Fatum

Fatum: Terme latin signifiant destin, évoque aussi la notion de fatalité

"Détruis-moi Granger. Accomplis ce que la guerre n'a pas su faire." Ceci n'est pas une histoire d'amour. C'est l'histoire d'un désastre inévitable. [post-poudlard, dramione, la vie après la guerre n'est pas idyllique.]

Partie 1:

Linceul En pièces

Premier Chapitre En miettes

Mai Ensemble

«It's not really a measure of mental health to be well adjusted in a society that is very sick.»

«Ce n'est pas un signe de bonne santé mentale d'être bien adapté dans une société malade.»

The OA, Episode 1.


Tous nos mots semblent aspirés par le vide qui sépare nos corps.

Son coude blesse mes côtes. La douleur atténue un peu l'embarras. À côté de moi Ron est silencieux, chaque seconde semble plus longue que la précédente. Lentement, je couvre ma poitrine nue avec le drap. Mes pieds sont glacés et les larmes qui menacent de couler semblent geler sous mes paupières.

La douleur est là. Moins forte que je ne l'aurais cru mais elle est là. Plus forte que celle que son coude me cause. Moins forte que celle que ce silence m'inflige. Je n'ose pas baisser la tête pour voir si le sang a tâché les draps. J'ai presque envie que le tissu soit immaculé, comme si les cinq dernières minutes n'avaient jamais existé. À moins que cela n'ait duré que quatre minutes, peu importe, le résultat est le même. La douleur, le silence, la honte. Quatre ou cinq, le froid me perce encore la peau. J'aimerais qu'il me prenne dans les bras, qu'il me dise que tout ira bien même si l'on sait que c'est faux. Je voudrais qu'il m'embrasse jusqu'à ce que la douleur entre mes jambes ne soit qu'un simple et malheureux souvenir.

Il se lève, entièrement nu, ses épaules sont contractés et sa mâchoire est serrée. Le silence est glaçant. Tout est glace et tout est gelé en plein Mai. C'est donc ça, un couple qui se quitte. Mais avons-nous jamais été un couple? Est-ce que cette maladroite expérience a-t-elle signée le début de notre histoire, ou bien nous a-t-elle condamnée à rester amis?

Je voudrais disparaître. Prendre le premier portoloin vers un pays chaud, un endroit ensoleillé où Mai réchauffe la peau. Je voudrais sentir les prémices de l'Été. Je voudrais que la chaleur embrasse mes joues, qu'elle guérisse mes plaies.

«Ron... Ce n'est pas grave, je...» J'arrive à peine à murmurer ces syllabes, comme si mes cordes vocales étaient paralysés par le froid.«Ce n'est pas ta faute...»

Il se tourne vers moi, tête baissée et joues rougies, malgré sa barbe il ressemble à un enfant.

Mais nous ne sommes plus des enfants.

«Hermione, j'apprécierais que tu te taises. S'il-te-plait.» Son ton sec trahit son agacement. Il fait quelques pas, se dirigeant vers la pile de vêtements tassés sur le sol. Il est de dos à moi alors qu'il s'habille, je n'ose pas bouger. Immobile, comme faite de glace.

J'ai l'impression que si j'expire trop fort, de la buée sortira de mes lèvres. Si j'inspire trop fort, mes organes gèleront. Il fait si froid dans les sous-sols de Poudlard. Si froid que l'Été semble loin.

«Je ne vais pas me taire.» Je dis en me levant du lit, je le rejoins doucement, grimaçant lorsque mes pieds touchent les dalles glacées. Arrivée devant lui, j'entremêle mes doigts dans les siens. Il ne me regarde pas, ses oreilles sont teintées de rouge. Il est gêné par ma nudité. Je ne le laisserai pas être gêné. Je ne le laisserai pas tourner la tête. Je ne le laisserai pas prétendre que rien ne s'est passé. Ma main froide se pose sur sa joue, et ses yeux rencontrent enfin les miens. Mon autre main caresse sa joue nue, mes doigts glissent dans sa barbe, cherchant un peu de chaleur. Il est entièrement attentif à présent, ses yeux bleus me fixent, avec gêne et surprise et une pointe de colère et une myriade d'émotion qui me rendent nerveuse et, et, et... Suis-je folle de déceler du désir dans ses yeux?

Mes mains tiennent son visage fermement. Je suis nue. Complètement nue devant lui. Je lui offre mon coeur, mon âme, je veux qu'il partage mes joies et mes peines trop grandes. Je veux bien tout lui donner, en échange, je demande simplement un peu de chaleur. Ses mains n'osent pas frôler ma peau, il reste immobile et c'est douloureux. Douloureux d'être nue et fébrile devant celui que l'on aime. Tout est douloureux. Le froid, le sexe, le silence, la lueur de pitié dans ses yeux.

Je me mets sur la pointe des pieds, en prenant appui sur ses larges épaules et place un baiser hésitant sur ses lèvres. Ce baiser ne suffit pas pour me réchauffer. Il provoque l'effet inverse, nos lèvres se séparent et le froid de la chambre me pétrifie un peu plus.

Il s'approche, pendant un court et glorieux instant, je pense qu'il va répondre à mon baiser. Mais ses lèvres viennent se glisser contre mon oreille, comme s'il allait me révéler la plus secrète des confidences.

«Je t'aime Hermione. Par Merlin, je t'aime ! Mais laisse-moi un peu de temps... Fred est mort et... Il faut que je retrouve ma famille. Ça va trop vite. Tout va trop vite en ce moment.»

Il quitte la pièce sans jeter un regard en arrière.

Je mets du temps à réaliser qu'il m'a laissée ainsi, seule, nue, transie de froid. C'est seulement lorsque mes lèvres deviennent bleues que je trouve la force d'enfiler un pantalon et une chemise. D'un coup de baguette, j'allume un feu à la cheminée. J'observe les flammes valser doucement, répandre leur douce chaleur dans ma grande chambre.

Je m'endors toute habillée dans mon lit, avec seul le souvenir des lèvres de Ron sur ma peau pour me tenir chaud. Je tourne dans mon lit, maudissant ces malheureuses minutes où nos membres et nos rêves étaient emmelés, où nous étions vulnérables et nus dans mon lit trop vaste. À présent il n'y a que l'ignoble et étrange fraîcheur de Mai qui s'immisce en moi comme la plus cruelle des lames.

-o-

Assise dans la Grande Salle, je peux encore sentir l'odeur poisseuse d'un cadavre en décomposition. Peut-être a-t-elle persisté sur les murs, infiltré les rideaux et les tapisseries ? Peut-être que j'imagine tout. Je crois que tous mes sens sont anesthésiés depuis que Ron est parti du château.

Je touche à peine à mon plat, poussant les feuilles de laitue sur le bord de l'assiette. Je n'ai pas faim. Après avoir passé tous ces mois dans cette minuscule tente, la faim est devenue une sensation abstraite. Depuis quelques temps tous les aliments ont le même goût. Un goût fade, presque écoeurant. L'appétit, voilà une chose de plus que la Grande Guerre m'a pris.

