Les personnages de CM ne m'appartiennent pas. Malheureusement XD

Cette fic suit le canon. J'ai utilisé les épisodes 1x8, 2x19, 5x1, 8x23 et 24 et grosso modo tous les épisodes centrés sur Hotch. Le début de l'histoire a lieu 2 semaines après l'épisode 8x24. L'histoire a été écrite avant le début de la saison 9.

J'espère que l'histoire vous plaira !


Un homme si convenable

Les monstres véritables ne ressemblent pas à des monstres – Phillip M. Margolin

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En ce mercredi après midi, le parc était bondé. Sur le banc, des adultes surveillaient les enfants qui jouaient. Un petit groupe de jeunes garçons s'envoyaient un ballon en plastique coloré en chantant des chansons.

« C'est votre fils ? »

L'homme avait esquissé un vague geste de la main pour désigner un garçonnet qui gambadait à quelques mètres de là. Son visage présentait encore les rondeurs de l'enfance et il tournait fréquemment ses grands yeux brillants vers sa mère, comme pour s'assurer qu'elle était toujours là.

La jeune femme acquiesça.

« Quel âge a-t-il ? continua l'homme.

— Huit ans. Vous avez un enfant ? »

Il resta silencieux. Avec son visage ridé et ses yeux tristes, elle pensa avoir touché un point sensible. La jeune mère s'apprêta à s'excuser quand l'homme reprit la parole.

« J'ai un fils du même âge que le vôtre, avoua-t-il. Je ne l'ai pas vu depuis un mois.

— Il vit avec sa mère ?

— Non, il est à l'hôpital, dans le coma. Je n'arrive pas à aller le voir. Si j'y vais et que je le vois dans ce lit, ça deviendra vraiment vrai.

— Je suis désolée. »

L'homme haussa les épaules dans un geste fataliste. Ses yeux ne quittaient pas la frêle silhouette du jeune garçon. Un léger sourire éclaira quelque peu son visage terne. Avec le bout des doigts, presque délicatement, il caressa sa barbe naissante.

« Il ressemble à mon fils. »

Le lendemain, la jeune mère et son fils furent retrouvés morts.

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En dépit de l'heure matinale, Garcia était déjà dans les locaux du FBI, penchée sur un dossier qu'on venait de lui envoyer.

Les éléments relevés étaient maigres : les agents locaux ne savaient presque rien du tueur. Néanmoins, compte tenu de la violence des crimes et des victimes, ils n'avaient pas pris de risque et avaient fait appel aux profileurs, craignant que ça ne recommence.

Garcia avait plus de dix dossiers en attente sur son bureau et chacune des polices responsables quémandait leur aide. Il lui fallut longtemps pour tous les éplucher. Enfin, elle arriva au plus récent et resta longuement dessus. La violence des crimes la fit déglutir difficilement. Elle hésita à retourner les photos pour découvrir l'ampleur des dégâts. Elle n'avait vraiment pas envie de les voir. A chaque fois, les dossiers lui donnaient envie de vomir. Celui là encore plus que les autres.

Finalement, Garcia décida de prendre en charge ce dossier en priorité. Tour à tour, elle téléphona à chacun des membres de l'équipe pour les faire rappliquer au bureau.

Quasiment tous arrivèrent avec leur gobelet de café, indispensable pour être réveillé à cette heure matinale. Morgan fut le premier à passer la porte de la salle de réunion. Il salua chaudement sa grande amie. Hotch et Blake arrivèrent quasiment au même moment, bons derniers, alors que Garcia remettait de l'ordre dans les papiers éparpillés sur la table de conférence.

« Je ne suis pas certaine qu'il s'agisse d'un tueur en série, commença la jeune femme, mais compte tenu de la violence des meurtres et des victimes, je n'ai pas pris le risque. Il y a une semaine, Veronica Fench a disparu avec son fils de huit ans à New York. Les deux corps ont été découverts trois jours plus tard. La mère comme l'enfant ont été battus à mort.

— C'est horrible ! s'exclama J.J en découvrant les photographies des corps.

— Qui peut battre un enfant comme ça ? murmura Rossi en contemplant avec consternation toutes les marques sur les cadavres.

— La mère a été battue avec un objet, probablement une barre de fer, d'après les légistes, poursuivit Garcia. L'enfant, par contre, l'a été à mains nues. Son calvaire a duré des heures.

— Ce doit être un homme entrainé qui a l'habitude de la violence, considéra Hotch en passant aux autres photos. Fort mais pas assez pour espérer maîtriser rapidement une femme aussi grande et sportive que l'était la victime. Tu as bien fait de prendre cette affaire. Est-ce qu'une personne a pu apercevoir l'agresseur ?

— Non, aucun témoin. La dernière fois que Veronica et Oliver Fench ont été vus, c'était dans un parc de jeu un mercredi après midi. Une de ses amies a confirmé que les victimes étaient présentes : leurs enfants allaient dans la même classe.

— Et le mari ? souleva Blake.

— Le mari est commercial. Il était en déplacement au moment de l'enlèvement. Son alibi a été vérifié.

— Des indices sur un crime sexuel ?

— Aucun. Tout ce que le médecin légiste a décelé était les nombreuses traces de coups. Ni la mère ni le gamin n'ont été abusés. »

Alors qu'ils rassemblaient leurs affaires pour partir, le téléphone de Garcia sonna.

« C'était la police de New York, annonça-t-elle sombrement. Jacob Hill, huit ans, a été retrouvé battu à mort il y a une heure. Son père, Dan Hill, a été tué d'une balle dans la tête, à priori hier. Les deux corps ont été abandonnés dans un parc fréquenté. La police essaye de savoir si les garçons ont des points communs, mis à part leur âge et leur sexe. Ils nous demandent de venir le plus vite possible.

— Et la mère ?

— Les parents étaient séparés, le petit passait la semaine avec son père.

— Tueur en série, donc, conclu sombrement Hotch. Deux meurtres par semaine, il recommencera bientôt.

— La seule constante est l'enfant, analysa Rossi. Le tueur ne s'intéresse pas au père mais à un garçon de huit ans, éventuellement à la mère. Un substitut à son propre fils ?

— Ou alors le garçon qu'il tue est un substitut de lui-même : le tueur a peut-être eu un parent violent et se venge, proposa Morgan.

— Dans une demi-heure au jet » trancha Hotch.

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Lorsque le jet atterrit à l'aéroport, la police de New York était d'ores et déjà présente en train de faire les cent pas. Ils attendaient beaucoup des profileurs. Quelques officiers minoritaires, néanmoins, grinçaient des dents, peu ravis d'inviter les fédéraux sur leurs territoires.

Pour ne rien arranger, les journalistes avaient eu vent des deux affaires. Ils avaient sorti les micros et les caméras et campaient devant le commissariat. Il ne leur faudrait pas longtemps avant de savoir que les agents de l'unité des sciences du comportement arrivaient.

Rapidement, Hotch présenta son équipe au responsable de la police locale, Lawrence Barnes, et ils s'engouffrèrent tous dans les SUV. Dans le commissariat, une grande salle de réunion avait été libérée pour leur permettre de travailler à l'aise. Les profileurs s'installèrent autour de la large table avec les policiers qui s'occupaient de l'affaire depuis le début. Ils manquaient d'indices sur le cas et avaient désespérément besoin de retracer le fil des événements.

« Nous n'avons pas grand-chose, avoua l'un d'eux. Le domicile du père était à l'opposé du domicile des premières victimes : il habitait en banlieue tandis que les Fench habitaient dans le centre ville. Du reste, les lieux où nous avons trouvé les corps ne sont pas fréquentés par les mêmes personnes. Si les deux enfants n'avaient pas eu huit ans, nous n'aurions jamais fait le lien.

— Aucun témoin, bien sûr ! ragea un autre policier, la mine sombre.

— Comme le mari n'avait pas la garde, il profitait de la venue de son garçon pour faire de nombreuses sorties, compléta l'agent Barnes. Ils sont allés au cinéma, dans un parc aquatique, à la fête foraine et dans des centres commerciaux. Il est impossible de savoir où le tueur les a abordés.

— Il faut établir une liste de personnes ayant déjà eu des antécédents de violence, annonça Hotch.

— Pourquoi ? intervint une nouvelle recrue en fronçant les sourcils.

— Un tel degré de violence n'apparait pas du jour au lendemain, l'escalade est progressive, expliqua doctement Reid. En ce qui concerne notre suspect, il est quasiment certain qu'il ait déjà été impliqué dans des violences physiques graves. Ses victimes précédentes ont sans doute été hospitalisées.

— Mais pas forcément pour une agression, nuança l'agent Blake. Notre tueur est habile, il a probablement donné une autre explication.

— Ma beauté, tu peux me trouver les noms de toutes les personnes qui ont conduites des enfants de cette tranche d'âge à l'hôpital pour des blessures suspectes ? interrogea Morgan en se tournant vers la webcam de l'ordinateur.

