Le dernier mot dans le silence
Pairing : Damara/Meulin (+ Cronus/Kankri, Mituna/Latula) - Rating : M (violence, mort, langage vulgaire, mentions de drogue)
NdA : Encore une fic écrite en 2013 que je n'avais posté que sur AO3. Damara ne parle qu'en japonais (rendu volontairement mauvais), mais cette fic est écrite de manière à ce vous n'ayez pas du tout besoin de comprendre ce qu'elle dit. Sur Archive, j'avais mis la traduction de ses paroles, mais c'est impossible ici (désolée). Sinon... Je suis un peu fière de cette histoire, aussi bizarre soit-elle, donc j'espère que vous la lirez.
Chapitre 1
...
Votre nom est Damara Megido.
Vous n'aimez pas beaucoup de choses dans la vie. En fait, vous détestez pratiquement tout ce qui vous entoure. Vous n'aimez pas votre famille et attendez impatiemment le jour où vous vivrez seule. Vous ne faites rien cependant pour que la situation change. Vous avez quelques amis, mais vous ne leur accordez pas beaucoup d'importance.
Vous aimez les anime et la musique japonaise. Vous avez décidé de ne plus parler autrement qu'en japonais. Vous n'êtes pas consciente que votre japonais est assez maladroit et vraiment pas naturel, mais même si vous l'étiez, vous vous en ficheriez. Au contraire, vous seriez même ravie car vous y verriez un moyen d'agacer même les personnes qui pourraient vous comprendre.
Vous avez chez vous toute une collection d'uniformes scolaires japonais et de cosplays en tout genre. Vous avez brûlé vos autres vêtements. Vous avez décoré votre chambre avec de nombreux posters de groupes de musique japonais et figurines de personnages d'anime – même si vous en avez jeté beaucoup à la poubelle dans un accès de rage dernièrement. Personne à part vous ne peut rentrer dans votre sanctuaire, et vous avez fait installer un verrou à votre porte, même si vous doutez qu'un des membres de votre famille ne veuille s'y aventurer de toute façon.
Vous êtes en classe de Première au lycée. Vous ne savez pas ce que vous voulez faire plus tard ; en fait, vous ne voulez rien faire du tout. Vous n'étudiez pas, et vous vous fichez des conséquences. Vous prenez plaisir à vous moquer de vos amis lorsqu'ils se plaignent de leurs devoirs. Ou pour n'importe quelle autre raison. Vous adorez vous moquer des gens.
...
Aujourd'hui comme chaque jour vous vous rendez en cours. Pas que vous ayez un quelconque respect des règles et des obligations d'assiduité, mais vous aimez vous y rendre car vous savez que votre présence dérange votre entourage. Comme à chaque fois, vous vous installez à votre place et écoutez les autres parler dans votre dos, pensant peut-être que vous n'entendez pas, ou bien cherchant volontairement à vous blesser. Dans les deux cas leur tentative est vaine, mais vous procure un bien fou.
Vous passez la matinée à discuter via les réseaux de chat japonais avec votre téléphone portable. À un moment, le professeur interroge chaque élève, rangée par rangée. Arrivé votre tour, il passe à la personne suivante sans vous interroger. Vous ne vous vexez pas. Vos professeurs ont fini par savoir qu'ils n'obtiendraient aucune réponse en vous adressant la parole ; du moins pas dans leur langue. Vous en tirez une satisfaction toute particulière. Vous relevez la tête et adressez un grand sourire à l'enseignant, qui prétend alors ne rien voir. Vous riez intérieurement. Vous vous sentez supérieure, personne ne peut vous atteindre, rien ne peut vous faire flancher.
Durant la pause, vous traînez avec vos amis. Ils ne sont pas vraiment vos amis, mais vous les appelez comme ça car c'est plus simple et moins long ainsi. Ils ne sont pas particulièrement enchantés de votre présence, et c'est réciproque. Vous les tolérez néanmoins puisqu'il n'y a rien de plus intéressant à faire entre les heures de cours. Et aussi parce que vous aimez énerver les gens.
Dans votre lycée, il y a aussi votre ex. Il est un des seuls à comprendre tout ce que vous dites, mais vous ne vous parlez plus très souvent. Vous le détestez plus que les autres. Vous faites tout ce qui est en votre pouvoir pour le faire souffrir, et vous pensez qu'il le mérite.
