Jacob Portman était un garçon chanceux. Il avait une vie incroyable et pleine d'aventures plus dangereuses les unes que les autres , des amis sur qui compter en cas de soucis et même un don qui lui avait permit de tous les sauver. Même si ce don, celui de voir les faucheurs du néant, avait fait de lui l'Homme de la situation, Jake aurait préféré ne pas l'avoir... d'une certaine manière. Bien sûr, il lui avait accordé la chance de tous les rencontrer, Miss Peregrine, Emma, Millard et tous les autres, il avait réussi à les sauver — et a sauver sa peau par la même occasion — mais le revers de la médaille lui laissait un goût amer au fond de la gorge.
Il savait bien que les enfants du manoir étaient effrayés par les faucheurs, mais ils ne les voyaient pas. Dans leurs cauchemars, ils les imaginaient tout simplement. Jake les avait vu. De près. Il avait vu leur corps démesuré, fin, dégoûtant, où pendait leurs membres un peu fous qu'ils semblaient avoir du mal a contrôler. Jake avait vu leur visage blanc sans yeux, cette bouche énorme remplie de dents pointues et qui cachait les tentacules qui servaient a attraper les yeux des particuliers.
Alors ses nuits étaient horribles. Il les voyait roder au fond de sa chambre, longer les murs comme des rats, se cacher sous son lit en attendant le bon moment pour lui arracher les yeux. Même si toute cette histoire était réglée, Jake n'en restait pas moins méfiant, voire paranoïaque. Pire, tout ceci l'avait traumatisé.
Emma s'inquiétait beaucoup de son état, elle lui avait même proposé de dormir ensemble mais il avait refusé. Se mettre a pleurer recroquevillé sur lui-même devant son amie n'était pas ce qu'il souhaitait le plus au monde. Miss Peregrine lui avait même proposé de retourner dans son époque dans l'espoir de la soulager, mais il refusait toujours. Il aimait les années 40, 2016 n'avait jamais été son monde. Il était un particulier, pas un humain, il se devait de vivre avec ses semblables.
Il soupira en se tournant vers son réveille posé sur sa table de chevet. Minuit une. Encore huit heures avant le levé du soleil. Huit heures de torture et de boules au ventre, de bile au bout des lèvres. Jake avait horreur de se l'avouer, mais il avait peur. Il n'avait plus seulement peur de ce qu'il se trouvait dans le noir, il avait peur de l'obscurité même. Il avait tout simplement peur.
Il fini par s'endormir vers deux heure du matin avant de se réveiller en hurlant, comme toujours, pleurant à chaudes larmes ce qu'il venait de voir. Il colla sa main sur sa bouche pour ne pas déclencher la colère de Enoch qui dormait dans la chambre d'à côté. Si tous les enfants semblaient inquiets pour Jake, Enoch lui en voulait de sangloter bruyamment tous les soirs. Il lui disait souvent qu'il était un faible, qu'il devait arrêter de se morfondre comme une mauviette et passer à autre chose. Jacob comprenait , lui pardonnait même. Car même si Enoch était désagréable avec lui, il avait le respect de ne pas le déranger pendant qu'il pleurait. Et puis, il en était sacrément amoureux. C'était peut-être la faute de l'arbalète lorsqu'ils étaient dans les sous-sols de la tour ou tout simplement son charme assez ténébreux mais Jake avait succombé et chaque remarques mauvaises le blessaient plus qu'il ne le fallait.
Alors il se recoucha, plié en deux comme un fœtus, le corps parcouru par des spasmes irréguliers, la respiration hachée. Du coin de l'œil, il en vit un. Son corps était plié en deux pour pouvoir tenir dans la pièce, ses bras en forme de lances le soutenaient pour qu'il ne tombe pas à cause de sa position peu naturelle. Sa bouche était ouverte, béante, les tentacules prêtent à lui voler ses yeux, à le tuer.
Sa respiration se fit plus rapide, plus saccadée encore, son souffle lui manquait. Il en faisait encore une. Une crise de panique. Ses larmes coulaient sur ses joues comme des fleuves pleins à craquer, ses lèvres tremblaient rapidement, des plaintes bruyantes les franchissaient. Il claqua brusquement sa main sur sa bouche. Enoch ne l'aimait déjà pas, il ne devait pas en venir à le détester ou il en mourrait de chagrin.