— Je peux, mon grand garçon ! Ça va prendre quelques minutes. »

Quelques coups d'œil surpris furent jetés par les policiers à l'analyste du FBI. Ce jour là, l'informaticienne arborait une tignasse rousse et une robe à froufrous fluo. Avec son rouge à lèvre orange, son sourire malicieux et ses yeux pétillants, elle détonnait dans le paysage, entre les costumes et les tee-shirts gris.

« J'ai une liste de près de huit cent nom ! C'est fou le nombre de personnes qui frappent leurs gosses. Près de deux cents sont incarcérées pour maltraitance ou tentatives d'assassinats. Les autres ont des enquêtes mais rien d'autre. C'est une honte !

— Garcia, garde uniquement les violences contre un garçon de moins de huit ans.

— Fait, il en reste encore une centaine ! Je dois me concentrer sur les enfants de précisément huit ans ?

— Non, ce serait trop restrictif, jugea Rossi. Tu t'étonnes du nombre de dossiers recensé mais la vérité est encore pire : de nombreux parents abusifs ne sont jamais soupçonnés car ils présentent patte blanche à la société et les enfants ne parlent pas. Ce sont des psychopathes manipulateurs à l'intérieur même du foyer.

— En outre, il est possible que le tueur soit un père abusif mais également qu'il ait subi un tel père, ajouta Reid. Dans ce cas, il faut rajouter à la liste des suspects la liste des victimes de maltraitances.

— On n'est pas sortis de l'auberge ! » enragea Barnes.

Pour tenter d'obtenir de nouvelles informations, l'équipe se sépara. Hotch et Rossi allèrent dans le parc où les premières victimes avaient été trouvées, tandis que Reid et Blake allaient voir les domiciles des Fench et de Hill dans l'espoir de comprendre pourquoi le tueur avait jeté son dévolu sur eux. J.J et Morgan, eux, allèrent inspecter la dernière scène de crime.

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Dans la maison des Fench, tout était en ordre. Décorée avec bon goût, il s'agissait visiblement d'une habitation familiale axée autour d'un salon qui croulait sous les bibelots. De nombreuses photographies ornaient les murs. La plupart d'entre elles montraient la jeune victime, Oliver Fench, et sa petite sœur. Blake s'arrêta quelques instants devant elles, plongée dans l'observation silencieuse des larges sourires et des yeux rieurs des enfants.

Monté à l'étage, Reid inspecta les chambres. Là aussi, toute la maison tournait autour des enfants. Les nombreux jouets s'entassaient dans des coffres et des armoires récentes tandis que, dans le placard de la chambre parentale, plusieurs étagères manquaient.

« C'était une famille modèle, conclu Reid, un peu déçu de ne pas avoir découvert d'éléments intéressant.

— Était-ce ça le déclencheur, une famille comme le tueur en voulait ?

— Il faudrait comparer avec l'autre. »

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A cause des bouchons, il fallut un certain temps au duo pour se retrouver devant la maison de Dan Hill, à plusieurs dizaines de kilomètres de la maison des Fench. L'ensemble de la zone avait été interdite au public. Malgré ça, contre le muret qui délimitait la rue du jardin, des dizaines de peluches et de mots témoignaient de la sympathie des voisins devant ce crime atroce. Les couleurs joyeuses des plantes tranchait avec le caractère abominable des meurtres et tentait d'apporter un peu de baume au cœur des habitants. Ils n'avaient d'ailleurs pas oubliés la mère de Jacob Hill qui se retrouvait soudainement à enterrer son ex mari et son fils.

Dans le salon de Dan Hill, les murs croulaient littéralement sous les photos de son fils. Toute sa petite vie était étalée à la vue des invités. Au visage rond et chauve du bébé succédait un garçonnet joyeux sur sa bicyclette ou en pique-nique avec ses parents. Si ceux-ci s'étaient séparés, le garçon n'en avait pas trop souffert.

Reid fouilla dans les papiers du père décédé. Il trouva de nombreux reçus de carte bancaire ainsi que des factures. Avec Blake, ils parvinrent à reconstituer l'emploi du temps du père. Il croisa les informations obtenues avec celles que le mari de Veronica Fench leur avait données. En dépit de tous ses efforts, il ne trouva aucun point commun qui aurait pu leur apprendre où le tueur approchait ses victimes. Il espéra que Hotch et Rossi auraient plus de chance.

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Ce fut le cas. Les corps des premières victimes avaient été abandonnés dans un parc de la ville, un endroit semblable à celui où les victimes avaient été vues pour la dernière fois. Des jeux pour les enfants trônaient à côté d'un gigantesque bac à sable. De l'autre côté, une longue pelouse avait été aménagée en terrain de football. Elle était longée de larges chemins de terre et de gravillons. Un peu à l'écart, la police avait condamné le lieu où avaient été abandonnés les corps de Veronica et Oliver Fench.

Dès que les agents arrivèrent, les regards des familles se tournèrent vers eux. Avec son costume et sa cravate, Hotch dénotait singulièrement dans cet espace de détente et il n'était pas compliqué de conclure qu'ils étaient les agents chargés de l'enquête. Rossi haussa les épaules. Ce n'était pas demain la veille que son ami changerait ses habitudes.

Avec la forte affluence des passants, les agents conclurent que le tueur connaissait les lieux. Pire, il savait se rendre suffisamment invisible pour que personne ne le remarque alors qu'il déposait sur le sol deux cadavres.

« Le tueur n'en est pas à son coup d'essai, estima Rossi après que Hotch a raccroché. Nous savons qu'il devait déjà être violent avant ces meurtres. De deux choses l'une : ou bien il est lui-même l'enfant battu, ou bien il battait son fils. Dans les deux cas, qu'en est-il de la mère ?

— Il a tué le père d'une balle dans la tête, poursuivit Hotch en comprenant le raisonnement de son collègue, mais pas la mère. Au contraire, il l'a battue. L'enfant est sa priorité mais la mère a une importance. Elle a un rôle dans le mode opératoire. Peut-être que la mère a quitté le père abusif avec leur fils lorsque le garçon a eu huit ans ? Ce pourrait être le déclencheur. »

Une fois Garcia mise au courant, elle entama une recherche. Ses doigts couraient sur son clavier, sous le regard béat d'admiration de Kévin. Comme elle avait déjà entamé une recherche, elle se contenta de la préciser pour gagner du temps. Malgré tout, son logiciel tourna un certain temps avant de donner une liste de noms. Elle grimaça en voyant la longueur.

« J'ai une quarantaine d'hommes qui ont frappé leurs femmes et leur garçon jusqu'à ce que l'un ou l'autre soit dans un état grave à l'hôpital. Si j'étends à toutes les blessures suspectes, le nombre monte à une soixantaine. Rien que sur New York et sa banlieue !

— D'accord, merci Garcia. »

Hotch ravala sa déception. Il avait espéré voir la liste se réduire à une dizaine de suspects. Machinalement, il remit son téléphone dans la poche de son pantalon. Il détestait cette affaire avant même de jeter un coup d'œil à la liste de noms de Garcia.

La foule se pressait toujours autant derrière les cordons de sécurité. Beaucoup des spectateurs observaient la scène avec une curiosité macabre. Certains d'entre eux prenaient des photos. D'autres étaient des pères ou des mères de familles qui, à voir leurs yeux emplis d'inquiétude, avaient des enfants, probablement de la même tranche d'âge que les deux jeunes victimes.

Avant de se montrer trop pressant, Rossi fit signe à un policier de prendre des photos de la foule. Il espérait que le tueur se trouve parmi elle.

Hotch, quant à lui, étudiait encore le parc. Lorsqu'il leva les yeux, il découvrit une caméra de surveillance. Fixée sur un arbre, elle enregistrait toutes les allées et venues. Les policiers l'avaient oubliée : elle avait souffert de dégradations et n'avait été remise en fonction qu'une dizaine de jours avant les meurtres.

Garcia s'empressa de récupérer les images. Ses premières conclusions n'allaient pas les aider : leur suspect tournait constamment le dos à la caméra. A peine pourrait-elle obtenir sa taille et son poids. Elle s'entêta, étudiant les moindres reflets. En vain.

Rossi, lui, s'attardait sur la route qui passait dans le parc. Il l'avait déjà parcourue sur quelques mètres, attentif aux moindres détails.

« Les voitures de particuliers sont interdites ici, annonça le profiler en revenant auprès de son collègue. Pour arriver jusque là, il faut être handicapé, salarié de la ville, policier ou ambulancier.

— Il connait bien la ville. Ce n'était probablement pas la première fois qu'il venait au parc.

— Garcia va avoir du travail s'il faut éplucher toutes les vidéos aux alentours !

— Nous allons tous en avoir…Quatre meurtres et nous n'avons pas la moindre piste sérieuse ! »

Hotch avait raison. Le tueur était méticuleux : il laissait peu d'indices matériels derrière lui. Ils n'avaient pas non plus de témoins. Bien que les lignes téléphoniques sonnent sans relâche, les appels à témoins ne donnaient rien de probant. Au contraire, quatre policiers étaient monopolisés au téléphone.

