Chapitre I – L'instauration d'un ordre nouveau !
Il y avait une menace. Les nuages gorgés de pluie, comme une pesanteur noire dans le ciel, étaient suspendus au-dessus d'un château imposant, qui avait été bâti il y a mille ans, mais dont les lumières ne perçaient qu'avec peine l'obscurité de la nuit. Mais, sur le chemin de ronde, on pouvait voir se précipiter, éclairée à l'aide d'un Incendio, une petite silhouette qui bientôt s'engouffra dans une tour. C'était Winky, l'elfe de maison.
D'un claquement de doigts, elle fit disparaître la flamme, qui reparut dans l'âtre de la cheminée. Un visage se dessina alors dans les flammes. C'était celui de Rogue, le maître des Potions. Il ne prononça que trois mots.
- Où est-il ?
Sa voix vibrait de colère, suintait de dégoût, mais par-dessus tout, c'est sa froideur inouïe qui cloua sur place l'être malhabile qu'était Winky. Tremblotante, elle hoqueta et tenta de le dissimuler par une inclination maladroite. Mais dans les flammes, Rogue s'impatientait.
- Où est-il ?, répéta-t-il en tonitruant.
- Seigneur !, réagit finalement Winky. La magie va… il ne faut pas !
Les flammes grandirent subitement et vinrent chatouiller les orteils de Winky. Elle était née pour obéir. Elle n'avait d'autre choix que de répondre. On lui avait ordonné de taire l'endroit où le jeune Malefoy se cachait, mais on lui ordonnait maintenant de le révéler.
- Chez Dumbledore, maître. Chez Abelforth Dumbledore.
Rogue disparut immédiatement. Mais dans la nuit sombre, à des kilomètres de l'autre, une autre cheminée prit soudainement feu.
- Pré-au-Lard ! Malefoy est à Pré-au-Lard !, dénonça Rogue, la voix crépitante d'excitation.
Tante Pétunia avait décidé de servir aux résidents du 4, Privet Drive une soupe d'eau claire et de légumes lyophilisés pour déjeuner et Harry Potter la touillait avec morosité, décidé à la bouder. Il n'avait rien mangé depuis la veille et son estomac protestait vigoureusement mais il ne pouvait se résoudre à se plier au régime de son cachalot de cousin.
- Finis ton assiette !
Harry leva mécaniquement la tête, sincèrement surpris que Vernon le réprimande. Depuis le début de l'été, il avait pris grand soin à l'éviter. Il semblait, à en croire son teint devenu superbement violacé en un temps record, qu'il n'en pouvait plus.
- C'est un bol, ça, Oncle Vernon, articula lentement Harry. Un bol.
« Et tu m'offres une occasion rêvée pour m'échapper », pensa-t-il. Harry se leva, en faisant bruyamment racler sa chaise sur le sol de la cuisine. Il sourit tristement en pensant à ce qu'aurait été sa punition, cinq ans plus tôt, pour une telle rébellion.
Il regagna sa chambre, n'accordant pas grande importances aux chuchotements furieux de son oncle et à sa tante. Ces messes basses étaient courantes. Depuis qu'il était revenu, Harry faisait mine de ne rien en saisir. Entendre les Dursley casser du sucre sur son dos n'avait rien d'extraordinaire, après tout.
Il jeta quelques Miamhibou à Hedwige, se laissa tomber sur son lit et jeta un coup d'oeil à la première page la Gazette du Sorcier de la veille. Les sottises qu'il y lisait chaque jour ne l'intéressaient guère, mais il avait le secret espoir que la Gazette se remette à le qualifier de fou dangereux. Il refusait encore de se l'admettre, mais le poids des responsabilités qu'on plaçait sur lui devenait insoutenable. Mais Harry refusait de le voir. Après tout, n'était-il pas le Survivant ? Il avait les épaules ! Il était celui qui, depuis près de deux semaines, à seulement 16 ans, voyait apparaître son nom dans la Gazette, tout près de celui de Dumbledore, du Seigneur des Ténèbres, de Cornelius Fudge et surtout, celui qu'ils appelaient l'« Elu ». Ses doigts se crispèrent sur le papier froissé. Il aurait bien hurlé, mais il aurait dérangé les Dursley.