À ma gauche Neville s'agite et parle la bouche pleine, quelques morceaux de dinde s'échappent de sa bouche et atterissent dans mon assiette, cela ne me révulse pas, au contraire je souris, un maigre sourire certes, mais l'enthousiasme de Neville me rend nostalgique. Je repense à ce temps, pas si ancien, où Ron se goinfrait devant moi, quand nous avions des rêves plein la tête et des étoiles plein les yeux.

Quand j'étais petite, ma mère me disait que même la plus petite des étoiles brillait dans l'obscurité. Les nuits de la guerre ont été si sombres, si noires que je n'ai pas pu distinguer les formes et les sourires, plongée dans la nuit, j'avançais et chaque pas m'éloignait un peu plus de la lumière. Les étoiles étaient éteintes et nos yeux attendaient seulement l'aube.

Les yeux de ma mère se sont éteints pour l'éternité, cette macabre pensée traverse mon esprit sans que mon visage ne laisse passer quelconque détresse. Je reste impassible sur ma chaise, feignant d'écouter les récits de Neville.

Neville continue son histoire, ses paroles font rire Hannah Abbott qui est assise devant nous. Je n'écoute pas Neville, je me contente de le fixer. Je vois des choses que je n'ai jamais vu auparavant. Je vois son grain de beauté sur sa paupière gauche, je remarque sa cicatrice à l'arcade et puis celle au-dessus de sa lèvre. Je vois toutes ces petites choses auxquelles je n'ai pas prêté attention, la façon dont son regard brille quand il regarde Hannah ou sa manie de se gratter l'oreille quand il éprouve de la gêne. Je n'écoute pas ce qu'il dit, ses propos sont flous, ils restent en suspend et n'atteignent pas mes oreilles, mais je l'observe. Depuis la guerre, mon sens de l'observation s'est aiguisé, je perçois plus de choses, je peux presque sentir les mensonges qui gravitent autour de moi.

En face de moi, Hannah se lève d'un mouvement gracieux, ses cheveux bruns tombent en cascade et Neville est béat d'admiration. Sa bouche s'ouvre bêtement, mais il n'a pas la force de parler. Il la contemple et ses joues portent les traces rouges de son désir. Elle lui fait un petit signe de la main puis quitte la Grande Salle, non sans lancer un sourire radieux à mon ami. Neville se tourne vers moi. Il commence à ouvrir la bouche, et cette fois-ci il trouve la force de parler. Il parle et parle sans s'arrêter, même quand il mâche ses haricots, il continue, je me dis qu'il a sûrement peur du silence mon brave Neville. Le silence doit lui rappeler la Guerre.

Il m'a raconté que les Carrows le laissaient parfois dans une salle de classe sombre pendant un jour entier, sans eau ni nourriture. Le silence doit l'effrayer maintenant, lui remémorer ces instants où la victoire n'était qu'un rêve. Un rêve fou, ubuesque, le fruit d'un optimisme inébranlable.

Mais aujourd'hui c'est fini. Tout est fini. Plus de morts. Plus de larmes. Plus d'horcruxes. Seulement l'avenir qui se dessine. Je peux penser à un futur sans remplir mon crâne d'inepties. Tout est fini. Je peux rêver du lendemain sans penser que cette nuit sera la dernière. Tout est fini. Tout est fini. Tout est fini. Comme une prière je répète ces mots sans cesse, comme pour me convaincre que les morts ne nous hantent pas.

Tout est fini, Hermione.

«Hermione, tu m'écoutes? demande Neville, visiblement inquiet.«Tu te sens bien?»

Je hoche vivement la tête. L'expression de Neville s'assombrit, sa bouche n'est plus qu'une fine ligne. Il sait que je mens mais il continue son discours matinal.

«Padma a été internée à Saint-Mangouste, elle dit que des démons lui rendent visite la nuit. Elle dit que le fantôme de Colin la suit partout, elle dit que son odeur est celle du sang mélangé aux cendres. Elle ne dort plus, elle répète que la nuit est la demeure des esprits qui la tourmentent. Les medicomages lui ont prescrit des potions, aucune ne fait effet. Parvati l'a emmenée chez une spécialiste des troubles post-traumatiques, Padma reste mutique, enfermée dans son monde, répétant sans cesse que l'odeur du sang pollue son âme. Par Merlin Hermione, Sainte-Mangouste est dépassé.

Oliver Dubois a perdu la mémoire, selon Hannah, ses seuls souvenirs seraient la sensation de voler sur un balai. Il parle peu, se contente de remuer la tête, comme si le vent fouettait ses cheveux. Les Medicomages m'ont dit qu'il n'avait pas reconnu sa mère, pourtant elle reste auprès de lui, elle s'endort en serrant la main de son fils, elle s'éveille en séchant ses larmes. Olivier a oublié, mais d'autres se souviennent pour lui.»

Quelques larmes font briller les yeux sombres de Neville. J'ai envie de le serrer dans mes bras, de le protéger de ce monde de fous où le sang coule comme l'eau dans les rivières.

«Lavande est atteinte par la lycantropie. Sa première transformation, malgré l'usage de potion Tue-Loup fut désastreuse. Elle a saccagé sa chambre à Saint-Mangouste, brisé le matériel. Elle aurait même blessé une infirmière qui tentait de la calmer mais Sainte-Mangouste reste discret à ce sujet, ils ne veulent pas ébruiter le fait que leurs équipes ne savent pas gérer un loup-garou. Tu comprends Hermione, les sorciers ont encore peur de sortir de chez eux, alors que deviendrait notre monde si nous succombions à la paranoïa. Peut-on réellement douter de nos institutions?»

Succomber à la paranoïa. Mon cher Neville regarde autour de toi. Les rues sont vides, le sang parsème encore les allées, certains anciens membres haut-placés du Ministère sont envoyés à Azkaban. Comment veux-tu que l'on puisse dormir sereinement? Je brûle de prononcer ces mots, pourtant je reste silencieuse. Je ne vais pas m'impliquer, le Ministère et le monde continue et continuera de tourner sans que je sois là pour les diriger. Je vais continuer de rebâtir Poudlard, je vais ranger les livres de la Bibliothèque de Poudlard, sans même prêter attention aux titres. Je vais nettoyer les couloirs, aider les blessés, sans jamais exprimer mon avis. Je vais me fondre dans la foule beuglante, priant pour que personne ne veuille échanger quelques souvenirs de guerre avec moi. Je vais rester ici avec Neville. Je vais essayer de le regarder dans les yeux alors qu'il me regardera avec inquiétude. Il sait que quelque chose ne va pas. Il sait que je ne parle ni à Harry et ni à Ron. Il le sait mais il a la politesse de se taire. Ou peut-être qu'il a peur, peur que je lui dise que certains d'entre-nous ne pourront plus jamais vivre de la même façon.

Neville reste à mes côtés, loyal et patient. Il ne me presse pas, se contente d'annoncer les dernières nouvelles. Tous les matins, il s'assoit à mes côtés dans la Grande-Salle en reconstruction, il me fait son bulletin d'information, il ne cache aucun détail, ce que j'aime par-dessus chez Neville, c'est sa franchise. Je lui dois bien ça à Neville, je lui épargne la vérité épineuse de notre monde. Je veux qu'il ait confiance en lui. Je veux qu'il ait foi en notre Ministère. Je veux qu'il garde son sourire enfantin et ses yeux trop brillants.

