Traduction de la fanfiction de Hollycomb

Note de la traductrice : Cette histoire est très triste et peut heurter certains lecteurs sensibles.

C'est aussi une belle histoire d'amour que j'essaye de traduire depuis des années, j'aimerai mener enfin ce projet à terme mais je ne peux pas le garantir, je ferai au maximum.


On était au mois d'octobre, la neige commençait à tomber quand la psy de l'école entra dans la salle des terminales pour voir Kyle. Le lycée n'avait qu'une seule classe par niveau d'étude, comme en primaire. A cause de la guerre, aucun doute là-dessus. La plupart des garçons qui restaient étaient devenus trop grands pour leurs bureaux, les genoux engourdis et trop près des tables. Trop grands pour South Park, comme pour tout autre endroit autre qu'un champ de bataille.

Kyle ne pouvait pas vraiment entendre ce que disait la psy, il percevait les sons comme à travers une énorme vitre, toutes les informations qui tentaient de passer à travers étaient confuses, floues, comme toujours quand il savait que quelque chose d'affreux arrivait. Il était devenu presque sourd juste après Montréal, pendant cette horrible semaine, quand les rares survivants du bataillon de South Park étaient rentrés. Le père de Kyle était revenu, pas celui Stan. Kyle le regarda en traversant la classe pour sortir, tout le monde le dévisageait. Stan se redressa comme s'il voulait se lever et Kyle baissa les yeux pour qu'il ne le fasse pas. Il n'y avait que lui qu'on avait appelé. Il ne l'avait pas vraiment entendu mais ça s'était enfoncé dans sa poitrine, inévitable, l'ombre immense de cette chose qui avait déjà eu lieu, qui était déjà fini.

Jimbo était là dans le couloir comme d'habitude, mais il n'était pas assis dans son fauteuil à lire le journal. Il était debout, anxieux ; ses mains serraient fermement son fusil contre son torse. Le père de Kyle était là, les yeux rouges, Ned silencieux à côté de lui. Jimbo et Ned s'étaient portés volontaires pour devenir les gardes du corps de la famille Broflovski quand les menaces de morts contre la mère de Kyle avaient commencé. Elle avait une horde de personne de l'élite spéciale qui voyageaient avec elle pour assurer sa sécurité, et Kyle savait, grâce à un instinct immonde, qu'on allait bientôt lui dire qu'ils avaient échoué.

– Quoi ? dit-il sèchement, en voulant détester son père pour pleurnicher comme ça. La mère de Kyle était partie pour un mois de discours à travers le pays sur l'importance de l'engagement, pour rallier des troupes. C'était dangereux, mais elle s'était engagée.

– Allons dans mon bureau, dit la ps. Elle ferma la porte de la salle de classe derrière elle, mais Kyle sentait que tout le monde les écoutaient.

– Kyle, dit son père d'une voix brisée.

– Ne me le dis pas, interrompit Kyle. Ne le dis pas. Je sais. Tu n'as pas besoin de le dire.

Il ne pleura que en montant dans la voiture pour rentrer à la maison, parce qu'il ne voulait pas rentrer, pas si sa mère ne retournait jamais chez eux. Gerald reniflait à côté de lui, lui tenait la main, et Kyle était toujours furieux contre lui pour des raisons absurdes qu'il ne connaissait pas vraiment. Jimbo conduisait, Ned était à sa droite.

– Maudits rebelles, dit Jimbo. On les aura, Kyle. Il disait ça comme si lui et Ned allaient les poursuivre. Ne t'inquiète pas pour ça.

– Heureusement qu'on n'a plus d'électricité, dit Kyle en essuyant ses yeux avec la manche de son pull. Il y avait sans cesse des pannes de courant depuis la deuxième année de la guerre, et cette coupure durait déjà depuis trois jours.

– Heureusement ? répéta Jimbo. Comment ça ?

– Parce qu'ils vont en parler, expliqua Gerald avant que Kyle puisse ouvrir la bouche. A la télé, à la radio. Il serra la main de Kyle. Je suis soulagé, moi aussi, dit-il. Ça me soulage tellement, pour vous les garçons.

Ike les attendait au rez-de-chaussé quand ils ouvrirent la porte. C'était dangereux, même si la maison était vide, mais Kyle ne dit rien. Ike était assis sur la dernière marche de l'escalier, les mains serrées sur ses genoux. Il ne se leva pas quand Kyle et son père rentrèrent, ne les regarda pas non plus. C'était blessant, comme s'ils se faisaient juger pour quelque chose. Kyle s'assit près de lui et le prit dans ses bras, calma sa respiration rapide et colérique. Jimbo et Ned restèrent dehors pour garder la porte d'entrée. De nouveaux gardes viendront, des gens qu'ils ne connaissent pas. Ike devra faire encore plus attention.

– Tu crois qu'ils l'ont torturé ? demanda Ike quand leur père quitta la pièce en marmonnant un truc sur le thé.

– Non, mentit Kyle.

– Ils vont ramener son corps ?

– Je ne sais pas, dit Kyle. Probablement pas, pensa-t-il. Il serra l'épaule de Ike, qui le repoussa violemment, en colère.

– Tant pis, dit-il en se levant. Ça ne fait rien. Elle ne venait jamais me voir.

– Ike. Kyle ferma les yeux. Il entendait son père pleurer et haleter dans la cuisine. C'était trop dangereux pour elle de venir ici, depuis longtemps, dit-il. C'était trop dangereux pour toi.

– J'aurais préféré qu'ils les laissent m'interner, qu'on me mette en prison dit Ike. C'était quelque chose qu'il disait souvent en ce moment, et Kyle avait la poitrine serrée à chaque fois qu'il l'entendait, parce qu'il se demandait parfois si Ike n'avait pas été emprisonné par sa propre famille.

– Ne rends pas les choses plus difficile pour Papa, dit Kyle.

– Il va y avoir des funérailles ? demanda Ike en se calmant un tout petit peu.

– Bien sûr. Toute la ville va venir.

Penser à ça l'épuisait. Il ne savait pas vraiment quoi faire avec son père – aller dans la cuisine et le réconforter ? Est-ce que ça le gênerait ? Stan avait été un pot de colle avec sa mère dévastée par la tristesse pendant au moins deux ans après la mort de Randy, mais ce n'est pas la même chose avec une maman.

Stan débarqua à peine quinze minutes plus tard. Kyle envoya Ike en haut à toute vitesse, parce qu'il entendait d'autres voix sur le palier de la porte. Il pensait que ça aurait pu être Sharon ou Shelly, mais il se rendit compte en ouvrant la porte qu'il aurait du deviner que c'était Wendy. Kenny et Cartman étaient là aussi. Kyle fut surpris de ne pas voir Butters, même s'il imaginait bien que Butters n'avait pas eu le droit de rater l'école.

– Vieux, dit Stan en s'avançant pour le serrer contre lui. Je suis désolé, chuchota-t-il. Je voulais venir seul.

– C'est pas grave. Kyle lui rendit son étreinte et s'accrocha à lui, ferma les yeux pour repousser les autres. Il savait bien que ce qu'il faisait était bizarre et qu'il profitait de la situation. Il posa son front contre le cou de Stan et ne bougea pas d'un millimètre, pas même quand Cartman s'éclaircit la gorge. Kyle aussi l'aurait voulu, de tout son cœur, et encore plus quand il recula d'un pas pour regarder Stan dans les yeux : J'aurais aimé qu'on reste juste tous les deux.

– Je suis tellement désolée, Kyle, dit Wendy alors qu'il ne la regardait pas. Les mains de Stan étaient posées sur ses hanches, elles l'effleuraient à peine. Kyle arracha ses yeux du regard de Stan pour jeter un coup d'œil aux autres.