- Debout, fainéant !, tambourina à sa porte Pétunia.
Harry se leva de mauvaise grâce et alla ouvrir la porte.
- Oui, tante Pétunia ?
- Viens tout de suite dans le salon. Tu as… tu as reçu du… Hibou !
Harry se précipita dans le salon, et aperçut Dudley qui se débattait avec un hibou brun semble-t-il déterminé à trôner sur le sommet de son crâne. C'était la nouvelle édition de la Gazette.
- Il ne partira pas si on ne le paye pas, informa-t-il distraitement en posant délicatement dans la bourse de l'animal quelques pièces de monnaie sorcière et ôtant de ses pattes le journal qu'elles détenaient. L'oiseau décolla, voleta de manière hésitante quelques secondes et sortit par la fenêtre de la cuisine.
- Quand pars-tu ?, demanda la tante Pétunia, toute essouflée, comme si le simple fait de prononcer ses paroles lui avait demandé un effort considérable. Mais la vérité était qu'elle avait retenu son souffle comme une bouilloire pour ne pas exploser. L'oncle Vernon jeta un regard plein de reconnaissance et d'admiration à sa femme.
-On ne m'a pas contacté.
Il ne se sentait même pas gêné d'avoir à répondre qu'il n'avait eu aucune nouvelle de ses amis depuis le début de l'été. Ni en colère. De toutes manières, il connaissait déjà leurs excuses pour l'avoir une fois encore délaissé : la protection magique agissait encore et il devait rester chez les Dursley au moins jusque son dix-septième anniversaire. Il tourna le dos aux Dursley, la Gazette du Sorcier sous son bras. Il sentait le regard à la fois méchant et ravi de l'oncle Vernon, sur sa nuque. Il sentait aussi qu'il hésitait à se moquer. Harry se demandait bien ce qui l'en empêchait. Maugrey n'était pas revenu le mettre sur ses gardes ni aucun représentant de l'Ordre.
- Comme quoi, même les gens comme toi savent que rien ne vaut mieux que de t'éviter ! Tu n'es bon qu'à apporter des ennuis, mon garçon. A nous particulièrement !
Harry accusa le coup. Il avait d'autres soucis en tête. Le changement progressif de la ligne éditoriale de la Gazette, qu'il étudiait depuis le début de l'été était, par exemple, déjà plus inquiétant. Il pourrait y réfléchir sérieusement une fois dans sa chambre, mais avant, il devait se débarrasser proprement des Dursley.
-Je serai parti avant mon anniversaire, dit-il enfin, debout, devant sa dernière famille.
Il leur sourit. Ce devait être une bonne nouvelle pour eux. Il ajouta, le ton qu'il s'efforçait de garder neutre.
-C'est le trente-et-un juillet, précisa-t-il.
C'était le bon moment pour partir. Avant qu'ils ne lui posent d'autres questions. Il monta les escaliers, s'assit et déploya en grand la Gazette sur son bureau. Harry grimaça devant la une : la photographie d'un sorcier au visage pointu serrant chaleureusement la main de Scrimgeour - sous les regards ravis d'un parterre d'officiers publics et de gens haut placés. L'homme au visage pointu saluait de l'autre main le lecteur, un air de malice sur son visage aux traits fins. Harry reconnut Springton, le jeune politicien dont il lisait souvent les mérites dans le quotidien. Harry ne connaissait ni son passé, ni sa réputation, mais le simple fait que ce Springton se trouve en termes élogieux dans la Gazette n'avait rien de bon.
Les informations qu'il y lisait étaient souvent biaisées, voire carrément mensongères. La nécrologie qui avait été faite de Dumbledore en était l'image parfaite : si on lui avait rendu hommage en apparence, tout le monde avait su lire entre les lignes. Nul mot sur sa victoire contre Grindelwald, silence sur la crainte qu'il inspirait à Voldemort. Il fut présenté comme un exceptionnel directeur d'école, mais juste un directeur d'école.
