1.
Le Van de l'Unité Léviathan stoppa net à la sortie du garage, une brunette se tenant sur son passage. Elle le contourna, la porte latérale s'ouvrant et elle grimpa à bord.
- Je peux savoir pourquoi vous nous retardez, Madame… ?
- Colonel Sharlène Krobille. Continuez de foncer, moi je vais prévenir Aldéran.
- Nous avons déjà essayé, nous n'arrêtons pas ! gronda Jarvyl, mais selon toute évidence, il n'a pas son téléphone en vue.
- C'est ce qui m'avait semblé comprendre de vos échanges radios. Voilà pourquoi je suis là. Le SIGiP a d'autres moyens que les vôtres. Jelka Ourosse, vous m'entendez ?
- Oui, Colonel.
- Mettez-moi en communication avec le concessionnaire qui a vendu la décapotable à Ayvanère Thyvask Skendromme. Dites-lui de basculer la radio sur mon téléphone.
- Il ne va jamais accepter…
- Je vous donne mon matricule, ça suffira comme passe-droit, croyez-moi !
- Soreyn, où es-tu ? questionna pour sa part Jarvyl.
- Je suis toujours la balise de la décapotable. J'ai pris un chemin transversal. On devrait pouvoir faire la jonction sous peu. Mais Jelka n'a toujours pas repéré Gardlyne !
La musique s'interrompant, Aldéran grogna, résistant à l'envie d'abattre son poing sur l'écran fragile.
- Aldéran, tu as oublié le premier précepte : être toujours joignable ! glapit une voix connue mais sur laquelle il mit quelques instants avant de l'identifier.
- Sharlène ! ?
- On discutera plus tard si nous en avons l'occasion. Gardlyne est juste derrière toi !
- Quoi ? !
- Il y a forcément un véhicule dans ton sillage. Repère-le et évite-le le temps que nous te rejoignions ! Les Vans Anaconda et Léviathan sont en route ! Je reste en ligne et tu me commentes ce que tu vois !
Tout en se faufilant dans le trafic, il jeta des coups d'œil dans ses rétroviseurs.
- Mais, pourquoi est-ce que Gardlyne… ?
- On en parlera plus tard ! siffla à son tour Soreyn. Qu'y a-t-il de suspect autour de toi ?
- Rien…
Mobilisant tous ses sens, Aldéran scruta attentivement les véhicules qui l'entourait, modifia brusquement son trajet et après un moment, il localisa une camionnette gris métal qui ne cessait de calquer sa route sur la sienne. La porte côté gauche s'ouvrant, il aperçut trois personnes, la visière du casque ne permettant pas de savoir s'il s'agissait d'hommes ou de femmes sous les épaisses combinaisons de motards, armées de pistolets mitrailleurs.
- Là, ça va canarder sec, rugit-il en décrivant ses poursuivants tout en slalomant de plus belle entre les véhicules. Gardlyne a sérieusement changé ses habitudes sur ce coup ! Et avec ce trafic, ça ne va pas finir sans casse !
Jelka avait basculé les communications entre les deux Vans sur une ligne sécurisée.
- Il ne va jamais y arriver ! s'épouvanta-t-elle. Il va se faire tirer comme un lapin !
De fait, Soreyn et Jarvyl serrèrent les poings.
- Si seulement il avait le tout-terrain, il n'aurait rien redouté. Saleté de fatalité ! rugirent-ils.
- Il faut absolument qu'il esquive jusqu'à notre arrivée, jeta Talvérya. Ma Reine m'a demandé de le protéger, je ne peux pas faillir !
Empruntant le pont qui reliait deux quartiers de la galactopole, ce fut moins les balles que les impacts et les véhicules touchés qui firent comprendre à Aldéran que les tueurs étaient passés aux choses sérieuses et qu'ils n'entendaient pas faire de quartier !
« Ça ne va pas finir ainsi, c'est trop idiot ! ».
Il se saisit de son arme, braquant et freinant à fond pour placer la décapotable dans le sens contraire de la circulation, se faisait copieusement klaxonner !
Il donna un bon coup d'accélérateur avant de s'asseoir sur le dossier du siège, dirigeant le volant du bout du pied. Il mit ses ennemis en joue alors que les deux véhicules se rapprochaient l'un de l'autre. Il vida son chargeur.
Son chauffeur tué net, la camionnette opérant un dérapage complètement incontrôlé, elle se dirigea droit sur la décapotable. Mais percutée par le Van de l'Unité Anaconda, elle fut déviée tandis que de sa masse il s'interposait entre elle et le tireur survivant qui avait décidé lui aussi de jouer son va-tout !
Aldéran freina à fond et la voiture presqu'immobilisée, il sauta au sol et fonça droit vers le Van, y monta, la porte blindée stoppant les balles alors qu'elle se refermait sur lui.
- Comment ça, ma décapotable n'est plus qu'une épave ? !
- Heu, Ayvi, ton mari a manqué y laisser la vie ! protesta Soreyn alors qu'elle venait d'arriver à l'AL-99 où ils étaient tous revenus sitôt le seul survivant de la bande d'assassins neutralisé.
