Première nuit : First meeting.

Par une glaciale veillée d'hiver, sur les pavés gelés d'une grande place, un vieux cirque miteux venait de prendre possession des lieux.

Partout assistants et monstres de foire couraient à droite à gauche sous la tutelle de redoutables hurlements à vous en vriller les tympans d'un chef de la troupe colérique.

Au milieu de tout ça un petit garçon aux cheveux bruns et emmêlé portait tant bien que mal un sceau trop grand et trop lourd pour ses bras frêles. Il plissa les yeux, concentré, s'il en faisait tombé ne serait-ce qu'une goutte de son contenu, il serait assuré de subir une des terribles punitions de Cosimo.

« Toi ! Pose-moi ça là-bas tout de suite ! Brailla le chef de troupe en postillonnant de tous les côtés à travers le bazar ambiant. »

Sans protester le garçon s'exécuta, s'il voulait manger ce soir il avait tout intérêt à ne pas broncher. A peine le sceau avait-il touché le sol que Cosimo lui criait de nouveau après, le déchargement du matériel de scène manquait de bras.

Toujours sans un mot le garçonnet accomplit la tâche qui venait de lui être confiée et il fallu encore deux bonnes heures à la troupe pour tout installer.

Lessivé, Red attendait patiemment que le repas fusse prêt, il posa les mains sur son ventre comme s'il cherchait à en dissimuler les plaintes insistantes qui lui attiraient les rires des autres. Les sourcils froncés, il se garda bien de manifester un quelconque agacement devant leurs moqueries, cela ne lui aurait attiré que des ennuis.

Une fois son repas englouti – pain rance accompagné d'un vieux bout de fromage et d'une mixture innommable – Red se leva et, sous le regard mauvais des autre artistes, partit se promener. Ça au moins il en avait le droit même s'il n'avait pas intérêt à rentrer trop tard.

Le crépuscule, c'était l'un des rares moments que Red appréciait vraiment pour faire ses balades. Les enfants des villageois étaient rentrés chez eux et il n'y avait plus grand monde dans les rues. Le cadre idéal pour passer inaperçu.

Red tira inconsciemment sur la manche de sa chemise, à partir de demain il ne pourrait plus savourer ces quelques instants de paix. Les premières représentations devaient être par-faites, Cosimo avait bien insisté sur ce mot. Mais Red savait pertinemment qu'il s'agissait là plus de l'appât du gain qu'un réel souci artistique. Seulement si les spectacles rapportaient, la troupe, elle, ne voyait jamais la couleur de cet argent et on pouvait être certain qu'il n'était pas investit dans le cirque. Mais ça, même si tout le monde le savait, tous craignaient trop Cosimo pour oser se rebeller contre lui ou ne serait-ce qu'évoquer le sujet en sa présence.

On pouvait y perdre bien plus qu'un emploi.

Le petit garçon frissonna dans la nuit et leva ses yeux d'un gris limpide vers les étoiles masquées ici et là par quelques nuages. Il n'aimait pas le cirque, il ne supportait pas de devoir baisser la tête à chaque brimade ni de s'incliner devant leurs talents mais s'il y avait une chose que Red haïssait plus que tout c'était bel et bien Cosimo.

Cosimo et ses coups, Cosimo et ses insultes, Cosimo et ses punitions injustes, Cosimo, Cosimo, Cosimo

Sa simple vision suffisait à faire rentrer Red dans une sombre rage, une de ses haines dangereuses, dissimulées, cachées derrière un sourire, dans un reflet mauvais au fond des yeux ou même dans un geste en apparence banal.

Red lança un coup de pied rageur dans un caillou et morigéna à voix basse, il allait bientôt devoir rentrer. Adieu la tranquillité des rues désertées.

Le petit garçon brun revint sur ses pas en trainant les pieds. Que n'aurait-il pas donné pour quitter ce cirque immonde ?

Pour autant qu'il s'en souvienne Red y avait toujours vécus depuis une certaine nuit. Il fronça les sourcils, il n'en gardait pas un souvenir précis, juste du rouge, de la peur puis le blanc, le noir et le froid.

Il frissonna, il ne tenait pas particulièrement à s'en rappeler mais cela n'apaisait en rien ses interrogation : Qui étaient ses parents ? Où étaient-ils ? Leur ressemblait-il ?

Machinalement Red porta sa main droite à son bras gauche et remonta légèrement la manche dévoilant la main rouge sang dans laquelle était fichée une croix verte qui luisait faiblement. Son bras, sa peur, sa honte…

Il le haïssait.

Parce qu'il était plus que probable qu'il ait été abandonné à cause de ça.

Parce que c'était ça qui lui avait valu de finir dans ce cirque miteux.

Et parce que son infirmité ne l'aidait pas non plus.

