« On naît, on s'agite puis on meurt ». Cruelle métaphore qui sonne creux. Pourtant jamais son écho n'avait semblé aussi réaliste que ce soir là. Chaque mot martelait ses pensées un peu plus fort. Cette vieille rengaine de son enfance était exhumée comme par magie. Perverse sorcellerie.

La pluie purgeait les artères de Seattle de ses badauds. Les trottoirs détrempés désengorgeaient peu à peu. Le ballet des automobiles aveuglantes semblait lui aussi connaître une accalmie. Alex écumait le bitume délavé, aspergeant généreusement son pantalon des eaux torrentielles de ce mois de septembre. Ces dernières 48 heures avaient été harassantes et le spectre d'une nouvelle garde se profilait. Pourtant, tous les prétextes étaient bons pour ne pas regagner son domicile et dormir. Alex craignait trop d'y retrouver ses colocataires ou encore Christina faisant le deuil de son mariage avorté. Mieux valait éluder toute confrontation ce soir. Il n'était ni d'humeur à encaisser leurs lamentations, ni paré à affronter leurs interrogations.

Finalement, le cadre serein et familier de l'Emerald City Bar apparaissait comme le meilleur refuge. Il savait ses amis et leurs comparses bien trop occupés à ruminer leur maudite journée. Il préférait dissoudre la sienne dans quelques centilitres de houblon. La pluie redoublait d'intensité. Les gouttes glacées lui cinglaient le visage. Il courut, dévala les quelques marches qui le séparaient de la porte qui… resta malheureusement close. Alex crachât un juron en butant contre l'hostilité de la poignée. Il força un peu, mais la porte ne bougea pas d'un millimètre. Il colla son visage contre la vitre afin de scruter le moindre signe d'activité dans l'antre de Joe. En vain.

Il se souvint quelques minutes plus tard de l'épopée paternelle de Joe ce matin, après une nuit agitée où il avait aidé à l'accouchement. Merde. Journée de merde. Monde de merde. Il frissonna. Ses vêtements trempés lui collaient à la peau, et l'eau glacée lui poignardait l'échine. Il jeta un coup d'œil à sa montre. 23h15. Il avait eu beau marcher, noyer ses pensées dans les flots de Seattle, rien n'y faisait. Son esprit demeurait immuablement embrumé par ses errements du jour. Ava. Addison. Tout s'entremêlait, le robinet des émotions avait été ouvert et Alex peinait à maîtriser tout ce qui en jaillissait.

C'était comme une chute libre sans parachute. Un intense montée d'adrénaline conjuguée avec l'insouciance qu'il s'efforçait de garder. Jamais il n'avait pensé qu'il aurait pu la perdre. Les perdre. Jamais il n'avait pensé que tout cela ferait si mal. Qu'il ne pourrait pas dominer tout ce qui exhalerait de ces… sentiments là. Mais tout était à la fois plus clair et plus complexe. Ava était partie depuis quelques heures. Ses jugements ironiques lui manquaient. Sa présence lui manquait. Mais le souvenir des traits de son visage, le timbre de sa voix, s'estompaient brutalement. Ava était son filet de sécurité, le choix conventionné d'une existence paisible et … insipide. Ava était la fille parfaite pour lui ; celle avec qui vous feriez un beau couple, mais que vous n'aimeriez jamais. Celle que vous imaginez facilement sur vos photos de famille, mais qui ne laissera jamais son empreinte sur votre cœur. Alex avait couru vers la facilité avec une énergie déconcertante, comme s'il s'employait délibérément à échapper au bonheur. Au vrai. Au pur. Celui qui alimente vos émotions, qui vous fait rire, pleurer, vibrer.