– Ça craint, lança Kenny. Son père et son frère avaient été tués il y a des années. Ça l'avait rendu plus calme, plus difficile, mais aussi plus déterminé que jamais à prendre soin de sa mère et de sa sœur. Il avait deux travails et n'allait plus à l'école depuis ses quinze ans. Il parlait sans cesse de son désir de rejoindre l'armée.

– Désolé pour ta perte, dit Cartman, crispé. Kyle ne savait pas vraiment ce qu'il fichait ici, l'unique raison qu'il voyait était qu'il traînait toujours dans leurs pattes. Ça faisait des années qu'il ne se prenait plus la tête avec les délires de Cartman et ses complots en pagaille. Il avait plutôt pitié de lui, parce que sa mère s'était mise à se faisait rémunérer en échange d'une certaine compagnie auprès des hommes depuis la troisième année de la guerre.

– Rentrez, dit Kyle en s'éloignant un peu pour laisser de la place. Il s'enfonça dans le salon et ils suivirent. Je crois que mon père fait du thé.

– Ne te sens pas obliger de nous faire quoi que ce soit, vieux, dit Stan. Il s'assit à côté de Kyle sur le canapé et posa son bras autour de ses épaules. Est-ce que tu – t'es déjà sous le choc ? demanda Stan. Il connaissait pleins de choses sur les étapes du deuil. Kyle haussa les épaules.

– Pas vraiment, dit-il. Ça fait des mois que je l'avais pas vu. Tu vois ce que je veux dire ?

– Ces groupes anti-guerre ne sont que d'immondes hypocrites, cracha Wendy. C'était une vraie pacifiste, et Kyle savait qu'elle haïssait Sheila. Son blabla moralisateur sur les dégâts de la guerre donnait parfois à Kyle l'envie de lui jeter à la figure que son petit-ami prévoyait de rejoindre l'armée dès qu'il sera diplômé en mai. Tout ce qu'il pouvait espérer c'était que Wendy convainque Stan d'oublier cette idée. Si elle n'y arrivait pas, alors Kyle partira avec lui. Il ne pouvait pas imaginer pire enfer que South Park sans Stan.

Ses amis restèrent pour prendre le thé, que Kyle avait insisté pour servir. Il aimait avoir quelque chose à faire, même si ce n'était que préparer un plateau de biscuits secs et de mauvais cheddar qu'on leur avait distribué comme ration cette semaine. Cartman mangea presque tout à lui seul, en mettant des miettes sur le fauteuil qu'il occupait massivement.

– Plus qu'un mois, dit Kenny, et je pourrai enfin commencer à fusiller ces fils de fute.

– Je ne veux pas être irrespectueuse, commença Wendy – dont les parents étaient encore tous les deux en vie, volontaires à la Croix Rouge et qu'elle voulait rejoindre à son tour à la fin de l'année scolaire. Mais tu ne crois pas que tu aideras mieux ta famille en restant à South Park pour prendre soin de ta mère et ta sœur ? Plutôt que de te faire tuer en criant vengeance ?

– Ça ne fait rien si je me fais tuer, dit Kenny avec un étrange sourire presque inquiétant. C'est ce qu'il y a de mieux.

– Vieux, ferme-là, siffla Stan, et Kyle n'était pas sûr que c'était pour défendre la mémoire de la mère de Kyle ou pour faire comprendre à Kenny que sa vie avait plus de valeur que ça.

– Que feront ta mère et Karen quand tu auras rejoint l'armée ? demanda Kyle.

– Je leur trouverai un truc à faire, dit Kenny. Tu n'as pas besoin d'une femme de ménage ou deux ?

– Je ne crois pas qu'on puisse les payer, réfléchit Kyle, bien qu'il n'ait en réalité aucune idée de combien sa mère avait gagné en enchaînant les apparitions publiques et les interviews à la télé. Ses parents avaient toujours vécu petitement, ils comptaient les rations précautionneusement, mais Kyle pensait que c'était surtout dans une optique de donner le bon exemple.

– Ta sœur peut venir nettoyer chez moi, dit Cartman.

– Non, lança Kenny. J'ai rien contre ta mère, vieux, mais je ne veux pas que Karen traîne avec elle.

– Pourquoi pas ? répliqua Cartman en lui jetant un regard noir. Tu te crois tellement supérieur à nous ? Vas-y, casse-toi à la frontière et prends-les en assaut, tête de fon. On verra bien combien de temps ça prendra pour que ta mère vienne traîner aux pieds de la mienne pour un peu de fric.

– Les garçons, s'il vous plaît, intervint Wendy, en levant la main pour couper Kenny qui avait commencé à se lever du sofa. Nous sommes ici pour Kyle.

– C'est rien, dit Kyle. Faites comme si j'étais pas là. J'ai pas envie de parler.

Stan serra son bras un peu plus fort autour de sa taille en l'entendant, et Kyle leva la tête vers lui. Ses yeux étaient humides.

– Au moins je ne suis pas un lâche, moi, j'ai assez de courage pour m'engager, jeta Kenny à Cartman, qui s'étouffa.

– On peut tous se faire engager de toute façon, dit Cartman. Faut vraiment être un pauvre péquenaud de patriote pour se porter volontaire à crever avant d'être forcer à le faire.

– Hé, ferme ta gueule ! dit Stan. Sa main agrippa celle de Kyle quand son implant-V l'électrocuta.

– Faut vraiment être un pauvre orphelin sans père avec une vie de smerde pour dire ça.

– Les garçons ! s'exclama Wendy. Elle soupira. Désolée, Kyle.

– C'est rien, sérieusement, dit Kyle, plus agacé par elle par tous les autres réunis. Il voulait se blottir contre Stan et fermer les yeux, peut-être dormir un peu. Tu peux rester ce soir ? lui demanda-t-il à voix basse pendant que les trois autres continuaient de s'envoyer des piques.

– Oui vieux, bien sûr, dit Stan. Hé, ajouta-t-il pour Wendy, en se penchant en avant pour lui tapoter la jambe. Tu pourras dire à ma mère que je reste dormir ici ce soir ?

– Évidemment, mon cœur, dit-elle. Elle embrassa Stan sur la joue et se leva. Je vais les faire partir avec moi, dit-elle à Kyle en montrant Kenny et Cartman, qui étaient probablement à deux doigts d'en venir aux mains, en se jaugeant du regard et se crachant les insultes qu'ils pouvaient dire sans trop de risques de punition. Et je vais te faire un bon petit plat, ajouta-t-elle alors qu'elle les poussait vers la porte. Je t'amène ça ce soir.

– Tu peux le ramener demain, dit Kyle. Le visage de Wendy s'affaissa légèrement, mais elle hocha la tête.

– Très bien. Et – Je suis juste au bout de rue, si vous avez besoin de quoi que soit.

– Je sais, dit Kyle, en regrettant presque son ton sec.

– Désolé, dit Stan quand ils furent enfin seul. Je leur ai dit que tu ne voudrais que toute la bande se ramène, mais Wendy voulait -

– C'est bon, coupa Kyle. Il se laissa tomber sur Stan, posa sa tête sur son épaule. Je sais comment ils sont. Mais toi – ne pars pas.

– Je ne vais nul part, vieux, dit Stan. Il prit la tête de Kyle avec ses deux mains, en glissant les doigts entre ses boucles. Kyle garda les yeux fermés. Il aurait voulu avoir les couilles de dire à Stan ce qu'il voulait vraiment : Ne pars pas à l'armée, ne pars pas du tout. Où est Ike ? demanda Stan.

– A l'étage. Il est en colère. Mon père a chialé, tout à l'heure. Il doit être dans sa chambre maintenant. Tu crois que je dois aller lui parler ? Je ne sais vraiment pas quoi faire. Je ne sais même pas par où commencer.

