1_Rencontre

Les flammes crépitaient tranquillement, dansant sur les airs de guitare que jouait l'Ingénieur. Sa grosse main usée par les travaux manuels caressait les cordes avec amour et son sourire traduisait la tendresse qu'il avait pour cet instrument.
Le vrombissement d'un moteur fit s'interrompre la mélodie. L'homme au casque jaune releva la tête pour voir un van s'approcher de son campement. L'engin s'arrêta juste devant lui et un homme au regard caché par des lunettes d'aviateur lui lança :

-G'day, bogan, j'vois ta chemise rouge, tu serais pas des Reds ?

L'ingénieur lui sourit :

-Yep !

Et il lui tendit une des bières alignées sur une caisse placée à ses côtés. Le conducteur enfonça un chapeau sur sa tête et sortit du véhicule, visiblement fatigué par un long voyage. Il attrapa la bouteille et s'assit sur une caisse libre.

-T'viens d'où cow-boy ? demanda le mécano.

-Oz, répondit l'autre en décapsulant la bouteille avec ses dents

-Pardon ?

L'autre avala le liquide quelque peu amer et soupira. Il tourna son visage vers son nouvel équipier et lui sourit :

-D'Australie. Et toi, mon pote ? T'es de la grande Amérique non ?

L'ingénieur éclata de rire, faisant claquer sa main sur sa cuisse.

-C'mon accent qui m'trahit hein ? J'suis du Texas, né et élevé là-bas !

-Teuh, comme vos vaches, plaisanta l'Australien. J'suis Sniper mon pote, et je snipe toutes les têtes de ces petits enculés de Blus !

-Bien chef ! J'suis vot' ingénieur et on m'appelle Engie, part'naire.

Sur ce dernier mot, il tendit la main au Sniper qui la lui serra, comme s'ils venaient de faire un pacte. Puis ledit Engie reporta son attention sur ses cordes.
Pendant près d'une demi-heure, les deux hommes restèrent silencieux, l'un jouant quelque airs, l'autre écoutant en regardant les étoiles qui scintillaient au-dessus de leur tête. Enfin l'homme au chapeau daigna ouvrir la bouche :

-Comment ça se fait qu'on couche dehors ? demanda-t-il en désignant la tente derrière le matériel de son coéquipier. On s'rait trop à l'avance ?

-C'possible, part'naire, les locaux sont là-bas et y sont fermés.

-Pas moyen d'appeler l'employeur ?

-Si, j'ai appelé, on m'a dit d'attendre qu'ça ouv'… Alors…

-Et t'attend là comme un chien galeux, mon pote.

L'ingénieur haussa les épaules avec un sourire. Visiblement, la situation ne lui déplaisait pas. Après tout, il était bien là, entouré de ses caisses et de ses bières, avec un feu de camp pour le réchauffer et sa guitare pour le faire patienter. Et si le sommeil le prenait, il avait une tente déjà dressée derrière lui.
L'autre reposa la bibine à ses pieds et enleva son chapeau pour recoiffer grossièrement ses cheveux brun en arrière.

-Ça fait depuis combien de temps que tu tues pour les Reds ? s'informa Engie.

-Hmmm… P'tre bien depuis 8 mois. Et toi, mon pote ?

-J'fais ma quatrième année, là.

Le Sniper manqua de s'étouffer avec sa propre salive et préféra changer de sujet histoire de ne pas se sentir rabaissé fasse au vétéran.

-J'espère que les autres vont arriver vite, sinan on est bon pour le barbie tous les deux.

-En fait on est trois.

L'Australien leva un regard interrogatif vers l'homme au casque jaune. Celui-ci désigna la tente, étirant ses lèvres minces :

-Il est arrivé que'ques heures avant toi l'gamin, 'vec un sac de provisions et son matos. Il était crevé alors j'lui ai offert ma tente.

-Qui c'est ?

-À sa combi, j'dirais b'en qu'c'est not' pyromane.

-J'n'ai jamais eu affaire aux pyros… ni aux spys d'ailleurs.

L'ingénieur enleva les lunettes à élastique qui lui donnait un air de savant fou. Ses yeux d'un bleu clairs s'arrêtèrent sur son coéquipier avec une pointe de surprise. L'homme au chapeau anticipa :

-Ouais, j'sais, mais je suis doué pour dégommer des têtes, et deux nouvelles classes, aussi terribles qu'elles prétendent l'être ne m'font pas peur.

Le bourdonnement métallique d'une fermeture éclair attira l'attention des deux hommes un masque à gaz sortit d'abord d'entre les deux pans de tissus, puis une main gantée s'agitait en signe de salut. Les deux autres répondirent d'un hochement de tête.

-T'veux une bière, gamin ? demanda Engie

La personne, entièrement vêtue d'une combinaison ignifuge hocha la tête et vint s'asseoir au près d'eux. Le détenteur de la liqueur dorée ouvrit une bouteille et la tendit au personnage de petite taille, ce qui lui avait valu d'être identifié comme une jeune personne. Celle-ci fit plusieurs gestes d'affilés avec les mains. Le Sniper ne compris qu'une fois que l'homme au casque jaune répondit :

-Oh ! Excuse nous d't'avoir réveillé !

-T'es muet, petit ?

Le Pyromane désigna son masque, et le mécano s'empressa d'expliquer le problème :

-D'après c' que j'ai compris, son masque ne l'rend pas assez audible en plus d'un problème pour… heu de voix ?

