Les apparences sont parfois trompeuses...

Je relevai la manche de mon blouson et fixai quelques secondes l'écran digital de ma montre. 15h13. Dans à peine cinq heures, je dirai adieu à la simplicité et à la normalité. Je deviendrai un autre, un homme que je ne souhaitais pas apercevoir dans le miroir, mais je n'avais pas le choix. Fils unique, père multimilliardaire et une promesse, celle de lui succéder. Lorsque ma mère était décédée, il y a six ans à présent, je lui avais promis de la rendre fière de moi et d'aider mon père. Le moment était arrivé. Ce réveillon de Noël sonnait le glas de mon ancienne vie. J'allais débarquer et m'installer dans l'énorme bulding Cullen.C&E. Je soupirai et m'avachis encore un peu plus sur le banc. Ca faisait plus de deux heures que je me tenais dans ce parc, profitant de mon anonymat. Je fixais le paysage face à moi sans réellement le voir, les gens qui se promenaient, les enfants qui criaient en jouant. J'avais l'impression de ne pas être là, de ne pas être assis sur ces bouts de bois, d'être ailleurs...

- C'est pour vous.

Je relevai la tête, surpris par une voix inconnue sortie de nulle part, et aperçus une jeune femme brune qui me tendait un café.

- J'ai pensé que ça vous réchaufferait un peu, il fait si froid.

J'acceptai la boisson chaude, muet et abasourdi par son geste. Je fronçai les sourcils sans oser la regarder. Est-ce que cette poupée de porcelaine croyait que j'étais un sans-abri ? Bon, c'est vrai que je n'avais pas un look très BCBG, surtout avec ma barbe et mon bonnet de laine, et peut-être que mes chaussures usées ainsi que mon jean craqué n'arrangeaient pas les choses, mais quand même !

- Ca fait longtemps que vous êtes là ? Me demanda-t-elle doucement.

- Euh... quelques heures, en fait. Chuchotai-je presque.

Je n'osais pas lui dire qu'elle faisait erreur et que je n'étais pas ce qu'elle s'imaginait. C'était certainement complètement idiot mais j'aimais sa présence. En à peine une minute, c'était comme si j'avais toujours eu l'habitude d'être près d'elle.

Le vent souffla un peu plus fort et souleva ses longs cheveux, elle se saisit d'une mèche et la passa derrière son oreille tout en me souriant. Une délicieuse odeur de fraise vint titiller mon odorat et je fermai les yeux tout en humant ce doux parfum.

- Vous allez bien ? Demanda-t-elle en posant ses doigts sur mon avant-bras.

- Oui. Oui, ça va. Je... vous sentez bon. Balbutiai-je, gêné d'avoir été surpris.

- C'est gentil. Bon, je vais vous laisser, le bus ne va pas m'attendre.

- Merci encore pour le café ! M'empressai-je de répondre alors qu'elle se levait déjà.

- De rien, ça m'a fait plaisir.

Ses grands yeux marron me fixèrent un instant puis se baissèrent, je suivis son regard et la vis sortir un billet de 50$ de sa poche. Sa petite main fine avança vers moi et elle enfouit l'argent dans la poche de mon blouson. Choqué et honteux, je restais pétrifié, les yeux ronds.

- A bientôt peut-être ! Dit-elle avant de partir.

Elle parcourut quelques mètres et ce ne fut seulement que lorsque le bus arriva que mon corps bougea enfin. J'eus un peu de mal à courir jusqu'à l'arrêt, rester assis pendant des heures n'était pas le meilleur des entretiens physiques.

- Je ne peux pas accepter ! M'écriai-je une fois face à elle, un peu essoufflé.

- Ne faites pas l'enfant, voulez-vous. Me sourit-elle. Il va faire encore plus froid cette nuit... et puis c'est Noël.

- Mais, non, je...

- Je vous aurais donné plus si j'étais passée à la banque.

- Quoi ? M'exclamai-je. Non, je ne veux pas de votre argent !

