L'eau gouttait le long de sa joue. Il la gifla de toutes ses forces. La fuite au plafond frappait sur le lino comme un tambour.

-Menteuse !

Il la gifla encore. L'inspecteur Parker n'avait que faire qu'elle était une femme qu'elle n'était qu'en chemise et pantalon de toile qu'elle avait froid et qu'elle souffrait.

-Ton vrai nom ! Ta vraie date de naissance !
-Je m'appelle Aliane Lawenn, je suis née le 29 février 1920, à Glasgow, Royaume-Uni. Mon père était un ouvrier, et ma mère une femme de ména...
-Menteuse !

Il la gifla encore. Un nerf se contractait de temps à autre sur sa tempe tant il était énervé.

-Tu ne peux pas être née en 1920 ! Cesse de me prendre pour un idiot, ça te ferait 96 ans !
-Pas si vous comptez seulement mes vrais anniversaires...
-Ta gueule !

Il lui mit un coup de poing. Sa lèvre saignait à présent. Elle goûtait le sang et lui cracha sur ses papiers. Il regarda avec horreur la tache rouge sur ses documents.

-Regarde ce que tu as fait à mes papiers, salope !
-Pardon monsieur, répliqua-t-elle avec un faux air de culpabilité.
-Je t'en foutrai, des pardons !

Il la saisit par les cheveux et approcha son visage si près du sien qu'elle pouvait voir les vaisseaux éclatés dans le blanc de ses yeux. Elle renifla avec mépris.

-Cesse de me faire perdre du temps et donne-moi ta véritable identité, qu'on en finisse !
-Bon... d'accord.

Il écarquilla les paupières de surprise. Elle se lécha les lèvres et le regarda d'un air de défi.

-Très bien. Vous voulez savoir la vérité ?

L'inspecteur ne répondit pas. Il prit une feuille et se prépara à noter, sidéré de son soudain changement d'avis. Elle se pencha sur lui et murmura :

-Ne notez pas, inspecteur. Écoutez juste. Je suis persuadée que vous parviendrez à retenir parfaitement tout ce que je vais vous dire.

Elle plongea son regard bleu glace dans celui de l'inspecteur. Il leva son stylo, comme hypnotisé par la force de ce regard.
Un léger sourire en coin éclairait le visage de la jeune femme.

-Très bien. Commençons.


-Ah, 2016 ! Il y avait un moment que je n'étais pas venu ici.

Le Docteur sortit de sa TARDIS et referma la porte derrière lui. Il la caressa, un instant rêveur. Pourquoi était-il là ? Il n'avait rien de particulier qui l'avait amené ici. Il renifla l'air. Quelque chose y flottait, une senteur familière... Une odeur de Seigneur du Temps. Si fugace qu'il ne la sentit qu'un instant. Il secoua la tête. Il avait dû rêver.
Il fit quelques pas dans la rue, le regard dans le vague. New York était belle par cette matinée de printemps. Il s'arrêta à une boulangerie et acheta un donut fourré à la banane. Il s'assit ensuite sur un banc public à Central Park et récupéra le journal du matin dans la poubelle.

La photo d'une femme couvrait un bon quart de la couverture. Il savait que c'était une femme car elle portait un nom féminin, et que l'article disait « Elle » mais il n'aurait pas su dire avec la photo. Les cheveux courts, châtain clair et ébouriffés, des yeux clairs, le visage ni fin ni gracieux, elle ressemblait plus à un jeune adolescent en fugue. Le Docteur haussa un sourcil. D'après le journaliste, elle était accusée – avec preuves à l'appui – d'avoir tué pas moins de cinq personnes, armée d'un revolver, sans aucune raison apparente. Cependant, le flou autour de son identité conduisait la police à continuer d'enquêter tant que la lumière ne serait pas mise sur toute l'affaire. Le Docteur remit la feuille de chou dans la poubelle assez rapidement : celui qui avait écrit cet article ne semblait pas en savoir beaucoup.
L'affaire l'intriguait néanmoins. La fille, déjà. Elle était si parfaitement androgyne que ça en devenait presque surnaturel. Cela ne la rendait pas belle ou angélique juste intrigante. Son expression sur la photo l'avait frappé aussi. Comme si elle était prête à tuer le monde entier. Elle semblait dire : « Qui que vous soyez, je vous déteste ».
Il quitta Central Park et descendit jusqu'à l'arrêt de bus le plus proche, son papier psychique en guise de carte de transport. Il s'assit à côté d'une femme entre deux âges qui portait son petit chien sur ses genoux. Il regarda le paysage défiler par la fenêtre. Son regard s'arrêta sur un attroupement devant un des centres de police new-yorkaise. Il descendit à la station suivante et marcha droit dessus. La plupart des gens présents étaient des journalistes qui semblaient dans une grande agitation.

-Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda le Docteur à un photographe particulièrement surexcité.
-Elle s'est échappée ! s'exclama le jeune homme.
-Qui ?
-Lawenn ! Elle s'est enfuie cette nuit ! Une vieille femme l'a vue et l'a reportée à la police. Le plus dangereux serial-killer de la décennie, et ils la laissent se barrer ! Vous vous rendez compte ?

Le Docteur fronça les sourcils. Il connaissait l'époque, il connaissait les méthodes, il connaissait le pays : les forces de l'ordre avaient la gâchette facile et Aliane n'aurait jamais pu s'échapper sans se faire tuer ou gravement blesser.
Il se fraya un chemin à travers la foule de journalistes et s'approcha de l'entrée du commissariat. Un jeune policier en uniforme, sans doute encore stagiaire tant il avait l'air d'être récemment sorti de ses couches-culottes, les cheveux roux sous sa casquette et le visage couvert de tâches de rousseur, l'arrêta.

-L'entrée est interdite aux reporters, monsieur, dit-il d'un ton mal assuré.
-Je ne suis pas un reporter, je suis le Docteur.
-Oh, super, bon sang ! Nous vous attendions !

Il lui ouvrit aussitôt la porte, sans même prendre la peine de vérifier son identité. Le Docteur n'en revenait pas de sa chance.
Le jeune homme le conduisit dans les couloirs labyrinthiques du bâtiment. La NYPD semblait en panique depuis l'évasion de la serial killer. Il lui raconta des choses auxquelles il ne comprenait rien mais fit semblant d'y entendre quelque chose en espérant que ça deviendrait plus clair.

-... Son état s'est aggravé depuis l'appel. Il raconte des choses incompréhensibles. Il faut que vous le sortiez de là, docteur... hem... comment vous avez dit, déjà ?
-De qui vous parlez ? coupa le Seigneur du Temps.
-Votre secrétaire ne l'a pas dit ? C'est l'inspecteur, John Parker. Il est tombé dans les pommes à peu près au moment ou Lawenn a disparu. Il était en train de l'interroger. C'est la panique complète. Personne ne sait où elle est, personne ne l'a vue, elle pourrait être n'importe où, en train de faire une sixième victime.
-Quoi ?

Le Docteur s'arrêta net et toisa un instant le jeune policier.

-Vous êtes en train de me dire qu'une femme, toute seule, à réussi, alors que je suppose qu'un dispositif de sécurité l'en empêchait, à mettre un de vos meilleurs officiers dans les vapes ?
-Oui. C'est une situation exceptionnelle, répondit le flic en reprenant la marche. Tenez, il est ici.

Il poussa une porte qui débouchait sur une salle d'attente meublée d'un canapé gris, de trois chaises, d'une table basse et d'une fausse plante verte. Celui que le Docteur supposa comme étant l'inspecteur John Parker, un homme d'âge moyen, métisse, les cheveux coupés très courts et la cravate en désordre, était allongé de tout son long et poussait de temps à autre des gémissements incompréhensibles. Une femme en tailleur violet, la peau mate, les yeux en amande et les cheveux bruns mi-longs au brushing impeccable, probablement sa secrétaire, lui tenait la main.

-Inspecteur John Parker ? demanda le Docteur. Vous m'entendez ?
-Mmh ?
-Je veux que vous m'expliquiez comment c'est arrivé.
-D... démone... sorcière... la... la garce...
-Mais encore ?
-Je ne sais pas, bredouilla l'inspecteur. Je ne me... me souviens de rien.
-D'accord. Bon, vous – il se tourna vers le jeune homme qui l'avait amené là – allez me chercher un antalgique pour l'inspecteur. Et vous – il désigna la femme qui était assise – je veux que vous me disiez en quoi consiste le cas Aliane Lawenn.
-C'est vraiment important ? demanda la femme.

Le Docteur se mordit la lèvre et posa sa main sous la tête de John Parker. Il sentit un liquide poisseux sur sa peau. Il vit du sang couler par son oreille.

-Oui. Oui ça l'est.

Si elle l'avait frappé, alors elle l'avait frappé très fort, beaucoup plus fort qu'elle semblait en être capable. Et si elle ne l'avait pas touché... alors c'était encore plus inquiétant.


Pendant que le jeune policier était parti chercher des médicaments, le Docteur prit un thé à la machine qui se trouvait dans un coin de la salle. La secrétaire de l'inspecteur le regarda faire, silencieuse.

-Vous en voulez ? demanda-t-il.
-Non, merci, j'en ai déjà pris un tout à l'heure.
-Comment vous vous appelez ?
-Janis. Janis Reidneer. Je suis la secrétaire de John.