Il s'étouffait, pleurait en silence, seul, portant le fardeau de tous les autres, supportait ses douleurs sans se plaindre. Enoch le disait faible mais il ne savait pas à quel point il était fort. Il avait cette force de sourire après une nuit sans dormir, il avait la force de ne pas se mettre à pleurer dans un coin à chaque fois qu'il passait devant la chambre de Victor, cet enfant qu'il n'avait pas eut le temps de connaître et il avait surtout la force immense de ne pas s'effondrer devant Enoch. Alors que son cœur ne battait que pour lui, le jeune homme l'ignorait, pire, il le traitait comme un moins que rien, faisait tout pour l'humilier et le rabaisser lui bas que terre. Jake faisait tout pour cacher ses sentiments, si Enoch venait à l'apprendre, il s'en servirait contre lui pour le blesser plus encore.
Jake resserra son étreinte contre sa bouche en entendant le lit de son voisin de chambre craquer. Avait-il atteint la limite ? Enoch allait-il aller se plaindre à Miss Peregrine pour pouvoir enfin dormir sans entendre la mauviette qu'il était pleurnicher tous les soirs ? Il paniqua encore plus, sa vue se troubla, il allait bientôt perdre connaissance, il se sentait. Puis, une main forte le retourna sur le dos pour le plaquer sur son lit. Jacob hurla en retirant sa main. Il allait mourir, un faucheur était là pour lui, il en était certain.
Hey ! Calme toi, ce n'est que moi !
Jake ne voyait que le noir, ne reconnaissait pas la voix, paniquait encore et toujours.
Jake ! Respire ! Calme toi, nous sommes seuls dans ta chambre, en sécurité !
Il secoua la tête, se débattit, lança ses jambes en l'air en appelant le seul prénom qu'il avait au bout des lèvres depuis des mois .
Enoch ! Enoch ! hurla-t-il en repoussant son agresseur d'un bras qu'il avait réussi à libérer.
Jake, c'est moi, c'est Enoch, calme toi, je t'en supplie , fini par implorer la voix en mettant ton son poids sur lui pour éviter de se prendre un coup perdu dans la panique.
Enoch ! Enoch ! implora encore Jake en se calmant tout de même un peu.
Sa voix se fit ensuite plus faible, comme morte à force d'avoir crié comme un perdu pendant de longue minute. Heureusement, ils étaient seuls locataires de cette aile du manoir. Enoch soupira de soulagement en voyant Jake tomber de fatigue, la tête mole, le regard perdu, le souffle court et lent, le teint pâle. Enoch s'y connaissait en cadavre et Jacob aurait pu passer pour l'un d'entre eux.
Il fini par le lâcher puis par s'asseoir sur le rebord du lit, très près du garçon qui semblait très mal au point. C'était la première fois qu'il intervenait même s'il était arrivé qu'il se lève pour regarder le brun paniquer dans son lit, au cas où cela partait trop loin, comme ce soir-ci. Jake semblait dans un autre monde, les yeux dans le vague, totalement absent, inconscient de ce qui l'entourait.
Pardon, lâcha-t-il finalement en tournant la tête vers Enoch qui, contre toute attente, lui sourit faiblement. Le cœur de Jake se serra, le jeune homme avait simplement pitié de lui, rien de plus, rien de moins. Ce n'était pas un vrai sourire, il le sentait.
Tu as appelé Emma pendant ton cauchemar, avant ta... crise. Je ne suis pas Emma, mais j'ai fait tout ce que j'ai pu.
Tu es mille fois mieux, soupira Jake tout bas. Enoch ne l'entendit pas ou fit comme si. Il s'en moquait un peu, il savait que c'était un amour à sens unique.
Le garçon aux cheveux bouclés semblait mal à l'aise et incertain, Jake ne releva pas. Déjà qu'il daignait lui accorder un peu de son temps — au beau milieu de la nuit, qui plus est — il n'allait pas gâcher tout cela avec un réflexion désagréable. Il se mordit la lèvre en fixant Enoch dans les yeux. Il était beau, décoiffé, portait simplement une chemise à boutons de nuit avec un pantalon en toile. Très année 40.
