parking, murmura-t-il, fronçant les sourcils. Ça va aller, je vais juste -je vais me faire discret, merci de m'avoir tiré de là, mais faut que j'y retourne-
-Ils s'en tireront bien tous seuls pour une fois, Thomas. Calme-toi, tout va bien, insista le garde avec une douceur surprenante, lui jetant un coup d'?il de côté, puis lui serrant gentiment le coude. Fais-moi confiance et calme-toi, tout va bien.
Thomas hésita, incertain, puis se décida sans trop savoir à quoi, et tenta de faire ainsi que lui demandait le blond. Il prit une profonde inspiration, fermant les yeux, et accepta le mouchoir que finit par lui tendre Steve, essuyant ses joues humides avec une certaine honte. Quand il parvint à respirer calmement et que ses yeux furent secs, il regarda autour de lui. Ils étaient sur l'autoroute, le village où le discours devait avoir lieu disparaissant derrière eux. Il était sur le point de demander une fois de plus à Steve ce qu'il pensait être en train de faire lorsque le walkie-talkie accroché à la ceinture de celui-ci émit un bruit de neige, les faisant sursauter tous les deux.
-Grant? Demanda une voix masculine. C'est toi qui as pris la voiture? Qu'est-ce qui te prend?
-Le fils de Mme Barrish se sentait mal, répondit Steve après avoir marmonné un vague juron et tiré l'appareil de sa ceinture, le tenant près de sa bouche tout en conduisant. Il avait besoin d'espace et les paparazzis étaient des abrutis. Rassure sa mère. Je m'en charge, il va bien. Rogers.
Il y eut un délai, puis de nouveau un bruit de neige, et une voix désormais incrédule.
-Grant, tu crois que tu fais quoi? Fais demi-tour tout de suite! Ce n'est pas à toi de-
-Je m'occupe de Thomas Hammond, répondit Steve, coupant court à son interlocuteur. Gère le reste de la famille. J'éteins.
Et il éteignit en effet, interrompant son collègue dans quelque protestation que ce fut qu'il avait été sur le point de lancer. Il jeta le walkie-talkie sur la banquette arrière et remit les deux mains sur le volant avant de jeter un coup d'?il à Thomas, qui le fixait avec surprise. Il lui sourit.
-Tout va bien? Tu te sens comment?
La question et le ton employé fit une fois de plus froncer les sourcils d'incompréhension à Thomas. Il s'était habitué à être tutoyé par le garde du corps (encore heureux; se faire vouvoyer au lit perdait de son charme, à la longue), mais entendre Steve lui poser la question avec cette calme tendresse le déstabilisait, curieusement. Il eut besoin d'un moment pour réaliser que le blond était le premier à lui poser la question en attendant une réponse depuis -son départ de l'hôpital, au moins. Et à l'époque, les médecins n'avaient certainement pas été si doux dans leur ton de voix.
-...J'ai... vu pire... J'espère que les vautours n'ont pas de photos de moi avec des pilules, dit-il en haussant les épaules, froissant le mouchoir dans ses poches. Maman n'a pas besoin de ça. Steve, faut qu'on y retourne... Ils auront des rumeurs à lancer si je suis pas là pendant le discours...
-Tu n'es pas en état.
-...J'te demande pardon? Protesta-t-il après un délai, ahuri par l'audace du garde. Je suis parfaitement en état. Steve-
-Tu as passé un flacon entier de tes pilules en trois jours, le coupa Steve, en lui jetant un regard en coin qui ne souffrait aucune contradiction. Et regarde-toi dans le miroir. Tu as des cernes jusqu'aux genoux, même sans compter que tu aies les yeux rouges. Je dors dans la chambre voisine de la tienne, tu as passé la nuit à tourner en rond et à te relever-
-Et alors?
La voix de Thomas était froide, à présent, défensive, son c?ur battant à tout rompre. Steve aussi allait l'accuser de ne pas faire d'efforts, à présent? Il allait lui dire d'arrêter d'agir comme un enfant et de tout prendre à c?ur, lui dire de se calmer comme à un petit garçon qui piquait sa crise? Il l'avait tiré loin des journalistes pour arrêter d'embarrasser tout le monde et lui dire en privé qu'il était embarrassant? Est-ce qu'il le gardait à l'?il depuis le début, sur les ordres de ses supérieurs, s'assurant qu'il ne faisait pas de bêtises? Il sourit, croisant les bras dans un réflexe nerveux, et secoua la tête.