- Je vais bien ! grinça le grand rouquin balafré. Au cas où ça intéresserait quelqu'un !
- Je venais juste de l'acheter, cette décapotable ! vitupéra encore Ayvanère. Et toi, vu que pour une des rares fois où cela arrive tu finis sur tes deux pieds, je ne vois pas pourquoi je m'en ferais ! Un de ces jours, après l'assurance santé, c'est celle des véhicules qu'on va nous retirer !
- Bon, quand tu auras fini de me tailler un costard, tu me ramènes chez nous ? Tu es venue avec le tout-terrain, j'espère ?
- Non, en taxi.
- Mais, c'est très dangereux, je n'ai rien vu, mais ce fut ainsi que Gardlyne m'a pisté toute une journée…
Sharlène fronça les sourcils.
- Et tu n'as rien vu, Aldie ? ! J'avoue que j'ai du mal à le croire ! Aldie ! ?
Aldéran soupira, se calant davantage encore dans son fauteuil, serrant fort entre ses doigts la tasse de thé réconfortante à laquelle Kycham avait rajouté une lichette d'alcool très fort.
- Je suis un peu surchargé de travail ces temps-ci. Toutes mes absences… et en dépit du boulot de Soreyn, il me reste beaucoup à assumer. J'étais un peu sur les rotules avant un week-end de récupération au Manoir. Et puis, quand je suis dans ce fichu trafic de RadCity, je fais surtout attention de ne pas avoir un accident avec ce qu'il y a devant moi et sur mes côtés. Sans raison valable, je ne regarde pas dans mes rétroviseurs !
- Tu sais que ton acrobatie, sur le siège de cette décapotable, en pleine circulation justement, c'était de la pure démence ! reprit la Colonel du SIGiP. Tu as roulé sur ton accélération, tu as manqué te faire percuter à plus d'une reprise et tu n'as évité ces voitures, bus et même camion, que de justesse !
- Je sais, mais sur le moment, je n'ai rien vu d'autre à faire… Il fallait que je les affronte, au lieu de les fuir de façon désespérée et à l'issue uniquement mortelle pour moi !
- En revanche, pour avoir étudié ce dossier à fond, mais sur le peu qu'il contenait, je ne comprends pas pourquoi Gardlyne a autant modifié ses habitudes d'assassinat ! glissa Ayvanère. Elle n'avait jamais fait appel à des hommes de main… Sa signature, c'était un tir de sniper, ou à bout portant, et sa formule laissée sur le corps ou énoncée à sa victime agonisante : endgame ! Ce n'est pas normal ! Il va me falloir réfléchir à cela…
- Pour une profileuse, vous n'êtes guère douée ! jeta soudain Sharlène, ayant tressé sa longue chevelure brune. L'explication est pourtant d'une limpidité absolue : Gardlyne n'a pas eu le choix !
- De quoi ? tiqua encore Ayvanère, réellement perdue.
- Gardlyne est arrivée juste avant l'accident d'Intervention qui a fait perdre la vue à Aldéran. Une fois avec ce handicap, mon Général était à la fois une cible tellement aisée – mais trop facile justement pour une meurtrière de la trempe de Gardlyne. Vulnérable, Aldéran était pourtant mieux gardé que jamais, par sa famille, ses amis, absolument impossible à atteindre et elle voulait une confrontation et non une exécution à distance – aussi a-t-elle patiemment attendu, expliqua Sharlène avec un regard affectueux et bien trop appuyé sur le grand rouquin balafré qui ne réalisait même pas cette attention au contraire de sa femme aux joues devenues aussi rouge de colère que certaines de ses mèches ! Elle a pu assister à sa guérison, ses moyens retrouvés. Et elle a repris ses dispositions habituelles. Sauf qu'une tueuse à gages légendaire ne va pas s'attaquer sans précautions à un Général du SIGiP et des Polices ! Elle a eu peur de toi, Aldéran ! Elle a donc engagé ces acolytes, pour te donner un coup de semonce, je crois qu'elle se doutait qu'ils ne parviendraient pas à leurs fins – qu'elle l'espérait même – bien qu'ils aient été à un cheveu de t'avoir ! Elle va en revenir à son approche habituelle désormais, sois très prudent ! Je n'étais que de passage, la Générale Elumaire m'a faites venir pour veiller sur toi, elle devait subodorer quelque chose et a voulu te protéger. Maintenant, tes gardes du corps ont repris leur poste, ils ne te lâcheront, je peux te laisser. A un de ces jours, Général !
- Merci, Sharlie.
Aldéran reposa sa tasse de thé, la main légèrement tremblante suite au contrecoup des émotions, toute l'adrénaline retombée.
- Je suppose qu'on prend un autre taxi pour rentrer ? lança-t-il en se levant.
Les prunelles vert émeraude d'Ayvanère le considérèrent un instant avec un début de souci.
- Aldéran, tu as vraiment cru que… ? Mais bien sûr que j'étais venue avec le tout-terrain noir ! Et maintenant, je te ramène en effet chez nous, et je te boucle à quintuple tour !
- Avec plaisir, ma mie.
Ayvanère lui prit tendrement la main et l'entraîna hors du bureau.