A l'idée qu'un garçonnet de huit ans –le même âge que Jack !– soit frappé à mort sans qu'il ne puisse rien y faire, la mâchoire d'Hotch se crispa. Il s'isola quelques minutes pour reprendre la maîtrise de ses nerfs. Les photographies des autopsies le hantaient encore. Elles avaient remuées en lui des souvenirs profondément enfouis.

La sonnerie de son téléphone le ramena à la réalité. Garcia.

« J'ai trouvé tout ce que je pouvais, avoua Garcia avec réticence après de nombreuses heures passées à étudier la vidéo, mais cette enflure ne se tourne pas une seule fois vers la caméra !

— Tu as quand même réussi à en tirer quelque chose ?

— Le tueur est un homme, de race blanche, approximativement un mètre quatre-vingt-dix. Il conduit un van blanc, tout ce qu'il y a de plus banal ! Je n'ai pas pu voir les plaques. J'ai vu les vidéos du quartier et ce type de véhicule est habituel : à cette heure matinale, les commerces se font livrer. Impossible de retrouver la nôtre.

— Est-ce que tu as pu voir s'il avait une vignette de personne handicapée ?

— Je regarde ça tout de suite, marmonna l'analyste en se concentrant sur les vidéos. Oui, il y en a une. Je n'arrive pas à voir le détail. Si j'agrandis, ça devient flou.

— Est-ce que tu peux croiser cette information avec les listes de personnes auteures ou victimes de maltraitance ?

— Je vais voir ça.

— Merci Garcia. »

En son for intérieur, Hotch pria pour qu'ils aient de la chance et que le tueur ait déjà été signalé. Il n'y croyait pas vraiment. Après quelques minutes, son téléphone sonna à nouveau.

« Je n'ai rien ! s'exclama une Garcia dépitée. Un seul auteur de maltraitance est handicapé mental mais il est enfermé dans un hôpital psychiatrique depuis de nombreuses années. Il y est encore, j'ai vérifié.

— Et un parent proche ? N'oublie pas d'inclure les femmes victimes de maltraitance.

— La recherche est en cours mais ça va prendre un bail !

— Appelle-moi dès que tu as du nouveau. »

Hotch raccrocha au nez de Garcia, la coupant dans ses plaisanteries douteuses.

« Notre homme est intelligent, manipulateur, analysa Rossi. Je le vois mal battre à mort sa famille et se faire prendre.

— Je suis d'accord, concéda Hotch de mauvaise grâce. Nous n'obtiendrons rien en partant de la victimologie. Le seul moyen de trouver le tueur est de savoir pourquoi il tue ces victimes. Il faut se concentrer sur l'âge du garçon. Huit ans…ce n'est pas anodin. Quelque chose s'est passé cette année là.

— On a terminé ici, autant rentrer au commissariat voir les autres. Je sais que c'est difficile, mais nous ne pouvons pas faire de miracle. »

Rossi avait raison même si Hotch acceptait mal de piétiner dans cette affaire, sans prendre en compte le fait qu'ils n'étaient sur cette affaire que depuis une journée.

Ils arrivèrent bons derniers au commissariat. Morgan et Blake s'étaient arrêtés dans un traiteur chinois. Morgan aurait préféré prendre italien mais il doutait que Rossi aurait apprécié et ils n'avaient pas le temps de faire le tour des restaurants. La pile de boites en plastique faisait saliver Reid et J.J mais ils préféraient attendre les derniers membres de l'équipe. Enfin, ces derniers les rejoignirent dans la grande salle qui leur servait de bureaux pour l'affaire.

Rossi et Hotch se réjouirent à la vue du repas. Chacun attrapa une boite et des baguettes. Après quelques instants, Reid jeta furieusement les baguettes. Il peinait toujours autant dans leur utilisation. Sous les sourires amusés de ses collègues, il s'empara d'une fourchette.

Si l'occasion aurait pu être à la détente après cette longue journée d'investigations, toute l'équipe en profita pour échanger leurs points de vue dès que les plats furent entamés.

« Qu'avez-vous trouvé dans le parc ? interrogea Hotch.

— Pas grand-chose, regretta Morgan. N'importe qui peut y accéder. Les corps ont été déposés vraiment en lisière de l'herbe, à proximité des parkings. Garcia n'a rien trouvé non plus sur les vidéos. Et vous ?

— L'accès au lieu de dépôt des corps était restreint. Le véhicule de notre homme portait une vignette pour personne handicapée. Les recherches de Garcia n'ont pas permis d'identifier un enfant maltraité ou un père abusif handicapé mais ça ne veut pas dire qu'il ne l'est pas.

— S'il y a un handicapé, ce pourrait également être un complice, hypothéqua Blake.

— Garcia est dessus, annonça Rossi. Elle croise les personnes signalées violentes avec des personnes handicapées.

— Il ne faut pas oublier le mode opératoire, rappela Hotch. Le suspect peut battre des enfants à mains nues mais c'est tout. Veronica Fench a été battue avec une arme contondante : la force du tueur ne suffisait pas. De même, Dan Hill a été exécuté par balle : la méthode est froide et évite tout contact physique. Y a-t-il vraiment un complice ?

— Le handicap rend peut-être notre tueur faible physiquement, approuva J.J.

— La voiture peut être empruntée à une personne handicapée ou volée, considéra Reid. Outre le handicap, l'âge ou la maladie peuvent aussi expliquer ces variations dans le mode opératoire.

— Le tueur est certainement âgé, estima Morgan en terminant son plat. Garcia a dit qu'il avait les cheveux grisonnants.

— Il repère ses victimes sur l'espace public sans se cacher, releva Reid. C'est un prédateur organisé et expérimenté. Très expérimenté ! Jusqu'à maintenant, il n'a commis aucune erreur.

— Il ne s'arrêtera pas, nous l'avons tous compris, résuma J.J en fronçant les sourcils.

— L'avantage, commença Reid avant de se reprendre, si je peux dire ça comme ça, c'est que le rythme de notre homme est relativement lent. Environ sept jours entre chaque disparition.

— Allons-nous faire une conférence de presse ?

— Il le faudra bien, estima Hotch. Au moins pour dire aux familles de faire attention à leurs enfants.

— Allons-nous donner le profil maintenant ? » intervint Morgan.

Hotch hésita et toute l'équipe se tourna vers lui. Rapidement, l'agent s'assura que les policiers présents dans le commissariat étaient trop loin pour pouvoir les entendre. Le responsable de l'équipe reprit la parole, lentement et un peu incertain :

« L'hypothèse d'un tueur âgé ou handicapé est solide mais il est également possible qu'il s'agisse d'un agent de police. Dans ce cas, plus nous nous rapprocherons de lui et plus sa frénésie et son besoin de tuer se feront sentir. »

Son explication jeta un froid dans l'assemblée. Tous comprenaient la nécessité de s'assurer qu'un des leurs n'était pas le tueur recherché mais cette éventualité leur faisait froid dans le dos. Si le tueur était réellement un policier, tout portait à croire qu'il ne ferait pas d'erreur dans ses meurtres.

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Pendant encore quatre jours, l'équipe piétina. Les recherches de Garcia n'avaient donné aucun résultat. Les preuves matérielles restaient minces. Tout au plus le médecin légiste avait-il découvert que les enfants avaient été immobilisés, certainement au moyens de fers placés sur les poignets. Pour ne rien arranger, plus ils piétinaient et tardaient à arrêter le tueur, plus la psychose montait.

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Au milieu de la nuit, un couple débarqua, affolé, dans les bureaux de la police. La mère, une jeune femme blonde aux yeux verts vêtue d'un jean décontracté et d'un pull en laine, retenait difficilement ses larmes. Elle tenait par la main deux petites filles, à priori des jumelles de quatre ou cinq ans. Son mari, un grand gaillard à moustache emmitouflé dans un grand manteau, avait passé son bras autour des épaules de sa femme pour tenter de la réconforter. Sa pomme d'Adam tressautait alors qu'il s'efforçait de rester calme.

« Notre fils, sanglota-t-il, Charles a disparu ! Il a eu huit ans la semaine dernière…Oh mon dieu… »

Les agents de police en fonction cette nuit appelèrent tour à tour chacun des membres du département des sciences du comportement. En voyant sur son réveil un « 03 : 56 », Rossi pesta. L'équipe était rentrée à l'hôtel vers minuit. Même pas quatre heures de sommeil !

Malgré tout, dès qu'il entendit le policier lui expliquer les raisons de cet appel nocturne, il se leva sans plus de cérémonie. Après une courte douche pour avoir les idées claires, il descendit dans le hall de l'hôtel. Hotch, J.J et Blake étaient déjà présents, en grande discussion. Comme Rossi, ils avaient pris écharpe et veste chaudes. En cette nuit de novembre, les températures étaient descendues bien en dessous de zéro.

Lorsque Morgan et Reid les rejoignirent, ils sortirent de l'hôtel pour s'engouffrer dans les SUV. Par chance, les locaux de la police n'étaient qu'à deux minutes.