-Je suis en contrôle, Grant. Je gérais. Ramène-moi au discours et prends ta démission avant que je te fasse virer la prochaine fois que tu seras à cinq mètres de moi. Je ne vais pas faire de conneries, c'est bon.
-Thomas, l'interrompit de nouveau Steve, avec un regard de côté qui paraissait à son tour agacé. Tu pleures. Je m'en fous, de ce que les journaux écriront sur toi demain. Ça fait trois jours que je te regarde prendre des triples doses de médicaments pour tenir le coup. Je veux que tu puisses te calmer loin de- que tu aies du temps pour toi sans penser à cette fichue campagne. C'est tout.
Thomas fixa le soldat avec des yeux confus, la bouche entrouverte. Steve arqua un peu les épaules, comme si mis mal à l'aise par son regard, mais ne revint pas sur ses mots, le regard fixé sur la route. Thomas remarqua qu'il était assis de manière un peu inconfortable pour parvenir à atteindre les pédales, incapable d'atteindre le dossier de son fauteuil pour s'appuyer dessus. Il conduisait avec une tension notable, mettant plus de concentration que nécessaire dans l'exercice.
-...Tu m'appelles toujours pas TJ, remarqua finalement celui-ci, incapable de lui donner une meilleure réponse.
-C'est un beau nom, Thomas, répondit le blond en haussant les épaules, paraissant se détendre un rien et lui adressant un rien de sourire. T-tu mettrais de la musique?
Dans une acceptation tacite de son kidnapping, Thomas ne protesta pas davantage, et tira de sa poche son iPod pour le brancher au lecteur de la voiture. Le silence se fit un peu moins inconfortable dans la voiture alors qu'il laissait le mode aléatoire remplir l'habitacle du son d'un piano.
-...C'est... Rachmaninoff? C'est ça? Le questionna le garde après quelques longues minutes.
-Lui-même, sourit Thomas après un instant de surprise initiale. Tu t'en es rappelé?
-Je l'ai retrouvé après que tu me l'as joué. J'aime bien... J'aime bien l'écouter en dessinant, le soir.
-...Tu ne m'as toujours pas montré tes cahiers à dessins, au fait.
-Je vais le faire, si tu veux, sourit le blond du coin des lèvres, en tournant le volant pour arrêter la voiture dans la cour d'une station-service. Je vais faire quelques provisions, tu veux quelque chose? J'en ai pour une minute.
-À ce stade... Du chocolat, principalement, répondit le brun avec un petit rire, penchant son siège pour attendre confortablement le retour de l'autre.
Il fut absent la durée de deux pièces courtes, laissant Thomas à tenter de calmer et de comprendre le sentiment étrange qui lui agitait l'estomac depuis les mots surprenants de Steve. Le retour de celui-ci ne le vit pas rouvrir les yeux, les jambes à présent dépliées sur le tableau de bord.
-Dis-moi que tu as une Coffee Crisp et je te donnerai la fortune familiale, plaisanta-t-il.
-Je me contenterai d'un sourire, va, rétorqua Steve en lui plaçant dans les mains le chocolat demandé, lui faisant rouvrir les yeux de surprise, puis sourire d'amusement et rencontrer les yeux de son garde du corps pour la première fois depuis.
Il l'attira près de lui par le col de son T-shirt et l'embrassa, son estomac se serrant de nouveau d'un sentiment inattendu et confus.
Steve lui caressa la joue avec douceur, et l'hésitation se transforma en une chaleur agréable qui se propagea dans sa poitrine et parut remonter jusqu'à ses joues, les faisant rougir très légèrement. Il ferma de nouveau les yeux, appuyant son front contre celui du conducteur, et ses doigts se fermèrent sur la friandise dans un geste de joie naïve. Il tenta de calmer la réaction nerveuse avant qu'elle ne se propage entièrement en lui, et il prit une respiration qui se révéla un peu plus tremblante qu'il ne l'avait attendue.
-...J-je suis pas sûr de comprendre ce que tu veux, Steve, admit-il, se maudissant en voyant une nouvelle fois sa vision se brouiller de larmes. Je- je me satisfais de juste... Juste... T'as pas à faire tout ça pour qu'on continue à... Et je devrais vraiment être là-bas...