Addison était le doux poison qui avait dynamité son existence. Celle qu'il adorait détester, celle qu'il détestait… aimer ? Depuis que sa route avait croisé la sienne, la frivolité qui arborait sa vie avait fané. Plus de coups d'un soir. Il avait beau nier, penser que les sentiments finiraient bien par se décanter tout seuls, le doute subsistait. Pire, il l'avait conquis. Et Alex devait mener une lutte de tous les instants pour ne pas se laisser assujettir par ses pensées. Et ne surtout pas emprunter le chemin de l'utopie. Il était aisé de deviner qu'il n'était pas celui qu'il lui fallait. Alex ne faisait pas partie des « mecs biens ». Il était l'enfant expatrié, celui qui avait chassé son père, qui avait laissé plonger sa mère dans la dépression. Celui qui avait grandit au son des claques sur la peau rougie de sa mère, celui qui entendait encore l'écho des braillements incessants de son père. Quand on ne sait pas ce qu'est aimer, on ne prétend pas vouloir l'inculquer… ou le prodiguer. Les mots d'amours sonnaient comme vulgaires dans sa bouche. Alors. Alors ? Qu'importe la fuite, pourvu qu'elle soit salutaire. Alors merde, ou était donc le problème ? Pourquoi avait-il un besoin quasi existentiel de respirer son parfum, de se nourrir de ses paroles. Il ne pouvait pas se permettre de se prendre au jeu t'aime.

Il brava l'humidité et rejoignit l'hôpital. Apres tout, il n'était ni ivre ni fatigué, et encore moins disposé à rentrer chez lui. Bien que son cerveau soit dépourvu de toute lucidité, son uniforme de chirurgien était lui, bien fonctionnel. C'est étrange comme ces endroits si familiers, d'ordinaire si insignifiants, vous apparaissent comme chaleureux et salvateurs dans ces moments là. Il franchit les portes du Seattle Grace et percuta Miranda Bailey qui se ruait aux urgences.

-« Karev ? Qu'est-ce qui vous amène donc ici ? »

-« L'envie de travailler » risqua-t-il, peu convaincu. Il avait macéré bien trop longtemps dans la nuit diluvienne de Seattle pour afficher son ordinaire arrogance.

-« Ben voyons… Et moi je suis Blanche Neige et j'attends que les sept nains viennent me délivrer de cet enfer… C'est la cohue aux urgences… Je n'ai pas le temps pour vos gamineries. Rentrez chez vous, Karev, demain votre première journée de résident vous attend.»

-« Je pourrais me rendre utile… »

Bailey écarquilla les yeux. Décidément, le monde ne tournait plus rond. Depuis quand Alex Karev insistait-il pour faire des heures supplémentaires ? « Vous allez regretter ce que vous venez de dire, mais trop tard, c'est dit, allez vous changer et retrouver moi aux urgences dans 10 minutes. »

Alex détalla. Il pressa le bouton de l'ascenseur. Il égouttait patiemment devant les portes closes, les yeux rivés sur le panneau lumineux de l'élévateur. Les portes s'ouvrirent. La silhouette gracieuse d'Addison se dessina devant lui. Elle avait les traits tirés, les cheveux épinglés en bataille et la fatigue se lisait sur son visage. Et pourtant. Pourtant elle irradiait l'ascenseur, le couloir, et même tout l'hôpital de son insolente beauté. Alex entrouvrit béatement les lèvres mais aucun son ne daigna s'extraire.

-« Karev ? Vous n'êtes pas… »

-«Je… non… Mes amis se consolent entre eux, je ne suis pas une très bonne épaule pour pleurer »

-« En fat j'allais dire… avec Ava ? »

Alex blêmit subitement. Ses paumes semblèrent s'imprégner de la moiteur de l'atmosphère. Il baissa les yeux. Timidement. Comme si quelqu'un s'était emparé de son corps. Soumis à l'incohérence la plus totale.

-« Excusez moi, Alex… ce ne sont pas mes affaires... Je… J'ai une patiente qui arrive aux urgences. Il y a eu un carambolage. Vous voulez m'assister ? »

Alex acquiesça. Il monta rapidement et changea de tenue. Il pénétra dans l'arène exaltante des urgences. Des dizaines de personnes grouillaient dans les artères du service. Des traumas arrivaient et se mêlaient aux petits bobos quotidiens des habitants de Seattle. La nuit promettait d'être longue et jamais les dires de Bailey ne semblèrent plus incontestables qu'à cet instant là. Les heures s'écoulèrent mesure qu'ils épuraient le service. Alex ne sentait plus la fatigue, c'était comme si l'effervescence et la folie de cette nuit avaient déteints sur la frustration et les doutes qui l'envahissaient. Mais le répit était évanescent.