Red tenta de plier les doigts mais ce ne fut qu'un bref sursaut qui parcourut sa main. Il rabaissa la manche de sa chemise déchirée par endroits et revint au milieu des tentes la tête rentrée dans les épaules, maussade.

Demain il devrait jouer la bête de foire.

La nouvelle que le cirque possédait un monstre au bras rouge ferait vite le tour du village. Les gens, avec leur curiosité imbécile et mal placée, s'y précipiteraient et Red ne tarderait pas à essuyer les railleries des autres enfants.

Le temps passant Red avait cessait de répondre à leur moqueries, c'était inutile et ça les confortait dans leur idées. Se battre aussi était inutile, ils étaient souvent plus grand et plus fort que lui, mieux nourris aussi, et aussi agile qu'il fut il ne pouvait leur échapper bien longtemps.

Il se coucha sur le tas de paille qui lui servait de lit et ferma les yeux : Oui demain il pouvait dire adieu à la tranquillité.

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Le lendemain Red fut réveillé assez brutalement par un remue-ménage inhabituel. Grognant doucement, l'enfant se frotta les yeux et promena son regard autour de lui, un peu perdu. Pourquoi tant de bruit si tôt ?

Le petit garçon se redressa sur sa paillasse, il n'était pas le seul à avoir été tiré de son sommeil et la tente des animaux sous laquelle il dormait était à présent remplie d'habitants fébriles et attentifs.

Mal à l'aise il se leva, rattacha ses fins cheveux bruns sales et emmêlés avant de sortir. L'excitation ambiante devait avoir quelque de chose de contagieux parce que Red sentit une curiosité brûlante croitre en lui. Un peu comme s'il avait attendu ça. Balloté par les adultes, Red se fraya difficilement un chemin jusqu'à la cause de tout cela. Un nouvel arrivage sans doute…

Il parvint finalement à s'y faufiler et arriva juste à temps pour voir Cosimo introduire le nouveau membre qui serait surement encore moins bien payé que les autres. L'homme se disait clown et était accompagné par un chien au pelage blanc et marron. D'âge mur, il était grand, brun et possédait d'intriguant yeux gris qui semblaient toujours triste. Son regard mélancolique parcourut la foule et il se força à sourire avant de pencher son regard vers Red. Il inclina légèrement la tête sur la gauche et fronça imperceptiblement les sourcils.

Red lui adressa un regard de défit et fit volte-face. Non mais pour qui se prenait-il celui-là à jouer les condescendants ?

Le petit garçon exécuta ses tâches journalière l'estomac vide, le matin il n'y avait pas de petit déjeuner. Et ce fut en chancelant qu'il alla chercher son repas de midi, d'horribles vertiges l'avaient tenaillés toute la matinée et ils lui avaient valu de nombreuses réprimandes.

Il s'apprêtait à prendre sa première bouchée lorsque Cosimo fit brusquement interruption et se planta en face de lui. Il lui arracha la nourriture des mains et la jeta à terre en hurlant.

« On mange bien hum ? Tu n'aurais pas oublié d'aller apporter son propre repas à notre nouveau clown ! Files-y en vitesse gamin ! Et gare à toi si j'apprends que tu y as touché ! »

Red se releva en serrant les dents, il ne mangerait donc pas avant le soir. Il prit la nourriture et partit trouver le nouvel arrivant.

Il rentra sans un mot dans la tente colorée et déposa son maigre chargement. L'homme, qui était présent, leva la tête vers l'enfant mais ne dit rien mais Red eut le temps de déceler un éclat de pitié aux fond de ses yeux gris et terne.

Red quitta les lieux comme il était venu, si ce n'est un peu plus énervé, et il partit s'allonger en attendant « que le spectacle commence ». Mais son ventre n'était pas du même avis et il lui faisait tellement mal que le petit garçon devait se retenir pour ne pas gémir.

L'après-midi promettait d'être long.

Quand le soir fut enfin là Red se traina jusqu'au chapiteau dressé la veille. Il représentait le clou du spectacle, l'enfant au bras difforme, celui sur lequel le public allait pouvoir crier.

On lui mit des chaînes aux bras et aux pieds puis quelqu'un cria que c'était son tour et Red s'avança vers le rideau comme dans un rêve. Derrière il pouvait déjà entendre le présentateur demander le silence pour ce qui allait suivre.

« Et maintenant mesdames et messieurs il ne faut pas crier, ça pourrait l'énerver ! Approches Red Arm ! »

Red Arm... Le garçon au bras rouge. C'était comme ça qu'ils l'appelaient, il n'avait pas de nom il était une chose avec un membre horrible et difforme qui ne valait pas mieux que les animaux enfermés derrière lui.