- Tenez. Me dit la jolie brune en mettant à nouveau quelque chose dans ma poche. Ce sont mes coordonnées, je vous invite demain pour le repas de Noël. Je n'habite pas très loin. Je ne peux malheureusement pas vous héberger ce soir, même si ça me rend triste de vous savoir dehors, j'ai des obligations. Alors, acceptez l'argent, dormez au chaud et rendez-vous à 13 heures. Débita-t-elle avant de monter dans le transport en commun.

Je la vis s'asseoir dans le fond du bus et me faire un petit signe de la main. Je ne pus même pas le lui rendre. Quelle honte ! Je passai la main sur mon visage et soufflai un bon coup. Je devais rêver. Je tapotai ma poche et sentis qu'il y avait bien un truc dedans. Je vérifiai tout de même et en sortis le billet de 50 et la carte de visite. Isabella Swan. Dépité, je décidai de rentrer chez moi.

- Déjà de retour ? M'accueillit Tanya.

Je passais devant elle sans la calculer et m'effondrais dans le fauteuil.

- Que se passe-t-il, Ed' ? M'interrogea-t-elle en s'approchant.

- Une magnifique jeune femme m'a pris pour un clochard ! Grimaçai-je.

- Fallait bien que ça arrive ! Rit-elle.

- Pourquoi tu dis ça ? Grognai-je.

- Depuis le temps que je te répète que tu ne trouveras jamais personne avec ce look ! Tu vois l'image que tu donnes aux gens maintenant.

- Hey ! Mais y'a pas que le physique dans la vie !

- Non, c'est sûr mais, là, t'as fait fort mon pauvre cousin ! Comment est-elle ?

- Superbe...

- Mais encore ?

- Je dirai un peu plus petite que toi, des longs cheveux foncés, des yeux chocolat et une peau pâle. Sa voix est douce et elle sent bon.

- Elle sent bon ? Tu l'as reniflée ou quoi ?

- Idiote ! Elle était près de moi.

- Ok... Monsieur Cullen est victime du coup de foudre. Dit sérieusement ma chère cousine.

Je secouais négativement la tête, même si mon coeur criait qu'elle avait totalement raison.

- Au fait, que fais-tu chez moi ?

- Alice a été réquisitionnée pour ce soir. Elle m'a chargée de m'occuper de toi.

- Relooking total, je suppose ?

- Tu supposes bien et, je suis sûre qu'avec ce qui vient de t'arriver, tu ne vas pas refuser.

Et elle avait encore raison. Je me levais et me dirigeais vers la salle de bain, Tanya sur les talons.

- Je vais rafraîchir ta coupe de cheveux avant de partir.

- Que deviendrai-je sans Alice et toi ? Soufflai-je.

- Un clochard ! Rit-elle.

Je déambulais parmi les invités, tentant de reconnaître un visage, mais je ne voyais personne de ma connaissance, à part mon père, ma soeur et son fiancé. Serait-ce ça ma vie à présent ? J'espère au moins que mes collègues seront ouverts et sympas. Manquerait plus que ce soit tous des vieillards fumant la pipe... Je saisis une coupe de champagne, sur le plateau d'une des serveuses au passage, et en bus une petite gorgée pour me donner du courage et continuer à affronter tout ce monde. Beurk, ça n'était pas mon alcool préféré. Une bière brune m'aurait amplement satisfait.

- Edward, viens ici que je te présente ton assistante. Me héla mon père.

Traîner les pieds en marmonnant des insultes aurait fait assez puéril, je pris donc sur moi, posai mon verre et arborai un air détaché tout en lui obéissant.

- Madame Dwyer, je vous présente mon fils.

- Bonsoir ! C'est dingue comme vous ne ressemblez pas à votre soeur Alice ! Fit-elle remarquer.

- C'est normal, c'est ma demi-soeur.

- Oh, excusez-moi, je ne savais pas.

- Ce n'est pas grave, Renée. Ca ne fait qu'un an que vous travaillez chez nous et, au moins, ça signifie que vous n'écoutez pas les ragots. Sourit mon père.