– Tu n'as pas besoin de te faire du soucis comme ça, dit gentiment Stan. Tu trouveras un moyen. Laisse-toi le temps de reprendre ton souffle.

– Je ne peux pas. J'aurai toute ma vie l'impression qu'on attend qu'elle rentre de ce voyage, ou de n'importe quel autre voyage. Bon Dieu, j'espère que le gouvernement étouffera ça au moins cette semaine. Je ne veux pas qu'ils en parlent aux infos. Mais ils en parleront pendant des mois – des années.

– Tiens, dit Stan en prenant un des biscuits que Cartman n'avait pas eu le temps d'engloutir. Il le porta aux lèvres de Kyle. Mange quelque chose, insista-t-il.

– Pourquoi ? demanda Kyle, en riant.

– Je ne sais pas. C'est ce que je faisais à ma mère quand mon père est mort. Je vérifiais qu'elle mange bien.

Kyle mangea le biscuit que Stan lui présentait. Mâcher lui faisait du bien, et se sentir bien le fit fondre en larme.

Les camionnettes des journalistes arrivèrent avant le service de sécurité. Ils s'entassèrent sur l'allée devant une maison vide de la rue, mais aucun n'alla jusqu'à chez Kyle le premier soir. Stan était fou de rage à cause de leur présence, il faisait les cent pas dans la chambre de Kyle et regardait rapidement derrière les rideaux chaque demie heure, en les insultant quand il voyait qu'ils étaient toujours là dehors.

– Vieux, ignore-les, dit Kyle. Ils font juste leur travail.

– Ton père n'est pas en état pour leur parler, dit Stan. Ils avaient presque dîner normalement avec Gerald et Ike quelques heures plus tôt, en haut dans le grenier, c'était là que les Broflovskis mangeait habituellement. La mère de Kyle avait dans l'idée que ce serait bon pour le développement sociale de Ike s'il se sentait comme un hôte de maison.

– Et je ne veux pas qu'ils te harcèlent, confia Stan en lâchant le store pour se diriger vers le lit, où Kyle était allongé dans son pyjama de gamin. Tu n'es pas une personnalité publique. Ils n'ont pas le droit de t'obliger à parler.

– Calme-toi, dit Kyle. Stan s'assit à côté de lui, leurs dos appuyés contre la tête de lit. Il était hyper-protecteur avec Kyle depuis le jour où un gosse endeuillé à l'école primaire avait cassé la gueule de Kyle pour se venger de sa sale mère qui avait fait commencer la guerre. Ses deux dents de devant avaient été cassées pendant la bagarre. On avait dû lui mettre un bridge dans la bouche, et il avait encore aujourd'hui des cauchemars où elles se cassaient et où tous les dentistes américains s'étaient faits tuer pendant la guerre, et qu'il allait devoir vivre toute sa vie sans dents. Stan n'avait plus laissé Kyle seul dans l'école même une minute pendant les deux ou trois ans qui suivirent l'événement.

– Et pour Ike alors ? dit Stan. Vous ne pouvez pas laisser des journalistes fouiner comme des rats autour de chez vous. L'un pourrait se faire un trou dans le grenier.

– Stan, dit Kyle pour le faire taire. Il posa son avant-bras sur le torse de Stan, paume contre tissu. Mon père ne les laissera jamais faire. Il a assez de cerveau pour ça. On a eu des journalistes dehors un million de fois, aucun d'eux n'a réussi à rentrer dans le grenier.

– Et ces nouveaux gardes du corps -

– Ils surveillent tous dehors. Il n'y a que Jimbo et Ned qui ont le droit de venir à l'intérieur. Mon père y a veillé.

– Comment tu te sens ? demanda Stan. Kyle haussa les épaules.

– Assommé, dit-il. Stan posa sa main sur le bras de Kyle, en frottant son pouce contre le petit os du poignet. Kyle savait que Stan le regardait, il le sentait, il voulait qu'il partage ses sentiment pour de vrai. Quand le père de Stan était mort, il était passé directement du stade de la colère sur l'échelle du deuil, et pendant des mois il n'avait fait que se renfermer sur lui même et rembarrer les autres méchamment. Kyle avait été terrifié à l'idée que Stan puisse un jour tourner sa colère contre lui aussi, à cause de sa mère, ou parce que son père à lui avait survécu, mais ce ne fut jamais le cas.

– Wendy n'avait pas tord, tu ne crois pas ? demanda Kyle plus tard, lumières éteintes, couchés tous les deux sous les couvertures, le bras de Stan serré contre le dos de Kyle. Ils ne s'étaient pas pris dans les bras de la sorte depuis que le père de Stan était mort, et ça avait manqué à Kyle d'être proche de lui, bien plus que ce qu'il croyait. Stan avait une odeur particulière qui lui donnait l'impression d'être dans un endroit chaleureux, sombre, là où on peut se cacher sans danger.

– A propos de quoi ? interrogea Stan.

– De Kenny. Il laissera sa mère et sa sœur s'il s'engage. Il devrait peut-être rester.

– Non, Kenny est comme moi. On a besoin – il faut qu'on parte. On a besoin d'y aller, c'est là qu'étaient nos pères, et -

– Et quoi, vous voulez mourir comme eux ?

Stan fit une espèce de grognement agacé, et tripota une mèche de cheveux bouclés de Kyle.

– Non, dit-il.

– En tout cas, je viens avec toi, dit Kyle enroula son bras autour de la taille de Stan et en se rapprochant un peu. Alors n'essaye pas de m'en empêcher.

– Je ne voudrais pas y aller sans toi, glissa Stan. Kyle leva les yeux vers lui, surpris. Je sais, reprit Stan. C'est terrible.

– Pourquoi c'est terrible ?

– Parce que je devrais vouloir que tu restes ici, là où t'es à l'abri ! Mais, j'en sais rien. Rien que d'imaginer que je pourrai partir dans le nord sans toi me fait crever de peur putain de merde. Il grimaça de douleur quand son implant-V l'électrocuta à cause des jurons, et Kyle fit un petit bruit de gorge pour montrer sa compassion.

– Tu crois que je vais te sauver la vie ou quoi ? demanda Kyle avec un grand sourire. Il était flatté. Il avait peur depuis l'affaire cassage de gueule en primaire que Stan le considère comme une sorte de pauvre petite chose fragile qu'on doit protéger.

– Peut-être, dit Stan. Mais c'est plutôt que je ne veux pas que la guerre me transforme en quelque chose de différent. Mais on reste ensemble, je resterai toujours moi-même. Je ne perdrai pas.

Kyle croyait que Stan n'était plus capable de le surprendre, ou de le laisser sans voix. Il se sentit rougir, embarrassé par sa sincérité. Stan ne détourna pas le regard, il ne battait même pas des yeux.

– Et Wendy ? demanda Kyle.

– Elle – ce n'est pas pareil, commença Stan, et alors il regarda enfin ailleurs. Je penserai tout le temps à la protéger si elle venait avec moi. De toute façon, c'est une pacifiste.

– Ouais, je sais, dit Kyle. Il avait toujours eu l'impression que Stan avait besoin de le protéger, et ça lui faisait mal d'entendre que c'était Wendy et non lui qui perturberait Stan assez pour l'empêcher d'être un bon soldat. C'est pas ce que je voulais dire, reprit-il. Je sais pas, tu crois pas qu'elle va te détester si tu le fais ? Vu qu'elle est tellement opposée à la guerre ?

– On en a parlé. Ça l'embêterait, mais elle ne me détestera pas. Elle ne croit pas que ce soit une bonne idée de, enfin. De forcer quelqu'un à faire ce qu'on veut.