Le petit garçon s'avança lentement, du coin de l'œil il reconnut le clown. Ce dernier le regardait aussi, impassible. Mais avec l'épaisse couche de maquillage qu'il avait sur le visage il était dur d'y déchiffrer quoi que ce soit. Son chien était là également, à côté du pan de tissus qui masquait la troupe à la foule.

Quand Red passa à côté de lui, le chien lui lécha affectueusement la main, le garçonnet eut l'air surpris puis un petit sourire vint éclairer son visage.

Mais son attention revint bien vite vers rideau et la peur compressa son petit cœur avec force, il savait ce qui l'attendait…

Ainsi donc c'était à ça qu'il servait… Pauvre gamin, il avait l'air terrifié.

Le clown jeta un autre coup d'œil au garçon juste avant qu'il ne traverse le rideau.

Il plissa les yeux et fronça les sourcils peints en blanc, il n'aimait pas cette sensation. Dés qu'il avait aperçut ce gamin il l'avait sentie.

Même pas dix ans et il avait déjà un fragment de cristal divin implanté dans le bras… parasitaire qui plus est !

Son regard gris se teinta de tristesse quand il entendit les cris de l'enfant parasite et les applaudissements du public. Son aversion ne l'empêchait pas d'éprouver de la pitié pour lui.

Cette chose ne ferait que le tuer si elle continuait de s'agripper à lui comme ça. Le gamin était déjà mal nourri et battu, si l'Innocence continuait de pomper son énergie il ne lui donnait plus longtemps à vivre. Il aurait été préférable pour lui de mourir tout simplement.

Mais le clown était surpris par la résistance du parasite

Son froncement de sourcil s'accentua : quelque chose clochait chez ce gamin. Il avait un autre pressentiment, une sensation plus étrange et terriblement familière pour lui… l'aura de l'Innocence l'atténuait sans l'effacer complètement.

Son expression masquée par le maquillage se durcie. Il allait devoir surveiller ce parasite

Le clown fut brutalement ramené à la réalité par des jurons fleuris proféré par un acrobate et une grande exclamation indignée dans le public.

« Merde ! Le môme s'est évanoui ! »

Quelques instants plus tard le rideau s'écarta sur un présentateur énervé qui trainait le corps inerte du petit garçon. Cosimo s'avança à grands pas rageurs et cracha sur le parasite.

« Balancez-moi ça quelque part ! Tonna-t-il avant d'ajouter plus bas. Il ne pait rien pour attendre ce petit salaud… Toi, le clown ! C'est ton tour ! Vas-y qu'on voit s'que tu vaux ! »

Le clown se leva, entra sur scène et offrit un large sourire forcé au public. Après tout, tout cela n'était qu'une vaste comédie.

Red fut douloureusement tiré de la torpeur brumeuse dans laquelle il était plongé. On chercha à le faire tenir sur ses jambes mais il s'effondra. Son corps était courbatu et l'idée de se replonger dans le sommeil était tentante… trop tentante. Il referma les yeux, il voulait juste dormir… juste un peu plus…

« Tu risques de ne pas te réveiller si tu te rendors. »

Mais malgré ses faibles protestations, une main s'acharnait à le remettre systématiquement debout. Brusquement elle changea de méthode et le garçon se plia en deux, sa main droite sur son ventre et la gauche pendant inutilement sur le côté. Il lui sembla qu'il poussait une plainte misérable et il tomba à nouveau, le regard vitreux.

Un nouveau coup vint heurter son petit gabarie et il se roula en boule en geignant, essayant vainement de se protéger. Pourquoi ne le laissait-on pas ?

Il entendait quelqu'un hurler mais cela semblait si lointain… les sons autour de lui se mélangeaient horriblement. Il ne comprenait pas ce que la voix disait et fronça les sourcils : la voix ne lui voulait pas du bien, l'entendre lui faisait du mal !

Douleur

Une autre voix se joint à la première, puis une troisième et une quatrième… puis toute une cacophonie s'y ajouta et Red se mit à crier. Ces sons le faisaient souffrir atrocement !

Haine

Colère

Ces vois allaient le tuer ! Elles lui martelaient le crâne à tel point qu'il avait l'impression que sa tête allait exploser !

Les coups ajoutèrent à sa douleur et ils ne tardèrent pas à pleuvoir sur lui. Sa vison se brouilla et Red sentit quelque chose d'humide glisser sur ses joues sales, il pleurait ?

Un poing s'abattit sur son bras gauche déjà fragile, Red se contorsionna mais son cri resta coinçé dans sa gorge. Son champ de vision s'obscurcit de tâches rouges.

Il voulait juste que ça s'arrête, que tout s'arrête…

Soudain les coups cessèrent et un nouveau son vint apaiser les autres.

Pitié

La douleur dans sa tête décrue en même temps que la cacophonie.

Regret

Curiosité

Les spasmes qui agitaient Red se calmèrent et le garçonnet retomba bientôt dans l'inconscience.