Lorsque les agents arrivèrent, les parents éplorés avaient été installés dans une petite salle réservée aux victimes. Contrairement aux autres pièces, les bureaux laissaient place à un divan relativement confortable et une table basse en verre.

Gentiment, J.J leur servit une tasse de café tandis que les fillettes dessinaient. De temps à autre, les petites bâillaient et papillonnaient des yeux. La profileure attendit quelques instants que les sanglots se calment puis elle commença à interroger le couple :

« Pouvez-vous me raconter ce qu'il s'est passé ?

— Nous travaillons tous les deux de nuit, commença Rebecca Parett d'une voix hésitante, alors nous laissons nos enfants à notre baby-sitter. Elle ne répondait pas au téléphone alors je suis rentrée et…et…

— Calmez-vous, lui intima J.J. Reprenez au moment où vous entrez chez vous. Que découvrez-vous ?

— Les filles étaient devant un film animé, poursuivit Drew Parett. Elles n'ont pas le droit de regarder la télé normalement, seulement le dimanche matin. Charles avait disparu ! »

A nouveau, Rebecca Parett s'effondra en larmes. Drew, lui, ne quittait pas du regard ses cadettes, terrorisé à l'idée qu'elles aussi disparaissent.

« Mais vos filles étaient présentes ? s'assura J.J. Est-ce que je peux leur poser quelques questions ?

— Oui, oui bien sûr mais nous voulons rester là » accepta faiblement la mère.

J.J hocha la tête avec un pâle sourire qu'elle espéra réconfortant.

Les fillettes sentirent les regards des adultes converger vers elles. Dans un bel ensemble, elles levèrent la tête, plongèrent leurs yeux verts dans ceux de la profileure et portèrent le crayon de couleur à leur bouche pour en mâchonner l'extrémité. Troublée par une telle osmose, J.J se demanda avec quelle théorie Reid lui aurait expliqué devant ce phénomène.

Gentiment, la jeune femme s'accroupit pour être au niveau des enfants. Elle jeta un coup d'œil rapide aux dessins : sur le premier, un bonhomme tenait par la main un enfant tandis que sur le deuxième il s'agissait d'une maison avec un chien. J.J remarqua que le bonhomme avait les cheveux gris. Or, les parents étaient blonds. Un grand-père ou le kidnappeur ?

« Qui est-ce ? demanda-t-elle gentiment.

— C'est le monsieur.

— Le monsieur qui a parlé à Charles cette après midi ?

— Oui.

— Tu pourrais me le décrire, s'il te plaît ? demanda J.J, ravie d'obtenir quelques informations physiques sur leur suspect.

— Il est aussi vieux que les dinosaures !

— Autant que les dinosaures, tu es sûre ?

— Il est tout plissé, comme Toby !

— Toby est notre chien, un sharpeï, glissa Rebecca tandis que J.J réprimait un sourire amusé.

— Tu pourrais me dire comment sont ses yeux ? poursuivit la profiler.

— Sais pas.

— Il portait des lunettes ?

— Non.

— Il avait un gros nez ou un petit nez ?

— Sais pas ! »

Les fillettes, sentant enfin la tension dans la pièce, entre les parents qui sanglotaient, l'absence de leur aîné et les questions de J.J, se mirent à renifler puis à pleurer.

« Ce n'est pas grave, les rassura J.J avant de se retourner un peu vers la deuxième petite fille. Est-ce que vous vous rappelez ce qui s'est passé ? Comment cet homme est venu dans votre maison ?

— Il a sonné à la porte, révéla jumelle.

— Même que Toby a grogné ! renchérit l'autre.

— Pis Maggie est allée voir.

— C'est la baby-sitter, lui apprit Drew Parett. Maggie Arnolds. Elle a vingt-et-un ans. Elle travaille chez nous en soirée pour payer une partie de ses études.

— D'accord. Donc Maggie a fait entrer le monsieur ?

— Elle a pas voulu ! Mais il est rentré quand même, comme dans les films !

— Comme dans les films ? » répéta J.J, interloquée.

Les fillettes ne donnèrent pas davantage d'explications sur ce qu'elles entendaient. La jeune profileure dut se creuser les méninges pour parvenir à une hypothèse plausible :

« Comme dans les films d'action, il a poussé Maggie dans la maison ?

— Ben nan, pask'il a des armes !

— Donc il est rentré dans la maison, poursuivit J.J avec patience. Et ensuite ?

— Il a tapé Maggie, pis il a mis la télé, pis il est parti 'vec Charles.

— Charles y voulait pas mais y'est parti quand même. »

J.J se releva. D'un signe discret de la main, elle invita les parents à la suivre. Après un dernier regard vers leurs fillettes, ils obtempérèrent.

« Comment va la baby-sitter ? demanda-t-elle avec une pointe de reproche dans la voix.

— Elle est à l'hôpital. Ce n'est rien de grave, juste une commotion cérébrale. Et notre Charles ? »

Sans commenter le désintérêt total du couple pour la jeune fille qui gardait leurs enfants, la profileure annonça la nouvelle à ses collègues. Si Reid était occupé à éplucher les dossiers des hommes les plus violents recensés dans la ville et que Morgan et Hotch étaient déjà au domicile des dernières victimes, Rossi et Blake décidèrent d'aller à l'hôpital voir s'ils pouvaient interroger Maggie Arnolds. Le trajet à lui seul durerait trente minutes, surtout à l'heure de pointe.

J.J se servit un café. Elle en proposa un aux parents tandis qu'elle posait des gâteaux et des boissons sucrées et des verres sur un plateau.

« Je vais retourner interroger vos filles, annonça calmement J.J, mais j'ai besoin de savoir si vous avez oublié de me dire quelque chose. N'importe quel petit détail peut devenir d'une importance capitale. »

Ils réfléchirent quelques temps. Rebecca Parett titillait le bouton de sa chemise dans un tic répété des centaines de fois lorsqu'elle était nerveuse. Parfois, elle levait les yeux pour fixer son mari d'un air hagard. Lui, au contraire, semblait vidé. Ses mains ne quittaient pas les poches de son jean et son regard restait baissé sur le sol.

Quand J.J comprit qu'elle n'obtiendrait rien de plus d'eux, elle retourna dans la salle de conférence. D'une main, elle portait le plateau destiné aux fillettes, qui ravies des sucreries. En une fraction de seconde, les bonbons disparurent.

« Il me reste quelques questions, reprit J.J en s'asseyant à côté des petites filles. Ce ne sera pas long. Est-ce que le monsieur qui a emmené Charles était en fauteuil roulant ? »

Devant le regard interrogateur des enfants, elle précisa :

« Est-ce qu'il avait marchait normalement ?

— Ben oui.

— Et il voyait bien ?

— Ben oui, répéta la fillette.

— Est-ce que tu penses qu'il y avait un problème avec ce monsieur ? »

Les deux fillettes secouèrent négativement la tête. J.J esquissa un sourire pour les rassurer. Elles l'avaient bien fait avancer.

Comme Reid était le seul de l'équipe dans les locaux de la police, elle décida de téléphoner à Hotch sans attendre. Il savait déjà que le suspect avait touché des objets et il observait les techniciens relever les empreintes, tout en faisant le tour de la propriété.

L'agent conclut facilement que leur tueur était sûr de lui. Il l'avait déduit en analysant le lieu de l'enlèvement : exposé, le suspect avait nécessairement dû passer devant les autres habitations. Il ne se cachait pas.

Déjà, Hotch et Morgan se dirigeaient vers les voisins des Parett. Ils espéraient que l'un d'eux parviendrait à préciser la description physique qu'ils avaient. Leur avancée fut maigre : tout au plus un voisin leur dit-il que l'homme avait l'air très gentil et qu'il devait avoir entre soixante et soixante-quinze ans.

La situation fut identique pour Rossi et Blake. Malgré tous leurs efforts, Maggie Arnolds ne parvint pas à se souvenir de quoi que ce soit d'utile.

Ils se retrouvèrent aux environs de cinq heures du soir autour de la table pour confronter leurs idées. Cela faisait cinq jours qu'ils étaient sur cette enquête et ils avaient l'impression de piétiner.

Si Reid avait fait une petite sieste dans l'après midi, les autres membres de l'équipe n'avaient pas dormi depuis le matin. Avec l'urgence de la situation, ils ne comptaient pas dormir avant le lendemain… si tout allait bien !

De nombreux policiers faisaient également des heures supplémentaires, si bien que les bureaux grouillaient de monde. Les hommes qui n'étaient pas en patrouille –elles avaient été quintuplées à travers la ville- étudiaient les fiches de tous les hommes coupables de violences dans l'espoir que l'un d'eux corresponde au profil.

« Jusqu'à maintenant, tout concorde avec le mode opératoire, considéra Hotch en se tournant vers le mur où ils avaient épinglé toutes leurs informations. Il est fort mais pas suffisamment pour maîtriser un homme adulte.

— Il est intelligent, poursuivit Reid. Mais laisser derrière lui des témoins, c'est stupide.