Vous ne parliez déjà plus votre langue maternelle lorsque vous sortiez avec Rufioh, mais vous n'étiez probablement pas aussi insupportable avant de rompre avec lui. Vous n'avez pas mis beaucoup de temps avant de vous rendre compte qu'il n'était pas aussi parfait que vous l'aviez imaginé. Vous suspectiez qu'il vous trompait, peut-être bien avant qu'il ne le fasse réellement. Vous vous souvenez vaguement l'avoir aimé, puis vous vous êtes mise à le détester. Lui, et tous les autres. Vous détestez le monde entier, et le monde entier devrait vous détester. Ainsi seulement, vous serez satisfaite.
...
– T'en penses quoi, toi, Megido ?
Vous relevez la tête en entendant votre nom. Apparemment, Meenah Peixes était en train de s'adresser à vous, mais vous n'écoutiez pas vraiment.
– 何ですか。私はあなたの話を聞いていません。
– Oui, j'ai bien vu qu'tu m'écoutais pas. Je disais que cette histoire de secte, c'était genre mais trop abusé mec, j'vous dis qu'ça va mal finir moi !
Vous levez un sourcil. Vous aviez oublié cette histoire, il faut dire que ça ne vous intéresse pas vraiment. Maintenant qu'on vous en parle, vous vous souvenez avoir entendu plusieurs rumeurs sur cette « secte » qui se fait connaître en ce moment. Vous aimez entendre et répandre des rumeurs, mais uniquement le genre qui blesse les gens ; ces histoires de sectes, ça ne vous intéresse pas. Vous retournez donc à votre téléphone, jusqu'à ce qu'Ampora prenne soudain la parole, son accent agaçant et sa manie d'appuyer bizarrement sur le son « v » vous faisant automatiquement grimacer.
– Oh, hé, ça me rappelle… Devwinez qui aurait rejoint cette secte, d'après ce que j'ai entendu.
– Arrête de tourner 'tour du pot, Cronus ! rage Peixes. Qui ?
– Nitram.
À la mention du nom de votre ex, votre curiosité est piquée. Vous ressentez un fort et soudain besoin de vous en mêler. Comme une aiguille dans votre cerveau, qui presserait fort contre la zone dédiée à la haine envers Rufioh Nitram, et qui ne s'apaisera que lorsque vous l'aurez fait souffrir, souffrir, et souffrir encore. Vous n'êtes même plus sûre de savoir s'il le mérite vraiment. Ce n'est plus juste une envie, c'est devenu un besoin. Vous devez le faire souffrir, il n'y a que ça qui puisse réellement vous satisfaire à présent. Du moins c'est ce que vous pensez.
– 誰がその話をあなたに言いましたか。
– Oh ho ! (Ampora lève un sourcil amusé, et vous vous retenez de planter votre poing dans sa face.) J'étais sûr que ça t'intéresserait. Suffit qu'on prononce son nom pour que tu te réwveilles.
– 誰が?Vous répétez, votre ton sec d'impatience.
– Du calme, du calme. J'wvais te le dire. C'est Latula qui me l'a dit, apparemment elle les aurait entendus se disputer, lui et Zahhak, parce que ce dernier trouvwait ça trop dangereux. D'après elle, ça n'irait plus trop bien entre eux depuis un bout de temps, et ce serait en partie à cause de ça.
– Ça fait beaucoup de conditionnel, relève Aranea Serket à côté. Tu es sûr de la véracité de cette histoire ?
– Hé, je wvous répète juste ce qu'elle m'a dit ! Wvous êtes pas obligées de me croire ! En tout cas, pour Horuss, si c'est wvrai, j'wvais peut-être aller tenter ma chance, moi. Style, réparer son cœur brisé, ou une connerie du genre.
– Sérieusement ? Soupire Peixes. Tu peux pas t'empêcher de sauter sur tout c'qui bouge, mec. Enfin, d'essayer ! Héhéhé !
– 私は水のビッチと同感だが、今はRufiohの話が一番知りたい。その宗派のばかメンバーズはどこにいますか。それより、どんなくそ宗派ですか。ファック、それを忘れて。私は知りたくない。
– Oh, oulà, ralentis, j'peux pas comprendre si tu parles aussi wvite. Rufioh quoi ? Chier, c'est le seul mot que j'ai compris de ton discours.