Un couple se présenta aux urgences. Rien de grave, au premier abord. La jeune femme, enceinte de 34 semaines, s'inquiétait de quelques contractions inopportunes. Addison l'installa dans une salle, prescrit quelques examens et rassura les jeunes futurs parents. Alex se chargea des examens. Leur équipe était bien rodée. Une confiance et un respect mutuel s'étaient construits au fur et à mesure de leur collaboration. Bien que le tout soit le plus souvent parsemé de frictions, Alex devait bien admettre qu'il aimait l'escouade du vagin, et plus particulièrement travailler avec Addison. Il pensait même sérieusement à effectuer sa résidence au sein de la neonat. Certes travailler quotidiennement avec Addison ne relevait pas de la sinécure, leurs avis divergeaient et se heurtaient bien souvent, mais il aimait plus que tout apprendre à ses cotés. Bien sur, il ne s'écorcherait jamais les lèvres à l'admettre, et préférait imputer ses succès en obstétrique à la chance, mais il avait un don pour cette spécialité. Un satané don qui le propulsait dans l'univers d'Addison.

En relevant la blouse de la jeune femme afin de procéder à son échographie, Alex nota quelques cicatrices suspectes sur les avants bras et les jambes de sa patiente. Remarquant le regard insistant de jeune résident, celle-ci entama une banale conversation, pensant le distraire de ses préoccupations. Néanmoins, ces blessures étaient trop familières aux yeux d'Alex pour être si vite négligées. Il ordonna des examens complémentaires et demanda des radios. Les résultats tardant à venir, il se chargea lui-même de les obtenir. Les vestiges évidents de fractures confirmèrent le diagnostic d'Alex. Il s'empressa d'avertir sa titulaire. Attablée à la cafétéria, elle tentait en vain de s'accorder une brève pause dans le tumulte de cette nuit sauvage. De rassembler ses pensées, disséminées dans le souvenir des différents événements qui avaient émaillé sa journée.

Quelle idée avait elle eue de s'amouracher d'Alex Karev. S'il y avait bien un candidat à éviter pour alimenter sa vie sentimentale, c'était lui. Sa réputation et ses frasques nourrissaient les bruits de couloirs depuis son arrivée à Seattle. Comment avait-elle pu se laisser prendre naïvement dans cette comédie sentimentale. Après l'épisode Mark, l'amertume aurait du la guider sur un chemin bien plus consensuel. Mais la pomme était trop alléchante. Bien sur. Elle n'avait pas pu s'empêcher d'y goûter. Cette futile fièvre s'était emparée d'elle. Et ce doux baiser, échangé chez Joe, l'avait consumé. Un amour passager ? Bien sur. Vicieuse illusion. Une pomme infectée, un ver qui vous ronge le cœur, le cerveau, le corps, qui vous brûle. Cruelle ironie. Sa vie n'en était que trop imprégnée.

Elle fut tirée de ses songes par un Alex déconfis qui lui apporta les résultats des tests de sa patiente.

« Docteur Montgomery, j'ai les résultats de Jenny Turner. Il y a quelque chose qui cloche. J'ai remarqué de nombreux bleus et des égratignures sur ses bras et ses jambes. J'ai alors demandé des radios et le résultat n'est pas beau à voir »

Addison passa les radios sous le plafonnier de la cafétéria et distingua les mêmes fractures, à peine consolidées, sur le corps de la jeune femme. « Vous lui avez parlé ? »

« Pas encore, mais je pense que nous devrions alerter les services sociaux, ce mec est un danger public. »

« Attendez Karev, ne vous emballez pas, on ne sait rien de cette histoire. Il se peut qu'il y ait une autre explication »

Une lueur noire assombrit les yeux d'Alex. Cruauté bizarre qui se déterrait du passé. « On ne peux pas laisser ça comme ça, il y a le bébé, c'est dangereux pour lui… »

« Je dois d'abord interroger Jenny pour savoir quelle est la source de ses fractures. Je ne peux pas me permettre d'agir à la légère. Votre empressement n'est pas la meilleure des solutions, votre entêtement, pas plus. »

