Chapitre 1 – octobre 1990

Les perdants et les gagnants

-Mo' ! Fais pas ça !

Grisée à l'idée de faire quelque chose d'illégale, je lançai un grand sourire à Bonnie, ma meilleure amie. Celle-ci, tourbillon de cheveux bruns, s'approcha de moi à grands pas, tenant fermement sa baguette dans sa main gauche. En la voyant faire, je reculai précautionneusement de quelques pas et sentis mes pieds s'enfoncer dans le sol humide et recouvert de brindilles de pins. Il faisait étonnement froid, même pour une nuit d'octobre, et, malgré mon épais sweat rouge et or, je frissonnais à chaque bourrasque de vent.

-Moïra !, chuchota-t-elle une nouvelle fois avec force. On n'a pas le droit d'être là ! Il faut rentrer, il fait nuit et le couvre-feu est passé ! Tu veux vraiment avoir des ennuis ?

-Mais je veux pas perdre !, répliquais-je, butée. Hodge va encore me traiter de trouillarde, sinon…

Mon argument n'avait aucune valeur aux yeux de Bonnie, mais pour moi, c'était ma fierté qui était en jeu. Si je ne m'acquittais pas de ma mission, mon meilleur ami, Hodge Pallavicino, serait bien capable de placarder dans tout Poudlard que j'étais la Gryffondor la plus froussarde que la Terre ait jamais portée.

Tout avait en réalité débuté quand un action ou vérité féroce avait été lancé dans la salle commune des lions. Personne ne voulait perdre et aucun de nous n'imaginait quelle serait son châtiment en cas d'échec mais s'il fallait dire adieu à son amour propre, je ne comptais certainement pas échouer. Je m'étais en conséquence retrouvée avec pour but de mener une mission commando en solitaire dans la Forêt Interdite afin de prouver que des centaures y vivaient bel et bien et j'avais bêtement accepté mon défi pour ainsi prouver à Hodge Pallavicino que non, je n'étais pas une trouillarde. Bonnie m'avait accompagné, endossant un rôle de juge, même si je doutais clairement de son impartialité dans l'histoire. Et je me retrouvais là, à l'orée de la Forêt Interdite, au beau milieu de la nuit de samedi à dimanche, le couvre-feu dépassé depuis belle durette, à attendre un je-ne-sais-pas-quoi.

-Je lui dirai que tu l'as fait, me pressa ma meilleure amie. Viens, maintenant !

-Mais il saura que tu mens !

-Moïra Steinmann !, finit-elle par se fâcher, les deux mains sur les hanches. Je te jure que si tu ne rentres pas tout de suite au château, je vais te forcer à me…

Elle se coupa brusquement, fixant un point derrière moi. Ne comprenant pas son soudain silence, je me retournai et vis alors une lumière aveuglante se dirigeait lentement vers nous, accompagnée par un bruit étrange, mélange d'aboiements et de grognements. De lourds bruits de pas, qui écrasaient les brindilles de pins, retentirent, brisant le calme apaisant de la nuit. Il ne m'en fallu pas plus pour faire un bond, saisir Bonnie par les épaules et la mettre entre le potentiel danger et moi-même.

-Bon', fais quelque chose, marmonnais-je faiblement avant de jeter un coup d'œil par-dessus son épaule. Il faut que t-aaAAaAAAhHHhhHHHhhH !

Une énorme et sombre bête venait de sortir du halo de lumière et se dirigeait vers nous. Ayant laissé ma baguette dans la salle commune dans un geste de bonne foi – et surtout parce que je l'avais bêtement oubliée –, je n'avais rien d'autre que Bonnie pour me garder en vie et son manque de réactivité ne me semblait pas être un bon point pour notre survie.

-Qui va là ?, grogna soudain une voix gutturale, m'arrachant un nouvel hurlement.