Je l'épargne tous les jours, je lui cache mon secret.

Correction, je m'épargne moi-même, en cachant la vérité je m'assure qu'il reste à mes cotés. Je veux sa franchise, je veux son petit rapport matinal. Étrangement quand il est celui qui m'annonce un décès ou un enterrement la nouvelle est moins rude. Bien que Neville ait perdu ses rondeurs adolescentes, il a encore sa mine de gosse, ses grands yeux qui lui bouffent tout le visage.

Dans sa bouche d'enfant devenu grand; la vérité est moins cruelle.

Je l'aime bien Neville, il parle sans s'arrêter, sans se soucier que mes pensées sont à mille-lieues de lui. Les informations de Neville entrent dans un coin de ma tête sans que mon cerveau ne les analyse réellement.

Depuis la fin de la guerre, mes neurones fonctionnent au ralenti, ma tête est comme pressée dans du coton. Je suis entourée d'une matière opaque et confortable qui me coupe du monde. Une ouate qui améliore la réalité, elle absorbe les imperfections, atténue les sons et les lumières voyantes.

Que dirait Neville s'il savait l'ampleur de mes méfaits ? Lui qui n'a jamais vu ses parents sains d'esprit. Pourrait-il encore supporter ma présence, ou même me regarder dans les yeux?

Neville se lève de la table, il me présente son bras tout en souriant. Mon bras s'enroule au sien et nous empruntons les mêmes pas que Hannah a emprunté avant nous. Je m'accroche à lui alors qu'une dizaine de personnes nous dévisagent. Quelques murmures s'élèvent. Je sais ce qu'ils pensent. Où sont passés Harry Potter et Weasley? Mais ces gens ne peuvent pas comprendre le lien qui nous unit. On a beau avoir vécu l'enfer tous les trois, il semblerait que la Paix nous ait séparés.

Le lendemain de la victoire, c'était comme si une chose s'était fissurée entre nous trois. Il y avait d'abord Harry, il se sentait coupable. Coupable d'avoir été celui pour lequel des enfants ont perdu leurs parents. Coupable d'être le symbole de la résistance. Il porte le poids des morts sur ses épaules. À la minute même où Voldemort est tombé à terre, Harry s'est senti coupable de toute la misère du monde. À la seconde même où les survivants ont crié victoire, Harry est devenu l'objet de toutes les convoitises. Les mères voulaient le serrer dans leurs bras, les filles voulaient l'embrasser. Tous voulaient un morceau d'Harry Potter, sauveur du monde sorcier. Journalistes, agents du ministère, banquiers de Gringotts... Tous. Il leur a donné au début, il a distribué des petites parcelles de lui-même à qui en voulait. Une interview au Chicaneur. Une autre à la Gazette. Une éloge funèbre par-là, des remises de médailles par-ci. Harry n'était plus un homme, il appartenait au vendeur de chaudron du Chemin de Traverse, au chauffeur du Poudlard Express, à la secrétaire du Ministère, au jeune cracmol de la banlieue Londonienne...Il appartenait au Monde Sorcier entier.

Naturellement au bout d'une semaine, Harry a craqué. Comment pouvait-il aider la societé à se reconstruire alors que ses propres blessures n'avaient pas encore cicatrisé?

Il a décidé de s'installer au Square Grimmaurd avec Ginny. Après tout ce qu'il a traversé il mérite un peu de repos. C'est pour ça que je ne m'implique pas. Je suis allée lui rendre visite une seule fois. Kreattur nous a préparé une omelette qui avait le goût de cendres. Le repas était une succession de silences gênants. Évidemment, Ron s'était arrangé pour ne pas me croiser. Je voyais bien qu'Harry voulait me demander ce qui passait entre Ron et moi, ou ce qui se passait dans ma tête pour que je sois aussi paumée. Il n'a pas demandé. Je n'ai rien dit. Je n'ai pas dit que mes parents étaient à Sainte-Mangouste, ni que Ron m'évitait comme la peste depuis notre embarrassante première fois. J'ai simplement pris quelques fourchettes d'omelette. J'ai fait semblant d'aller bien. Parce qu'il était indécent de montrer ma douleur à Harry, à cet homme qui l'est devenu trop tôt, et qui a souffert comme aucun autre. Je ne pouvais pas lui dire que je dormais plus, il aurait pensé que mes insomnies étaient dues à lui.

Alors je me suis tue. J'ai mangé l'omelette en voulant vomir.

Et quand je suis rentrée à Poudlard, j'ai vomi l'omelette sur un mur fraîchement rebâti.

C'était ma manière de dire merde à ce simulacre de paix du Monde Sorcier, parce que dans mon esprit la guerre faisait encore rage. Mes pensées étaient des bruits de canons, des bombardas maximas contre les murs, les cris des mourants et les flammes du Feudeymon. Mais je me répète que tout va bien aller. La guerre est finie.

Tout est fini.

La meilleure arme du lâche est le déni, m'avait-on dit. Je comprends ces mots à présent.

Je respire, je mange peu. Je dors. Mon coeur bat à un rythme régulier. Mes jambes fonctionnent parfaitement. Mon poumon se remplit d'air. Je vis, il m'arrive même de dormir. Mes journées sont celle d'un humain, d'un corps doté d'une âme. Pourtant, mes jours sont fades, mes nuits sont interminables. Je réfléchis, je décide, j'apprends mais toutes mes connaissances se perdent dans un voile de fumée. Mon monde est cendre et la Guerre a tout brûlé. Parfois alors que je contemple le plafond au-dessus de mon lit, je pense à ceux qui prétendent que la Guerre est finie, ces braves gens qui clament haut et fort que les jours heureux sont devant nous. Je lis les journaux dont les unes célèbrent notre victoire. J'entends les discours qui promettent de nouveaux horizons. J'entends, j'écoute lentement mais mon cerveau n'intègre pas.

Comment pourrais-je aller de l'avant alors que toutes mes illusions de jeunesse ont été maltraitées, jetées à terre et consumées par la haine? Comment ?

Pour la première fois de ma vie, les réponses me manquent. Je ne me sens pas réellement triste, seulement vide. J'ai deux trous dans le coeur. Mes béances s'appelent David et Elaine Granger. Le deuil m'a rendue froide comme la pierre, aussi dure que l'acier. Je suis impassible, immobile, repassant sans cesse mes erreurs comme une bobine abîmée. Je me souviens de ce jour comme d'hier, il est gravé dans ma mémoire en lettres de feu.

J'étais arrivée vingt minutes à l'avance, les couloirs empestaient la mort, mais la culpabilité m'empêchait de sentir l'odeur macabre de Sainte-Mangouste. Ce jour-là, il n'y avait que la culpabilité dans mon esprit. Mes mains étaient restées en suspend au-dessus de la poignée, incapables d'ouvrir la porte. Pendant une dizaine de minutes, je me suis tenue immobile, figée d'effroi, refusant d'admirer l'étendue des dégâts que mon sort avait causé.