Il s'assit sur une des chaises et se mit à réfléchir. C'était assez soudain. Aliane Lawenn... Aliane. Alien. La manière dont elle avait mis en déroute la police de New York était assez spectaculaire.
Mais cela valait-il la peine qu'il s'y arrête ? Qu'il s'en mêle ? Si elle avait un complice, le cas se résolvait très rapidement, sans l'intervention d'aucune puissance extraterrestre.
Cependant il en doutait. Un complice humain, même très doué, n'aurait pas pu la cacher aussi aisément. Et quelque chose dans son visage... Ses yeux d'une couleur presque surnaturelle.
Il sentit quelque chose chauffer dans sa poche. Son papier psychique. Il le sortit.

-Qu'est-ce que c'est ? demanda la dame.
-Oh, rien. Un petit gadget pour s'envoyer des messages avec un ami.

Il mentait. Son papier ne recevait que très rarement des messages, et toujours d'une force psychique particulière. Celui-ci disait :

Je sais où tu es maintenant. Je te trouverais.
Signé : quelqu'un de proche.

Il frissonna. Qui dans les parages pouvait bien lui avoir envoyé ça ? Il décida de faire abstraction et rangea le papier dans sa poche en s'efforçant de l'oublier. Il avait d'autres soucis. Attraper une serial-killer en fuite par exemple. Ou la santé de l'inspecteur.
Le jeune policier, qui d'après Janis, s'appelait Harry Youngblood, arrivait justement avec des médicaments.

-Donnez-les moi.

Le Docteur ouvrit la boîte et fit avaler un antalgique à Parker. Entre-temps, son oreille avait arrêté de saigner et il respirait mieux. Il l'allongea correctement et se tourna vers les deux autres.

-En cas de problème avec l'inspecteur, qui prend le relais ?
-Je ne sais pas, dit Janis. Je suppose que ce doit être moi.

Elle rajusta son tailleur, l'air mal à l'aise avec sa soudaine responsabilité. A vrai dire, aucun des deux ne semblaient très dynamiques ou réveillés. Le Docteur trouva ça étrange. Une affaire comme celle-là, les principaux investigateurs devraient être... plus investis. Or, ce n'était le cas ni de la secrétaire, ni du stagiaire, ni du reste de l'équipe. C'était peut-être l'époque sans illusion, la fatigue d'une affaire qui traînait... Il se sentit un peu mal à l'aise.

-Parlez-moi du cas Lawenn, demanda-t-il à Janis.
-Hé bien... C'est un femme...
-Vous êtes sûre de ça ?

Une femme tueuse en série n'était pas chose courante. Il n'aurait pas étonné qu'Aliane Lawenn fut un homme travesti particulièrement doué. Cependant Janis répliqua sur un ton plutôt sec, un poil féministe, qui lui suggérait de ce mêler de ses affaires :

-Docteur, j'ai procédé à la fouille complète du personnage, je peux vous assurer que même si elle n'en a pas l'air, c'est bel et bien une femme.
-Comment avez-vous prouvé qu'elle était coupable de meurtre ?
-Caméras de surveillance. Elle s'est approchée de ces gens, toutes des personnes âgées sans histoire, et sur chaque vidéo, le même geste : elle lève son pistolet, les regarde droit dans les yeux, et tire.
-C'est tout ?
-Oui. Nous ne savons rien de son identité. Enfin, si... elle dit qu'elle s'appelle Aliane Lawenn, qu'elle est née à Glasgow, le 29 février 1920.
-Comment ? Mais c'est impossible...
-C'est ce que se tue à dire l'inspecteur Parker. Elle n'a aucun papier, aucune preuve de sa véritable identité.
-Vous avez fait des recherches avec son nom ?
-Oui. La chose étant que... il existe bien une Aliane Lawenn, née le 29 février 1920. Nous n'avons rien à son sujet, mais nous savons qu'elle existe.
-Mais ?
-Elle est morte. Elle est morte il y a bien longtemps, le 14 avril 1943, à Ravensbrück, en Pologne. Les Allemands tenaient un registre précis à l'époque. C'est la première et la dernière fois que son nom apparaît quelque part. Aliane Lawenn, juive britannique, numéro 47215896. Envoyée au laboratoire d'expérimentations. Elle a probablement dû y rester.

Le Docteur passa sa main dans ses cheveux. Ce fut cet instant que choisit un employé de police surexcité pour pousser la porte de la salle.

-Elle l'a fait ! Elle a recommencé !
-Quoi ?
-Et cette fois-ci, on a un témoin direct !
-Où ça ? demanda Janis en enfilant son manteau.
-Une maison de retraite sur la 47e Avenue ! Venez, dépêchez-vous !

Janis fit signe au Docteur de la suivre. Il fit semblant de se montrer réticent, même s'il se doutait que personne ne croyait vraiment à son identité de « vrai » docteur. Il confia l'inspecteur aux bons soins d'un des membres de l'équipe d'investigateurs et prit place dans une des voitures aux côtés de la secrétaire.