Je sentais les larmes me monter aux yeux et mes tremblements faire frémir le corps de ma meilleure amie. Mon cœur battait la chamade et, pendant un moment, je crus qu'il trouverait un moyen pour s'échapper de ma poitrine. Peu importe à quel point j'essayais de me convaincre du contraire, Hodge avait bel et bien raison : j'étais vraiment une trouillarde. Mais en ce moment-même, alors que nous étions à l'orée de la forêt interdite, au beau milieu de la nuit, qu'un monstre hideux venait de sortir d'un halo de lumière et qu'une voix effrayante s'adressait à présent à nous, mon esprit raisonnable répétant que rien de bien méchant ne pouvait nous arriver à Poudlard s'était fait la malle, me laissant seule avec mon instinct de survie qui, lui, me criait de me tailler en vitesse. Après tout, Bonnie avait sa baguette et moi non, alors au diable ma fierté, ma vie était beaucoup plus importante.

-C'est Hagrid, me dit alors Bonnie d'une voix plate.

Ouf.

-Ouf.

Regardant avec un peu plus d'aplomb cette fois-ci par-dessus l'épaule de ma meilleure amie, je vis le demi-géant sortir de l'obscurité de la forêt et s'avancer vers nous, une torche à la main et une pelle dans l'autre, son énorme et affreuse bête à ses côtés.

-Ne seraient-ce pas les petites Adams et Steinmann ?, marmonna le garde-chasse dans sa barbe en balançant sa lumière devant nos visages, nous éblouissant. Par Merlin, qu'est-ce que vous faite ici à cette heure ?

-Et vous ?, ne pus-je m'empêcher de demander, et aussi pour faire diversion.

Il montra sa pelle comme si la réponse coulait de source.

-Du jardinage… ?, tenta Bonnie.

Mais le garde-chasse secoua sa grosse tête de gauche à droite. Il nous raconta alors qu'il venait d'enterrer un scroutt à pétard, mort d'une maladie dont il ne connaissait rien, loin dans la forêt, dans un souci de limiter la contagion si contagion il devait y avoir.

Je fronçai le nez lorsqu'il commença à entrer dans les détails, peu désireuse d'entendre le descriptif complet des organes internes d'un scroutt à pétard en train de pourrir.

-Mais dites-moi donc ce que vous faites ici, dit-il d'un ton brusque qui me fit sursauter. Je ne suis pas sûre que deux septième année aient le droit de se promener vers la Forêt Interdite à une heure pareille…

-Non, en effet, répliqua Bonnie d'une voix ferme qui me surprit. Moïra est somnambule et, en tant que préfète, je me devais de la surveiller. Je n'ai pas voulu la réveiller, vous pensez bien, avec ces histoires…

J'ouvris grands les yeux en entendant ma meilleure amie mentir avec un tel aplomb, elle qui était pourtant le symbole même de l'honnêteté chez les Gryffondor.

Hagrid fronça les sourcils, l'air pas dupe pour une Noise, et poussa un profond grognement que je me permis de traduire par un soupire. Il nous regarda tour à tour, puis sa pelle, son chien, avant de ramener son regard sur nous.

-Bon, écoutez, finit-il par la lâcher. Venez donc vous réchauffer et après vous filerez dans vos dortoirs.

Sans plus de cérémonie, il tourna lourdement les talons et, son affreux chien – si l'on pouvait appeler ça un chien – derrière lui, se dirigea vers son espèce de hutte pour géant. Bonnie entreprit alors de le suivre, avant que je ne lui arrache le bras et la force à me faire face.

-Quoi ?, rouspéta-t-elle, manifestement exaspérée.

-Tu veux vraiment aller chez lui ?, demandais-je d'une toute petite voix.

Les sourcils de ma meilleure amie formèrent une ligne droite presque ininterrompue au-dessus de ses yeux et je me recroquevillai sur moi-même, prête à subir les foudres de la préfète des Gryffondor.

-Estime-toi heureuse qu'il ne nous vende pas à McGo, me sermonna-t-elle, les yeux plissés. Alors maintenant, tu bouges tes fesses et tu viens avec moi.

Sourde à mes protestations, elle me tira fermement par la main derrière elle. Elle était armée, je ne l'étais pas, ce qui m'enlevait toutes chances de partir en courant vers le château. Dans tous les cas, armée d'une baguette ou non, m'imaginer me promener seule dans le parc la nuit me filait suffisamment les jetons comme ça.