Harry parcourut brièvement les lignes de l'article sur Springton. Le sorcier avait connu une ascension fulgurante dans le domaine de la politique. Inconnu il y a un mois, son programme et ses idées s'étaient diffusées comme une trainée de poudre, plus vite encore, maintenant que la Gazette en faisait aussi la promotion. Les élections anticipées approchaient et il ne faisait aucun doute qu'Adèle Springton était le candidat de Voldemort. Qui d'autre aurait été assez sûr de soi pour se présenter avant même que Scrimgeour ait posé officiellement sa démission ? Harry détailla l'expression du Premier Ministre. Il ne l'avait jamais beaucoup aimé. Lui et sa manière froide d'exercer le pouvoir. Lui qui en avait maintenant les cheveux blancs et des rides plus creuses que le fossé qui séparait les Gryffondor des Serpentard mais il ne faisait aucun doute que Scrimgeour aurait été un Premier Ministre idéal en temps de guerre. Les pressions dont il avait fait l'objet avaient dû être énormes pour qu'il se résigne finalement à démissionner et son visage empreint de lassitude ne laissait aucun doute sur la véritable nature de cette photo : il était bien obligé d'offrir son soutien à Springton.
L'ululement d'Hedwige fit sortir Harry de ses pensées. Il leva les yeux sur son bureau et s'aperçut qu'il avait du courrier ! Le plaisir incontrôlable qu'il ressentit le dérangea. Il n'était pas à proprement dit fâché contre Hermione et Ron mais il voulait être indépendant. Il se précipita sur le courrier, et reconnut aussitôt l'écriture fine et régulière de la Gryffondor
Cher Harry,
Je suis désolée de ne pas avoir pu t'écrire mais les derniers évènements, comme tu t'en doutes, nous ont empêché, Ronald et moi, de t'informer de ce qui se passait de notre côté. Le mariage de Bill et Fleur se prépare, et tu trouveras ci-joint ton invitation. C'est un peu formel mais Fleur y tenait. Tu sais bien que c'est inutile, de toutes façons, t'es de la famille (là c'est Ron, qui parle).
Je suis impatiente de te voir pour que nous puissions partager nos impressions sur le mois passé. Je sais que la mort de Dumbledore t'affecte et il y a encore tout un tas de choses dont il faut que je te parle (tu vois ce que je veux dire, quand j'emploie le verbe « parler », plutôt qu'« écrire »).
Avec toute mon affection,
Hermione (et Ron)
Harry se sentit sourire. C'était tout à fait Hermione, ça. Vouloir parler. Il n'accorda pas d'attention à son coeur qui se serrait. Il avait évité soigneusement de penser à Dumbledore, au cours de ces dernières semaines. Il déroula le deuxième parchemin. Cela ressemblait plutôt à du carton plastifié moldu. Il n'y avait pas d'adresse. Ca voulait bien dire qu'ils viendraient bientôt le chercher ! Il n'avait aucune idée de ce qu'il devait faire en attendant que la protection magique se lève et rester ainsi caché lui devenait de jour en jour plus insupportable. Le fait d'être enfermé n'était rien à côté de sa fierté froissée. Lui qui envisageait d'aller chercher lui-même les Horcruxes attendait désormais les directives d'un Ordre dispersé en absence de fondateur. Il croupissait pendant que Voldemort faisait sa campagne électorale ! Une bouffée d'arrogance lui fit pousser une exclamation dédaigneuse. Il relut une dizaine de fois la lettre d'Hermione, cherchant un indice sur la date précise où on viendrait et se mit sérieusement à douter.
On sonna à la porte.
Peut-être qu'il se montait la tête. Il ne serait pas étonnant que la famille Weasley préfère le mettre de côté en attendant que le mariage de Bill et de Fleur se passe sans encombres. Il était un plus grand danger que jamais, désormais.
« Ne sois pas bête », pensa-t-il.
Ce genre de doutes l'assaillaient depuis le début de l'été mais il se raisonnait à chaque fois par les mêmes arguments impertinents, sans véritable fond, du genre « ne sois pas bête ».
-Potter !, hurla la voix aigüe de la tante Pétunia. On sonne à la porte pour toi !
Harry se redressa aussitôt. La sensation d'abandon qui venait de le saisir se volatilisa aussitôt tandis qu'il dévalait l'escalier.