Kyle aurait voulu dire qu'elle ne disait vraiment que des conneries, mais il ne le fit pas, et pas seulement parce qu'il ne voulait pas se faire électrocuter à cause du gros mot.

– J'imagine qu'elle sera là demain matin, grogna Kyle quand il vit que Stan commençait à s'assoupir, les paupières lourdes. Wendy, insista-t-il. Avec son plat.

– Elle veut aider tous les gens, dit Stan, avant de bailler. Tout le monde, je veux dire. Et tout ce qu'elle peut faire c'est ce genre de petits gestes. Mais elle veut vraiment faire quelque chose. Elle aimerait que ça puisse donner quelque chose de positifs, même si c'est pas grand chose.

– C'est pour ça que tu l'aimes, dit Kyle, qui avait l'impression que quelqu'un cherchait à lui arracher les tripes. Stan hocha la tête et ferma les yeux. Et si la guerre se termine avant que t'aies le temps de t'engager ? demanda Kyle, pour le retenir encore un peu. Il savait qu'il n'arriverait pas à dormir avec lui, ou juste quelques minutes stressantes. Il entendait Ike en haut qui marchait de long en large. Tu te sentirais trahi ? demanda-t-il encore, en pinçant Stan sur la côte pour lui faire ouvrir les yeux. La rumeur disait que la guerre était bientôt terminée, que les États-Unis et leurs alliés étaient aux portes de la victoire, mais c'était ce qu'il entendait depuis leurs huit ans.

– Je me sentirai trahi seulement si le Canada l'emporte, dit Stan.

– Tu te rappelles de Terrence et Philippe ?

– Bien sûr que je m'en rappelle, vieux. Mais c'est - ce n'est -

– On a tous pleuré quand ils les ont exécuté – même Cartman, non ?

– Kyle, dit Stan. Beaucoup de choses ont changé depuis. Ce n'est plus la même guerre.

Kyle savait que ce Stan voulait dire, mais il n'était pas d'accord. Il ferma les yeux et resta sans parler jusqu'à ce que Stan s'endorme. Certain qu'il ne puisse pas le voir, Kyle roula sur le dos et regarda par la fenêtre, aucune étoile dans le ciel, la neige tombait encore. Au matin il y aura une belle couche bien blanche. Il faisait bien plus froid qu'ici dans le nord, là où se passaient les combats. Certains soldats étaient morts de froid. Kyle se tourna contre Stan et enroula ses bras autour de lui, encore. Il ne voulait pas de cette guerre, n'en voyait pas l'intérêt, contrairement à sa mère ou même à Stan, qui semblait la voir comme un mal devenu à la longue nécessaire. Mais qu'importe, il irait. Stan avait besoin de lui, et au moins Kyle pourrait l'empêcher d'avoir froid, à défaut d'avoir un autre but plus patriote.

Des manifestants protestèrent pendant la cérémonie de commémoration de Sheila Broflovski. Kyle avait déjà vu des tonnes de chefs d'œuvres représentant sa mère tuée de toutes les manières les plus dégueulasses possible, et il n'avait jamais réussi à y être insensible, mais ça ne lui faisait plus tellement de mal aujourd'hui. Ce qui le choqua en voyant ces gens n'était pas la haine pour sa mère, mais le fait qu'ils soient encore là alors qu'ils avaient gagné. Elle était morte, Kyle voulait le leur hurler à la gueule en passant près d'eux après la cérémonie, entouré de son père et de Stan. Il n'y avait plus rien à haïr. Malgré les efforts de son père pour l'empêcher d'avoir accès à ces infos, il avait entendu que même ses os avaient fini brûlés.

Il ne mit pas les pieds au lycée de la semaine et le retour fut difficile, même avec Stan qui jetait des regards noirs aux curieux qui le fixaient trop longtemps. Wendy ramena encore plus de bouffe chez lui, et Gerald passait la plupart de son temps à pleurer, la tête plongée dans ses mains, et à dire qu'il fallait partir, même s'il savait aussi bien que Kyle qu'ils ne pourraient jamais laisser Ike approcher quoi que ce soit qui ressemble à un contrôle des frontières. Même s'ils avaient des faux papiers, les Broflovski étaient trop connus pour s'enfuir, et un gamin de douze ans avec eux serait forcément reconnu comme le fameux Ike, déclaré mort depuis ses trois ans. Une des calomnies préférées des détracteurs de sa mère étaient de l'accuser d'avoir tuée elle-même son fils adoptif originaire du Canada.

Kenny s'engagea le jour de ses dix-huit ans, et Kyle demanda à Karen McCormick de bien vouloir travailler chez lui pour faire le ménage. Il avait eu accès aux comptes en banque de la famille évidemment il n'y avait pas de lingots d'or secrets mais les Broflovski s'en sortaient bien mieux que la plupart des habitants de South Park. Les tournées de propagande de sa mère, comme celle où elle avait été capturé et tué, en était la raison en grande partie.

– Tu ne feras pas le grenier, tout le reste c'est bon, dit Kyle à Karen en lui faisant le tour de la maison. Elle était sage et timide, trop jeune pour travailler, mais Kenny n'aurait pas accepté que Kyle lui fasse la charité, et Kyle ne voulait pas plus que lui que Karen ou Carol McCormick finissent dans la maison close de Liane Cartman. Ma mère a des papiers secrets du gouvernement là-haut, expliqua Kyle. Ils se tenaient en bas des escaliers qui menaient dans la cachette de Ike, le cœur de Kyle battait la chamade même s'il avait demandé à son frère de rester silencieux, et il était très fort à ce jeu-là. Alors ne rentre jamais dans le grenier, sous aucun prétexte. C'est une question de sécurité nationale.

– Oui, monsieur.

– Enfin, ma grande, tressaillit Kyle. Ne m'appelle pas comme ça.

Kenny partit pour le camp d'entraînement de Fort Collins à peine quelques semaines plus tard. Il leur avait refilé des dépliants sur les sessions de recrutements, et Kyle passa la nuit à les lire, seul dans son lit. Rien de ce qu'il lisait ne lui donnait envie de joindre l'armée. Quand il y pensait en rêvassant, c'était pour s'imaginer parcourir les majestueuses forêts canadiennes auprès de Stan, fusil à la main, et s'arrêter regarder les animaux sauvages pendant que Stan osait le prendre par la taille avec sa main libre. Kyle n'était pas suffisamment stupide pour croire que la guerre ressemblait à ça, mais il revenait sans cesse sur cette image quand même.

Avril passa en un éclair, et au premier jour de mai les informations étaient toujours très spéculatives sur la mort de Sheila Broflovski. Kyle voulait passer à autre chose, mais certaines brides arrivaient malgré tout à ses oreilles, et il était horrifié de ce qu'il apprenait, des histoires sur ces gens hilares alors qu'elle avait peur, au moment où elle avait enfin compris qu'elle ne pourrait plus être sauvée. Il imaginait qu'elle avait dû se raccrocher à l'espoir fou d'être secourue quoi qu'il arrive, et ça rendait l'idée encore pire. Kyle quittait la maison la nuit, quand il ne supportait plus d'entendre son père pleurer et son frère se parler à lui-même dans un murmure presque inaudible qui se cognait contre les murs sales de chaque pièce de cette baraque, à flotter dans l'espace. Échapper aux mailles de Jimbo et Ned avait toujours été facile, mais ces nouveaux agents qui guettaient autour de la maison rendaient les escapades plus difficiles, et parfois il devait vite rebrousser chemin jusqu'à sa fenêtre quand l'un d'eux était dans le coin la plupart du temps il suffisait d'être assez patient et d'attendre le bon moment pour s'échapper. Parfois il se contentait de marcher longtemps, de se cacher dans les jardins parce qu'il n'avait le droit d'être dehors après le couvre-feu officiel, mais généralement il grimpait en haut de la chambre de Stan. Ça restait rare, et les quelques fois où cela eu lieu, Stan se réveillait et parlait avec lui un moment, en baillant toutes les deux secondes même s'il essayait de rester réveillé.