Vous poussez un long soupir, et si vous n'aviez pas besoin d'extirper des informations à cet abruti, Ampora aurait déjà reçu votre pied là où vous pensez. Vous répétez la seule partie de votre phrase réellement importante, crachant vos mots un par un et votre agacement avec. Mais avant que l'imbécile ait pu répondre, Peixes prend un air (faussement) choqué-effrayé.
– Attends, tu vas quand même pas les r'joindre toi aussi, hein ?
– もちろん、そんなつもりはない。ビッチ。私はあのくそやろうをじゃましたいだけ。
– Ouais, j'me disais aussi que c'était pas ton genre… Mais sérieux, juste pour le faire chier ? Jusqu'où tu comptes aller pour te venger ? Ça fait genre plusieurs mois qu'vous avez rompus, non ? Y'a de l'eau qu'est passée sous les ponts, là.
Vous répondez par un regard haineux, que vous vous empressez de tourner ensuite vers Cronus pour qu'il vous réponde.
– Hé, j'en sais trop rien… J'pense que Zahhak doit savwoir où les trouwver mais j'imagine que ça te dit rien d'aller lui causer. Donc… Attends, faut que je me rappelle qui d'autre m'en a parlé…
Vous soupirez à nouveau, croisez vos bras l'air impatient. Effectivement, vous n'avez aucune envie d'avoir un quelconque contact avec le petit-ami actuel de votre ex. Sauf bien sûr si ça pouvait énerver Rufioh, mais vous savez que ce n'est pas le cas. Vous savez qu'il ne l'aime pas vraiment, qu'il n'est sorti avec lui que par curiosité, et qu'à présent il aimerait bien se débarrasser de lui. Vous le saviez avant qu'Ampora n'aborde le sujet. Vous savez pratiquement tout de Rufioh, car vous passez votre temps à l'espionner indirectement. Vous êtes même certaine de le connaître mieux qu'il ne se connaît lui-même. Il n'y a que cette histoire de secte que vous ignoriez, mais vous n'allez pas tarder à y remédier.
Cronus finit par reprendre la parole, après un moment d'hésitation un peu trop long à votre goût. Vous ne supportez vraiment pas ce type.
– Il me semble que Captor avwait dit un truc sur eux, comme quoi ils distribuaient un nouvweau type de drogue dans les boites en ce moment. T'as qu'à aller lui demander, il pourra peut-être te renseigner.
– 面倒くさい。あなたが聞きなさい。
– Alors là tu peux toujours rêvwer, j'wvais pas causer à ce type. Bien sûr, y'a toujours moyen de s'arranger si t'y tiens wvraiment…
Vous répondez au clin d'œil suggestif d'Ampora par un doigt levé en sa direction, et il a tout juste le temps de hausser les épaules l'air de dire « tu sais pas ce que tu rates » que la sonnerie retentit, marquant le moment de retourner en classe.
...
Vous n'avez rien de particulier contre Mituna Captor. Bien sûr, vous entretenez une certaine rancœur envers à peu près toutes les personnes peuplant cette Terre, mais au-delà de ça, vous trouvez que Captor n'est pas TROP détestable. Peut-être est-ce juste que vous ne le connaissez pas assez pour trouver quoi redire de sa personnalité. Vous savez qu'il aime l'informatique, et qu'il est considéré par beaucoup comme LE meilleur dans son domaine. Vous savez aussi qu'il est assez populaire, le genre de mec qui aurait le mot « cool » écrit sur son front, qui gère au skateboard, ne sort jamais sans son casque audio sur ses épaules, et est invité à toutes les fêtes – absolument toutes. Vous ne tenez pas spécialement à en savoir plus sur lui. Vous avez tendance à vite vous désintéresser des gens, à moins de les détester suffisamment pour vouloir leur nuire ; dans ces cas-là, vous prenez un malin plaisir à tout savoir sur eux, dans l'espoir de trouver des choses pas très jolies à leur ressortir à la tronche plus tard. Mais comme vous l'avez dit, Mituna Captor n'est pas de ces gens-là. Lui, vous l'ignorez juste, et vous ne seriez probablement pas devant la porte de sa maison si les récents évènements ne vous y avaient pas obligée.