-Bonjour Harry, le salua la silhouette bienveillante de son ancien professeur de défense contre les forces du mal.
Pétunia semblait incapable d'arrêter d'évaluer du regard Lupin. Ses yeux d'examinatrice scrupuleuse ne se détachaient pas des cicatrices qui zébraient le visage du loup-garou.
-Bonjour professeur Lupin, répondit Harry en passant devant la tante Pétunia et coupant ainsi le contact visuel des deux antipodes. En vérité, c'était surtout Pétunia qui fixait Lupin. Lui se contentait de regarder en souriant le filleul de son ami, le fils de son autre ami, toujours sur le palier.
-Puis-je ?, demanda-t-il à Pétunia.
La tante de Harry semblait stupéfaite que même les sorciers soient capables de politesse. Elle hocha frénétiquement la tête, sans oublier de marquer auparavant quelques secondes de réflexion. Lupin entra et elle disparut de manière synchrone dans la cuisine. Sans doute allait-elle appeler Vernon, absent au travail.
-Tu as fait tes affaires ?, demanda Lupin.
La délicatesse de ses propos jurait avec la brusquerie de Maugrey, il y a deux ans. Harry se sentit gêné de demander.
-Qui me dit que vous êtes bien le professeur ?
-Ton Patronus a la forme de l'animagus de ton père, répondit Lupin en souriant.
- Ca, Rogue le sait.
-Je t'ai enseigné à le créer
- Rogue le sait aussi, continua Harry, impartial.
- Il y a deux ans, tu es venu nous parler, à Sirius et à moi, du souvenir que tu avais vu dans la pensine de Rogue. On t'a répondu que ça s'était arrangé quand il a eu dix-sept ans et qu'il arretait de jeter des sorts aux autres juste pour s'amuser.
Harry acquiesça simplement. Il se sentait un peu trop « Maugrey » en demandant autant de détails.
- Comment allez-vous ?, erra-t-il à demander.
-Je vais bien merci. Tu as fait ta valise ?
Harry répondit par la négative. Personne ne l'avait averti.
-Tu n'as pas reçu la lettre d'Hermione ?
-Si mais rien n'indiquait que vous viendriez, répondit-il sur la défensive.
Mais il était bien trop heureux de sortir d'ici pour se vexer du ton surpris de Lupin.
-Ce n'est pas un problème, mais nous ne devrions pas tarder. Je vais discuter avec ton oncle et ta tante pendant que tu rassembles tes affaires.
-Mon oncle est au travail, informa Harry.
Lupin hocha la tête, l'air de dire que ça n'avait pas grande importance et quitta Harry en prenant la direction que Pétunia avait emprunté il y a quelques secondes. De son côté, Harry monta quatre à quatre les escaliers. Il y a quelques minutes à peine, il se demandait quand il partirait enfin de Privet Drive et le voilà sur le point de partir. « Définitivement », songea-t-il en rangeant les rares affaires qui traînaient dans sa malle. La bague de Gaunt sur sa table de chevet, il la fourra dans une paire de chaussettes. Il ne se sentait pas nostalgique. Il était absent. Il n'avait jamais imaginé la manière dont il quitterait les Dursley mais il n'aurait jamais pensé qu'il n'y aurait que Pétunia pour lui dire au revoir. Il secoua la tête et se dépêcha de faire son lit. A côté, Hedwige s'agitait.
-Ne t'en fais pas, on va bientôt partir. Je ne peux pas te laisser sortir pour le moment, je ne sais même pas où nous allons. Peut-être chez les Weasley.
Harry saisit sa lourde malle non sans difficulté. Il déplorait l'interdiction de la magie chez les sorciers de premier cycle. Il aurait pu alléger son bagage d'un seul coup de baguette mais son anniversaire n'était que dans une semaine. Arrivé au bas de l'escalier, Harry saisit quelques bribes de la conversation entre la tante Pétunia et Lupin.
- Voilà pourquoi vous devriez partir en voyage quelques temps, disait la voix douce du professeur.
- Voyez-vous cela, ricana Pétunia. Et pourquoi on devrait vous écouter ? Un voyage, ça coûte cher !