– Shh, tout va bien, dit Kyle la troisième nuit, quand il enleva ses bottes, assis sur le lit de Stan. Dors. J'ai pas besoin de parler. Fais comme si je n'étais pas là.

Stan gémit comme pour protester et glissa son bras autour des épaules de Kyle. Il se rendormit tout de suite après, en respirant dans les cheveux de Kyle. Kyle ferma les yeux, plongé dans l'odeur de Stan, et imagina qu'il était Stan, que c'était son lit, sa maison, son odeur à lui. Il voulait être Stan surtout parce qu'il aurait voulu être plus enthousiaste pour l'armée, et aussi pour échapper à l'héritage de sa mère et au chagrin. Il voulait être sûr qu'il n'était pas un lâche, et il savait que Stan ne l'était pas, ne le serait jamais.

– Tu as dormi ? demanda Stan le matin quand ils se réveillèrent. L'école punissait sévèrement les retards, mais les professeurs s'étaient mis à les traiter comme des espèces de condamnés à mort depuis que tout le monde avait appris qu'ils suivaient Kenny pour le service ils osaient à peine marcher près d'eux sans retenir leurs souffles.

– Ouais, bailla Kyle. Un peu.

– J'ai du whisky sous le lit si t'en veux. Kyle ria.

– Avant les cours ? Vieux, c'est un peu abusé, tu ne crois pas ?

– Non, je veux dire pour la nuit, expliqua Stan en se redressant. Il se frotta la nuque. La prochaine fois que tu viens. Pour t'aider à dormir.

– Je devrais arrêter de faire ça.

– Faire quoi ?

– Rentrer par ta fenêtre. Te réveiller.

– Non, c'est pas vraiment comme si tu me réveillais, dit Stan. C'est comme un rêve, mais tu es toujours là au matin. Il sourit, et Kyle pensa au poème de Samuel Coleridge, même s'il savait que Stan n'y faisait pas référence, ce serait ridicule qu'il envisage Kyle comme une fleur étrange et belle qu'il aurait cueilli pendant son sommeil.

– Fais-moi juste des grands signes pour me prévenir de dégager si tu ramènes Wendy une fois, dit Kyle. Je ne veux pas me retrouver dans un bordel. Il n'avait même pas réfléchi au gros mot, la décharge le prit par surprise, et c'était toujours par surprise que ça faisait le plus mal.

– On ne le fait pas ici, dit Stan. Il frotta l'épaule de Kyle pour calmer la douleur de l'implant-V avant de sortir du lit. Kyle le regarda marcher dans la chambre, étirer ses bras au-dessus de sa tête, et pensa Stan à l'arrière de sa voiture avec Wendy, les vitres rendues opaques par la buée de l'hiver. Imaginer ce genre de scène l'angoissa tout à coup, fit monter en lui un instinct protecteur il se demanda si Wendy lui donnait des ordres ou le critiquait sur ses mouvements. Il savait que ses remarques sèches auraient blessé Stan secrètement même s'il aurait fait semblant de le prendre à la rigolade, et ça rendait Kyle en colère d'y penser, même si pour de vrai ce n'était probablement pas du tout comme ça quand ils étaient seuls dans la bagnole. Peut-être que Wendy était silencieuse et impressionnée dans les bras de Stan, et peut-être que Stan la prenait fermement, plein de confiance en voyant comme elle mouillait dans ses mains.

– Wendy sait que tu t'engages dans deux semaines ? demanda Kyle. Ils avaient prévu d'y aller ensemble, le jour de l'anniversaire de Kyle, deux semaines après la remise des diplômes.

– Ouais, dit Stan, dos au lit en s'habillant.

– Et ?

– J'en sais rien. Il marmonnait. Kyle s'était douté qu'il ne voudrait pas en parler. Elle n'est pas très contente, mais -. Elle n'est pas non plus surprise. Par contre ça l'a étonné que tu viennes avec moi.

– Pourquoi ? Kyle se redressa, bien réveillé et immédiatement sur la défensive. Parce que je suis un froussard, ou -

– Non, dit Stan en se retournant. Elle a dit, enfin. Elle a dit qu'elle te croyait plus intelligent que ça.

Kyle pouffa de rire, un peu flatté au fond de lui. San lui jeta un T-shirt.

– Tu peux mettre ça, si tu ne veux pas rentrer chez toi pour te changer.

– Merci. Kyle retira le haut qu'il avait gardé pour dormir et mis celui de Stan. C'était un affreux machin noir et rouge lui tombait des épaules et jurait avec ses cheveux roux. Il sentait un peu comme le drap de Stan. Ta mère est déjà rentrée ? demanda Kyle.

– Non, elle est à Denver jusqu'à vendredi.

Sharon avait rejoint l'armée en tant qu'infirmière un an auparavant, à peu près quand Stan lui avait parlé de son intention de servir. Le moyen pour elle de supporter l'idée fut de partir et de se mettre immédiatement à soigner les fils blessés des autres mères.

– Elle sait que tu t'engages ?

– Oui, dit Stan. Il s'assit près de Kyle sur le lit. On n'a pas vraiment parlé beaucoup tu sais.

– Désolé, vieux, dit Kyle en lui touchant le dos. Stan haussa les épaules.

– Est-ce que tu me trouves égoïste ? De vouloir y aller ?

– Non, dit Kyle fermement. Tu aurais l'impression de ne pas être à ta juste place si tu restais. Je l'ai compris. En ce qui le concernait, il ne sentait à la juste place qu'auprès de Stan, mais pour son ami il s'agissait bel et bien de faire ce qu'il considérait comme son devoir.

– Et pour ton père et Ike ? demanda Stan.

– Quoi mon père et Ike ? rétorqua Kyle, angoissé. Il savait que Stan voulait en parler. Stan leva les yeux au ciel.

– Ça leur fait quoi que tu partes à l'armée ? Kyle – tu leur as dit, pas vrai ?

– Hum. Kyle se gratta l'arrière de la tête. Stan grogna et se laissa tomber en avant pour s'allonger sur le dos, en regardant Kyle d'en bas.

– Deux semaines, vieux, dit Stan. N'attends pas la dernière minute.

– Je ne sais même pas s'ils s'en sortiront sans moi, lâcha Kyle, et il aurait voulu ravaler ses mots tout de suite, parce que Stan avait beaucoup plus besoin de lui, ou peut-être que c'est juste Kyle qui désirait que Stan ait besoin de lui plus que sa famille. Mais, non, dit Kyle. Mon père se réveillera, ça lui fera du bien. Et s'il ne saisit pas l'occasion, Ike le fera, considéra Kyle.

– Oui, accorda Stan, mais il n'avait pas l'air très convaincu pour autant. On va être en retard.

Ils arrivèrent en pleins cours d'histoire et s'assirent au fond comme d'habitude. La prof continua son monologue dans relever leur présence. Kyle essayait d'écouter, mais il ne pouvait pas. Le cours d'histoire était celui qu'il aimait le moins. On parlait de sa mère dans ses manuels scolaires, et dans les livres elle était toujours considérée comme vivante.

– Ça doit vous faire plaisir d'être traités comme des stars, hein les deux tar-ouzes, leur dit Cartman au déjeuner. Ils mangeaient dehors, sous le grand chêne de la cour de récréation. Kyle regrettait la présence de Kenny, même s'il savait qu'il était seulement à quelques heures de la ville, dans le nord à Fort Collins à faire des exercices ou son lit au carré.