L'autre acquiesça d'un hochement de tête avec un air joyeux. L'homme un peu trapu derrière sa guitare, continua avec quelques présentations :

-Du coup, Snip, Pyro, Pyro, Snip…

-Enchanté, mon pote.

-Pyro a travaillé 6 mois pour les Blus, il jeta un coup d'œil au garçon masqué, c'est ça ?

Celui-ci hocha de nouveau la tête de haut en bas.

-Et les Reds, reprit Engie, on réussit à rach'ter son contrat et ça fait 2 ans et d'mi qu'il bosse 'vec nous.

-Tu dois être redoutable, mon pote, pour être racheté, nan ?

L'autre haussa les épaules et souleva son masque pour boire, mais pas assez pour que les autres puissent voir ne serait-ce qu'une parcelle de sa peau. Cela eut pour effet d'attiser secrètement leur curiosité. Ils burent tous les trois en silence.
Et puis le Sniper se lança :

-Tu dois avoir chaud avec ton masque, t'veux pas l'enlever ?

Un rire sorti du filtreur du masque à gaz qui se secouait de gauche à droite. L'Australien se sentit un peu vexé par cette réponse. Après tout, ils étaient de la même équipe, il était préférable de se connaitre un minimum. Que personne n'informe de son nom, il pouvait le comprendre, il ne disait jamais le sien. Mais le visage c'était autre chose, c'était un manque de confiance que de ne pas montrer son identité. Cependant, une main tapota son épaule et la voix de l'ingénieur fit disparaitre se sentiment désagréable de méfiance entre coéquipier :

-Allons, laisse-le donc faire c'qui veut, s'il est bien dans son beau costume.

Le rire Texan amusa le jeune pyromane qui demanda une autre bière. On lui en ouvrit une nouvelle puis le silence reprit son règne. Le Sniper, en dépit de ce visage manquant, essaya de connaitre un peu mieux son nouveau partenaire grâce à l'observation. Engie vint s'asseoir près du jeune homme et le regarda, lui aussi, quelques instants. La bête de foire pencha la tête de côté en se repliant un peu sur lui-même. À le voir ainsi, il paraissait mal à l'aise

-Dis-nous, t'a quel âge, mon garçon ?

La voix du mécano était douce et elle fit frémir le corps enfermé dans la combinaison ignifuge. Il n'y eut pendant un moment que le bruit des flammes qui léchaient les tranches de bois avec appétit et puis les mains s'agitèrent à nouveau pour faire comprendre aux deux hommes le chiffre vingt-quatre.

-Hah ! T'dois avoir l'même âge que notre Scout !

-Comment tu peux savoir ça, l'Américain ? fit son coéquipier au chapeau, interloqué

-Je l'connais. Lui, le Soldier et moi-même étions au même endroit juste avant.

L'autre leva la tête en un signe de compréhension puis il tourna son regard vers le Pyro :

-Et toi tu es d'où ?

Les gants noirs et jaunes pointèrent le sol pour lui signifier qu'il était de ces lieux. Ensuite il signa quelque chose d'incompréhensible pour l'Australien. Ce dernier quémanda la traduction au seul qui parvenait à comprendre.

-Il dit qu'y vient d'un peu plus au Nord et qu'il est v'nu à pied parc' que heu… désolé j'comprends pas la suite.

Le Pyromane frotta son pouce contre les autres doigts de la même main. Le Sniper se leva d'un bond, pointant son jeune coéquipier.

-Il avait pas d'argent !

L'autre se mit à rire en applaudissant tandis que l'homme au casque jaune se réjouit de l'effort de compréhension.

-T'vois quand t'veux ! le taquina-t-il.

-Ça va c'est universel ça !

-Enfin j'pense qu'c'était « je n'avais pas d'argent sur moi pour prendre les transports en communs.»

-Ouais, bon, j'ai compris quand même ! Ça fait longtemps que t'apprend ça, vieux ?

-L'langage des signes ? Avant d'bosser chez les Reds, j'tais ingénieurs dans une p'tite entreprise et y avait un muet dans m'groupe. Fallait bien que que'qu'un s'en occupe.

Il se sentit à ce moment intensément observé, comme si un regard fouillait à l'intérieur de lui. En se tournant, il ne vit que les verres sombres du masque à gaz qui ne décrochait pas de son visage. Mais il ne le prit pas mal, au contraire :

-T'aimes les histoires des vieux bonhommes comme moi ? interrogeât-il avec un sourire.

Le démarreur de feu fit signe que oui avec une assurance qui trahissait son envie de tout savoir sur cet homme. Celui-ci éclata de rire avec tendresse et frotta la tête du plus jeune avant de lui répondre :

-Très bien, mais pas ' soir, gamin, il est temps d'dormir sinon d'main on s'rat sur l'cul !

-T'as raison mon pote, allez ! Si vous me cherchez j'suis dans mon van.

-Okay !

Le Sniper se leva et disparu dans son véhicule qui devait surement abriter une couchette. L'ingénieur caressa de nouveau la tête du Pyro avant d'aller ranger sa guitare et de rejoindre son partenaire Red dans la tente. Ils étaient un peu serré sous le toit de tissu mais leurs voyages jusqu'ici avait été assez pénible pour les endormir au moment même où ils fermèrent les yeux sur les coussins tièdes.