- Voici de l'argent.
-Nous ne demandons pas la charité !
- Et nous n'offrons pas l'aumône, répondit sèchement Lupin. Considérez cela comme étant un geste de gratitude pour avoir gardé Harry sous votre toit durant ses nombreuses années. Des hommes viendront bientôt et vous serez bien plus en sécurité loin de Londres.
Harry pénétra dans la cuisine. L'idée qu'il mettait aussi les Dursley en danger ne lui avait jamais effleuré l'esprit mais il réalisa que le jour de son anniversaire, des Mangemorts pourraient venir, la protection magique n'opérant plus.
-Euh... Professeur, je suis prêt.
Il n'avait pas été bien loin et Lupin ne semblait pas en avoir fini avec Pétunia. Mais il était pressé de revoir Ron et Hermione, qu'ils lui apprennent ce qu'ils savaient sur le ministère. Lupin tendit à la tante Pétunia un sac, et baissa légèrement la tête.
-Je vais t'attendre dehors, Harry.
Il quitta la cuisine tandis qu'Harry se trouvait face à Pétunia, peut-être pour la dernière fois. Il avait du mal à saisir pourquoi Lupin les avait laissés seuls alors qu'il savait pertinemment que leurs adieux seraient tout sauf larmoyants.
-Et bien... Au revoir, dit-il d'un ton neutre
-Adieu, répondit sèchement Pétunia en lui tournant le dos.
Harry haussa les épaules. Un tel dédain ne l'étonnait pas mais il en fut touché. Aussi cruelle sa tante était-elle, elle restait la soeur de sa mère, sa dernière famille, et il ne la reverrait plus. La tante Pétunia se retourna, comme si elle s'attendait qu'Harry se soit volatilisé sans qu'elle ne s'en soit rendu compte. Avant de faire volte-face, Harry aperçut l'expression perfide qu'elle avait de ceux qui se retenaient de dire une méchanceté. Il traversa l'entrée en deux enjambées, soudain pressé de quitter le 4, Privet Drive. Pour la première fois depuis le début des vacances, il mit un pied dehors. Et sans un regard pour la maison qui l'avait vu grandir, il rejoignit Lupin.
Le Magicobus les récupéra dans une rue déserte, près du parc de Magnolia Road. Lupin s'était montré bien scrupuleux à vérifier que personne ne le voit agiter sa baguette. Une fois dans le Magicobus, la conversation put enfin commencer.
-Pourquoi n'y a-t-il que vous ?, demanda enfin Harry.
-Maugrey est en mission, Kingsley travaille, la famille Weasley travaille au mariage de Bill et Fleur, Nymphadora s'occupe de son père, répondit Lupin en chuchotant.
La manière dont il avait répondu n'était pas sèche mais on voyait qu'Harry le dérangeait dans ses pensées. Harry contracta la mâchoire. Lupin avait toujours été attentif à lui et voilà qu'après près d'un mois d'absence totale de nouvelles de ses proches, il lui était tacitement interdit d'ouvrir la bouche pour poser une question ? Lupin dut sentir la frustration de son ancien élève, car il ajouta.
-Je suis désolé Harry mais nous ne pouvons pas discuter de ça ici.
-Où allons-nous ?
-Chez les Weasley, c'est là qu'aura lieu le mariage.
Harry hocha la tête. Tout prêtait à croire que le mariage aurait lieu le jour de son anniversaire. Ce serait un beau cadeau, autant que ce serait une belle fête.
- Tout le monde t'attend, tu sais, Harry,
Harry ne répondit rien. Mais il se sentait déjà reconforté par ces quelques mots, alors qu'il s'était senti disparaître ces dernières semaines. Il croisa les jambes et son regard fut happé par un gros titre.
« L'instauration d'un ordre nouveau ! »
Harry saisit le journal posé sur la table basse soudée au sol du Magicobus. Il n'avait pas fini d'éplucher la Gazette cette après-midi. Il se gratta le menton et entama sa lecture, sous l'oeil inquiet de Lupin.