Tu n'aimes pas mon pyjama, demanda Enoch en levant un sourcil amusé.
Si, si, paniqua Jake , c'est juste très... 1940.
Que veux-tu dire par là, Jacob ?
Jake frissonna , son prénom dans sa bouche lui semblait délicieux, unique, comme s'il était le seul à porter ce prénom et non pas un parmi des millions .
Tu as froid ? s'inquiéta le bouclé en tendant une main vers la couette pour la remonté sur le corps frêle du plus jeune — environ une centaine d'années d'écart , rien que ça .
Jake sourit sincèrement pour le remercier mais restait distant, sûrement à cause de sa crise se disait Enoch . De fil en aiguille, Enoch se retrouva sous la couette au coté de brun , bien loin l'un de l'autre, aux extrémités du lit pour ne pas se toucher . Jacob lui parlait de son époque, des téléphones portables — il allait même lui proposer de faire une photo mais se ravisa — des relations plus libérées , Enoch fronça les sourcils à ceci .
En 2016, deux hommes et deux femmes peuvent s'aimer ? questionna-t-il avec surprise . Mais ici, en 1943, ils se feraient tuer pour ça !
Je suis au courant, j'ai été à l'école, tu sais , rit Jake en regardant le plafond.
Enoch se mit sur son flan gauche en s'appuyant sur son bras pour regarder Jake avec un petit sourire .
Et qui gagne, à la fin ?
L'Alliance , répondit-t-il en tournant la tête vers lui. Hitler se suicide .
Je vois. J'aurais portant parié sur lui, il avait une jolie moustache , dit Enoch en haussa les épaules d'un air indifférent .
Jake rit. Il tira la couverture sous son menton avec un petit soupire d'aise. Le bouclé fit de même mais en silence, le regard dans le vague, la tête pleine de pensées.
Une heure passa, Enoch toujours sous la couette dans la chambre Jake. Aucun des deux ne dormaient, ce n'était pas étonnant . Mais ils restaient silencieux, croyant que l'autre était dans les bras de Morphée. Enoch brisa quand même le silence.
_ Tu dors ?
Pas encore. J'ai du mal .
Ah.
Un nouveau silence s'imposa avant qu'il n'ouvre de nouveau la bouche.
Et Jake, tu appelles ça comment, deux hommes qui s'aiment ?
Ça dépend. Souvent, ce sont des homosexuels. Des personnes qui ne sont attirés que par le même sexe. Mais parfois, c'est juste une personne. Toute ta vie, tu n'aimes que des filles et pouf, tu rencontres le garçon , celui qui te fait comprendre qu'il n'y a pas que les filles. Et puis , il y a les bisexuels. Eux, ils aiment les deux . Pourquoi ?
Par curiosité .
Enoch se retourna vers le mur en soupirant. Il n'avait même pas demander s'il pouvait rester dormir. Tant pis, il était Enoch O'Connor, il faisait ce qu'il voulait.
Enoch, je peux te poser une question ?
J'écoute.
Jake hésita puis se lança.
Tu pourrais aimé un garçon ?
Enoch se figea. C'était très indiscret comme question, même réellement privé. Et puis, il ne s'était jamais vraiment posé la question. Il n'avait jamais envisagé une relation, en fait. Ni avec une fille, ni avec un garçon. Il n'était pas le genre de personne qui s'imaginait dans une vie de couple pour toujours. Le pour toujours n'existait plus depuis qu'ils ne vivaient plus dans la boucle. Il n'y avait jamais pensé, point. Et cette façon qu'avait Jake de le caser dans le panier « hétérosexuels » l'agaça. Les pensées n'avaient-elles pas changées ?
Et qui te dit que j'aime les filles, de base ? Je suis peut-être homo-machin , qu'est-ce que tu en sais ?
Homosexuel. J'en sais rien, je posais juste la question.
Jake se retourna, assez vexé, et en silence. Il avait tenté sa chance et s'était prit un mur. Même pas une réponse, juste un moyen de lui dire de la fermer.
Ouais, je pourrais aimer le garçon , fini par lâcher Enoch avant de se taire pour toute la nuit.
Jake sourit puis s'endormit lui aussi. Cette nuit-là, il dormit vraiment pour la première fois depuis des mois . A son réveil, Enoch n'était plus là.