Le semi-géant nous fit entrer dans son immense cabane et je manquai de me vautrer de tout mon long en trébuchant sur le paillasson. Bonnie, pleine de bonne volonté, me rattrapa au dernier moment et le gardien des clés de Poudlard nous fit asseoir sur d'immenses chaises avant de se tourner vers sa cheminé.

Tout était disproportionné dans cette maison, ce qui était relativement normal au vu de son hôte. Ce qui l'était en revanche moins, c'était les innombrables et horribles bestioles qui en peuplaient l'intérieur. Parmi elles, je reconnus vaguement un Murlap, deux Strangulots dans un aquarium et un Verlieu. Dans une cage rudimentaire, une Salamandre du Pérou s'embrasait à intervalles réguliers. Mais ce qui attira particulièrement mon attention, ce fut une espèce d'oiseau obèse au long et fin bec qui virevoltait autour de nous.

-C'est un Vivet doré, lança le demi-géant de sa voix bourrue en posant des tasses énormes et une théière sur la table. Très rare, très protégé.

-Il ressemble à la petite balle volante du Quidditch.

-C'est parce qu'il servait de Vif d'Or, avant d'être une espèce menacée, répondit-il en me lançant un bref coup d'œil. Celui-là, faut que je l'emmène à la réserve Modesty Rabnott. 'L'ai trouvé dans la forêt…

Il versa l'eau ébouillantée dans les tasses, nous présenta à chacune sa boite à thé et, pendant de longues minutes, plus personnes ne dit rien. Un lourd silence s'installa, uniquement rompu par les bruits louches de ses créatures. Gênée, je fixai le fond de ma tasse, attendant que le liquide ambré refroidisse suffisamment pour que je puisse y tremper les lèvres.

-Alors, lança Hagrid d'un ton un peu brusque, me faisant sursauter. Comment vont Rachel et Hodge ?

Rachel et Hodge étaient deux de nos meilleurs amis. Nous connaissions le demi-géant depuis notre troisième année durant laquelle nous nous étions retrouvées à faire des travaux d'intérêt général pour avoir malencontreusement saccager un couloir en tentant de nous essayer à un sortilège particulièrement difficile. McGonagall nous avait alors envoyés chez le demi-géant pour y faire notre punition.

Et si mes amis retournaient régulièrement rendre visite à Hagrid, je m'arrangeais toujours pour prétendre avoir autre chose à faire à ces moments-là, peu désireuse de voir le gardien des clés du château. Pas qu'il m'effraie, mais moins je le voyais, mieux je me portais. Je ne comptais plus tous les cauchemars que je faisais et où j'étais kidnappée par Hagrid.

-Ils vont… bien, répondis-je avec un semblant de sourire.

Ils allaient même on ne peut mieux, puisqu'ils devaient très probablement être dans la salle commune, au coin du feu, en train de se goinfrer de Chocogrenouille pendant que nous étions coincées ici, à boire le thé.

Hagrid hocha la tête et, à nouveau, le silence s'installa. Lorsque nous eûmes toutes les deux finit notre breuvage, il se proposa pour nous ramener jusqu'aux portes du château. Partagée entre mon désir de ne pas rester indéfiniment en compagnie du garde-chasse et celui de traverser le parc avec le plus sécurité possible, je finis par accepter du bout des lèvres, sans consulter Bonnie. Celle-ci me lança d'ailleurs un regard moqueur tandis que nous nous dirigions vers le château, à la suite d'Hagrid. Son chien à ses côtés, il nous laissa devant les grandes portes avant de s'enfoncer une nouvelle fois dans la nuit, sa torche se balançant sinistrement au rythme de ses pas.

-Viens, lança Bonnie à voix basse en me saisissant la main.