-J'ai jamais été très doué à ce boulot de toute façon, répondit le garde, quoique sa voix manquait un rien de confiance. Quitte à me faire renvoyer, j'espère juste que je serai toujours invité à passer mon temps avec toi. Pour le moment, j'ai toujours un emploi et je suis content de te payer du chocolat, poursuivit-il avec un ton plus doux en voyant Thomas étouffer un rire nerveux. Laisse-moi conduire et détends-toi. D'accord?
Il hocha la tête sans argumenter davantage, la gorge un peu sèche, se sentant comme un enfant un peu honteux d'avoir piqué une crise après avoir été réconforté par ses parents. Une dernière fois, il pressa ses lèvres contre celles de Steve et sa main dans la sienne, appréciant chaque seconde du contact. Le soldat n'avait pas l'air plus pressé que lui de le repousser, loin de là; sa seconde main se glissa sur son épaule, puis derrière sa nuque; ses lèvres abandonnèrent sa bouche pour s'aventurer dans le creux de son cou, et la respiration de Thomas se brisa légèrement, ses lèvres s'entrouvrant. Ils étaient dans un parking de station-service, il le savait, mais Thomas ne pouvait s'empêcher de vouloir attirer le blond plus près de lui, de sentir sa peau contre la sienne, et l'idée même de le laisser s'éloigner-
-Everybody dance now!
Ils sursautèrent brusquement en même temps, se redressant spontanément sur leurs sièges respectifs en cherchant des yeux la source du bruit soudain : ils fixèrent du même air ahuri le poste de radio et le iPod de Thomas qui diffusait l'infâme chanson plutôt que la musique classique qui avait été à peine audible un instant plus tôt avant d'éclater de rire, le brun enfouissant son visage dans la paume de ses mains de honte.
-Qu'est-ce que ce truc-là fait sur ton lecteur? S'enquit un Steve hors d'haleine, les joues rosies d'amusement.
-J'ai été aussi petit que toi, à une époque, rétorqua Thomas, également rouge, quoique l'embarras avait une part égale avec son hilarité. Tu parles d'un moment ruiné.
-Tatata, ne touche pas à ça, ordonna le blond avec un large sourire en lui tapant le dos de la main lorsqu'il voulut changer de piste sonore. Maintenant que je sais que tu as aussi des goûts musicaux de roturier, il est trop tard, de toute façon. Et ça m'aidera à garder mes mains pour moi pour la fin du trajet. Mange ton chocolat, conseilla-t-il en démarrant le moteur de nouveau.
-Tu parles, marmonna Thomas tout en déballant la Coffee Crisp, grimaçant en entendant la suite de la chanson, si elle pouvait être appelée ainsi. Et tu sous-entends quoi, là? La musique classique te rend incapable de résister à mon charme?
-Pas plus que n'importe quelle autre trame sonore, mais la voix douce et mélodieuse de Bob Sinclar a le don de me refroidir. Sérieusement, qu'est-ce que ça fait là? C'est vraiment ton genre? ...Je ne te jugerai pas, hein, mais quand même...
-J'ai une boîte de nuit à mon nom, se défendit Thomas avec une moue. J'ai droit à un pourcentage de musique de mauvais goût. Tais-toi et conduis, Steve.
Le rictus amusé du blond demeura là où il était, gentiment moqueur, même si celui-ci ne se moqua pas davantage de lui en sortant la voiture du parking et en se remettant à conduire. La chanson terminée, Thomas eut un petit soupir de soulagement lorsque la radio se mit à diffuser Accidentally in Love plutôt qu'une autre des horreurs qui aurait pu être enfouie au plus profond de son lecteur.
Steve se mit à fredonner les paroles de la chanson tout en étirant le bras pour attraper quelque chose sur le siège arrière. Sur un rapide coup d'?il, Thomas réalisa qu'un sac de grande taille, rempli à craquer de dizaines de marques de chocolats, était le résultat des provisions de Steve.
Pas étonnant, qu'il ait eu ce qu'il voulait sous la main.
Il accepta avec un fin sourire la moitié de Twix que lui offrait son garde du corps et se retrouva à chanter les paroles avec lui, d'abord à mi-voix, puis de plus en plus haut et faux.
Ses cheveux lui fouettant le visage lorsqu'ils ouvrirent grand les fenêtres, un goût de caramel et de chocolat sur la langue, à massacrer des chansons idiotes et à voir le soleil commencer à transpercer le ciel nuageux, il chassa complètement de son esprit la pensée de Douglas, de la campagne présidentielle ou de sa famille en général, et pour la première fois en plus d'années qu'il ne pouvait s'en rappeler, il se sentait léger et vivant.