Rester dans le couloir, hors des vestiges de mon ancienne vie, rendait la vérité moins affreuse. La vérité qui corrodait mon estomac, mes entrailles, celle qui résonnait comme une farce macabre.

Comment aurais-je pu supporter leur présence? Rencontrer leurs yeux vides et vitreux?

Derrière mon dos, je sentais le regard insistant du medicomage. Éprouvait-il de la pitié? Je devais paraître si faible avec mon teint pâle et mon dos courbé par la fatigue. J'avais joué un rôle essentiel dans la chute du plus grand mage noir de l'Histoire. Le nom d'Hermione Granger était acclamé, mon visage rayonnait à la une des journaux, toujours souriant, j'etais devenue experte dans l'art du double jeu. Devant les photographes, je souriais, prétendais que l'avenir s'annonçait beau et prometteur, comme une actrice, je jouais mon rôle d'héroïne à la perfection. Un modèle pour le Monde Sorcier, écrivait la Gazette, en lisant ces torchons qui ne cessaient de vanter mes mérites, je riais amèrement. J'aurais aimé que ces sourires soient vrais, mais la vérité était toute autre, n'est-ce-pas?

J'ai endommagé le cerveau de mes parents. Un crime bien indigne du 'modèle'. Quelles pensées ont traversé l'esprit du medicomage lorsque j'ai transplané, mes mains maladroitement serrées autour des bras de mes parents inconscients? A-t-il été déçu de l'héroïne de guerre?

Quelle folie d'avoir cru que je pourrais retrouver mes parents... Je voulais seulement rompre le sortilège d'amnésie... Mais à prèsent mes parents ne sont même plus capables de tenir debout...

La Destin a un humour douteux...J'ai détruit horcruxes, le plus vil artefact de magie noire, mais lever un simple sort était au-dessus de mes forces... Si la situation n'avait pas été aussi pathétique, j'aurais pu en rire. Je n'arrêtais pas de chercher les mots pour me donner du courage, pour ouvrir cette porte, actionner la poignée et affronter la realité. Je pensais qu'être aux côtés de mes parents réussirait à me calmer, voir leur poitrine se soulever au rythme de leur respiration malgré leur immobilté, observer le crâne dégarni de mon père, les boucles soyeuses de ma mère, tous ces petits détails de ma vie d'antan. Je le jure, sur le moment, je pensais réellement que cela allait m'aider à alléger le poids qui logeait dans mon estomac. J'étais persuadée que si j'ouvrais cette porte, une partie sombre de ma vie allait se clore pour de bon.

Où avais-je la tête? Il faut croire que j'ai des tendances masochistes.

Dès que mes pieds ont touché le sol de la chambre, un sentiment de malaise s'est emparé moi. Près de la fenêtre, mon père gisait immobile dans un lit. J'entendais sa respiration saccadée, pendant un instant, je me suis laissée bercer par les souffles familiers de mon père, semblables à ceux qu'il émettait les soirs de Noël, quand j'étais encore assez petite pour tenir dans ses bras. Il me mettait sur ses genoux, puis nous admirions les flammes de la cheminée, nous n'echangeions aucune parole, il y avait seulement moi, mon père et le feu qui dansait doucement.

Les traits de David Granger n'étaient pas réellement différents de ceux des nuits d'hiver au pieds du feu, et pourtant, j'ai eu la désagréable impression d'être au chevet d'un inconnu. Je pouvais reconnaître son nez proéminent, sa cicatrice juste au-dessus des lèvres, comme je remarquais l'affaissement de sa joue droite, la larme qui perlait au coin de ses paupières closes ou le filet de bave disgracieux qui coulait le long de son menton. Le visage de mon père était asymétrique, la partie gauche ressemblait à l'homme qui m'a éduquée. En revanche, celle de droite était flétrie, montrant au monde entier les marques de son traumatisme.

J'ai détourné la tête, voir mon père si vulnérable n'a fait que raviver la souffrance de plaies déjà béantes. Je me rappellais de sa joie de vivre, de la façon dont il faisait danser ma mère. David Granger n'aurait jamais voulu vivre ainsi, prisonnier d'un corps inactif.

J'ai laissé mon regard rempli de larmes tomber sur la maigre silhouette de ma mère, elle aussi, était enveloppée dans plusieurs draps blancs. Sur le moment, elle m'a tellement rappelée Alice Londubat. Pendant quelques secondes, j'ai été convaincue qu'elle était vraiment la mère de Neville, puis mon regard a glissé sur son épaule découverte où une tâche de naissance en forme de coeur semblait me narguer. Mon père disait souvent que cette tâche de naissance était la raison pour laquelle il était tombé amoureux de ma mère.

J'ai réalisé que cette femme qui paraissait morte était vraiment celle qui m'avait donné la vie. Je me souviens m'être penchée au-dessus de son lit, encore horrifiée par ce qu'était devenu ma mère.

Contrairement à son mari, Elaine Granger avait les yeux grands ouverts, fixant le plafond, perdue dans le vague, elle ressemblait à une fillette apeurée. J'ai senti les griffes de la culpabilité ronger mes entrailles. Ma mère, ma belle maman, soudainement muette et stoïque, une statue de marbre aussi fragile qu'une oeuvre en porcelaine...

Mes doigts tremblants ont caressé le front de ma mère. Avec une lenteur infinie j'ai dessiné les contours de son visage, j'ai mémorisé chaque pore de sa peau désormais glacée. Elle était aussi froide qu'un mort, aussi passive qu'un cadavre et pourtant son coeur battait encore.

J'ai quitté Saint-Mangouste le coeur au bord des lèvres. Je me souviens à peine être revenue à Poudlard. Je me suis seulement réveillée dans mon lit, mon oreiller humide de larmes.

J'ai commis un acte abominable. J'essaie de me convaincre que le sortilège d'amnésie était la meilleure option pour eux. Je continue de penser qu'ils seraient mort s'ils étaient restés en Angleterre.

Je le pense, je le répète de vive voix. C'etait la bonne décision.

Les bonnes décisions sont souvent les pires.

Ils sont dans un état-comateux, et sûrement pour le restant de leur vie, mais leurs coeurs battent encore. Et si un coeur bat encore, l'espoir subsiste, car l'espoir ne peut pas avoir péri dans les flammes, n'est-ce-pas? Les journaux ne cessent de le répéter, le Monde Sorcier se relève, si certains peuvent encore espérer, qui pourrait m'empêcher de croire à un miracle? Pourquoi l'espoir me semble-t-il hors d'atteinte?

-o-

Le Soleil n'est pas levé quand je me réveille. Ma chambre est plongée dans la pénombre, j'imagine des ombres qui dansent au plafond, leurs formes pointues et leurs gueules ouvertes, prêtes à me dévorer. Dévorer ce qu'il reste de moi.

Que reste-il Hermione?

Je frissonne, instinctivement je resserre mon drap autour de mon corps, créant un cocon de chaleur. Ma chambre est l'ancienne chambre du professeur Rogue, la décoration est sombre mais minimaliste. C'est assez, je ne demande rien de plus qu'un lit.