Elle l'invita à l'accompagner dans la chambre de la jeune femme. Addison eut beau user de divers stratagèmes pour encourager la jeune femme à quelques confidences, elle resta terrée dans son mutisme. Alex bouillait, des petites rides se formaient sur son front, trahissant sa fureur. Il ne quittait pas son mari des yeux. Celui-ci, impassible, attendait à l'extérieur de la salle d'examen. Pas un mouvement ne confessait ses accès d'humeur, mais Alex connaissait trop bien ce masque là pour se laisser duper. Il ne pu réprimer un commentaire devant le discours bien formaté de la jeune patiente, qui s'évertuait toujours à disculper son époux. Addison s'interposa. La jeune femme poursuivit sa plaidoirie de plus belle. Les nerfs d'Alex cédèrent et il affirma qu'il ne croyait pas un mot en ses allégations. Surprise par cette réaction qui n'avait rien de commune, surtout pour Alex Karev, Addie n'eut pas d'autre choix que de lui demander de sortir. Il obtempéra, marquant son agacement d'un claquement de porte.

Craignant d'être confronté aux stigmates de son passé, et surtout aux questions d'Addison, Alex s'employa à l'éviter durant les deux heures qui suivirent. Il ne savait pas vraiment où il en était et ne tenait pas à s'aventurer sur le terrain des révélations. Il se résolu à opter pour sa stratégie, la plus efficace : la fuite.

Apres quelques sutures en tout genre, il s'octroya une pause café dans le hall, veillant bien soigneusement à ne pas passer devant la salle ou Addison pratiquait un examen. Mais à peine eut-il le temps de s'avachir sur un banc que son biper sonna. Il jeta son café et ses pensées boueuses pour se rendre en néonat.

Jenny perdait beaucoup de sang. Lorsqu'Alex pénétra dans la chambre où elle avait été installée un heure plus tôt, afin d'être monitorée, il retrouva Addison qui lui annonça qu'ils devaient l'emmener au bloc en urgence. Le bébé courrait un grand risque et il fallait agir au plus vite. Cependant, malgré leurs efforts conjugués et l'acharnement quasi démesuré d'Alex, ils ne purent sauver le nouveau né. Jenny, légèrement sédatée mais consciente, assista, impuissante, au décès de son enfant. L'intervention s'acheva dans ses sanglots déchirants.

Alex quitta le bloc quelque peu prématurément, laissant Addison consoler leur patiente. Tout cela avait éventré des plaies qu'il avait mis longtemps à panser. Et la douleur lui broyait le cœur. Les larmes étaient trop orgueilleuses pour couler, mais la souffrance était trop dure à dissimuler. Il préféra s'isoler quelques minutes.

Lorsqu'il s'échappa de son refuge, il traversa le service de neonat dans l'espoir d'y trouver sa titulaire. Sans toutefois avouer les raisons de son emportement, il lui devait quelques excuses. Il passa devant la chambre de Jenny et y repéra Addison qui tentait de réconforter sa patiente avec quelques paroles apaisantes tandis que l'époux de cette dernière demeurait étrangement stoïque. Alex fut brusquement submergé par la colère et fondit sur l'homme, lui assénant un violent uppercut. Jason Turner vacilla et s'apprêtait à gicler sur Alex lorsqu'Addison s'interposa.

« Non mais Karev, ça va pas bien ?? Sortez de cette chambre immédiatement…. Vous m'entendez ? SOR-TEZ ! »Ses grands yeux azurs étaient emplis d'incompréhension et de stupeur.

Alex obéit non sans fusiller une ultime fois sa victime du regard. Il ne savait pas vraiment comment justifier tout cela. Ce n'était qu'une erreur qui venait grossir la liste des incohérences de la journée. C'était comme si une force obscure avait balayé son impassibilité. Il était animé d'une rage qui le transcendait.

Il regagna une salle de pause, observa les gouttes de pluies qui venaient mourir sur les fenêtres de l'hôpital. Une curieuse tristesse l'envahissait. Il s'assit sur le carrelage froid, se recroquevilla contre un mur. Comme un gamin punit. Qu'importe le ridicule du moment que la quiétude revienne.

Au fond, il ne valait pas mieux. Il s'amusait des gémissements des ses amis, se croyait impénétrable. Foutaises. Chassez le naturel, il revient au galop.

Addison entra rageusement dans la pièce. Stupéfaite par l'attitude d'Alex, elle se radoucit rapidement et vint s'asseoir à coté de lui. Pas trop près, car sa présence à ses cotés brouillait quelque peu ses pensées raisonnées.

