La Sentinelle

Éléa Ril' Morienval, de l'avis de tous, avait toujours fait preuve d'une intelligence rare. Couplée à son don pour l'art du Dessin, cela avait fait d'elle une enfant vive et précoce, une étudiante talentueuse, puis une Sentinelle de renommée.

Brillante, belle, d'une curiosité insatiable, elle aurait pu mener Gwendalavir aux portes d'une nouvelle ère prometteuse qui aurait participé à la richesse de l'Empire ; qui, peut-être, aurait permis de faire passer les majorité des villes de pionnières à véritables cités. Les goules, les brûleurs, les territoires sauvages auraient reculé.

Peut-être.

Quelque chose s'était cassé avant que l'idée ne soit seulement possible.

Elle aurait pu entrer dans la légende comme la femme ayant propulsé l'Empire en avant, mais elle y fit figure d'ennemie redoutable et sans pitié.

Bien des gens se sont plus tard penchés sur elle, sa personnalité, son histoire, cherchant à comprendre ce qui l'avait amenée là. Comment une jeune femme prometteuse avait pu basculer si loin dans les ténèbres ?

C'est qu'ils oublient une autre caractéristique essentielle d'Éléa : elle avait beau être intelligente, elle était également d'une sensibilité rare et fragile.

Sa curiosité sur les territoires d'ailleurs, le fonctionnement de l'Imagination n'avaient jamais intéressé ses pairs, qui préféraient se délecter des possibles à portée de leur main, de leur richesse personnelle et de la sécurité de l'Empire. Souvent isolée, elle était tombée éperdument amoureuse du premier qui s'intéressa à elle : Altan Gil' Sayan.

A cette époque coexistaient des figures d'exception : Éléa Ril' Morienval, presque aussi douée qu'Altan Gil' Sayan et que celle qui deviendra Élicia Gil' Sayan ; Edwin Til' Illan, frontalier et guerrier accompli ; et le futur empereur Sil' Afian.

Altan, Edwin et Sil' Afian formaient un trio uni et soudé, bien vite rejoints par Élicia, qui se démarquait également de par sa gentillesse, sa droiture, son esprit vif et son Don, extraordinairement puissant.

Éléa, alors, côtoyait Kurt, quelques autres futures sentinelles et un de ses professeurs, Elis, cherchant de la compagnie auprès de ceux qui l'acceptaient. Sans réellement partager sa curiosité et sa vivacité d'esprit, elle était parvenue à cultiver une aisance certaine pour nouer des liens. Éléa était telle la flamme attirant les papillons égarés, prenant ensuite de l'élan pour les brûler et les attacher à elle.

Malgré tout ce qu'elle a fait, on peut retenir d'elle qu'elle fut la première à établir des relations avec les Alines, les Ts'liches – par deux fois ! – et les cités de l'autre côté de la Mer des Brumes, dont Valingaï. Elle parvint également à nouer des liens avec l'autre monde jusqu'à en contrôler un centre – la fameuse Institution – pourtant censé relever du secret absolu.

Jaugée à sa juste valeur, elle aurait été une pièce maîtresse de l'Empire. Le problème fut son absence totale d'empathie, d'éthique et ses dessins égoïstes et cruels.

En cela, la seule explication que nous avons pu trouver est sa relation avec Altan.

Lui-même doté d'une rare intelligence, s'il ne partageait pas totalement la curiosité d'Éléa, il était capable de la comprendre et de l'écouter avec attention. Peut-être a-t-il été amoureux d'elle également, peut-être pas ; quoi qu'il en soit, Éléa tomba éperdument amoureuse, et ils entamèrent une relation fusionnelle.

Puis vint Élicia.

Entre tous, entre le maître d'armes accompli, le futur Empereur et le talentueux dessinateur, elle choisit le dernier ; peut-être que la connaissance intime des Spires les rapprochait. Altan, alors, prit la pire décision possible. Officiellement en couple avec Élicia, il continua officieusement sa relation avec Elea.

Quand Élicia était douce et calme, Éléa était vive et piquante, passionnée. Altan présentait à tous un couple harmonieux et parfait, quand, dans le secret total, il se glissait dans les bras d'Éléa.

Il eut été facile de blâmer la future Sentinelle, de ne pas avoir alors rompu leur relation de toute façon néfaste. Elle a ses torts, certes, mais entre elle et Altan, elle était la seule à être encore amoureuse.

Éléa avait probablement le cœur brisé de voir l'homme qu'elle aimait tenir la main d'une autre femme quand elle devait s'abstenir de tout geste trop affectueux. Avoir un enfant, d'elle et Altan, aurait peut-être pu lui permettre de sortir de sa dépendance affective, de retrouver un équilibre.

Mais le jour de la naissance de sa fille, Élicia accouchait également, et Altan, sans un remord, se détourna d'Éléa.

Blessée et défaite, reléguée au rang d'objet sans véritable intérêt, elle décida d'accoucher seule, pour que rien ne se mette entre son enfant et elle ; pour que celle nuit n'appartienne à personne d'autre.

Mais tout ne se passa pas comme prévu, bien sûr, et l'enfante fut mort-née.

Quelque chose mourut certainement en Éléa, alors. L'enfant de celui qu'elle aimait, qu'elle avait porté, qu'elle adorait dès les premiers battements de cœur, était mort dans ses bras sans avoir pris ne serait-ce qu'une respiration, quand Ewilan, fille d'Élicia, avait vu le jour sans difficulté et était vivante.

Éléa avait été traité comme si elle était dépourvue de sentiments, bercée de fausses promesses par Altan, et avait vécu l'horreur de voir son enfant mourir sous ses yeux. Il aurait fallu un miracle qu'elle s'en relevât, mais malheureusement elle n'avait été déjà que trop bénie.

Altan fut le grain de sable dans les rouages, et si cela ne pardonne pas ses futurs actes, cela les explique.

Ici finit alors probablement la descente aux enfers d'Éléa. Son intelligence, sa vivacité d'esprit, sa curiosité sans limites ne furent plus qu'exploités dans le but d'asservir tout territoire qui pourrait se présenter à sa vue.

Sa haine, tout particulièrement, se porta sur Ewilan, qui, de part sa simple existence, signifiait à ses yeux qu'elle avait tué son enfant. Une mort pour une vie. Son talent pour convaincre mena à leur perte les Sentinelles les plus avides, un professeur d'exception, les Ts'liches, et manqua de précipiter plus d'une fois Gwendalavir dans une ère de Mort.

Éléa reste ainsi une personnalité d'exception, qui, parce qu'elle n'avait pas aimé la bonne personne, mourut haïe par tous. Que cela nous serve de leçon.

Doum Fil' Battis, Chroniqueur de l'Empire


Note : Cela fait un bon moment que je n'ai pas lu les Ewilan, je ne me suis remis que depuis peu. Tout ceci est donc essentiellement basé sur mes souvenirs, et il est possible qu'il y ait des erreurs. Je trouvais néanmoins le personnage d'Eléa trop intéressant pour ne pas tenter quelque chose dessus, et j'espère que cela vous aura plu.