Quand j'étais plus petite, mon père aimait chanter pour me bercer. Il chantait une vieille chanson tout en caressant ma tête. Je m'endormais en quelques secondes, bercée par sa voix. J'aimerais que quelqu'un soit là, près de moi à chanter des petites berceuses, à veiller à ce que les monstres qui se cachent sous mon lit ne m'emmènent pas dans leur monde terrifiant.

J'ai l'impression que mon cerveau va exploser. Il faut que j'arrête de penser. Il faut que je me pardonne.

Comment se pardonner quand on a commis l'impardonnable? Il y a pas de pardon, pas pour ceux qui ont blessé des innocents. Je donnerais tout pour les avoir près de moi. Je donnerais tout pour que Ron soit auprès de moi.

Tant de fois j'ai imaginé ma vie après la guerre, je pensais que Ron et moi serions enfin ensemble et que Harry trouverait la paix avec nous. Peut-être que nous avons chacun besoin de faire le point sur nos vies respectives sans être ensemble. Nous avons été ensemble pendant si longtemps, vivant dans un espace clos, partageant les mêmes peurs et les mêmes rêves. Et maintenant la guerre est finie, je devrais être heureuse, je devrais sauter, hurler, danser et fêter la fin d'un règne de terreur. Mais je n'y arrive pas, je ferme les yeux et je vois les visages livides de mes parents, je vois le visage aux traits tordus par la haine de Bellatrix au-dessus de moi. Je ferme les yeux et je vois Harry qui gesticule en hurlant à terre alors que Voldemort entre dans son esprit. Je ferme les yeux ne serait-ce que deux secondes et je revois Ron qui quitte la tente en hurlant, je revois son visage déformé par la jalousie et mon coeur tangue et menace d'exploser.

Puis j'ai tellement froid dans cette chambre, à croire que Rogue ne supportait pas la chaleur. C'est aussi froid que mon coeur ou que la mort elle-même.

Mes mains tremblent lorsqu'elle saisissent la plume et le parchemin posés sous mon lit.

«Mon cher Neville,

J'aurais aimé te dire au revoir de vive voix. Quelle piètre Gryffondor je fais! Tu dois sûrement penser que mon comportement est lâche. Que plusieurs personnes comptent sur moi, et Merlin, tu as très probablement raison. Mais comprends-moi, il faut que je parte quelques temps, du moins un ou deux mois, il faut que je me retrouve seule, que je fasse le point sur ma vie. Je n'arrive pas à croire que je puisse écrire ces mots. Si tu savais comme j'aimerais être aussi forte que toi et pouvoir affronter les marées sans tanguer. Je vais partir, la décision est prise, sache que je suis en sécurité. Sache que tu mérites tout le bonheur du monde. Je vais encore abuser de ta gentillesse une dernière fois.

J'aimerais que tu dises à Ron et Harry que j'ai choisi de m'isoler quelque temps. Je devrais leur dire de vive voix mais que veux-tu il semblerait que le courage m'ait quitté ce matin. Je te remercie encore pour ta patience et ton amitié.

À bientôt. H.J.G. »

Je quitte Poudlard sans regret, sans trop savoir quelle sera ma prochaine destination. Je quitte ma chambre froide et macabre pour caresser les rayons lumineux du Soleil de Mai, avec une lettre posée sur la commode comme seul signe de mon passage dans les sous-sols.

-o-

Dans la vie, les génies dans les lampes n'existent pas. Dans la vraie vie les voeux ne sont que des fantasmes.

Quand la pluie s'abat sur moi, insidieuse et sans pitié ma seule réaction est de rire. Cette pluie torrentielle est peut-être un signe du destin, une manière de Dieu de me dire:«Tu voulais le Soleil et la chaleur? Tu auras le ciel gris et la brume.»

Comme je l'ai dit, les voeux ne réalisent pas dans la vie, il faut attendre. Attendre qu'une envie nous passe pour espérer autre chose. Une chose qui arrivera peut-être mais au prix d'immenses peines.

Mes sandales sont enfoncés dans la boue chaude et ma robe s'égoutte peu à peu. Je marche dans le village en claquant des dents, mon sac serré contre ma poitrine je clopine dans les rues, seule et glacée. Je croise quelques personnes, majoritairement des hommes, certains me regardent avec pitié quand il voient mon teint pâle et ma robe qui me colle à la peau. Je ressemble à un petit oiseau, chétif et trempé, tombé du nid dans la nuit.

Je marche jusqu'à m'arrêter devant un pub, des fenêtres j'apercois de la lumière, je peux entendre des rires et de la musique. Il y a l'air d'avoir de la vie la-dedans, et aussi de la chaleur, et la chaleur est mon unique souhait. J'ouvre la porte du pub et la lumière artificielle m'aveugle presque. À mon arrivée, certains clients s'arrêtent de parler, me devisagent sans gêne. Je me doute bien que mon apparence est peu flatteuse mais leurs regards insistants m'embarrassent.

Je me dirige vers le comptoir en prenant soin de fixer le plancher. Quelques personnes me sifflent lorsque je m'assois sur un tabouret libre. J'éclaircis ma gorge avant de commander au barman:

«Pourrais-je avoir un verre de rhum, s'il-vous-plait?»

Le barman remplit un verre jusqu'à ras bord et le pose sans délicatesse devant moi. Je saisis le verre sans hésiter et bois son contenu d'une seule gorgée. Le goût est infect, mais l'alcool me procure un peu de chaleur.

Ls premières notes de Sympathy for the Devil retentissent dans le pub. Plusieurs ivrognes beuglent les paroles approximativement, en choeur avec l'inimitable voix de Mick Jagger. Je les observe alors qu'il massacrent ce monument de la chanson, ils sautent sur les tables sans se soucier des regards des autres, ils vacillent un peu mais leur joie est communicative. En les regardant chanter et danser, je réalise qu''ils n'ont aucune idée que les sorciers existent. Ils n'imaginent même pas que Voldemort puisse exister. J'ai beau être une née-moldue, l'idée que l'on puisse vivre toute une vie sans se douter qu'un autre monde existe m'est inconcevable. La magie est mon quotidien depuis sept ans, elle fait partie de moi. Mais pour eux, la magie n'est qu'une folie, pour eux la guerre n'est pas une réalité. Soudainement agacée par leur enthousiasme, je détourne le regard, puis je remarque un homme assis sur une table, il ne se prête pas aux jeux des autres clients. Il me semble même qu'il dort... C'est curieux, il me parait familier... Je suis certaine de l'avoir aperçu quelque part... Je ne peux qu'apercevoir son profil, ses cheveux sont sales et blonds...

Non. Non. Non!

MALEFOY?

Mon premier réflexe est de porter ma main à ma bouche. Je dois rêver, ça doit être une hallucination. Qu'y avait-il dans mon verre de rhum? Je frotte mes yeux, c'est la fatigue qui me fait voir n'importe quoi. Oui, la fatigue. Pourtant, l'homme ressemble bien à Malefoy, ses cheveux ont beau être plus longs et sales, ils gardent leur même couleur singulière. Malgré sa barbe naissante, je peux reconnaître des traits délicats.