Le candidat prometteur aux hautes fonctions de Premier Ministre vient de prononcer son programme en trois S : « Sûreté, Sécurité, priorité aux Sorciers ! » Adèle Springton, ancien Serpentard, désire instaurer un ordre nouveau, selon ses propres termes, dans un contexte de montée des tensions entre le monde magique et le monde moldu. Le moteur de sa campagne réside dans une proposition choc : la réforme de la charge de la preuve lors de l'usage de la magie en présence moldue. Ce ne serait plus le sorcier faisant usage de la magie qui devra prouver qu'il y avait une urgence impérieuse légitime à compromettre le secret du monde magique, mais le Procureur de la Magie qui devra prouver qu'il n'y en avait pas, s'il souhaite poursuivre le sorcier. On comprend les multiples dérapages qui pourraient s'en suivre, mais Springton se montre rassurant : « nous n'imposerons pas notre magie aux Moldus ! Notre objectif est de garantir la sécurité de chacun, sans qu'on doive être inquiété d'être poursuivi en se protégeant, même si ce doit être en public ». Je ne sais pas ce que l'honnête lecteur en pense, mais nous, nous sommes conquis !
Le soleil déclinait lorsque le Magicobus, toujours vide de Stan Rocade, s'arrêta près de chez les Weasley. Le Magicobus était redoutablement rapide, mais il devait faire tant d'escales que le voyage avait duré une bonne partie de l'après-midi. Harry et Lupin marchèrent quelque temps, avant d'arriver à proximité du Terrier. Là, Lupin envoya son patronus pour les annoncer, et sur le chemin, il dut répondre à tout un tas de questions, posées par des gnomes ensorcelés, des mauvaises herbes, une souche d'arbre et puis la porte elle-même. Enfin, Arthur Weasley l'accueillit, l'air austère.
-Quel est le nom du traiteur chez qui nous avons commandé les cuisses de grenouilles ?
Harry retint un sourire. Fleur avait dû imposer son menu.
-Fernand Fernagut, répondit sans hésitation Lupin.
Un immense sourire se dessina sur le visage fatigué de Mr. Weasley. Il salua chaleureusement, mais brièvement, Lupin, avant d'ouvrir ses bras à Harry et lui offrir une franche accolade.
-Harry ! Dieu merci tu vas bien !, s'exclama-t-elle. Tu es tout pâle, entre vite avant qu'il pleuve encore, et il fait frais, ce soir !, déplora-t-elle.
Elle le serra contre elle à son tour.
- Ron et Hermione sont en haut, ils s'occupent du deuxième étage. Va vite les rejoindre pendant que je finis de préparer le dîner.
Harry la remercia d'un regard. Il jeta un regard derrière elle. La cuisine était ouverte et il aperçut quelques visages familiers de l'Ordre. Mrs Weasley ne préparait pas à manger, ils étaient au milieu d'une réunion. Il n'insista pas, lui sourit. Il préférait avant tout discuter des dernières nouvelles du monde magique avec Ron et Hermione. Il jeta un regard à Lupin qui ne fit aucun commentaire et monta les escaliers. Mais avant d'avoir pu atteindre le second étage, on déboula les escaliers et se posta devant lui.
-Harry !, s'écria la voix aigüe d'Hermione. Ron ! Ron, Harry est là ! RON ! Oh, il n'écoute plus rien, quelle idée de lui avoir offert un walkman moldu. RON !
Hermione sauta dans les bras de son ami. Il sentait le déluge de questions qui allaient lui être posées dans quelques instants, mais il préférera miser sur une candide insouciance pour le moment.
-Ca va, ça va, j'arrive..., grommela-t-il. Salut Harry, ça gaze ?
Harry lui adressa un grand sourire. Hermione se détacha de lui.
-Si tu savais Harry ! On aurait vraiment voulu t'écrire, Ron et moi, mais on n'avait rien à te dire, n'importe quel nom aurait été filtré et c'est dangeureux, en ce moment, je t'assure. Le Ministère est corrompu jusque la moelle et tout le monde...
-Hermione, je crois qu'il n'a rien compris à tout ce que tu as dit, tu parles trop vite, coupa Ron.
Harry leur répondit en souriant.