-« Je ne vais pas vous dire ce que vous voulez savoir » lâcha Alex.

-« Je ne vous laisse pas le choix…. Le courage n'est pas en option, ici, Karev ». Son ton se durcit légèrement « qu'importe ce dont vous croyez cet homme capable, vous n'êtes pas ici en villégiature, vous ne pouvez pas faire ce qu'il vous plait… vous devriez… »

-« Je ne suis pas désolé » trancha-t-il

-« Karev ! »

-« Je ne vais pas m'excusez d'avoir infligé à ce salopard un millième de ce qu'il doit faire endurer à sa femme… »

-« Vous n'avez aucune idée de ce qu'il se passe entre eux, vous ne savez pas… »

Alex dévissa l'écrou des souvenirs « Vous ne savez pas ce que c'est ! Vous ne connaissez pas le son de la main qui fouette l'épiderme, les cris de douleurs qui émanent de ces actes de barbarie… » Alex retint sa respiration, comme s'il avait pu aspirer les mots qu'il venait de cracher.

Addison comprit que ces mots étaient bien plus qu'une simple référence à sa patiente. Ses yeux se posèrent sur la main rougie d'Alex. Son cerveau avait beau lui crier de fuir, elle posa sa main sur ses phalanges endolories. Il tourna la tête, plongea son regard dans le sien. Une singulière sensation lui parcourut le corps. Les pensées dans lesquelles il pataugeait se dispersèrent. Aucune métaphore n'était suffisamment allégorique pour signifier son bien être. Il se laissa glisser dans cette douce léthargie. La fatigue force l'impudence, Alex laissa ses lèvres cheminer vers les siennes. Elle n'offrit aucune résistance et répondit à son baiser. Elle aurait voulu le repousser, et demeurait persuadée qu'il désirait Ava. Mais le vertige de ses sentiments s'emparait d'elle et elle céda au plaisir.

A ses mains sur les courbes de son corps. A ses baisers enivrés sur son épiderme frissonnante. A la douceur de ses gestes. A la fièvre de ce moment idyllique. Une parenthèse orgasmique qui clôtura cette journée insoutenable.

Alex ouvrit les yeux. Les premières lueurs du jour commençaient à poindre. La pièce était sinistre, comme si ses pensées avaient terni les murs grisâtres de l'hôpital. Addison était confortablement blottie dans ses bras. Il sentait son souffle chaud chatouiller son cou. Vaporeux délice.

Elle s'éveilla, le bourdonnement de la climatisation devenant excessif. Elle scruta rapidement la porte et pria pour qu'elle soit verrouillée.

« Bonjour » murmura-t-elle. Elle ne savait pas vraiment comment une sensation aussi agréable pouvait la mettre aussi mal à l'aise.

« Bonjour » répondit-il en écho.

Un silence écrasant comprima la pièce. L'amour n'est qu'une lame de rasoir glissée avec justesse sur leurs cœurs écorchés.

Addison retrouva les esprits la première « je devrais y aller… » et joint le geste à la parole. Elle s'extirpa du lit. Alex agrippa son bras, l'attirant vers elle. Il approcha dangereusement ses lèvres des siennes.

« Alex, je ne crois pas que… » Protesta-t-elle mollement.

Il l'attira plus près et lui offrit le baiser le plus torride qu'elle n'ait jamais reçu. Ses mains se promenèrent le long de son corps. Ses lèvres sucrées semblaient embrasées. Elle cédait peu à peu à ses caresses quand la raison la rappela à l'ordre.

« Alex, attends… attends… » Balbutiait-elle entre deux baisers. « Alex… » Elle brisa l'étreinte « Tout ça ne mène à rien… Je ne suis pas celle que tu veux… et… et… et je vais partir. »

Alex reprit ses esprits : « Partir ? »

« Seattle n'a plus rien de bon à m'offrir… »

Alex baissa les yeux, elle poursuivit : « Je ne suis pas, et je ne serais jamais Ava… tout ce qu'elle est pour toi. Et j'ai beaucoup trop d'orgueil pour me contenter de ta frustration. Donc je savais que cette nuit ne serait qu'un moment volé… Pardonne moi d'être si dure, mais je ne sais pas si je pourrais à nouveau t'entendre dire ce genre de choses… je préfère… tu sais… anticiper. » Elle s'assit sur le bord du lit, regarda le mur opposé.