Vous attendez bien une bonne vingtaine de secondes après avoir pressé la sonnette à l'entrée avant qu'on vienne finalement vous ouvrir. Ce n'est pas le Captor que vous attendiez qui apparaît devant vous, cependant.
– Oh, hé, f'est la fœur de AA. Qu'est-fe que tu fais là ? Y'a un problème ?
– Sollux。いいえ、問題はありません。あなたのお兄さんはいますか。
– MT ? Ouais il est là. Deux minutes.
Vous croisez les bras, tapotant nerveusement du pied tandis que le jeune Captor retourne dans l'entrée, criant le nom de son frère depuis le bas de l'escalier. Un silence et un soupir plus tard, Sollux revient vers vous. Vous ne connaissez pas bien le petit frère de Mituna non plus. Vous savez son nom car il sort avec votre sœur, mais rien de plus. Vous ne lui avez jamais vraiment parlé à lui non plus. Il faut dire que son incapacité à prononcer le son « s » vous agace au plus haut point. Vous ignorez comment Aradia peut le supporter au quotidien. Mais en même temps, vous ne vous intéressez pas tellement à la vie de votre petite sœur.
– Fet abruti doit encore avoir fon cafque, il entend que dalle. T'as qu'à entrer, j'vais aller le chercher. Inftalle-toi.
Sollux vous montre le chemin vers le salon, et vous vous installez sur le canapé, croisant vos bras. Vous entendez le garçon grimper l'escalier en grommelant diverses insultes. Quelques instants plus tard, Mituna vient s'asseoir à côté de vous. Vous prenez quelques secondes pour l'observer : vêtements à la mode, t-shirt jaune à manches longues et jean noir, casque audio hors de prix autour de sa nuque sur laquelle tombent les abondantes mèches noires rebelles et très légèrement bouclées de ses cheveux ; mèches qui lui tombent également sur tout le front, cachant presque totalement ses yeux vairons.
– Hey, Megido. Quoi de neuf ?
Vous sentez qu'il est surpris. Pas étonnant. De toute votre vie, vous n'avez pas dû lui parler plus d'une dizaine de fois, grand maximum. C'est également la première fois que vous mettez les pieds chez lui. Sa maison est comme vous l'aviez imaginée : simple, vide, sans aucune décoration pratiquement, mais avec un écran plat démesurément grand dans le salon et tout un tas de consoles de jeux, avec des fils partant dans tous les sens.
Vous expliquez rapidement la raison de votre venue. Vous n'avez pas grand-mal à vous faire comprendre. Vous aviez été surprise la première fois que vous aviez parlé en découvrant que les deux frères saisissaient pratiquement tout ce que vous disiez, mais en y repensant par la suite, vous vous êtes dit que pour deux légendes dans le monde des jeux vidéo comme eux, comprendre le japonais était un minimum. Vous avez d'ailleurs la confirmation à présent que vous voyez leur salon, et la pile de boites de jeux aux titres écrits en caractères asiatiques sur la table basse.
Ce n'est pas pour autant que vous les apprécierez plus, néanmoins. C'est seulement plus pratique de ne pas avoir à amener quelqu'un pour faire l'interprète.
– Ouais, j'ai entendu cette rumeur sur Nitram. Honnêtement, ça me dérangerait pas de t'aider si tu veux l'emmerder. Ce mec me tape sur le système, c'était déjà une plaie depuis qu'il est entré dans sa crise d'ado, mais maintenant je sais pas si c'est à cause de cette secte ou quoi, il se prend trop au sérieux. L'autre soir, devant mes yeux il est allé draguer ma copine. Dans le genre « j'me prends pas trop pour de la merde »…
– はい、聞きました、その話。とにかく、情報があったら、私に聞かせてください。
– Yep, t'es venue demander au bon endroit. Justement, y'a cette soirée vendredi, et y'a de bonnes chances pour que des membres de la secte ramènent leur cul. Ils essaient de rameuter des gens en distribuant leur came un peu partout.
– あなたは試したか、それ?