De son autre main, et à l'aide de sa baguette, elle coinça ses cheveux derrière ses oreilles et mit ainsi bien en évidence son insigne de préfète. Nous ne croisâmes cependant personne et la traversé du château jusque le septième étage se fit en silence. Bonnie me tenait toujours par la main et éclairait faiblement devant elle à l'aide de sa baguette. Il nous fallut plusieurs minutes avant de réussir à réveiller la Grosse Dame et encore plus avant qu'elle ne finisse de nous sermonner. Une fois le mot de passe dit et le tableau pivoté, nous pénétrâmes dans notre salle commune aux couleurs chaudes. Le feu crépitait encore joyeusement dans l'immense cheminée, éclairant vivement le visage des élèves encore présents, uniquement des septième année. Trois Serdaigle, Esther Asuka, Logan Milton et Kurt Langton, avaient réussi à s'infiltrer discrètement dans notre salle commune.

-Vous en avez mis un temps, râla Hodge alors que je m'asseyais lourdement entre Rachel et lui.

Je sentis mon corps s'enfoncer dans l'énorme canapé et sourit avec satisfaction. Il n'y avait décidément rien de plus confortable que l'antre des Gryffondor !

-Et ces centaures, alors ?, demanda Nataniel St John avec avidité en se penchant vers moi.

-Pas vue, marmonnais-je dans ma barbe inexistante.

A quoi bon mentir ? Bonnie n'avait pas l'air de vouloir voler à mon secours et mes capacités aux mensonges étaient égales à la circonférence d'un petit pois.

-Ah !, hurla presque Niels, le jumeau de Nataniel, en brandissant un point en l'air. Elle a perdu !, crut-il bon d'ajouter en se tournant vers Hodge.

Celui-ci s'était proclamé gérant et temporisateur de la soirée, ce que je ne voyais pas d'un bon œil. Hodge se foutait pas mal de la morale et n'avait presque aucun sens de l'éthique, ce que je redoutais au plus haut point quand il réfléchissait. Il n'agissait d'ailleurs jamais sans avoir une idée derrière la tête.

-Non, mais attends !, m'exclamais-je, ne renonçant toutefois pas à me défendre. J'allais y aller mais Hagrid nous a embarquées en nous voyant entrer dans la forêt !

Bien qu'à proprement parlé, aucune de nous n'avait mis un seul orteil dans la Forêt Interdite.

-Et Bonnie ?, questionna Hodge, les yeux rieurs.

-Quoi, Bonnie ?

Il éclata de rire avant de se passer négligemment une main dans ses cheveux sombres et bouclés. Ses grands yeux bleus se posèrent sur ma meilleure amie qui haussa les épaules avec indifférence, l'air de se foutre complètement de ce qu'il venait de se passer. Quel épisode j'avais raté ?

-Elle était là pour vérifier si ma mission voyait son terme, non ?, lançai-je d'une voix hésitante.

-Elle était là pour faire respecter le règlement !, lâcha Charlie Weasley entre deux fous rires. Pallavicino (il désigna Hodge qui se marrait sur mon épaule) pensait que tu te servirais d'elle et de son statut de préfète pour ne pas y aller. En gros, elle était là pour te convaincre de pas y aller !

Clairement, je n'avais pas raté un épisode, mais la saison entière.

-Quoi ?, m'insurgeai-je en me tournant violemment vers mon ami, si bien qu'il manqua de se prendre mes genoux en pleine poire.

-J'vous avais dit que ça lui plairait, lança Bonnie avec un grand sourire ironique.

Furieuse, je regardai tour à tour les membres de notre petit cercle. Ma meilleure amie se tenait droite comme un i sur l'accoudoir d'un gros fauteuil, ses cheveux lui tombaient à présent devant les yeux et un rictus railleur barrait son visage pâle. Sur le fauteuil en question, Gordon Chomsky, immense même assit, regardait tout le monde avec amusement, mais évitait soigneusement mon regard comme si le simple fait de me regarder dans les yeux le rendrait aveugle jusqu'à la fin de ses jours.

Devant la cheminée, en tailleur sur de gros poufs, les jumeaux St John se donnaient mutuellement des coups de coudes tout en observant avec attention un bout de parchemin usé. Non loin d'eux, Charlie Weasley me regardait avec insistance, attendant probablement le moment où je lancerai un sortilège et où la petite table serait son seul moyen de protection. Juste derrière lui, à trois sur le même fauteuil, Esther, Logan et Kurt chuchotaient entre eux et je vis quelques pièces circulaient entre eux.