— Je ne vois que deux raisons à ça, hypothéqua Morgan. Soit notre homme veut qu'on le retrouve, soit il considère que malgré les indices qu'il nous a laissés nous serons incapables de le retrouver.

— Dans ce cas, il a malheureusement raison, admit Rossi. Rien ne ressemble plus à une personne âgée qu'une autre personne âgée. « Vieillard aux cheveux blancs » ne nous mènera à rien !

— Il connait les méthodes de la police. Soit il en faisait partie, soit il est bien informé. Dans tous les cas, il ne se fera pas prendre. En tout cas pas avec aussi peu d'éléments dans ce dossier !

— Alors comment on procède ?

— Il est crucial est de savoir quel est le rôle de la personne handicapée, reprit Reid. Est-ce un complice ou une autre victime du tueur ?

— Que ce soit l'un ou l'autre, cette personne nous conduira au tueur, considéra Hotch. Il n'aurait pas pris le risque de voler un véhicule pour handicapé : le vol aurait pu être signalé. Non, notre suspect doit avoir de l'ascendant sur la personne handicapée, suffisamment pour être certain qu'elle ne se retournera pas contre lui.

— Comme dans une relation dominant/dominé, comprit Reid. Notre homme est à coup sûr le dominant.

— Je pense que notre handicapée est une concubine, supposa Rossi. Notre homme est trop prudent pour se marier : ça apparaitrait quelque part. Je ne crois pas à l'hypothèse d'un enfant : il suffirait de lister toutes les personnes violentes et de croiser cette liste avec les descendants handicapés. S'il a utilisé ce véhicule en particulier, c'est qu'il le pense intraçable. Une concubine, donc.

— Nous sommes prêts à donner un profil, » conclu sobrement Hotch.

Lorsqu'ils l'annoncèrent aux policiers de New-York, le soulagement s'imprima sur tous les visages : le jeune Charles Parett avait été enlevé depuis dix heures auparavant. Si le suspect confirmait son mode opératoire, il ne lui restait que quelques heures à vivre.

« Notre homme est ce que nous appelons un psychopathe organisé, expliqua Rossi. Il ne s'en prendra aux victimes qu'une fois certain de pouvoir repartir sans être inquiété. Cette méticulosité et cette précision dans les enlèvements fait que notre suspect laisse très peu d'indices derrière lui. Cette précision existe dans chaque instant de sa vie quotidienne. Sa maison doit être impeccable. De l'extérieur, tout doit sembler parfait.

— Il est raffiné dans tout ce qu'il entreprend, compléta Hotch. Il doit être élégant, tout en restant suffisamment passe-partout pour ne pas attirer l'attention. Nous pensons que le tueur exerce ou exerçait une profession reconnue et appréciée. Vis-à-vis des tiers, c'est un homme parfait qu'ils admirent. C'est un pilier de la communauté : activités bénévoles, des enfants qui font ou ont fait des études…Notre tueur veut tout faire pour sembler irréprochable.

— A tel point que si quoi que ce soit dénote dans cette perfection, il deviendra extrêmement violent très rapidement, reprit Rossi. Une violence telle qu'il pourra tuer sa femme ou ses enfants et tous les témoins de cette imperfection. S'il ne l'a pas déjà fait !

— Ses voisins ne le soupçonneront jamais d'être violent et encore moins de pouvoir tuer, précisa J.J, ce qui va nous poser un souci. Même si nous avions une description physique précise ou un portrait robot, aucune personne le connaissant ne fera le rapprochement. Ils penseront à une ressemblance voire à une erreur.

— Au niveau physique, justement, nos éléments restent assez maigres, regretta Morgan. Notre tueur est un homme, âgé de soixante à soixante-quinze ans. Il mesure environ un mètre quatre-vingt-dix.

— Comment on pourra l'attraper si nous n'avons aucun élément plus précis que ça ? intervint durement un policier qui doutait de plus en plus de l'intérêt des profileurs.

— Nous pensons qu'il a fait une erreur, expliqua Rossi. Il n'en fait pas lui-même mais il existe une autre personne impliquée dans ces enlèvements. Notre tueur utilise un véhicule pour handicapés. Il nous faut donc trouver le propriétaire de cette voiture. Nous pensons qu'il s'agit d'une femme qui lui est entièrement soumise. Elle est ou a été sa concubine, ce qui implique qu'il l'a sans aucun doute maltraitée.

— Pour la trouver, nous aurons beaucoup de travail, admit Reid. Garcia a déjà fait une liste de toutes les femmes handicapées propriétaires d'un van. Elle en a recensé vingt et une.

— Nous allons les interroger ? interrogea un autre policier.

— Dès que notre homme verra que nous nous rapprochons de lui, il tuera Charles Parett, exposa doctement Reid en se tournant vers le policier qui les avait apostrophés.

— Nous allons les mettre sur écoute, décida Hotch. Et nous enverrons des agents en civil faire du porte à porte pour contacter ces personnes.

— Si nous allons trop vite, reprit J.J en voyant certains policiers froncer les sourcils, Charles Parett ne sera pas le seul à être tué. Notre homme fera un véritable carnage. Il exposera sa violence à toute personne dans les parages. Une sorte de baroud d'honneur.

— Nous n'oublions pas la dernière victime, reprit Blake. Vous continuerez à patrouiller dans la ville et en particulier aux abords des parcs. En outre, certaines unités continueront à chercher notre suspect dans les bases de données. Relevez toutes les personnes de cette tranche d'âge ayant fait l'objet d'une plainte pour des violences. »

Finalement, les agents de police acquiescèrent. En quelques minutes, le temps de passer par la machine à café, la totalité des policiers s'étaient remis au travail. La relève arriva peu après : il fallut réexpliquer aux nouveaux arrivants les derniers éléments.

Aux alentours de dix heures, le téléphone de Hotch sonna. L'écran indiquait que l'appel venait de Beth. Voyant son hésitation, Rossi esquissa un sourire.

« Vas-y, l'encouragea-t-il.

— Nous sommes au plein milieu d'une enquête !

— Et alors ? C'est l'affaire de quelques minutes. Hotch, parfois, il faut décrocher un peu. Au propre comme au figuré ! »

L'agent esquissa un faible sourire. Pour pouvoir parler tranquillement à sa compagne, il quitta la salle où son équipe enquêtait. Il sortit dans la rue, profitant de l'occasion pour faire quelques pas à l'air libre en dépit du temps froid.

L'esprit obnubilé par cette macabre affaire, la voix de Beth lui apparut comme une bouffée d'air frais.

« Aaron, tu vas bien ? s'inquiéta Beth.

— ça va. C'est juste un peu compliqué.

— J'ai vu les informations. Tu travailles sur l'enlèvement du petit garçon ?

— Oui. Comme tous les policiers de la ville !

— Ce petit a juste quelques mois de plus que Jack, compatit Beth en comprenant les raisons de l'amertume de Hotch. Tu vas rester au bureau toute la nuit ?

— Sans doute. Tu as parlé à Jack ces derniers jours ?

— Je lui ai téléphoné hier.

— Il devait être ravi.

— Aaron, tu es certain que tout va bien ?

Au ton de sa voix, Hotch comprit qu'elle était inquiète pour lui. S'il devait être honnête, il aurait dû lui avouer sa fatigue, autant physique à cause du manque de sommeil que psychologique devant l'âpreté de ce cas. L'idée qu'un enfant n'ait plus que quelques heures à vivre alors qu'il n'avait aucune piste sérieuse le révulsait.

« Ça ira, ne t'inquiète pas, assura-t-il.

— D'accord. Et si on se voyait ? Juste pour dîner, bien sûr.

— Peut-être plus tard. Je dois y aller. Je t'aime. »

Quand il revint auprès des autres, il les trouva en pleine effervescence. Reid avait déniché le profil d'une trentenaire, devenue handicapée à la suite d'une violente dispute avec son mari. Malheureusement, après que Morgan, Rossi et une dizaine de policiers se soient déplacés à son domicile, ils rentrèrent bredouilles.

.

.

Malgré tous leurs efforts, l'aube arriva sans qu'ils aient trouvé ni leur suspect, ni la propriétaire de la voiture.

Le corps de Charles Parett fut découvert dans un autre parc de la banlieue ouest de New-York. La nouvelle arriva dans les locaux de la police aux alentours de six heures du matin. Par une drôle de coïncidence, le policier arriva dans la salle de réunion investie par les agents du bureau des sciences du comportement au moment même où passait à la télévision une alerte enlèvement sur la victime.

Reid, plongé dans les dossiers, leva la tête seulement lorsqu'il entendit la porte se refermer. Il était le seul à éplucher le passé des handicapées sur papier. Les autres membres de l'équipe étaient penchés sur leurs tablettes. Garcia leur avait envoyé tous les dossiers nécessaires, y compris les dossiers médicaux. L'ensemble prenait un temps monstre pour être épluché. De temps à autre, ils échangeaient quelques mots, principalement pour signaler une hospitalisation suspecte.