– Nan, j'ai pas encore eu cette chance. Les enculés laissent pas n'importe qui les approcher. Si ta tête leur plaît bien, ils viendront à toi, mais sinon, faut même pas espérer les trouver. J'avais essayé un moment, mais y'a tellement d'imposteurs qui se font passer pour eux juste pour vendre leur merde… En tout cas, à ce qu'on m'a dit, leur truc c'est pas rien. Même une petite dose suffit à te faire voir des miracles partout. Y'a aussi une rumeur comme quoi tous les membres de la secte seraient stone en permanence, et c'est ça qui alimenterait la foi de leurs fidèles. Une fois un peu trop hauts dans leurs délires, ils entendraient les voix de leurs messies, ou je sais pas quelle connerie.
Vous levez les yeux au ciel, et Mituna se met à rire.
– Enfin bon, continue-t-il ensuite, je te laisse l'adresse du club. Rejoins-moi là-bas à… disons onze heure, ça t'irait ? (Vous hochez la tête en guise de confirmation) OK, ben je t'attendrai à l'entrée avec Tulip, comme ça on est sûr qu'ils te laisseront rentrer.
– ありがとう。じゃ、金曜日で会おう。
– Eheheh, pas de soucis. À vendredi, ouais !
...
Il ne fait pas nuit depuis bien longtemps lorsque vous arrivez à l'endroit où doit se dérouler la soirée. L'été approche rapidement, un peu trop vite à votre goût, et la chaleur étouffante avec. Seules les grandes vacances se rapprochant vous servent de consolation, et encore… vous savez que Peixes et Serket vont vouloir vous traîner avec elles à la plage, et que ce gros lourd d'Ampora se ramènera également et tentera de draguer toute forme de vie à dix kilomètres. Si vous ne preniez pas tant de plaisir à vous moquer de tous les râteaux qu'il se prend chaque année, vous l'auriez peut-être bien déjà noyé dans l'océan depuis longtemps.
Mais les vacances ne sont pas encore là, et vous avez plus important à faire pour l'instant.
Vous n'avez pas eu de mal à trouver le club, guidée par la musique agaçante – vous n'écoutez pratiquement que de la musique asiatique, bien évidemment, mais vous êtes disposée à supporter cette daube auditive le temps d'une soirée si cela peut vous permettre de rencontrer les membres de la fameuse secte.
Comment s'appelle-t-elle d'ailleurs, déjà, cette secte ? Vous avez oublié le nom. Quelque chose sur un carnaval ? Quelles conneries.
Vous attendez quelques minutes, puis une voix féminine un peu trop enthousiaste à votre goût appelle ou plutôt hurle votre nom et vous vous retournez vers son origine avec une mine agacée, découvrant comme vous l'aviez deviné Latula Pyrope, vêtue d'un t-shirt rouge vif et d'un pantalon moulant turquoise – omg turquoise, sérieusement ? – tombant sur des converses rouges. Des lunettes carrées aux verres teintées du même rouge piquant cachent ses yeux. Juste derrière elle, Mituna Captor vous adresse un petit signe de la main pour vous saluer, et vous vous retenez de hurler en le voyant vêtu de ses couleurs fétiches, jaune moutarde et noir. Vous notez intérieurement de tout faire par la suite pour faire se séparer ces deux-là, car non, vraiment, les voir côte à côte avec leurs couleurs flashy pas du tout accordées vous brûle les yeux à chaque fois. De toute façon, vous n'aimez pas voir des couples. Leur niaiserie vous écœure à vous en faire vomir.
Latula accourt vers vous et vous ne réagissez pas à temps pour éviter l'accolade qu'elle vous donne, pestant intérieurement contre elle et sa bonne humeur permanente. Vous ne détestez pas spécialement la jeune fille, mais vous sentez qu'elle ne va pas tarder à rejoindre la longue liste des gens que Damara Megido exècre si elle continue à vous hurler dans les oreilles ainsi à chaque fois qu'elle vous voit.
– Damaraaaa ! C'est trop cool que tu sois venue ! Cette soirée ça va tout déchirer, trop radical ! Je tiens plus en place !
– はい、はい。ちょっと黙ってください。煩い。
Elle vous fait un grand sourire et se tourne vers Mituna, qui traduit par « elle te dit bonjour », haussant simplement les épaules dans le dos de sa copine lorsque vous lui jetez un regard dubitatif. Latula agresse vos tympans encore un petit moment puis vous vous dirigez vers l'entrée du club, et effectivement la demoiselle n'a pas menti en disant ne plus tenir en place, sautillant énergétiquement à chaque pas. Vous vous demandez un instant si elle n'a pas pris quelque chose de pas très légal avant de venir – ou bien c'est juste son humeur naturelle, et dans ce cas oui, vous allez vraiment devoir rajouter son nom à votre liste.
