Depuis combien de temps est il ici, fixant de son regard éteint cette sombre silhouette affaissée sur elle-même ? Depuis combien de temps le passage des larmes sur ses joues lui parait si familier qu'il ne le remarque plus ? Quand a-t-il décidé que seul ici la vie peut avoir un sens ? Quand a-t-il compris que ce sens était mort au même moment que la lumière dans ses yeux ? Le temps n'est plus une vérité, ces questions n'en sont plus vraiment. Il est ici depuis une seconde. Il est ici depuis des mois. Il est ici depuis toujours. Est-il seulement véritablement ici ?

La mort ne devrait pas avoir cette consistance brute et sauvage. Elle devrait être douce, un maillon sensible de cette chaîne nommée vie. La mort devrait nous soulever, nous pousser à nous dépasser. C'est grâce à son acceptation que nous avançons toujours. C'est à cause de sa banalisation que nous ne la respectons plus. La mort est la vie. Elle est ce qui donnait un sens à cette lumière qui étincelait dans ses yeux. C'est la mort qui donne un sens à notre vie.

Alors comment son action peut elle m'enlever ce sens ? Comment un simple être peut il dépasse cette notion absolue qui composait tout ce que j'attendais de la vie ? Pourquoi ma vue se trouble en voyant à l'œuvre cette chose aussi inconsistante que l'éclat noir que je vois si souvent briller dans le ciel ? Pourquoi mes sens se perdent en contemplant ce maillon que je vénère ?

Peut être par ce que lorsqu'il voit ce corps écroulé qui semble vidé de toutes ses forces, il revoit toutes ses fois où l'ombre, après s'être penchée sur la forme dénuée de vie, s'était redressée et était partie, laissant derrière elle un souffle hachuré maintenu par l'électricité que l'on avait fait courir dans ses veines. Peut être par ce que tant de fois elle avait renoncée à tendre sa main vers cette vie, laissant un espoir toujours plus mince, toujours plus fous. Toujours plus dévastateur.

La vie ne devrait jamais faire aussi mal. Elle devrait être forte, une chaîne solide reliant tous les maillons entre eux. La vie devrait nous laisser s'appuyer sur elle, nous pousser à la ressentir toujours plus fort. C'est grâce à elle que nous pouvons souffrir et rire toujours plus fort. C'est à cause de sa constance que nous l'oublions. La vie est tout. Elle est cette lumière qui brillait dans ses yeux.

Alors pourquoi empêche t'elle sa compagne éternelle de prendre cette vie souffrante et faisant souffrir autour d'elle ? Pourquoi ne puis-je que rester là en laissant cette pièce, cette farce grotesque, se dérouler devant mes yeux ? Pourquoi une vie gangrénée pour toujours par une maladie qui l'achèvera doit elle endurer ça sans avoir le choix de laisser ou non la mort l'emporter vers ses calmes rivages ? Pourquoi dois-je assister à ça en voyant cette personne, ce fantôme, cette fraction d'esprit torturée, appeler le pendant de la vie de tous ses vœux sans la recevoir ?

L'éclat se rallume encore dans ses yeux toujours plus ternes. La vie n'a jamais fait aussi mal.