À l'annonce du décès de Charles Parett succéda un lourd silence. Chacun des agents savaient qu'ils ne pouvaient pas éviter toutes les morts, qu'ils ne pouvaient pas sauver toutes les victimes. Pourtant, là, après deux jours sans sommeil et presque une semaine de travail assidu, plusieurs d'entre eux s'effondrèrent. J.J prit sa tête entre ses mains. Rossi resta silencieux, le dos tourné vers l'équipe, les yeux dans le vague. Hotch, lui, ferma quelques instants les yeux. Il n'avait pas parlé à Jack depuis la veille et ça commençait à lui peser.

« Il va falloir en informer les parents et la presse, » soupira Hotch.

Des coups discrets frappés à la porte stoppèrent net la discussion. Avec hésitation, un homme d'une vingtaine d'années entra. S'il n'avait pas eu en face de lui six profileurs, il aurait pu passer pour un jeune policier timide. Là, avec la main qu'il passait fréquemment dans ses cheveux bruns, ses yeux qui se posaient tour à tour sur les personnes présentes dans la salle, le tic nerveux qui agitait les commissures de ses lèvres et son léger dandinement, il trahissait sa nervosité et son hésitation.

Pressentant que l'homme avait des informations à leur communiquer, J.J lui désigna un siège, un peu à l'écart de l'amas de feuilles sur lesquelles ils travaillaient.

« Je m'appelle Warren Archer, leur révéla-t-il avant d'ajouter du bout des lèvres, je suis la quatrième génération de policier de ma famille.

— Ce doit être une pression phénoménale, compatit J.J pour le mettre à l'aise.

— Je ne suis pas sûr…

— Tout indice peut être déterminant, commença sévèrement Morgan avant d'être coupé par J.J.

— Nous vérifierons tout élément que vous nous donnerez. Si jamais il s'avère que vous vous êtes trompé, votre nom n'apparaitra sur aucun rapport. Si vous avez eu raison, vous serez cité aux honneurs pour l'arrestation d'un dangereux criminel. »

Le ton doux mais ferme de la jeune femme parut convaincre leur interlocuteur. Il hocha lentement la tête avant de fermer les yeux.

« Mon grand-père s'est suicidé il y a quarante ans, révéla-t-il sombrement. Nous n'en parlons jamais, dans la famille. Certains murmurent qu'il a fait une bourde. D'autres…D'autres disent que son meilleur ami battait sa femme et son fils et qu'ils en sont morts sans que mon grand-père ne se rende compte de rien.

— Est-ce que vous vous souvenez du nom de ce meilleur ami ? » questionna Rossi avec empressement, pressentant qu'ils s'approchaient de leur suspect.

Malheureusement, leur homme ne savait pas grand-chose de plus. Il s'excusa, considérant qu'il ne s'agissait que d'une vieille histoire. Ce n'était pas l'avis des membres de l'équipe. Pendant que J.J allait annoncer aux parents le décès de leur fils, Blake et Garcia enquêtaient sur les suspects qui pouvaient correspondre à la description donnée par Warren Archer. Hotch, Rossi, Morgan et Reid, quant à eux, se dirigèrent vers le parc. Ils devaient étudier le lieu de dépôt du corps de la victime avant que les policiers ne souillent la scène.

Seulement, après une heure de recherches intensives, Garcia dut s'avouer vaincue. Avec rage, elle expliqua n'avoir eu aucun résultat probants d'une mère et de son fils tués quarante ans plus tôt. Lorsqu'elle étendit la recherche aux décès d'un enfant ou d'une mère par un homme violent, elle sortit une vingtaine de noms. Elle en élimina un : l'homme ne correspondait pas à leur profil. Il était salarié dans une entreprise manufacturière. Son emploi non qualifié à la chaîne ne lui permettait pas de se donner l'illusion d'être un homme bien sous tout rapport. Deux autres n'habitaient plus dans la région. Il leur restait dix-sept.

Blake soupira. Cette affaire devenait de pire en pire. Lorsque J.J arriva quelques instants plus tard, elle trouva sa collègue fatiguée avachie sur sa chaise, relisant pour la troisième fois consécutive la même ligne dans le dossier de leur premier suspect.

« Fais une pause, lui proposa gentiment J.J, ou tu risques de craquer. »

Blake esquissa un vague geste de la main vers les tablettes. La cafetière tournait non-stop.

« Il faut que je décortique la vie de dix-sept personnes avec le peu d'informations que la police conservait il y a quarante ans !

— Je vais t'aider. »

.

.

Les SUV se garèrent à quelques mètres du parc, bouclé par les policiers. Derrière les cordons de sécurité, une foule dense se pressait en dépit de l'heure matinale. Quelques personnes prenaient des photos et beaucoup d'entre elles étaient au téléphone. Une vingtaine de journalistes et de caméramans capturaient toutes les images.

« Reid… » chuchota Hotch en jetant un coup d'œil aux curieux.

L'agent compris le message et prit des photos des observateurs. Après quelques secondes, il s'arrêta.

« J'ai déjà vu cette femme, » souffla-t-il à Rossi.

Il indiqua une rousse, cinquantenaire, en fauteuil roulant. Elle était si bien dissimulée par les autres que Rossi ne la distingua pas lorsqu'il jeta un rapide coup d'œil vers cette partie de la foule. Pour ne pas l'effrayer, il n'insista pas.

Reid avait déjà téléphoné à Garcia pour en savoir plus. Rapidement, il obtenu d'autres renseignements : Emma Cheynes, cinquante-deux ans, possédait un véhicule comme celui qu'ils cherchaient. Elle était paraplégique depuis trente ans suite à un accident de voiture. D'après les informations de l'analyste, elle était célibataire.

Sans perdre une seconde, Garcia lança un avis de recherche sur les plaques d'immatriculation. Pendant ce temps, Reid avait informé le reste de l'équipe.

Même si le jeune Docteur était à l'origine de cette avancée, Hotch refusa de l'emmener interroger la suspecte : avec un tueur comme l'était le leur, les choses risquaient d'empirer très vite. Bien qu'il ait confiance en Reid et que celui-ci avait fêté ses trente et un ans, Morgan et Rossi restaient des tireurs bien plus expérimentés aptes à se tirer d'une situation critique.

« Occupe-toi de la victime, décida Hotch, au grand déplaisir de son jeune subordonné. Des policiers viendront avec nous pour parer à toute éventualité.

— Mais…

— Morgan, tu viens avec moi. »

Le ton de son supérieur ne souffrait d'aucune contestation et, si Reid comprenait au fond les raisons de son évincement, il n'en restait pas moins amer.

Du coin de l'œil, Hotch surveillait la concernée. Il la vit quitter discrètement les lieux tout en s'assurant maladroitement que personne ne la suivait. Le fauteuil roulant automatisé slalomait habilement entre les passants. Il n'échappa pas aux profileurs qu'elle utilisait peu son bras gauche, replié contre sa poitrine dans un geste protecteur. Or, Garcia n'avait pas trouvé d'autres blessures qu'un sectionnement de la moelle épinière et des fractures du tibia. De toute évidence, leur suspect faisait encore partie de son entourage.

« Paranoïaque » murmura Morgan.

Garcia leur envoya l'adresse de la quinquagénaire. Ce n'était qu'à trois cent mètres de là.

Dans l'allée, toutes les constructions se ressemblaient. Le numéro vingt-cinq était une belle demeure peinte en blanc, entourée par un jardin. Dès que Hotch vit les arbres laissés à l'abandon et la peinture écaillée, il comprit que leur suspect n'habitait pas là. L'ensemble n'avait pas été entretenu depuis des années et dégageait une forte impression d'abandon.

« Notre suspect ne tolérerait jamais de paraitre aussi négligé que ça, indiqua-t-il.

— Il y a une voiture, remarqua Morgan. Ce n'est pas le modèle que nous recherchons. Pourquoi une handicapée célibataire aurait-elle deux véhicules ? Ça fait beaucoup, en particulier pour quelqu'un qui a des revenus modestes comme elle. Toute l'indemnité de l'assurance a servit à l'achat de la maison et en de petits investissements.

— Cheynes est notre victime dominée. La faire parler sera délicat. »

Morgan frappa à la porte. Hotch avait sortit son glock, prêt à faire feu, comme tous les policiers. Au bruit de chaîne et de verrous, les agents comprirent qu'Emma Cheynes était en train de leur ouvrir. Lorsqu'elle entrouvrit la porte et que son visage apparut, ils confirmèrent leur a priori d'une femme paranoïaque et particulièrement nerveuse.

« Agents Hotchner et Reid, FBI, se présenta Hotch. Pouvons-nous entrer ? »

Après une hésitation, elle referma la porte pour enlever les dernières chaines en métal qui entravaient son ouverture. Lorsque ses invités furent entrés, elle guetta le moindre mouvement dehors puis elle claqua la porte et remit chaque verrou à sa place, ce qui prit pas moins de six secondes. Hotch compta en silence, un peu surpris devant cet amas de défenses. D'autant qu'il y avait aussi un chien de garde et une alarme.