– Personne ne nous traite comme des stars, dit Stan. Nous serons diplômés la semaine prochaine de toute façon. Ils finiront par réquisitionner tout le monde si ça se trouve. Ni Kyle ni moi ne pensons que nous sommes supérieurs parce que nous y allons maintenant.

– C'est ça, comme si on allait te croire, dit Cartman.

– Tu ne sais rien sur nous connard, dit Kyle avec tellement de rage que son implant-V l'électrocuta pendant au moins deux secondes. Il ferma les yeux sous la douleur et quand il les rouvrit ce fut pour voir Stan qui le fixait.

– Hé, les copains ! C'était Butters qui trottait vers eux, Bebe l'accompagnait. On peut s'asseoir avec vous deux minutes ?

– Bien sûr, dit Kyle en se rapprochant de Stan pour faire de la place. Stan regardait un truc de l'autre côté de la cour, et Kyle pouvait deviner facilement ce que c'était. Wendy faisait la permanence à la table des volontaires de la Croix Rouge aux côtés de Gregory, comme tous les mercredis midi. Gregory était un des représentants officiels, et Wendy avait attendu ses dix-huit ans avec impatience pour devenir bénévole. Ils faisaient de grands discours pompeux pour intéresser les étudiants, mais ça faisait longtemps que les élèves connaissaient ce genre de programme et savaient s'ils voulaient y rentrer ou pas, alors Wendy passait quasiment tous ses repas du mercredi à discuter et rire avec Gregory, qui avait toujours l'air de lui faire les yeux doux. Wendy avait affirmé à Stan qu'il était gay quand celui-ci s'était montré jaloux, mais Kyle ne le croyait pas, et il l'aurait su.

– On a entendu dire que vous vouliez vous engager bientôt ? demanda Bebe en s'asseyant près de Butters.

– Ouaip, dit Stan. La semaine après la remise des diplômes. On doit attendre l'anniversaire de Kyle.

– On peut venir avec vous ? demanda Butters en rougissant. On se disait que ce serait tip top si on se retrouvait tous dans le même bataillon.

– Parfait, dit Kyle même s'il n'aimait pas du tout la perspective de devoir combattre aux côtés de Butters, qui était un garçon pleins d'enthousiasme mais empoté. Je ne savais pas que vous vouliez vous engager.

– Oh, mais si ! s'exclama Butters. Mon père dit que ça fera de moi un homme, et je veux vraiment devenir un homme, tu vois ?

– Ouais, bonne chance pour y arriver, grogna Cartman. Il éclata de rire et épousseta les miettes de bouffe de son pull. Bebe a plus de chance de devenir un homme que toi.

– Ferma-là Eric, dit sèchement Bebe. Elle regarda Kyle et se mordit la lèvre. Je me moque de la guerre. Je veux juste retrouver Clyde.

– Toi, toute seule, tu vas trouver Clyde ? ricana Cartman en reniflant. Toute l'unité 56 tant que tu y es ? Hé, tu pourrais sortir Craig de sa grotte et lui demander où il était la dernière fois qu'il l'a vu. Mais je doute qu'il ait pu vraiment prêter attention à ses petits camarades quand il s'est fait exploser l'œil.

– Pourquoi t'es comme ça ? dit Stan en s'avançant pour cogner Cartman sur l'épaule.

– Heu, t'es sérieux ? rétorqua Kyle. Parce qu'il a toujours été comme ça ?

– Je trouve juste que c'est complètement cron, dit Cartman. Vous êtes tous prêt à signer pour vous faire arracher les yeux aussi, ou pire, bande d'abrutis. Personne ne pense qu'il reste des survivants chez les 56.

– Je le sais très bien, dit Bebe en fixant ses genoux. Mais je pense qu'ils le sont.

– Pourquoi ? demanda Kyle.

– Parce que je le saurais si Clyde était mort, dit-elle. Elle regarda Kyle avec des yeux perçants qui lui donnèrent envie de se cacher sous la table.

– Moi non plus je ne crois pas qu'il soit mort, encouragea Butters en donna à Bebe une tape réconfortante sur l'épaule. Craig a dit à l'armée que le reste du bataillon était en vie quand il a été séparé d'eux pendant la bataille.

– Ce sale cratard les a probablement tous tuer lui-même avant de se tirer dans l'œil tout seul, marmonna Cartman.

– Ferma ta putain de gueule, dit Bebe, et elle battit à peine des paupières quand son implant-V s'actionna, les yeux bien fixés sur Cartman. Tu parles de choses dont tu n'as aucune idée.

– Comme toujours, insista Kyle. Ignore-le. Mais en tout cas, oui. Vous pouvez venir avec nous si vous voulez. Ça sera cool.

– On pourrait faire une fête le soir avant de partir, suggéra Stan, et Kyle ria. Quoi ? dit Stan en lui donnant un coup de coude.

– Rien, dit Kkyle en sachant que le Stan naïf et joyeux ne tiendrait pas longtemps après le recrutement.

La remise des diplômes se fit dans une ambiance maussade, accaparée par les journalistes et les photographes qui mitraillaient Kyle. L'école s'était arrangée spécialement pour lui afin qu'il ne soit pas assailli en quittant le lycée, ce qui lui permit d'aller directement chez Stan avec son père et d'éviter les camionnettes de chaînes infos qui rodaient autour de leur maison. Il faisait beaucoup trop chaud pour le mois de mai Kyle tomba endormi dans le salon des Marsh pendant que son père discutait avec Sharon et Shelly, venue spécialement de Denver pour l'occasion. Elle avait un travail administratif en lien avec l'armée et apparemment ça gagnait bien, Stan pensait amèrement que c'était dû à la mort de leur père, une sorte de consolation de l'Etat.

– Je ne veux pas qu'ils partent, entendit Kyle de la bouche de Sharon en se réveillant. Stan lui secouait le bras, l'air stressé. Apparemment, il avait oublié de demander à sa mère de ne rien dire à personne sur leur future activité.

– Qu'ils partent ? répéta Gerald.

– Les garçons, dit Sharon.

– Où veulent-ils aller ? demanda Gerald en regardant Kyle comme s'il avait déjà tout compris.

Le reste de l'après-midi fut larmoyant et épuisant, mais Kyle refusait de revenir sur sa position. Il partira avec Stan, même si son père a le cœur brisé ou que son frère le déteste.

- Je n'ai rien à faire ici ! leur cria Kyle en rentrant chez eux, avec Ike qui les regardaient se battre, perché en haut de l'escalier en se rongeant les ongles. Je vous aime tous les deux, et je ne veux pas vous laisser seuls, mais je ne peux pas rester là alors que tous mes amis partent se battre.

– Le problème n'est pas là ! dit Gerald vivement. C'est ta vie qui est en jeu, Kyle. On peut le dire, maintenant que ta mère nous a quitté. C'est peine perdue. On va droit vers la mort. Ta mère – que Dieu ait son âme – la cause qu'elle défendait et pour laquelle elle luttait ne verra jamais le jour.

– Je suis désolé que tu penses ça, dit Kyle, qui aurait aimé ne pas mentir. C'était plus simple de faire croire à son père qu'il avait des idéaux et que ce n'était pas juste pour aller baver et se suicider en suivant Stan partout. Je pense que nous avons des bonnes raison de continuer à nous battre pour la défendre, dit Kyle, ses yeux s'humidifiaient en le disant, parce qu'il pensait à Stan et à l'espoir qu'il portait. Maman aurait compris, cracha Kyle, il le regretta tout de suite en voyant son père lui tourner le dos.

– Tu es comme elle, dit Gerald d'une voix rauque, faible.