A ma droite, Rachel se retenait manifestement de rire tandis qu'à ma gauche, Hodge ne cachait pas son hilarité et se tenait à présent les côtes à deux mains, le visage explosé sur mes genoux. Lorsqu'il consentit enfin à relever la tête, je m'étais déjà emparée de ma baguette qui reposait sur un petit guéridon et réfléchissais à quel sort j'allais pouvoir lui lancer.

-Fais pas cette tête, Mo' !, lança-t-il avec un grand sourire, ignorant ostensiblement ma baguette. Et tu connais la règle : échouer, c'est un vêtement d'enlevé !

Je le fusillai du regard avant de chercher de l'aide des yeux mais personne ne vint à mon secours. Les jumeaux articulèrent silencieusement « les règles, c'est les règles » et je dû y mettre toute ma volonté pour ne pas métamorphoser leur tête en ballon de baudruche. Bonnie m'ignora royalement, penchée vers Gordon et lui murmurant des paroles inaudibles à l'oreille.

-C'était à cause d'Hagrid, tentai-je finalement avec espoir. J'aurai réussi, sinon !

Mais Hodge resta inflexible et je dû m'avouer vaincu, retirant mes chaussettes sous son sourire victorieux.

Il posa ensuite sa baguette sur la petite table de bois et la fit tournoyer.

-C'est les règles et, de toute façon, tout le monde va s'en prendre plein la tronche. St John, action ou vérité ?

-Vérité, lancèrent les jumeaux d'une même voix.

Ils faisaient équipe ensemble ce qui, à mon avis, n'était que de la tricherie mais semblait tout à fait normal aux yeux de tous les autres. J'avais bien tenté de m'y opposer avant le début du « jeu », en vain.

-Votre pire secret inavouable ?, lançai-je avant que quelqu'un d'autre ne leur pose de question.

-Steinmann…

-… si c'est inavouable…

-… nous ne pouvons évidemment pas te l'avouer.

Je les observais tour à tour, les yeux plissés, avant de faire tourner ma baguette entre mes doigts, bien en évidence.

-Mais nous pouvons faire une petite entorse, s'exclama précipitamment Niels, en louchant avec inquiétude sur mon arme.

Personne ne doutait que je fusse première de la classe en cours de sortilèges, les jumeaux compris. Fut un temps où je tenais un compte des Serpentard se retrouvant à l'infirmerie par ma faute (et celui de mes sorts) avant d'abandonner l'an passé, mon parchemin devenant beaucoup trop illisible.

-Cora Austin, de Poufsouffle, nous sommes tous les deux sorties avec elle en sixième année.

Il y eu un léger flottement durant lequel la plupart des personnes présentes froncèrent les sourcils en observant les jumeaux qui semblaient maintenant affreusement gênés.

-Quand vous dites « sorties », finit par dire Hodge avec lenteur, est-ce que vous voulez dire f…

-Tourne ta baguette, Pallavicino, coupa Nataniel. Une question à la fois.

Hodge se tut quelques instants, réfléchissant sans doute à une quelconque règle de dernière seconde pour forcer les jumeaux à répondre, mais finit par obtempérer.

-Rachel ! Action ou vérité ?

Je soufflai de soulagement en voyant que la baguette s'était arrêtée de tourner juste avant moi et désignait à présent mon amie.

-Action, répondit celle-ci, un mince sourire étirant ses lèvres.

Se doutait-elle ce qui allait lui être demandé ? Moi-même je l'ignorais et, au vue de la tête de ceux qui m'entouraient, je n'étais clairement pas la seule.

-Pourquoi c'est toujours toi qui choisis ?, s'offusqua soudain Esther, ses yeux bridés lançant des éclairs.

Hodge, qui venait d'ouvrir la bouche, la referma et regarda notre amie d'un œil mauvais.

-Parce que c'est moi qui préside cette assemblée, répliqua-t-il. Rachel, demain, Grande Salle, au petit dej' : tu roules une pelle à Alex Selwyn, ajouta-t-il avec précipitation en voyant Esther déjà prête à répondre.