Rapidement, les policiers sécurisèrent l'habitation. Une fois certains qu'il n'y avait personne d'autre, Morgan leur fit signe de partir. Un trop grand nombre d'homme risquait d'angoisser encore plus Emma Cheynes.

Pendant ce temps, les agents du FBI observèrent l'intérieur de la maison. Chaque fenêtre était condamnée par de solides barreaux intérieurs noirs. De l'extérieur, il était impossible de les voir à cause des rideaux, coupés de manière à ne pas attirer l'attention. Comme ils étaient continuellement fermés, Emma Cheynes allumait les lumières.

Discrètement, Hotch se dirigea vers l'arrière de la maison. Les fenêtres et la porte donnant sur l'arrière du jardin étaient condamnées de la même manière. Il n'aimait pas ça. En son for intérieur, il rapprocha la maison d'un bunker. Rien ne pouvait entrer mais rien ne pouvait sortir non plus.

« Nous aimerions discuter avec vous. Pouvons-nous aller dans le salon ? »

Emma Cheynes lui lança un coup d'œil suspicieux mais elle les conduisit vers une autre pièce, tout aussi sombre que le reste de la maison. Un unique canapé était placé vers la télévision. De sa main tremblante, leur hôtesse appuya sur l'interrupteur. Enfin, une clarté bienvenue s'installa dans le salon tandis que les agents du FBI s'asseyaient. La cinquantenaire, elle, resta à deux bons mètres de là. Par précaution, elle avait pris soin de laisser entre elle et eux la table basse en verre.

Les mains sur les genoux, elle ne cessait d'épier les moindres faits et gestes de Hotch et Morgan. Ceux-ci avaient l'impression d'avoir face à eux un animal traqué et, sans le moindre doute, un animal battu.

« Madame, reprit Hotch d'une voix calme, nous enquêtons sur les meurtres d'enfants et leurs parents. Nous suspectons votre compagnon. Il utilise votre van, n'est ce pas ?

— Il n'y a rien, il ne s'est rien passé ! »

Toute à ses dénégations farouches, elle ne faisait plus attention à son attitude. Ses mains trituraient nerveusement le bas de sa robe verte tandis qu'elle baisait la tête pour fuir tout contact visuel direct avec ses interlocuteurs.

« Madame Cheynes, tout va bien, tenta de la rassurer Morgan. Nous vous protégerons de lui. Vous êtes en sécurité. »

Malgré toute la gentillesse et la sollicitude qu'il avait mises dans l'intonation de sa voix, Morgan ne parvint pas à la mettre à l'aise. Comprenant que ce serait vain, Hotch reprit la main, transformant la discussion en véritable interrogatoire :

« Quel est son nom ?

— Je ne sais pas de quoi vous parlez !

— Quand a-t-il pris votre van ?

— Je n'ai pas ce genre de véhicule ! glapit-elle. Je ne veux pas parler avec vous ! Allez-vous-en !

— Cet homme a tué cinq personnes, dont trois enfants de huit ans. Qu'a-t-il fait à votre bras ?

— Rien ! »

Pour couper court à ces vaines dénégations, Morgan se leva et, avant que son interlocutrice n'ait eu le temps de réagir, il enjamba la table basse et posa la main sur l'épaule de la quinquagénaire, l'empêchant de partir. Lentement, il releva les manches pour découvrir un bleu d'une teinte qui oscillait entre le violet et le jaune. Les cinq doigts qui avaient enserré le bras de la femme étaient encore nettement visibles.

« Nous allons vous conduire à l'hôpital, décida Morgan.

— Demande à Blake de l'interroger, lui souffla Hotch. Une femme arrivera mieux à nouer le contact avec une victime de maltraitance. »

Au vu de la situation, Hotch préféra laisser son subordonner s'occuper de la quinquagénaire. En attendant, il inspecta la maison. Outre le désordre ambiant, il trouva quelques bijoux dans la chambre. Certains étaient gravés à son nom il les étudia avec attention, convaincu qu'il ne pouvait s'agir que de cadeaux d'un amant. Une bague en particulier attira son attention : elle portait la signature d'une coûteuse bijouterie de New-York. Garcia mit seulement une demi-heure à obtenir les informations qu'il attendait : la bague avait été achetée dans une boutique sur la rue principale. Au vu des modèles semblables, le bijou avait coûté la bagatelle de trente mille dollars.

Alors qu'il se rendait à cette bijouterie, Hotch reçu un appel de Rossi.

« Le tueur n'a pas laissé beaucoup de traces dans le parc, regretta l'agent. Mais on a des images de vidéosurveillance ! Ça m'étonnerait que notre homme se soit tourné vers les caméras mais avec de la chance, nous aurons peut-être la plaque d'immatriculation du véhicule.

— Nous l'avons déjà, lui apprit Hotch. La personne handicapée que nous recherchions s'appelle Emma Cheynes. Derek l'a emmenée à l'hôpital.

— Ah. L'hôpital ?

— Le tueur la violentait. Elle est psychologiquement brisée.

— Tu as obtenu le nom du tueur ?

— Non, regretta Hotch. Elle est complètement bloquée. J'espère que Blake parviendra à la faire parler.

— Vous avez autre chose ?

— D'après le légiste, le décès est dû à un étouffement. Ce type a laissé la trace de ses mains sur le cou de ce gosse ! Si ça n'avait pas été ça, c'aurait été une hémorragie. Le gamin avait le fémur cassé. Tu as bien fait de ne pas voir ça, Hotch. »

La sollicitude de son vieil ami fit comprendre à Hotch à quel point leur homme avait massacré le gamin. Il resta silencieux quelques secondes, se forçant à inspirer et expirer profondément.

« Hotch, reprit doucement Rossi, notre homme est de plus en plus violent. La victime a été battue à mort et battue post-mortem. C'est nouveau.

— Une escalade naturelle de la violence ?

— Ou quelque chose l'a contrarié cette nuit. Nous ne savons pas encore pourquoi il tue ces victimes là. Il se pourrait que Charles Parett n'ait pas fait ce qu'il voulait ou alors qu'un événement extérieur l'ait bouleversé.

— Nous en revenons au même point : les raisons de cette violence. Pourquoi s'est-il mis à tuer il y a deux semaines ? »

Bien que Hotch ne puisse pas le voir, Rossi haussa les épaules. L'absence d'indices le rongeait et la liste des questions sans réponse ne cessait de croître.

Hotch raccrocha, la mine renfrognée. Tout à coup, toute la fatigue retenue au cours de la longue matinée s'abattit sur ses épaules. Depuis quand n'avait-il pas eu une nuit de sommeil correcte ? Après quelques minutes, il se résigna à se replonger dans l'affaire. Pendant que des policiers inspectaient les moindres recoins de la maison, notant et répertoriant tous les objets, espérant découvrir des possessions de leur tueur, l'agent du FBI se dirigea vers la bijouterie.

.

.

Pendant ce temps, Morgan attendait les résultats médicaux d'Emma Cheynes dans la salle d'attente. Blake venait d'arriver et il lui racontait les derniers évènements. Enfin, ils furent reçus par les médecins.

« Madame Cheynes présente de nombreuses traces de maltraitance, révéla le nouveau venu. Les radios ont montré vingt-trois fractures consolidées, la plupart au niveau des bras et des côtes. D'après mes estimations, ça date de dix à cinq ans. En revanche, les ecchymoses sont récentes. Environ une semaine. Psychologiquement, elle va…disons que ça va nécessiter de longues thérapies. Je ne sais pas si vous pourrez en tirer quoi que ce soit.

— Nous pouvons la voir ?

— Vous pouvez même la ramener chez elle.

— Nous préférerions qu'elle reste là quelques heures, annonça gentiment Blake. Il se peut que changer d'environnement nous permette d'établir un contact avec elle. »

La victime avait été installée dans une chambre un peu à l'écart de l'accueil. Les stores avaient été fermés. En dépit de ces précautions, lorsque l'agent Blake entra dans la chambre, elle la trouva en train de lorgner vers la porte. Pour signifier son inoffensivité, la profileure leva les mains, esquissa un sourire et s'avança à pas lents.

« Bonjour. Je m'appelle Alex Blake, je fais partie du FBI. Vous connaissez déjà l'agent Derek Morgan.

— Je n'ai rien à voir avec cet homme, nia farouchement Emma Cheynes, leur donnant l'occasion d'entrer dans le vif du sujet. Allez-vous-en.

— Mais il y a un homme, reprit Blake en s'asseyant près du lit. Et cet homme vous a frappé. Plusieurs fois. Pendant de longues années. »

Les lèvres de la victime frémirent. Sa respiration devint plus rapide. Elle serrait la fine couverture de ses mains frêles. Les veines saillaient sous la peau blanche.

Blake ne perdait pas une miette du comportement de son interlocutrice, pas plus que Morgan. Resté dans un coin de la pièce, il s'efforçait de rester le plus invisible possible. Il savait qu'il devait rester patient mais l'urgence de la situation –leur tueur pouvait se trouver une nouvelle cible n'importe quand– le rendait nerveux.