– Et moi à qui je ressemble ? cria Ike en haut de l'escalier. Gerald et Kyle se tournèrent vers lui, mais pas assez vite pour le voir partir en courant. Il s'était enfermé, et Kyle trembla en entendant la porte du grenier claquer violemment, en pensant aux fantômes. Ike se traitait de fantôme parfois, et parlait de sa mort, déclaré noyé dans le Crystal Lake, corps jamais retrouvé.

Kyle laissa Ike seul une heure pour bouder avant de frapper à la porte du grenier. Personne ne répondit, mais il ouvrit la porte quand même. Il trouva Ike en train de jouer avec la vielle Gamesphere qu'il adorait avant, un jeu de guerre, fut un temps où Kyle aimait ça.

– Le courant est revenu ? demanda Kyle. Ike secoua la tête, les yeux fixés sur la télé.

– Je l'ai branché à un générateur.

– Où t'as trouvé un générateur ?

Ike haussa les épaules, et Kyle s'assit par terre à côté de lui, regarda les explosions sur l'écran. C'était un jeu de tire pendant la Seconde Guerre Mondiale, vue à la première personne, les graphiques étaient vraiment bien faits aux yeux de Kyle. Il regarda Ike jouer un moment, en se demandant si la guerre ressemblerait à ça. Il clignait des yeux à chaque coup de feu aveuglant.

– Tu ne peux sortir te balader la nuit, dit Kyle. Si t'as besoin d'un truc – un générateur, des pièces pour bricoler, n'importe quoi – demande à Papa. Il ira te les chercher.

– Tu pars te balader la nuit, dit Ike. Kyle était surpris qu'il l'ait remarqué, mais il n'aurait pas dû l'être. Ike vivait presque uniquement la nuit.

– Ce n'est pas pareil, dit Kyle. Je ne suis pas déclaré mort.

– Bien sûr que si. Tu t'engages dans l'armée, non ?

– Ike.

– Où tu vas ? demanda Ike en baissant sa manette. La nuit ? T'as une copine ?

– Non, dit Kyle. Il devint rouge alors que Ike restait silencieux, à l'examiner.

– Chez Stan, conclu Ike, avant de retourner à son jeu. T'as l'intention de te jeter sur une mine pour lui ? Lui et Wendy ont prévu de donner ton nom à leur bébé ?

– Tu crois vraiment que je vais mourir ?

Ike soupira et mis son jeu sur pause. Il laissa la manette lui tomber des mains, comme si elle ne marchait plus.

– J'aimerais y aller avec toi, dit-il comme si c'était une réponse à sa question, et Kyle ne savait pas si c'était un oui ou non.

– Tu ne trouves pas ça horrible de tuer des Canadiens ?

– Et toi ? répliqua Ike, en levant les yeux de sa manette pour les plonger dans ceux de Kyle.

– Si, dit Kyle. Ne – arrête de me regarder comme ça. Tu l'as dit toi-même. Tu sais pourquoi j'y vais.

– Alors pourquoi tu as raconté ce tas de conneries de merde que soi-disant il faut se battre pour défendre le pats ?

Ike ne s'était pas fait V-implanter. Kyle ne connaissait personne d'autre qui pouvait cracher ses gros mots avec autant d'aisance. Il les disait pour faire mal, mais il n'avait pas à subir la punition d'avoir voulu insulter quelqu'un. Ça donnait à ses insultes un soin et une facilité si honnête que Kyle avait l'impression d'avoir reçu le verdict d'un juge.

– Ce n'est pas qu'un tas de conneries, dit Kyle, et il fut soulagé d'être électrocuté, parce que c'était comme un blâme pour avoir cru qu'il avait une bonne raison d'y aller, et pour s'être bercer la nuit en imaginant qu'il sauvait Stan d'une attaque chaotique. Dans son imagination, ils survivaient tous les deux.

- Comment on ne dire que "partiellement" un tas de connerie ? demanda Ike qui semblait intrigué par l'idée, comme s'il imaginait une théière remplie à moitié de merde.

- Papa n'a pas besoin de savoir pourquoi je m'en vais, dit Kyle fermement. Et je lui ai presque tout expliqué. Je ne vais pas rester là à rien faire pendant que tous mes amis quittent la ville.

- Ça fait quoi d'avoir des amis ? demanda Ike pour le faire culpabiliser.

- Stan est ton ami, dit Kyle. Jimbo et Ned misent à part, Stan était la seule personne en qui la famille Broflovski avait assez confiance pour avoir été mis au courant de l'existence de Ike. Même Sharon, sa maman, ne savait pas.

- Stan me regarde comme si j'étais ton ami imaginaire. Parfois je me dis qu'il a raison.

- Tu es bien vrai, dit Kyle en se penchant pour le pincer. Ike le laissa faire sans sourciller.

- Tu ne sauras jamais si j'ai senti quelque chose ou pas.

- Ta peau est rose, regarde.

- C'est pas une raison, ça pourrait très bien avoir lieu dans ta tête.

Ils faisaient ça parfois, une sorte de jeu sans fin, Kyle devait convaincre Ike qu'il n'était pas qu'une illusion issue de l'imagination de la famille.

- Stan est une preuve, dit Kyle. Il arrive à te voir. Et il te parle.

- Stan rentrerait dans ton jeu quoi que tu fasses, même si tu parlais au mur, répliqua Ike. Kyle rougit, il savait que c'était probablement la vérité.

Stan passa le soir à la maison pour souhaiter à Kyle un bon dix-huitième anniversaire. Kyle avait bien insisté pour qu'on ne lui fasse ni fête ni cadeaux, mais Wendy n'en avait fait qu'à sa tête et avait organisé une soirée. Il fut soulagé quand les invités s'en allèrent continuer la fête chez elle et qu'il s'enfermera enfin dans sa chambre avec Stan en emportant sa pile de carte de vœux. Stan lui avait offert un couteau de poche avec un manche en jade, vert foncé, presque la même couleur que les yeux de Kyle.

- Contre quoi tu l'as échangé ? demanda Kyle. Ils étaient affalés sur le lit tous les deux, Stan le regardait jouer avec le couteau. Ça venait sans aucun doute du marché noir.

- Rien d'important.

- Dis-moi.

- Des bouquins. Kyle s'en voulu d'avoir demandé. Les livres coutaient très chers. Il glissa la lame contre la paume de sa main pour voir si elle était tranchante. Arrête, dit Stan en se redressant soudain parce que Kyle avait enfoncé la lame trop fort et c'était fait saigner.

- C'est rien. Je voulais juste voir. Il se demanda vaguement s'il pouvait proposer à Stan de faire une espèce de cérémonie du sang avec lui, mais il effaça aussitôt cette idée de sa tête, parce qu'il ne voulait pas voir une seule goute du sang de Stan gaspillée. Il nettoya le couteau en l'essuyant sur son jean et le rangea dans sa poche. Merci, dit-il en regardant Stan, qui avait toujours l'air inquiet.

- Demain, dit Stan.

Ce sera un samedi, ils iront au bureau des recrutements à la première heure avec Bebe et Butters.

- Je n'ai pas peur, dit Kyle en le pensant vraiment, mais l'affirmer ne l'aidait pas à se sentir plus courageux.

- Je n'avais pas peur non plus, c'est juste maintenant.

- Pourquoi tu as peur tout à coup ?

- Parce que, commença Stan en baissant les yeux sur la main de Kyle. Il y avait toujours un peu de sang, Kyle l'amena à sa bouche pour se nettoyer. Quand il regarda à nouveau Stan, celui-ci avait les joues rouges.

- Je ne mourrai pas en héro, dit Kyle. Tu m'as vu. Ce n'est pas mon genre.

- Tu sais ce qui est grave ? demanda Stan d'une voix très basse. Kyle secoua la tête.