Mais celle-ci ne dit rien et se tourna vers Rachel, un sourire goguenard étalé sur la figure. Et en voyant la tronche que tirait cette dernière, c'était justifié ! Si elle s'y attendait, à celle-là ! Elle était devenue pâle comme la mort et semblait s'attendre à ce qu'il s'agisse d'une caméra cachée. Il fallait dire qu'elle nous avait baratinés pendant cinq ans avec son faible pour le Serpentard avant de nous affirmer en fin de sixième année que c'était terminé. Et ça avait l'air !

J'avisai alors les vêtements qu'il lui restait : ayant gardé son uniforme même si nous étions en week-end, il ne lui restait que sa jupe et son chemisier. Je savais qu'elle était probablement la personne la plus pudique de nous tous, mais s'il y avait bien quelque chose qui égalait la pudeur de Rachel, c'était bien sa fierté.

-Il te reste cinquante-sept secondes pour te décider, commenta Hodge.

-Hein ? Depuis quand on est chronométré ?, demanda brusquement Logan, perdu.

-Depuis que Hodge nous tient en dictature, railla Esther.

-Quarante.

A côté de moi, Rachel me lança un regard paniqué auquel je répondis par un grand sourire. Personne ne m'avait filé de coup de main lorsque ç'avait été mon tour, et tout se payait. Rancunière ? Ça, oui, je l'étais.

Sur leur fauteuil, Esther et Logan déblatéraient sur Hodge qui s'en tapait royalement la baguette et observait Rachel avec un sourire carnassier sur le visage.

-Vingt-sept.

-Quand ça va tomber sur toi…, lancèrent les jumeaux, rieurs.

Hodge se redressa brusquement, un éclair de peur lui traversant les yeux. Il n'avait clairement pas dû penser au retour de la balle.

-Dix-neuf, continua-t-il cependant de décompter.

-Hodge, tu es un homme mort, articula lentement Rachel.

-Il se passe quoi à zéro, en fait ?, m'enquis-je alors, curieuse.

Parce qu'il fallait bien avouer que s'il décomptait pour du flan, ça n'avait pas le moindre intérêt.

-Nan mais rouler une pelle à quelqu'un, c'est vraiment gamin !, finit par s'exclamer Rachel à toutes vitesses.

-On est des gamins, répliqua Hodge avec indifférence. Six, cinq, quatre, trois, d-…

-OK !, hurla-t-elle brusquement, nous faisant tous sursauter. OK ! Je vais le faire ! Je vais lui rouler une pelle !

Les jumeaux se mirent alors à ricaner, penchés l'un sur l'autre, avant de s'échanger des messes-basses.

-Ah, et tu vas rouler une pelle à Alex ou à Selwyn ?, demandai-je, intéressée.

-C'est la même personne, rétorqua Kurt, blasé.

-Mais qu'est-ce qu'il est con…

Je me tournai vers Bonnie. Elle, elle avait compris !

Rachel ne répondit pas et, piquant un fard monstrueux, elle se pencha sur la petite table et fit tournoyer la baguette de Hodge.

-Esther !, s'écria brusquement ce dernier. Est-ce que t'en pinces pour quelqu'un ?

-Mais qu'est-ce qu'il a avec la vie sentimentale des autres, lui ?

-C'est parce que la sienne est naze.

-Ou parce qu'il en a pas, pouffai-je avant de me prendre un violent coup de coude dans les côtes. AÏEUH !

-Bien fait, rétorqua-t-il avec un sourire satisfait sur les lèvres. Alors ?

-Oui, répondit tranquillement la petite japonaise.

-Qui ?

-Une seule question !, hurla brusquement Rachel en abattant violemment sa main sur la table. Fallait mieux choisir ! Allez, on tourne…

Une nouvelle fois, la baguette tournoya.

-C'aurait été plus marrant avec de l'alcool, commenta Niels, brisant le silence. On en a au dortoir, si vous voulez.

Tout le monde avait les yeux rivés sur l'arme en bois qui tournait étrangement longtemps sur elle-même.

-Ah non !, protestai-je. Pas de boissons alcoolisées !

-Tu dis ça uniquement parce que tu tiens pas l'alcool.