-Venez, on va dans ma chambre, continua-t-il.
Harry les suivit, notant que la maison avait été nettoyée de fond en comble à l'approche du mariage. Le Terrier n'avait jamais été vraiment sale, mais le voir aussi étincelant de propreté lui évoqua l'image déplaisante de la cuisine de la tante Pétunia.
-Alors. Racontez-moi tout !, dit-il en s'affalant sur le lit de Ron.
-On ne pouvait pas t'écrire. Cette fois, c'est sûr, toutes les lettres qui arrivent chez toi sont lues et comme tous les anciens membres de l'Ordre sont étroitement surveillés, on ne pouvait pas se permettre de te dire quoique ce soit d'important ou de plus que la Gazette. Je suppose que tu es au courant de la demission de Scrimgeour, de Springton et...
- Il est Mangemort, n'est-ce pas ?
-Et bien... On n'a pas de preuves probantes mais tout porte à croire que oui.
-Bien sûr qu'il est à la botte de Vous-Savez-Qui ! Comme la moitié du ministère à l'heure qu'il est !, l'interrompit encore une fois Ron.
Hermione lui jeta un regard courroucé.
-Maugrey pense comme toi, mais je pense que s'il s'intéressait à la politique, il adorerait l'idée d'un « ordre nouveau » où on pourrait faire usage de la magie n'importe où, n'importe quand. Lupin modère son jugement. Il n'a jamais entendu parler de Springton en tant que politicien mais il était à Poudlard en même temps que lui. Il était à Serpentard, avec un an de plus.
-Qu'est-ce qu'il te faut de plus pour te convaincre que c'est un mangemort ?, soupira Ron, consterné. Il était à Serpentard !
Harry acquiesça, silencieux. Un ange passa avant qu'il ne prenne la parole.
- Le Terrier est bien protegé, à ce que j'ai vu
Ron eut un sourire fier.
-Evidemment ! Tout le monde sait que la famille Weasley tient un grand rôle dans la lutte contre Tu-Sais-Qui. Ca dérange mon père mais je crois que ça ne suffit pas à ma mère. Je pense qu'il lui faudrait un dragon domestiqué pour qu'elle soit sûre qu'on ne risque rien, plaisanta-t-il.
Harry et Hermione rirent de bon coeur. Harry se sentit soulagé qu'il ne soulève pas la question de sa propre présence ici.
-Le mariage est prévu quand ?, interrogea Harry.
-La date n'est pas encore fixée, c'est pour éviter qu'on nous tombe dessus. C'est une idée de Maugrey. Et puis la famille de Fleur n'est pas encore arrivée, répondit Hermione
-Tu penses qu'elle a des cousines vélanes ?, demanda Ron, rêveur.
Harry remarqua qu'Hermione fronça les sourcils et que Ron rougit jusqu'aux oreilles. Il sourit. Mrs. Weasley les appelèrent alors à dîner. Ils chahutèrent quelque peu en descendant les escaliers et s'installèrent à la table de la cuisine. Mr. Weasley avait disparu et laissé place à Bill, aux côtés de Fleur.
-Arry !, s'exclama la jeune française, ravie. Quelle joie de te revoir ! As-tu reçu ton invitation ?
Elle se colla un peu plus à Bill. Harry eut la vision d'un couple d'oiseaux roucoulant. Il sourit.
-Oui, merci de m'avoir invité, je suis très heureux pour vous.
-Salut, Harry, salua sobrement l'aîné des frères Weasley.
Harry lui répondit d'un signe de tête. Les terribles blessures que lui avaient infligées il y a un mois Fenrir Greyback, le loup-garou, semblaient guéries, mais toujours aussi hideuses.
-Poulet rôti et haricots verts !, présenta Mrs. Weasley, un lourd et imposant plat dans les mains.
Elle le posa au centre de la table et observa d'un œil critique la présentation du récipient dans lequel trônait un poulet. Elle s'installa entre Hermione et Fleur. Harry fronça les sourcils : où était passée Ginny ?
-Elle est partie en vacances chez une amie à elle, en attendant le mariage, lui chuchota à l'oreille Hermione.