« Vous savez de qui je veux parler, continua Blake. Un homme, grand, soixante ou soixante-quinze ans, intelligent, beau…si beau et intelligent que toutes vos voisines vous ont jalousées. Ça devait être difficile, n'est ce pas ? Pour vous, vous qui connaissiez son vrai visage. Il vous frappait chaque jour et chaque jour vous deviez faire bonne figure. Et tant de gens l'admiraient ! »

Emma Cheynes éclata en sanglots. Morgan et Blake échangèrent un rapide coup d'œil. A présent qu'elle avait craqué, la suite serait plus facile. Ou en tout cas ils l'espéraient tous.

« Allez-vous en, répéta la victime en détournant le visage. Je ne veux pas vous parler.

— Il ne pourra plus vous atteindre, tenta alors Morgan. Nous vous protégerons.

— Comme vous avez protégé cet enfant ? Il est meilleur que vous. Il est meilleur que tout le monde.

— Si vous nous donnez son nom, nous l'attraperons » promit Blake.

Malgré leurs espoirs, la quinquagénaire refusait de leur parler. Emprisonnée dans ses souvenirs, elle ne parvenait pas à dépasser la terreur que le tueur lui inspirait. Les paroles réconfortantes des agents du FBI ne parvenaient pas à masquer leur incapacité à coincer le meurtrier. Ils se décidèrent donc à lui laisser du temps. Au moins quelques heures pour qu'elle puisse se reposer et comprendre qu'elle était protégée. Pour ce faire, ils laissèrent deux agents de police devant la chambre : visibles de l'extérieur, sans qu'eux-mêmes puissent voir à l'intérieur de la chambre.

Les agents Blake et Morgan revinrent au commissariat sous le coup de treize heures. Exténués, ils s'effondrèrent sur les chaises dans la salle de conférence plus qu'ils ne s'y assirent. Dans un coin, Reid faisait une sieste. Le reste de l'équipe était retourné à l'hôtel, envoyé dormir sur un ordre sec de Hotch. Lui-même arrivait difficilement à garder les yeux ouverts. Ses paupières lourdes papillonnaient. Enfin, Garcia lui téléphona.

« Je regrette mais je n'ai aucune correspondance pour un dénommé Abel Thursby, lui annonça l'analyste avec tristesse.

— Le tueur a donné un faux nom lorsqu'il a acheté la bague d'Emma Cheynes, expliqua Hotch. Les vidéos de surveillance de la bijouterie sont détruites chaque année. Garcia essaye de voir si elle peut récupérer celles de la rue. Vous avez obtenu quelque chose ?

— Son compagnon est bien notre tueur, confirma Blake, mais nous n'avons pas grand-chose de plus. Elle a craqué, je pense que nous parviendrons à obtenir des informations fiables.

— Si notre homme utilise de faux noms… commença Morgan sans continuer plus loin.

— Allez dormir, vous en avez besoin, leur recommanda Hotch.

— Vous aussi.

— Je termine ça et j'irai. »

Mais Hotch ne retourna pas se reposer. Vingt minutes plus tard, alors qu'il achevait d'étudier le dix-septième dossier, un agent de police fit irruption dans le bureau.

« J'ai un appel pour l'agent Hotchner, annonça-t-il. Une dénommée Emma Cheynes veut vous voir à l'hôpital. Elle dit que c'est urgent. »

Partagé entre la fatigue et l'espoir d'obtenir des informations, Hotch décida après quelques secondes de réflexion de s'y rendre tout de suite. Reid mit quelques instants à se réveiller complètement. Les deux agents s'aidèrent d'un café serré pour tenir le coup.

« Des policiers viendront avec nous, décida Hotch. Si elle connait quoi que ce soit d'utile, notre homme voudra la faire taire. »

Pour toute réponse, Reid bâilla à s'en décrocher la mâchoire. Hotch fronça les sourcils et se tourna vers lui.

« Je peux m'en occuper seul.

— Non, non, ça va. Je vous assure, Hotch. »

Par chance, lorsque Morgan avait emmené Emma Cheynes à l'hôpital, il avait pris soin de choisir le plus proche du commissariat, si bien qu'ils y furent en quelques minutes.

Une fois que les yeux de Hotch se furent accoutumés à la pénombre qui régnait dans la chambre, il distingua sur le lit la petite silhouette de la dernière victime encore en vie de leur tueur. Elle ne cessait de surveiller le moindre de leurs faits et gestes, remettant parfois les mèches de cheveux qui lui tombaient sur le front derrière les oreilles. Quelqu'un avait posé un vase avec quelques fleurs blanches.

« Madame Cheynes, je vous présente le Docteur Spencer Reid. Vous vouliez nous voir ?

— Je veux rentrer à la maison, exigea-t-elle avant d'ajouter sur un ton si bas que les agents durent tendre l'oreille pour l'entendre, laissez-moi rentrer et je vous dirai qui il est.

— Cet homme utilise de fausses identités, révéla Hotch. Avez-vous des photos de lui ? »

Emma Cheynes hocha lentement la tête. Tout fut fait pour satisfaire la victime. À quatorze heures, elle se trouvait devant la porte de sa maison. Les policiers avaient fouillé toute l'habitation de haut en bas et laissé derrière eux un certain capharnaüm. D'un geste discret de la main, Hotch leur fit signe de quitter les lieux. Il savait que la quinquagénaire préférerait leur parler seule à seule.

Dès qu'Emma Cheynes, Hotch et Reid furent dans l'entrée et les policiers dehors, elle ferma soigneusement les multiples verrous et chaînes qui condamnaient la porte. Elle fit de même sur la porte menant au jardin puis inspecta le rez-de-chaussée pour s'assurer que les barreaux aux fenêtres étaient toujours en place. Reid qui découvrait cet aspect paranoïaque de la victime haussa les sourcils. Enfin, les agents furent invités à s'installer dans le salon.

Emma Cheynes prit une grande inspiration et ferma un instant les yeux. Ses mains agrippèrent le bas de sa chemise, sans qu'elle ne parvînt à en stopper le tremblement. Elle se pencha et de sa main droite tâtonna sous son fauteuil roulant. De grosses larmes roulaient silencieusement sur ses joues creuses.

Reid et Hotch échangèrent un bref coup d'œil lorsque leur interlocutrice leur tendit une photo pliée en deux. Se pouvait-il qu'elle ait gardé sur elle les informations qu'ils désiraient ? Hotch s'empara avec précaution de l'image. Il allait la déplier lorsque son attention fut attirée par un bip. Inquiet, il fit signe à Reid de se taire. Une seconde plus tard, un autre bip retentit.

« Je suis désolée, s'excusa la quinquagénaire… »

Bip.

« …Si je ne le fais pas, il reviendra. Je suis vraiment désolée… »

Bip.

Hotch se leva d'un bond et s'approcha du fauteuil. Lorsqu'il retira le tissu noir qui protégeait les composants, il découvrit une bombe. Les fils étaient cachés dans un boitier scellé, laissant uniquement voir le compte à rebours. La respiration de l'agent se bloqua dans sa poitrine.

« Il m'a obligée… »

Bip.

Les chiffres lumineux rouges indiquaient à présent 0 : 05. Cinq secondes. Il leur restait cinq secondes pour quitter la maison et prendre assez d'avance pour ne pas subir de plein fouet le souffle de l'explosion. Hotch comprit d'un coup qu'ils n'y arriveraient pas. Il fallait six secondes rien que pour ouvrir les verrous. Ils étaient pris au piège. Reid s'était levé et contemplait également la bombe, catastrophé. Lui aussi avait compris les implications de ces cinq petites secondes.

Bip.

Hotch se redressa et attrapa le bras de Reid. Il le tira sans ménagement au risque de lui déboiter l'épaule. Il ne se dirigea pas vers la porte d'entrée ni vers la porte du jardin : c'était peine perdue. Au lieu de ça, il voulait gagner les escaliers. Sous l'escalier montant y avait un escalier descendant qui menait à la cave. Hotch le savait. Il espérait juste que la porte n'était pas également condamnée.

Bip

Encore deux pas et ils seraient devant la cave. Il n'aurait qu'à ouvrir la porte, dévaler les marches et ils seraient à l'abri. Il restait deux secondes. C'était assez. Assez s'il n'y avait pas de verrou sur la porte.

Bip

Hotch était devant la porte. Elle était fermée par une chaîne. Il fallait l'ouvrir. Il l'ouvrit. Et il ne resta qu'une seconde.

Bip

Hotch comprit. Ils n'auraient pas le temps de se mettre à l'abri : lui et Reid étaient encore au rez-de-chaussée. Ils n'auraient pas le temps de descendre dans la cave. Alors Hotch fit la seule chose qui lui vint à l'esprit : il poussa Reid de toutes ses forces.

Parce que Reid était sous sa responsabilité.

Parce que si un membre de son équipe mourrait, il ne se le pardonnerait jamais.

Parce que Reid était avant tout un ami. Et que Hotch donnerait sa vie pour un ami.

Bip. Bip. Bip. Bip.

La bombe explosa.