Vous grimacez un peu plus en entrant dans la boite de nuit. La musique trop forte fait tourner votre tête un instant, et la vue de tous ces imbéciles en train de se trémousser sur la piste de danse vous donne la nausée. Vous ne tardez pas à laisser Mituna et Latula et vous vous retrouvez seule à maudire intérieurement les inventeurs de ces boules lumineuses au plafond – et à maudire tout le reste, pendant que vous y êtes.
Vous vous installez debout contre un mur près du bar, là où la musique est moins forte, et vous croisez les bras, inspectant rapidement et sans beaucoup d'intérêt votre tenue : uniforme japonais rouge foncé à la jupe un peu trop courte, fausse cravate blanche et bas de la même couleur remontant jusqu'à la moitié de vos cuisses. Vos cheveux couleur de jais sont coiffés comme à leur habitude en un chignon tenu par deux longues épingles à la chinoise, les mèches de devant lâchées, tombant sur vos épaules.
Vous ne tardez pas à sortir votre portable du petit sac à main rouge que vous portez à bout de bras, pestant déjà sur les réseaux de chat japonais à propos du manque total de goût des habitants de votre pays en matière de musique quand vous êtes interrompue par une serveuse vous tendant un verre, pointant du doigt un type assis au bar. Ce n'est pas la première fois qu'on vous offre à boire – il faut dire que votre tenue ne fait pas dans la pudeur. Vous adressez un doigt d'honneur à l'inconnu tout en vous saisissant de la coupelle, sirotant la boisson alcoolisée avec un sourire satisfait.
Les heures s'écoulent et vous n'avez pas quitté votre téléphone de la soirée, tapotant sur les touches à une vitesse dont vous êtes assez fière, trollant tous les forums, envoyant anonymement des insultes aux possesseurs des derniers blogs populaires, postant des commentaires haineux sur toutes les nouvelles vidéos en lignes sur Nico Nico et parfois aussi sur Youtube, hurlant au scandale à propos d'articles people ou sujets divers dont vous vous fichez royalement, déversant simplement votre haine là où le monde entier est le plus à même de l'écouter. Parfois vous levez les yeux, baladant votre regard sur les gens au hasard. Vous avez depuis longtemps perdu Mituna et Latula de vue, et vous en êtes soulagée – vous n'auriez pas supporté les hurlements de Pyrope bien longtemps.
Votre portable indique trois heures et vous commencez à douter de la présence de la secte à la soirée quand vous la voyez.
...
Vous ne savez pas depuis combien de temps elle est en face de vous, immobile au milieu de la piste de danse, à vous regarder. Quand vous levez la tête, elle est là, elle vous fixe sans rien dire, un sourire sur les lèvres. Elle est assez jeune, elle a peut-être votre âge. Elle a de longs cheveux noirs, vraiment très longs qui ondulent, libres, sur toute la surface de son dos. Son visage est fin, peut-être un peu rond, comme une petite fille avec de grands yeux clairs – vous ne voyez pas bien leur couleur d'ici, mais vous pensez qu'ils sont clairs. Bleus, ou peut-être verts. Et des cils si longs que vous suspectez qu'ils soient faux.
Elle est habillée simplement, contrairement au reste de la foule. Une jupe noire, un t-shirt uni vert kaki par-dessus un autre t-shirt, noir également, à manches longues celui-là. Des chaussures noires toutes simples, et des chaussettes vertes remontées jusqu'à ses genoux. Pas de bijoux, pas d'accessoires, et pourtant il y a quelque chose chez elle qui attire le regard. Comme une beauté naturelle, enfantine, mise en valeur par ses grands yeux innocents ; mais en même temps, ses lèvres pulpeuses, sa poitrine généreuse dont vous êtes un peu jalouse, ses hanches et ses courbes féminines malgré une taille des plus fines lui donnent un charme tout particulier. Et il y a comme une profondeur dans son regard, comme si elle connaissait tous les secrets du monde.