« Je ne veux pas Ava. » Il se redressa, posa son index sous le menton d'Addison et l'invita à se retourner vers lui. « Addison » C'était la première fois qu'il n'usait pas de son patronyme pour s'adresser à elle. « tu te trompes… je ne veux pas Ava. Ava n'est qu'un produit initié par mon esprit… et peut être que mon esprit voudrait que je sois avec Ava mais elle n'est pas celle qui m'empêche de respirer… »

«Arrête. Alex tu ne peux pas faire ça » Addison sentit qu'elle devait couper court à la conversation au risque de fondre devant lui. Ses yeux brillaient, les larmes ne tarderaient pas à venir.

« Je ne peux pas faire quoi ? »

« Tu ne peux pas me dire ces choses comme si elles n'avaient aucun poids. Tu ne peux pas une nouvelle fois me rejeter. »

« Je ne peux pas être ce que tu attends »

« Mais comment sais-tu ce que j'attends. Je ne t'ai jamais rien demandé… »

« Rien demandé ? tu as dit… »

« Quoi ? » Son regard le fustigea.

« Je sais que j'ai joué de maladresse. C'est peut être difficile à croire, mais je n'ai jamais voulu te blesser… je voulais juste que tu saches… Je ne veux pas Ava »

« Tout ça ne rime à rien, je n'en peux plus de ce petit jeu… tu viens, tu me dis ces choses qui… ces choses qui me font perdre la raison… puis tu redeviens Alex l'impitoyable qui de la pointe de son sarcasme assassine mes espoirs… »

« Je dois te dire quelque chose… »

Le visage d'Addison se radoucit. « Arrête, Alex, je ne t'ai pas demandé de faire ça. Je ne t'ai rien demandé. Il est trop tard pour tout. Je dois régler plein de choses pour mon départ… tu… si ça peut te rassurer, je ne pars pas à cause de ça… enfin pas uniquement » Elle lui sourit.

Il aurait voulu libérer son cœur. Lui dire. Mais il ne parvenait pas à extraire ces trois mots des carcans de son orgueil. Tout était encore trop englué dans son esprit. Il ne voulait pas qu'elle parte. Il ne voulait pas la laisser s'échapper. Mais avait-il le droit de la retenir ?

Une larme roula sur la joue d'Addison. Alex vint l'essuyer de ses lèvres. Il déposa quelques baisers sur sa joue, sur le bout de son nez, sur ses lèvres. Elle ne le repoussa pas, passa ses bras autour de son cou pour l'attirer à elle. Il ponctuait ses baisers de caresses suaves et enivrantes. Elle lui murmura : « Une dernière fois » avant de laisser ses lèvres mourir sur les siennes. Bercé par la folie, ils se laissèrent aller et croquèrent une dernière fois la saveur érotique de cette pomme interdite.

xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx

Dix jours s'écoulèrent. Alex et Addison reprirent leur collaboration des derniers instants. Pas une allusion, pas un sourire suggestif ou le moindre signe de mal être ne vint s'inscrire dans ces journées saturées. Comme si le nombre de femmes enceintes s'était accru ces derniers jours. Ils avaient passé leurs gardes ensemble, sans que rien ne trahissent leur tristesse. Les sentiments d'Alex restaient irrémédiablement vissés dans son cœur de marbre.

Le jour du départ arriva plus vite que prévu. La pluie frappait toujours l'asphalte de Seattle. Addison salua un à un ses collègues, s'entretint avec Derek, Mark, Richard, promit à Callie de lui donner régulièrement des nouvelles. Pas la moindre trace d'Alex. Elle traversa le service des urgences, croisa Izzie Stevens mais n'osa pas lui demander où se trouvait le jeune homme. Reprends toi, Addison, tu t'attendais à quoi ? Songea-t-elle.

Elle traversa le parking qui clignait sous les stroboscopes des ambulances. Elle regagna sa voiture tandis que les eaux torrentielles arrosaient copieusement son pardessus. Elle déverrouilla la porte de sa Chrysler, y enfourna son sac et s'apprêtait à y pénétrer lorsqu'elle fut alerté par une voix qui criait son prénom.