Harry resta silencieux, dubitatif. Oh bien sûr, il ne s'attendait à rien d'extraordinaire vis à vis de Ginny, vu ce qu'il lui avait dit pendant l'enterrement de Dumbledore mais il avait espéré la revoir.
-Le ministère est tombé bien bas... Scrimgeour n'était peut-être pas sympathique, mais il faisait bien son travail..., marmonna Mrs. Weasley
-Kingsley a entendu dire, au bureau des Aurors qu'il était peut-être sous le sortilège de l'imperium, hasarda Ron. C'est Fred, qui me l'a dit.
Bill secoua lentement la tête de gauche à droite.
-Scrimgeour n'est pas Fudge. Il saurait résister. A moins que Vous-Savez-Qui n'ait lancé lui-même l'Impero, je pense plutôt qu'on a dû le menacer d'autre chose. Et puis il a tout un tas d'Aurors autour de lui, il n'est pas si vulnérable.
Harry suivit la conversation sans mot dire. Il finit par demander.
-Et ce Springton ? C'est vraiment le candidat de Vous-Savez-Qui ?
Mrs. Weasley le dévisagea. Harry fronça les sourcils. Peut-être était-il encore trop jeune, peut-être n'avait-il pas encore prouvé de quoi il était capable pour qu'on le tienne encore à l'écart ? Il se sentait comme il y a deux ans, alors que depuis cette époque, il avait parcouru un long chemin.
-Oui, enfin ça se suppose. Il est clair que ses idées sont conservatrices. Il parle d'un Poudlard reservé aux sorciers depuis au moins trois générations !, répondit-elle
-Et d'une restriction moins stricte à propos de l'usage de la magie devant des moldus, ajouta Ron
-Tout ça avec une com' bien modérée, bien enrobée, bien sûr, compléta Bill. Où est Papa ?, ajouta-t-il alors.
-Il a dû repartir, le ministère l'a appelé pour une grande urgence. Ils ne le lâchent plus..., soupira Mrs. Weasley
Harry se rendit soudain compte que Lupin aussi était absent. La mine sombre de Bill et de Mrs Weasley jeta un froid sur la table et Harry préféra s'abstenir de poser des questions. Mr Weasley devait sans doute être un de ces noms qui avaient filtré. Harry n'avait aucune idée du niveau de corruption du ministère, mais il se doutait que Voldemort commençait à étendre son emprise.
-Oh Harry, j'allais oublier. Le professeur McGonagall m'a demandé de te dire qu'elle comptait s'entretenir avec toi, le jour du mariage, dit soudainement Mrs. Weasley, de manière plus légère.
-Pourquoi ?, demanda Harry, les yeux ronds.
-Elle est invitée ?, s'étonna Ron
-Je l'ignore, répondit Mrs. Weasley en ignorant son fils.
Harry échangea un regard avec Hermione.
-Avec un peu de chance c'est pour te donner des cours supplémentaires, ricana Ron.
Harry ne répondit rien. Il ne comptait pas revenir à Poudlard et ça, Ron le savait. Il finit son assiette en se laissant bercer par les conversations animées de la famille Weasley et d'Hermione. Bill et Ron parlaient de Quidditch et Fleur se mettait d'accord avec Mrs. Weasley sur les placements des invités et au sujet des ornements floraux, en prenant de temps en temps à témoin Hermione. Harry, lui, acquiesçait de temps en temps quand Ron lui demandait ce qu'il pensait de la performance des Canons de Chudley la saison dernière. Il n'en avait aucune idée. Soudain, une grande vague de mélancolie se saisit de lui et ses pensées s'envolèrent loin, très loin du Terrier.
La chasse aux Horcruxes commencerait bientôt, et il n'avait aucune idée de l'endroit où il devait aller. Peut-être qu'en fin de compte, il devait vraiment retourner à Poudlard et commencer par chercher les plus évidents. L'objet de Serdaigle devait s'y trouver et l'épée de Gryffondor y était.
-N'est-ce pas Harry ?
Harry leva les yeux vers le visage souriant de Ron.
-Hein ?
-Les nouvelles tenues des Canons, répéta le rouquin.
-Ah oui. Elles sont belles, répondit-il.