- Non ?

- C'est que je suis content que tu viennes avec moi. J'en ai envie - comme si. Je crois que je ne veux pas mourir sans toi. Je veux que tu sois avec moi.

- Je serai là, dit Kyle.

- Mais en vrai je ne le veux pas ! dit Stan un peu trop fort en attrapant Kyle par l'épaule comme s'il voulait l'empêcher de faire quelque chose, un truc qui viendrait sceller cette promesse. Kyle, je suis sérieux. Ne me laisse pas devenir aussi égoïste.

Kyle ne savait pas quoi dire, il avait peur de s'embrouiller et de finir par cracher le morceau, la vérité : Stan était déjà sa raison de vivre.

- Je veux venir avec toi, mais pas à cause de toi, finit par dire Kyle. Stan le fixait, en respirant un peu bruyamment, il semblait toujours énervé. En fait, ce serait trop nul que tu partes vivre des aventures de fous sans moi. C'est pour ça que je pars.

- Tu ne sais pas si la mort est une si brillante aventure, fit remarquer Stan.

- Oui, bon. Peut-être pas, mais peut-être que oui, si on est ensemble. Faire la guerre, c'est peut-être dingue.

- C'est pas la même chose, mourir et faire la guerre.

- Oh, je sais. En matière d'aventure de fou, j'ai plus d'espoir concernant la mort. Vieux. Il regarda le torse de Stan, sa poitrine montait et descendait vite. Tu es sûr que tu veux le faire ? C'est pas grave si tu as changé d'-

- Non, je veux le faire. Stan roula sur le côté, loin de Kyle. Allez, on dort. Il fera jour plus vite.

Kyle resta éveillé, s'occupa en écoutant le souffle de Stan devenir de plus en plus calme à mesure qu'il s'endormait. Quand Kyle finit par s'assoupir, il rêva d'un champ de bataille, il ouvrait la bouche et sentait le gout du sang sur ses lèvres, c'était chaud et gluant, ça avait le gout de tous les secrets qu'il gardait caché en lui. Il se réveilla en sursaut et voulu se précipiter vers la fenêtre avant de se souvenir qu'il était déjà chez Stan et qu'il n'avait pas besoin de sortir pour le rejoindre. Celui-ci dormait toujours à côté de lui, allongé sur le dos, le visage tourné du côté de la place de Kyle. Kyle se laissa retomber sur le matelas et se rapproche de Stan jusqu'à sentir sa chaleur corporelle, seulement quelques centimètre les séparaient.

- Ne pars pas, murmura Kyle, mais c'était inutile.

Ils partirent à l'aube au bureau de recrutement, prirent les formulaires à remplir, s'assirent à une petite table grise qu'ils partageaient avec Bebe et Butters. Le bruit des stylos sur le papier rappela à Kyle l'école.

Ils attendrirent un bon moment après qu'un homme de l'armée - un général peut-être, ou autre chose - ait collecté leurs formulaires, si longtemps que Kyle finit par se demander qu'il n'y avait pas un problème. Butters n'arrêtait pas de bailler mais était de très bonne humeur, il papotait à propos d'une lettre qu'il avait reçu de Kenny. Apparemment Fort Collins n'était pas si terrible que ça, par contre les gens du camp d'entrainement étaient des idiots. Bebe était silencieuse, les bras croisés. On aurait dit qu'elle était sur ses gardes, prête à se battre, mais quand le général apparut enfin, ce fut Kyle qu'il appela.

- Mr. Broflovski, suivez-moi dans mon bureau, ce ne sera pas long, dit-il en maintenant la porte entre-ouverte. Kyle échangea un regard avec Stan, qui secoua un peu la tête. Il n'avait pas l'air inquiet, juste un peu agacé. Kyle se leva et rentra dans le bureau avec l'horrible impression qu'il allait se faire accuser d'avoir voler un truc dans une boutique ou d'avoir tricher à un devoir sur table. Asseyez-vous, dit le général avant de fermer la porte derrière lui.

- Il y a un problème, Monsieur ? demanda Kyle quand le général s'assit en face de lui de l'autre côté d'une table en métale hideuse. Dire "Monsieur" n'était pas naturel pour lui ; ce sera difficile de s'habituer à appeler les adultes aussi respectueusement. Le général croisa les mains et posa les coudes sur le bureau.

- Mr. Broflovski, dit-il avec un drôle d'air, comme s'il parlait à un idiot. Vous ne pouvez pas vous engager dans l'Armée.

- Je - pourquoi ?

- La raison officielle que nous donnerons sera que vous êtes diabétique de type 1, et croyez-moi c'est déjà suffisant. Vos médicaments doivent être placés dans un frigo. Il n'y aura pas de frigo là ou vos amis partent. Mais quand bien même nous vous trouvons un poste dans un endroit aménagé. Vous pensiez sincèrement que vous auriez pu être un soldat ? Vous n'êtes pas anonyme.

- Que - que voulez-vous dire ? demanda Kyle. Son cœur battait trop vite, il voulait qu'on lui dise que c'était juste une blague, une farce orchestrée par Cartman pour l'humilier cinq minutes. C'est à cause de ma mère ? demanda-t-il en sentant une horrible chaleur dans ses joues descendre dans son torse jusque dans ses jambes.

Le général hocha la tête.

- Il y a certaines personnes dans nos troupes qui ne sont pas là par bonté de cœur. C'est moche, mais c'est votre héritage. Parmi nos soldats, il y a des femmes et des hommes qui n'aimaient pas du tout votre mère. Elle disait toujours qu'elle voulait faire cette guerre pour protéger ses enfants, n'est-ce pas ? Vous me comprenez ? Certaines personnes voient en vous la raison pour laquelle ils sont en enfer.

- Mais j'étais contre, dit Kyle. Quand, quand j'étais enfant, je ne voulais pas -

- Evidemment, dit le général un peu sèchement. Mais vous n'aurez peut-être pas la chance de pouvoir l'expliquer pendant une bataille dans le feu de l'action si un de nos soldats cherche vengeance. Je ne peux pas le permettre, Kyle. Vous êtes trop connu, et votre famille provoque trop d'animosité des deux côtés de cette guerre. Vous nous handicaperez. Il regarda Kyle accuser le morceau, se mordre la lèvre sans dire un mot. Désolé, fiston.

- S'il vous plait, dit Kyle quand il arriva enfin à retrouver sa voix. Il doit y avoir un moyen -

- Pourquoi voulez-vous à ce point vous engager ? interrogea le général en fronçant les sourcils et en reculant un peu. Pour être honnête, je n'aurai jamais cru avoir cette conversation un jour.

- Je ne peux pas rester, dit Kyle. Tous les beaux discours qu'il avait racontés à son père lui étaient sortis de la tête, il ne pensait qu'à Stan. S'il vous plait, il y a - tout le monde part, je ne peux pas rester sans rien faire.

- Essayez la Croix Rouge, dit le général. Je pense que ce sera plus judicieux. Il se leva pour clore la conversation. Kyle n'arrivait pas à faire fonctionner ses jambes. Le général se racla la gorge et Kyle se mit enfin sur ses pieds, il manquait d'équilibre il se dirigeait comme un automate vers la porte.

Il se sentait comme un fantôme en retournant dans la salle d'attente, il savait qu'il était déjà dans un autre monde. Stan bondit de sa chaise en voyant Kyle.

- Félicitations, dit le général en dépassant Kyle. Il tendit la main et serra celle de Stan fermement. Le brun avait l'air déconcerté. Mademoiselle, ajouta le général en lâchant la main de Stan pour prendre celle de Bebe. Jeune homme, finit-il en passant à Butters. Bienvenue à l'U.S. Army.