Mais Malefoy? Endormi dans un pub moldu? Impossible.

Comment Malefoy pourrait-il se trouver dans ce village? Cela n'a aucun sens, jamais il n'aurait voulu s'approcher des moldus.

Ça y est. Je deviens folle. Malefoy ne peut pas se trouver là.

L'homme s'agite un peu dans son sommeil. Par Merlin, il faut que j'en ai le coeur net, lentement je me rapproche de l'homme endormi. Prenant une longue inspiration, je lui secoue délicatement l'épaule.

Il s'éveille en sursaut et pas de doute possible cette fois-ci, c'est bien Malefoy. Il est plus amaigri mais c'est lui. Malefoy respire fort, il me regarde étrangement puis saisit son verre. Il le boit sans même fermer les yeux. Son regard est vitreux, je réalise qu'il est probablement saoul.

«Qu'est ce que tu fous ici, Granger?» Il crache avant de lécher ses lèvres pour ne pas perdre une seule goutte de sa boisson. C'est étrange, il n'ose même pas me regarder dans les yeux. A-t-il honte? Honte de ce qu'il est devenu? Honte que je sois témoin de son état ébriété? Honte de ce qu'il a pu faire par le passé?

Malgré son taux problablement élevé d'alcoolémie dans le sang, Malefoy arrive toujours à poser les questions qui fâchent. Il a raison. Qu'est-ce que je fous dans ce bar minable? Qu'est ce que je fuis?

Le silence est ma seule réponse.

Malefoy rit amèrement, fixant son verre désormais vide.«Tu as perdu ta langue ? Faites venir la Gazette, j'ai enfin trouvé un moyen de fermer la grande bouche d'Hermione Granger!» Il est secoué par une nouvelle crise de rires, visiblement il se trouve désopilant.« Regarde-nous, Granger. On est beaux à voir, n'est-ce-pas? Tu dois prendre ton pied, non? Me voir seul dans un pauvre village moldu. Méprisé, haï, réduit à fuir le monde sorcier. C'est ce que tu as toujours voulu?»

Je m'attendais à des insultes. Mais pas à ça. Est-ce que je ressens une sorte de joie perverse en en voyant mon ancien ennemi en disgrâce? Non, évidemment que non.

«Non Malefoy, tu te trompes entièrement. Je n'ai jamais voulu que tu deviennes un ivrogne.» Il ne lève toujours pas les yeux, comme fasciné par son verre. Il sourit légèrement lorsque le mot ivrogne franchit mes lèvres.

«Regale-toi. Tu as devant toi l'Ivrogne le plus détesté du monde sorcier. Que fais-tu ici? Es-tu une envoyée du Ministère?» Sa mâchoire se contracte, il est nerveux.

«Ne t'inquiète pas Malefoy, je ne suis pas là pour toi. Cesse de te prendre pour le nombril du monde. Je suis ici pour moi. Ici pour oublier.»

Je ne dis pas ce que je cherche à oublier, Malefoy le sait pertinemment. Oublier la guerre. Oublier les morts. Oublier le sang sur mes mains. Oublier mes parents.

Je regarde les miettes de cacahuètes qui parsèment la table. Voilà ce qu'est ma vie: en miettes.

«C'est inutile Granger. On ne va pas oublier. On ne peut pas oublier. On pourra boire toutes les liqueurs du monde, fermer les yeux aussi longtemps qu'il est possible, tout ça ne servira à rien. On est condamnés à se rappeler.»

Pour la première fois, ses yeux rencontrent les miens. Dans son regard, je perçois une résignation qui me fait frémir. Comment peut-il accepter tout ça? Le Malefoy que j'ai connu m'aurait ignorée. Le Malefoy que j'ai connu n'aurait jamais été ivre dans un bar moldu. De toute évidence, le Malefoy de mes années à Poudlard avait disparu, laissant place au Malefoy taciturne, hanté par la Guerre. Aussi fou que cela puisse paraître, j'aimerais que le Malefoy d'avant soit ici avec moi ce soir. Le Malefoy d'avant était ordinaire, ses insultes étaient quotidiennes, puériles. Le Malefoy d'hier était un enfant. J'aurais voulu qu'il m'insulte pour que ma vie ait un semblant de normalité. Étrangement sa méchanceté passée était réconfortante.

Sa voix est rauque lorsqu'il parle, presque brisée.«J'aurais voulu que ça se passe autrement Granger. Merde. J'aurais vraiment voulu que...»

Il s'arrête, incapable de continuer sa phrase.

Qu'aurait-il voulu? Regrette-t-il le temps où il me jugeait impure? Regrette-t-il la Marque qui noircit la chair de son bras?

Il tousse et tire ses cheveux en arrière.

«Ce que je veux dire, c'est que je donnerais tout pour redevenir le garçon que j'ai été. Je donnerais tout pour te détester comme avant. Mais à prèsent, je n'arrive même pas à te détester. Quand je te regarde Granger, je pense juste à ce maudit soir où ma tante t'a torturée. J'entends ta voix et je me rappelle de tes cris. Rien que de t'avoir sous mes yeux me donne envie de vomir mes tripes sur cette table.»

Que croit-il ? Que je me souviens pas de ce soir là ? Croit-il que je trouve le sommeil? Imagine-il à quel point sa tante m'a fait souffrir? Sais-il que je ressens toujours une douleur, que parfois mes bras tremblent sans je puisse m'arrêter? Je brûle de lui cracher ces mots à sa figure, mais il semble si horrifié à cet instant que ma bouche ne s'ouvre pas, comme incapable de formuler mes pensées. Les souvenirs se bousculent dans ma tête. Les cris. La douleur. La voix percante de Bellatrix. Encore la douleur. L'odeur du sang. Bien sûr que je me rappelle. Comment oublier?

On est condamnés à se rappeler. Voilà la malédiction de notre génération.

Malefoy se lève en titubant, pendant un instant, je suis convaincue qu'il va chuter, tomber sur le vieux bois grinçant et se briser la nuque. Je lève mes bras, prête à le réceptionner mais à ma grande surprise Malefoy se stabilise, prenant appui sur la table. Il marche avec lenteur et maladresse, il ressemble à ces hommes qui dormaient sous l'arrêt de bus de la rue perpendiculaire à ma maison d'enfance, ces types auxquels on ne pouvait pas donner d'âge et dont seuls les yeux brillaient dans la nuit.

Je le regarde partir et mes lèvres restent entrouvertes. J'ai envie de lui parler mais que dire? Que fais-tu ici Malefoy? Pourquoi sommes-nous dans ce bar? Crois-tu que cela soit une coïncidence ou simplement que le Destin se joue de nous?

Quand un son s'échappe enfin de ma bouche, Malefoy a quitté le pub depuis longtemps déjà. La pluie a même cessé. La musique est éteinte et les clients sont partis chez eux.

Mes doigts sont même chauds quand je commande mon second verre whisky, et le froid m'a définitivement quitté quand je finis mon quatrième verre.

Je trinque à Fred, à Tonks, à Remus et à mes parents. Je trinque aux vivants et à tous ceux qui sont morts. Je trinque pour nous, pauvres condamnés qui avons trop vu.