Je fusillai Charlie Weasley du regard. Lui non plus ne tenait pas l'alcool, est-ce que j'en éprouvais le besoin de le balancer comme ça, hein ? Non !

-GORDON !

-Mais ta gueule, y'a des jeunes qui dorment en haut.

-'M'en fou, j'ai insonorisé la pièce.

-Ta gueule quand même.

-Oh, ça va ! Gordon, action ou vérité ?

Merlin, si vous m'entendez, ayez pitié de ma pauvre âme en détresse. Je vous jure sur mon rein droit de vous servir avec foi, de me vouer entièrement vous mais, s'il-vous-plait, ne me faites pas ça. Je préfère mille fois passer sur le billard…

-Action.

OUI ! SAUVEE ! Merci, Merl-

-Embrasse Moïra.

Plait-il ?

-Quoi ?

NON !

-Gordon va t'embrasser, Mo', répéta Hodge comme s'il avait affaire à un gosse de six ans amputé du bulbe.

Je lançai un regard alarmé audit Gordon. Il me fixait l'air complètement paniqué, ce que je comprenais amplement. Moi-même, si mon envie de guillotiner Hodge n'était pas plus forte que le reste, j'aurai clairement paniqué.

Gordon et moi étions sortis ensemble durant plus d'un an, avant que je ne rompe en début de sixième année. Et, même s'il l'avait relativement mal prit au départ, nous étions malgré tout restés en très bons termes puisque nous étions toujours amis.

-Nan mais attends, c'est même pas mon tour de morfler !, protestai-je, en vain.

-C'est ta punition pour avoir failli à ta mission.

-J'ai déjà enlevé mes chaussettes !

-Oooh, c'est rien du tout, ça.

-Rien du tout ?, m'offusquai-je. J'ai froid aux pieds, espèce de…

-C'est pas grave, coupa-t-il. Accouche, Gordon, on va pas y passer la nuit.

-Nan mais stop !, paniquai-en haussant la voix. Arrête de toujours faire des gages ou des questions qui tournent de ça !

Il me lança un coup d'œil condescendant avant de soupirer.

-Trop tard. Et puis, vous êtes plus ensemble depuis un an, donc tranquille. C'est pas comme si vous alliez retomber dingue de l'un de l'autre avec un simple baiser.

Ah. Ah. Ah. S'il savait…

Je vis avec appréhension Gordon se lever de son fauteuil – où Bonnie se vautra dès qu'il fut debout – avant de se diriger vers moi. J'avais l'impression de ne voir que lui, de n'entendre que mon cœur battre à toute allure. Le reste était entièrement flou et silencieux. Gênée, je ne savais pas si je devais me lever, ne pas bouger, passer par-dessus le canapé et fuir en courant jusque mon dortoir… Finalement, je ne fis rien ; il fut sur moi beaucoup trop rapidement. Je ne sentis pas Rachel se levait, ni Gordon s'asseoir à mes côtés. J'avais l'impression d'être dans une bulle, que les battements de mon cœur pouvaient s'entendre jusqu'aux cachots des Serpentard. Si la bulle éclatait lorsqu'il m'embrasserait, qu'allais-je ressentir ?

La réponse de présenta d'elle-même. Il déposa délicatement ses lèvres sur les miennes et le monde s'évapora tout autour de moi. Seul Gordon comptait à présent, moi qui était pourtant persuadée de ne plus rien ressentir pour lui. Je fermai les yeux lorsqu'il déposa une main chaude sur ma joue et, sans m'en rendre compte, je passai mes bras autour de son cou, entremêlant mes doigts dans ses cheveux. Je n'avais plus conscience de qui j'étais à présent, ni de ce que je faisais. Fébrile, je rapprochai mon corps du sien, désireuse d'approfondir d'avantage le baiser. Je frissonnai de tout mon être lorsqu'il passa un bras derrière mon dos, me collant à lui d'avantage…

Un raclement de gorge rompit le charme. De retour à la réalité, je me détachai violemment de Gordon avant d'observer autour de moi. Les sourires gênés côtoyaient ceux, goguenards des jumeaux St John et celui victorieux d'Hodge.

-Tu disais ?, lança ce dernier d'une petite voix supérieure.