Hors du temps

Prologue.

Il était seul, dans la chambre de Ron, lorsqu'il reçut la lettre. L'oiseau qui l'avait apportée, un corbeau malingre à l'œil vif et intelligent, l'avait laissée tomber à ses pieds et était reparti par la fenêtre ouverte, effectuant un demi-tour parfait dans la petite chambre sans interrompre son vol. Interdit, Harry regardait filer la petite tâche noire qui disparaissait déjà à l'horizon, se fondant dans les ombres de cette fin d'après-midi caniculaire. On était en juillet, et deux mois avaient passé depuis la bataille finale les rires et les cris de Ron et de Ginny, occupés à dégnommer le jardin juste sous la fenêtre, montaient paresseusement jusqu'à lui dans la touffeur ambiante. Chassant l'oiseau de son esprit, Harry se secoua il observa quelques secondes le petit parchemin roulé à ses pieds, puis le ramassa et le déposa sur le bureau de Ron, à côté de la cage d'un Coquecigrue assommé par la chaleur, avant de se hâter de descendre pour rejoindre son meilleur ami.


Lorsqu'Harry remonta pour se coucher ce soir-là, rendu somnolent par le bon repas de Molly et par l'énergie qu'il avait dépensée à courir après les gnomes, le mystérieux oiseau, tout comme la lettre qu'il avait apportée, lui étaient totalement sortis de l'esprit. Il s'endormit dès qu'il eut posé la tête sur l'oreiller, avant même que Ron ne soit revenu de la salle de bain – mais non sans avoir, comme chaque soir, posé un sort de silence autour de son lit de camp et émis le désir fervent et silencieux de ne pas se réveiller, hurlant et en nage, au beau milieu de la nuit, se débattant contre ces cauchemars sombres et insaisissables qui l'assaillaient inlassablement depuis la fin de la guerre.

Comme de juste, lorsqu'il se leva le lendemain matin après une nuit laborieuse et bien loin d'avoir été reposante, la lettre ne lui était toujours pas revenue à l'esprit – et il ne s'en serait sans doute pas rappelé avant plusieurs jours, si Ron, en s'avançant pour donner à manger à un Coquecigrue de nouveau alerte et surexcité en ce début de matinée, n'avait pas posé les yeux dessus.

« C'est à toi, ce parchemin ? » s'enquit le rouquin en se tournant vers Harry, tout en désignant négligemment du doigt le petit rouleau.

« Mh ? Oh oui, c'est arrivé hier et je l'avais complètement oublié. »

Il attrapa le rouleau au vol lorsque Ron le lui lança, et attendit que son ami soit descendu pour étudier plus en détail le mystérieux parchemin. Des lettres, Harry en avait reçu des quantités depuis la fin de la guerre – à tel point qu'il avait pris l'habitude de les jeter sans même les ouvrir, puisque les seules personnes encore vivantes dont il aurait eu envie d'avoir des nouvelles passaient régulièrement au Terrier, là où Harry avait élu domicile pour un temps indéterminé depuis la mort de Lord Voldemort. Pourtant, ce parchemin-ci ne ressemblait pas aux autres lettres qu'il avait reçu et qu'il recevait encore ces derniers temps : fermé par un ruban noir, qui lui évoqua désagréablement un faire-part de décès, le petit parchemin blanc étroitement roulé sur lui-même dégageait une mystérieuse impression de solennité désuète, un peu comme un vieux souvenir poussiéreux émergeant d'un passé oublié – et pas si lointain cependant. C'était absurde, Harry en avait conscience et pourtant, il avait l'inexplicable impression qu'il devait l'ouvrir. Son instinct, qui l'avait si souvent guidé ces dernières années, refaisait surface après deux mois de latence et le pressait à nouveau, le poussant une fois encore vers des actions irraisonnées. Toutefois, ne pressentant aucun danger à assouvir cette mystérieuse pulsion, Harry ôta prestement le ruban noir et laissa le petit parchemin blanc se dérouler silencieusement.

Quatre mots, quatre mots seulement y étaient inscrits à l'encre d'un vert profond, lui aussi écho incompréhensible d'un passé refoulé :

« Voulez-vous me revoir ? »

L'écriture familière, penchée et sèche, raviva en lui le souvenir de deux yeux noirs, aussi noirs que les plumes du corbeau de la veille, qui s'éteignaient lentement jusqu'à devenir irrémédiablement figés et opaques, perdant ainsi à jamais leur profondeur mystérieuse.