Ça y est, j'ai touché le fond.

Mon verre se pose sur le comptoir. Mes yeux se plissent, la simple vue d'un verre vide me rend malade. Il faut remplir les verres, un verre sans contenu n'est rien mais un verre de whisky détient toutes les clés de la vie d'un homme: L'abandon. Je m'abandonne dans la gnole. C'est triste, j'en ai consience mais l'alcool est le seul remède à mes maux.

J'ai touché le fond, le fond de la cuve, là où l'odeur donne des hauts-le-coeur, là où la lumière n'est plus.

Grandeur et Décadence pourrait être le titre de ma potentielle autobiographie. La chute de l'Héritier Malefoy ravit la presse, il y a tellement de vautours qui se rejouissent du triste sort de ma famille. Je suis certain que quelques cons se feraient un plaisir de rédiger un pavé de mille pages retraçant le triste destin des Malefoy, la famille la plus détestée du Monde Sorcier.

Mon nom, jadis respecté, est méprisé. Mon père est coincé à Azkaban, ma mère perd la tête. Au milieu, il y a moi et mes dizaines de bouteilles vides. Je me regarde dans le miroir derrière le comptoir, sans vraiment me reconnaître. Mes nuits blanches ont rendu mon teint aussi pâle que la craie. L'ivresse me donne un air souffrant, mes yeux brûlent et sont injectés de sang. Mes cheveux sont sales et bien trop longs. Quelques miettes de nourriture sont accrochées à ma barbe. Ma chemise blanche est devenue jaunâtre, parsemée de multiples tâches d'alcool. Je suis méconnaissable, repoussant et pour la première fois de ma vie j'en ai rien à foutre. Personne ne me connait ici.

Excepté Granger.

Personne ne m'approche, c'est mieux ainsi. Peut-être que les moldus sont effrayés par ma présence. Tant mieux, je ne peux pas les supporter, ces ignorants... Ils n'ont rien vu les moldus. Ils ont continué leur petite vie tranquillement. Ils ne connaissant ni la guerre, ni la peur.

Je hais les moldus.

Je les envie.

J'ai envie de crier toute ma haine, leur dire à quel point leur stupidité me dépasse. J'ai envie qu'ils souffrent comme moi, juste pour m'alléger d'un poids. Je porte la culpabilité à bout de force. La nuit, ne trouvant pas le sommeil, je compte les dalles du plafond de ma miserable chambre d'hotel. Je compte les secondes. Je compte jusqu'à perdre la valeur des chiffres. Je compte, ressassant le passé comme les vieux ivrognes assis derrière moi.

La guerre est finie, je devrais avancer, laisser le passé derrière moi. Devenir quelqu'un d'autre.

La Guerre est finie, je me répète inlassablement, les gentils ont gagné. Les méchants purgent leurs peines. Admirez la dichotomie, dans mon monde, il n'y a pas de nuances.

Le Bien ou le Mal. Choisis ton camp. Choisis le bien.

Je n'ai pas eu le luxe de choisir. Toute ma vie, on m'a dit que les moldus n'étaient pas mieux que des crottes de Niffleurs sous les talons de mes bottes. Toute ma vie on m'a répété que mon nom signifiait respect. J'étais un gosse, je rêvais de gloire et de voler sur un balai. J'ai bu les paroles de mes parents, j'admirais mon père. J'aimais ma vie et je le faisais savoir à tout le monde. Mais ça, c'était avant la guerre. Avant cette gangrène infectieuse qui bouffe tes nuits.

Personne n'est préparé à ça, on te jette la dedans, sans même te prévenir. Tu fermes les yeux deux secondes et la seconde d'après un éclair vert passe à quelques millimètres de ta tête. Il n'y a pas de pitié dans mon monde. Marche ou crève. Plains toi en silence, la tête basse. Ne fais pas de vagues.

J'ai suivi les ordres, observé des tortures, commis des actes malhonnêtes. J'ai fait ça pour survivre, pour sauver ma famille, mais personne ne comprend mes motivations, ils voient seulement la Marque des Ténèbres sur mon bras, c'est ainsi, ma Marque est devenue mon identité. La Guerre a fait des victimes, j'en suis une, un paria de la société, un individu qui dérange, on ne me regarde jamais dans les yeux. On regarde seulement ma Marque.

Je ne suis pas en prison. Je ne sais pas qui remercier pour ça. Les gens du Ministère m'ont juste laissé partir, je n'ai pas posé de questions. Je suis parti, sans un bruit comme on me l'a appris.

Désormais, je suis seulement une ombre, je longe les murs, je me camoufle dans l'obscurité. J'attends qu'on me dise que tout ceci n'était qu'un cauchemar, une vaste farce. Quand t'es gosse, ta réalité est enveloppée dans un drap en soie dorée, tout paraît plus beau, plus frais.

Puis tu vieillis et le doré ternit. La réalité devient nue, brute, aucun enfant n'est préparé à affronter le vrai monde.

Aucun adulte ne s'adapte à ce monde, cette vie en mouvement constant, ces lumières aveuglantes et ces sons assourdissants. Il y a trop d'informations à gérer. On te dit que tu es un adulte, que tu dois assumer tes propres erreurs mais la vérité est que tu rêves de revenir en arrière. Tu veux être le gosse qui jouait dans le jardin, celui qui croit aux miracles. Tu veux oublier la peur qui te bouffe les entrailles.

La peur, elle, ne part jamais. L'amour se fane, les amis vous quittent, mais la peur, elle, cette petite garce s'accroche à vous. Jamais elle ne lâche son morceau.

La peur s'accroche à moi. Ma cage est celle que j'ai forgé moi-même, ma prison est la peur. La peur est devenue ma fidèle alliée, elle me suit comme mon ombre, tisse sa toile autour de moi, m'emprisonne, me paralyse. Je me sens si fragile entre ses pinces, si fragile que j'en pleurerais s'il me restait quelques larmes.

Je n'ai plus rien.

Plus rien, hormis la peur.

La peur m'a cloué sur place quand Granger criait sous les sorts de ma tante, la peur me faisait trembler, j'observais mon ancienne ennemie qui restait digne même dans l'agonie, ses yeux marrons luisants de larmes et la peur s'est emparée de moi. Son sang coulait sur le tapis de mon salon.

Le tapis sur lequel j'ai fait mes premiers pas, le salon où j'ai appris à lire et à écrire.

Elle hurlait, se contorsionait sous la douleur, je voulais sécher ses larmes et lui dire de dégager de chez moi, mais la peur obstruait ma gorge, bloquait tout mouvement. Je suis resté debout, témoin de son supplice.

Le sang de Granger coulait sur mon tapis. Son sang de moldue, son sang sale.

Son sang aussi rouge que le mien.

Potter et Weasley sont finalement arrivés. La peur paralysait chacun de mes membres, quand Potter m'a désarmé je n'ai pas lutté, je l'ai laissé faire.

J'ai compris la signification du véritable pouvoir. Celui qui détient le pouvoir est celui qui instaure la peur, un effroi tel qu'il t'empêche de dormir, la peur qui s'incruste en toi comme une maladie.