Comme un chat, vous vous dites après un moment. Un chat qui vous fixe de ses yeux félins, mystérieux, capricieux, qui paraît tout savoir mais ne daigne rien vous révéler, qui vous observe en silence de son regard qui vous pénètre, vous ensorcelle.
Elle marche vers vous.
Elle est en face de vous et vous la voyez mieux à présent, malgré le manque de lumière. Vous ne pouvez toujours pas affirmer avec certitude la couleur de ses yeux mais, bien que ça vous agace un peu, vous êtes forcée d'admettre que vous vous êtes trompée sur l'authenticité de ses cils. Elle ne porte pas de maquillage, seules ses lèvres sont colorées d'une teinte vert pomme, ou vert pâle, et vous maudissez ces boites de nuit à l'éclairage incertain qui vous empêche de distinguer les couleurs comme vous le voudriez.
Elle ne dit rien, elle vous observe. Silencieuse, elle vous dévisage de ses yeux clairs, et son regard vous gênerait presque. Vous ne dites rien non plus. En temps normal, vous auriez craché quelques insultes aléatoires en japonais pour faire déguerpir cette gêneuse. Peut-être est-ce à cause du bruit… Vous n'avez pas envie de hurler pour qu'elle vous entende.
Vous la laissez vous observer. Vous avez rangé votre téléphone dans votre sac. Vous ne savez pas ce qu'elle veut voir en vous scrutant ainsi du regard, mais elle semble trouver ce qu'elle cherchait, car quelques secondes plus tard son sourire s'élargit.
Avec un petit rire que vous n'entendez pas, elle prend votre main des deux siennes et la lève entre vous deux, ouvrant doucement vos doigts. Elle vous fait ensuite signe de regarder à l'intérieur et lorsque vous obéissez, un petit comprimé rose est posé sur votre paume. Vous la fixez, cherchant une réponse dans son regard mystérieux. Elle sourit, et alors vous comprenez.
– あなたは…
La jeune fille plisse très légèrement les sourcils, son visage s'étirant en une moue interrogative. Elle secoue la tête, enlève une de ses mains de la vôtre pour pointer son oreille, puis mime quelque chose avec un sourire désolé. Est-elle sourde ?
Vous vous dites que si c'est le cas, alors elle a de la chance. Au moins elle n'a pas à supporter ce boucan infernal.
Mais rapidement, la fille en vert repose sa main sur la vôtre, caressant doucement vos doigts des siens avant de presser légèrement dessus pour les faire se refermer, son regard insistant, son sourire toujours présent.
Elle remonte ensuite votre main fermée jusqu'à son visage, y dépose un bref baiser de ses lèvres pulpeuses – et aussi douces qu'elles en ont l'air – puis ramène votre main jusqu'à vous et retire les siennes. Vous ouvrez vos doigts, observez le cachet rose.
Et vous en êtes certaine à présent : cette fille en fait partie, elle fait partie de cette secte dont tout le monde parle, cette secte que l'on ne peut trouver, qui vient d'elle-même à vous quand vous ne vous y attendez pas. Et vous savez que le comprimé est la drogue dont Mituna Captor vous a parlé. Au fond de vous, enfouie, une petite voix vous hurle de vous en aller, de jeter le comprimé par terre, courir loin et fuir le danger. Mais vous savez aussi que derrière ce danger, il y a ce que vous recherchez. Il y a le moyen de vraiment faire souffrir Rufioh, de vraiment lui faire payer pour ce qu'il vous a fait. Et vous voulez vous venger, vous devez vous venger ; votre haine brûle en vous et consume tout le reste, elle vous fait mal, vous en souffrez. Vous avez besoin de quelqu'un vers qui la diriger, vous avez besoin de quelque chose sur quoi vous concentrer, car sans ça vous n'auriez rien, rien, rien, vous seriez Damara Megido la petite fille apeurée qui n'ose pas affronter les gens et qui se cache dans un monde fictif parce qu'elle a peur d'être blessée, et cette Damara-là vous ne voulez plus la voir, vous la haïssez plus que tout, et si c'est pour redevenir elle alors autant crever.
Vous faites taire la voix. Ça fait bien longtemps que vous ne l'écoutez plus.
Le comprimé vous laisse un goût de soda à l'orange sur la langue.