« Addison ! »

« Karev ? »

Il la rejoint. Sa bouse était d'ores et déjà trempée. Il ruisselait littéralement. « Je… » Il se mordit la lèvre inférieure. « Je voulais te dire au revoir »

La mine d'Addison s'obscurcît « Oui…euh… merci. » Elle aurait voulu le gifler. Une fois encore, ses espoirs tombaient en déconfiture. Elle se retourna et s'apprêta une nouvelle fois à grimper dans son véhicule.

« Vous… tu… tu avais raison. » hasarda-t-il. Elle pivota vers lui. Il fit quelques pas. La pluie glacée semblait s'embraser. « Tu avais raison » souffla-t-il « Tu vas me manquer. Tu vas me manquer sûrement plus que tu ne l'imagines. Plus que je ne le pense moi-même. » Il l'enlaça. Il se foutait qu'on puisse le voir, il se foutait que quelqu'un les surprenne. Addison se lova contre lui. La pluie continuait de les arroser. Qu'importe. Le temps s'était arrêté.

Elle brisa l'étreinte. Il la retint, juste le temps de joindre une dernières fois leurs lèvres dans un ultime baiser. C'était à la fois, fort et subtil. Amer et sucré. Ils échangèrent un regard qui aurait carbonisé un glacier. De ces regards qui en disent plus que de simples mots.

Elle monta dans sa voiture, démarra. Elle quitta rapidement le parking avant que le peu de courage qu'il lui restait ne s'évapore définitivement. Alex resta planté sur le parking, statufié par la tristesse qui le submergeait.

Addison se rendit à l'aéroport, déposa les clefs de sa voiture de location à l'agence et retrouva ses valises qui avait été acheminées par le service voiturier de l'hôtel. Elle procéda à son enregistrement, puis rejoint la salle d'attente. Elle décida de faire un arrêt toilette avant de prendre son vol. Elle se regarda dans le grand miroir des sanitaires, arrangea ses cheveux encore humides, ajusta son chemisier. Une trace de mascara tachetait sa pommette. Elle fouilla les poches de son pardessus dans l'espoir d'y trouver un paquet de mouchoir. Mais y fit une découverte bien plus décontenance. Un petit morceau de papier, légèrement humecté, y avait été glissé. Elle le déplia soigneusement et reconnu l'écriture. L'hôtesse fit un dernier appel pour les voyageurs à destination de Los Angeles. Addison se pressa, pénétra dans l'avion et atteint sa place, le précieux petit papier fermement serré dans sa main. Elle déchiffra les quelques mots griffonnés à la hâte.

Addison. J'aurais voulu t'écrire. T'écrire, jusqu'à ce que les mots ne s'encrent plus. Jusqu'à ce que mes pensées soient taries Je ne suis pas très doué pour ces choses là. Mais le courage me manque pour oser te les dire en face. Et je n'ai pas le droit, de te dire ces choses là. Mais ton absence est une morsure de plus sur mon cœur et je ne voulais pas te laisser croire davantage que tu n'étais pas celle qui dansait mes rêves, celle dont l'absence hantait mes cauchemars, celle dont le parfum était mon essence. Au risque que ce message prenne des allures trop mélodramatiques, je ne pouvais pas te laisser partir sans avouer que je suis tombé sous ton charme dès ton premier battement de cil, et que je t'aime sans avoir jamais voulu me l'avouer. Te l'avouer. Je te souhaite de trouver le bonheur. Tu vas me manquer. En fait, tu me manques déjà. Alex.

Sanguinaire providence. Tandis que le vol 3178 décollait su sol de Seattle, Addison maudissait ses choix, haïssait cette vie qui la bombardait encore et toujours. «Je t'aime aussi » souffla-t-elle.

Pendant ce temps, Alex déambulait dans les couloirs de l'hôpital. Rien, plus rien n'avait la même saveur. Il avait beau décalquer leur parcours si familiers, arpenter les mêmes allées, soigner les mêmes patientes. Tout était là, sauf elle. Et laissait un gouffre immense. Bien au-delà de ce qu'il avait pu penser. Et ne pouvait que ruminer ses errements et la façon dont tout avait été gâché. Il scruta le ciel, pensa à elle.

La pluie redoubla de plus belle. Les beaux jours ne semblaient pas prêts à reconquérir Seattle.