Je rêve d'être soigné, de ne plus ressentir ce venin dans mes veines.

Je rêve d'être libre, mais la liberté est un cadeau qu'on accorde à ceux qui le méritent. Et pour le Ministère un Mangemort mérite au mieux le dédain, au pire la mort.

«Un autre.» J'ordonne au barman. Je pointe mon verre vide, il le remplit sans rien dire. Je le bois d'une seule gorgée. Le liquide coule dans ma gorge et ça me procure un bien fou. Ma langue lèche mes lèvres, mes yeux se ferment doucement, pendant quelques secondes je laisse mon esprit vagabonder dans l'ivresse.

Je me rappelle de la nuit précédente, du petit air de pitié de Granger. Pauvre petite Granger... Qu'en sait-elle de la peur? De la solitude? Elle ne sait rien. Elle ne soupçonne rien l'ignorante, elle est comme des moldus stupides, ceux qui passent leur vie à gober les mouches, en se plaignant de la température élevée. Elle est vide comme eux, creuse et terriblement agaçante.

De quoi sont faits ses cauchemars? Je me demande, rêve-t-elle de Weasley embrassant Brown? Que se passe-t-il dans sa tête de Miss Parfaite? Connait-elle au moins l'odeur du sang?

Une partie de moi, celle qui a rampé sous les décombres et les cadavres, celle qui est restée à Poudlard sait que Granger doit souffrir comme on souffre tous. Elle aussi doit connaître les insomnies et cette insupportable peur du silence. Mais peut-elle prétendre que son malheur est aussi grand que le mien? J'en doute.

Quand elle s'est avancée pour me parler, j'ai eu envie de la prendre par les épaules et de l'emmener loin de moi. Je ne voulais pas qu'elle me voit comme ça, pas envie qu'elle tire quelconque satisfaction de ma sitiuation misérable. Quand elle a dit qu'elle voulait oublier, j'ai voulu lui cracher à la gueule. Par Salazar, comment pouvait-elle prétendre que la Guerre pouvait s'oublier? Comment osait-elle me narguer avec sa capacité d'oublier l'inoubliable?

J'aurais dû lui dire, que nos vies ne sont pas aussi roses que la sienne, lui dire qu'on ne peut pas tous vivre comme s'il ne s'était rien passé.

Soit, si elle pouvait oublier, qu'elle aille vivre sa petite vie parfaite loin de moi. Tant mieux pour elle, peut-être qu'elle considère que les gens comme moi ne méritent pas d'oublier. Peut-être même qu'elle a raison. La chose qu'elle ignore est qu'il est impossible d'oublier. Je vois mes cicatrices et je pense à ceux qui me les ont infligés. La Guerre est gravée dans ma peau, dans mon crâne et même dans mon âme. Oui, dans mon âme. Je suis certain d'en avoir une, sinon vivre ne ferait pas aussi mal. Je suis convaincu d'avoir une âme ce soir, peut-être parce que je suis déjà ivre et que l'alcool me rend poète. Ou peut-être parce que j'ai l'impression que mon corps entier est passé sous le Magicobus et que mes organes sont éparpillés dans tous les coins du monde.

Les moldus derrière moi ne cessent de glousser. Leur rire gras résonnent dans mon crâne et mon mal de tête s'intensifie. Mon premier réflexe est de plonger ma main dans la poche de mon horrible pantalon moldu bon marché, je me retiens d'abattre mon poing sur le comptoir quand je constate que ma baguette n'est pas dans ma poche.

Suspension de baguette magique pendant douze mois, c'est ta punition. Ta rédemption.

On me l'a prise dès mon arrestation. J'ai ressenti une rage folle. Cette baguette était celle de ma mère, avec le temps, je m'y étais habitué. Ses courbes étaient devenues réconfortantes, la douceur de son bois caressait ma peau. Cette baguette était la délicatesse en pleine bataille et la magie qui faisait vibrer son coeur s'était adaptée à la vitesse de mes sorts, à la violence de mes gestes. Cette baguette était la dernière once de dignité des Malefoy, elle était mon honneur. On me l'a prise et mise dans un coffre du Ministère. C'était comme si mes couilles étaient dans ce coffre, on m'a pris ma baguette, on m'a enlevé ce qui fait de moi un homme.

Je suis nu maintenant, aussi faible qu'une fillette, aussi vulnérable qu'un moldu prépubère. Une loque.

Et ça fait vraiment mal que Granger m'ait vu ainsi. C'est un coup de plus dans ma fierté déjà cabossée par la vie. Ça me rappelle que mon manoir appartient au Ministère et que mon père, l'homme que j'estimais le plus au monde, croupit désormais dans une cage minuscule qui pue la merde à Azkaban. Ça me rappelle que mes rêves d'enfant ont été brisés.

Je paie mon verre avec mes derniers sous. Je quitte le bar, claudiquant dans la rue en baissant la tête. Je me demande s'il ne vaudrait mieux pas quitter le pays. Aller ailleurs, là où personne ne connaît le nom Malefoy. Un endroit où je pourrais bâtir ma propre légende. Ce petit village moldu n'a rien à m'offrir si ce n'est la gueule de caniche de Granger.

Mes jambes me mènent jusqu'à ma minable chambre d'hôte. Je tombe sur mon lit sans prendre la peine de me déshabiller, je suis déshydraté mais je n'ai pas la force de marcher jusqu'à la salle de bain commune de l'étage. Je tremble dans mon lit, je ne sais pas si mes frissons sont dus à l'alcool qui coule dans mes veines en profusion, où parce que la température ne doit pas être au-dessus de dix degrés. Je sens la colère monter en moi, colère contre la gérante de cette piteuse maison d'hôte qui laisse ses clients mourir de froid, en colère contre Mai, ce mois merdique qui ne tient pas ses promesses.

Où sont les bourgeons? Où est le renouveau? J'ai l'impression que le printemps n'est jamais venu et que le monde entier est figé en hiver.

Il fait froid. Dans mon lit, j'étends mes bras, essayant d'atteindre une forme invisible, de toucher une corps chaud et inexistant, mais il n'y a pas de belle femme dans mon lit, seulement le vide et le froid.

Je ferme les yeux et je réalise pleinement la réalité.

Je l'ai mérité. J'ai mérité la chambre moisie, la pluie battante, l'hiver qui se prolonge. J'ai gagné votre haine comme on gagne votre amour.

J'ai saigné, j'ai lutté, j'ai donné tout ce que j'avais. Et... Et...

Et finalement, j'ai perdu.


Babillages de Pouleau:

Je dédie ce chapitre et l'ensemble de cette histoire à SnowandSilver. Merci encore pour ta bienveillance et ta gentillesse. Sans toi, j'ecrirai encore pour moi.

À tous ceux qui ont lu ce chapitre, je vous encourage vivement à laisser votre avis. J'aimerais aussi préciser que J'AIME RON WEASLEY. Ici, vous ne trouverez pas de Ron-Bashing.

Aujourd'hui je poste ce chapitre car seulement aujourd'hui j'ai le courage de le faire. Peut-être que je le regretterai demain.

Fin des Babillages de Pouleau.