- En effet, aucun bruit de couloir concernant un remariage. Assura-t-elle.

Soudain son regard s'illumina et elle se mit à faire de grands gestes, comme pour attirer l'attention de quelqu'un.

- Je vais vous présenter ma petite fille. Bella ! Hurla Renée.

Cette femme était un vrai phénomène, et elle serait mon assistante. Il fallait que j'aie confiance en son professionnalisme vu qu'elle faisait toujours partie de l'entreprise. Si elle n'assurait pas, mon père ne l'aurait pas gardée, n'est-ce pas ? Une odeur de fraise passa sous mon nez et je tournai immédiatement la tête.

- Bonsoir messieurs.

Je n'en revenais pas, c'était bien la même femme que cet après-midi, en chair et en os, et elle était la fille de mon assistante !

- Mon bébé, je te présente Monsieur Cullen, et voici son fils, Edward, mon nouveau boss.

Je serrai la main qu'elle m'offrit et sentis un doux picotement traverser mon épiderme. Nos regards s'accrochèrent et elle fronça les sourcils.

- C'est drôle, j'ai l'impression de vous connaître mais je n'arrive pas à me rappeler. Me dit-elle tout en réfléchissant encore.

Je décidai d'agir vite cette fois, avant qu'il ne soit trop tard et qu'elle ne disparaisse à nouveau. Je sortis un billet de 50$ de ma veste de costume et le lui tendis tout en restant muet.

- Je ne comprends pas. Pourquoi voulez-vous me donner cet argent ? J'espère que ma mère n'a pas raconté n'importe quoi et que vous ne me prenez pas pour une escort girl !

- Dieu non ! C'est juste pour dormir au chaud cette nuit. Lui souris-je.

Elle mordilla sa lèvre inférieure et baissa les yeux, rougissante.

- Navrée de vous avoir pris pour un SDF... Quel changement ! Dit-elle en balayant mon corps de sa main.

- Après votre erreur, j'ai pensé qu'il était temps que je change un peu.

- Vous étiez très bien aussi tout à l'heure. Déclara Isabella, les joues encore plus rouges.

Je lui envoyai un petit sourire en coin et murmurai un merci.

- Vous êtes toujours aussi généreuse ?

- Honnêtement, non. Je ne sais pas ce qui m'a poussée à m'approcher de vous.

- Peut-être la veille de Noël... Répondis-je en la couvant des yeux.

J'avais tout à coup une furieuse envie de la protéger, de la tenir contre moi et de la mettre à l'écart de toute mauvaise chose pouvant la frôler. Je voulais la voir sourire, qu'elle ait des étoiles dans les yeux et qu'elle me dise qu'elle me voulait toujours près d'elle.

- Je dois vous laisser, mais n'oubliez pas de venir demain à 13 heures.

- Je serai pile à l'heure. Rétorquai-je ravi qu'elle ait maintenu son invitation.

- C'est donc vous le gars du parc ? S'enquit Renée alors que j'observais sa fille discuter avec un couple, à l'autre bout de la salle.

- En effet. Acquiesçai-je.

- Vous serez bientôt plus que mon patron alors ! S'exclama-t-elle en sautillant un peu sur place.

- Pardon ?

- Ma fille a très bon goût en tout cas, et je suis persuadée que vous êtes un très chic type.

- Mais on ne se connaît pas elle et moi.

- Je sais. D'ailleurs, je pense tomber malade et vous laisser en tête-à-tête demain. Me sourit Renée. Ne gâchez pas votre chance sinon vous m'aurez sur votre dos jusqu'à mon dernier souffle.

J'opinai de la tête, hésitant entre fuir et éclater de rire.

- N'ayez crainte, Renée, je serai le plus heureux des hommes si votre fille avait des vues sur moi.

- Et elle en a, je peux vous le certifier. Je la connais mieux que personne.

- On verra !

A ce moment-là, Isabella se retourna et m'envoya un magnifique sourire. Je la voulais. Elle et seulement elle. Peut-être qu'elle voudra aussi de moi, qui sait...