Chapitre 1 : Libération

"Et les Parchemins ont prédit la venue des ailes noires dans le froid quand la guerre sera de nouveau déclarée ! Alduin, le fléau des rois, ancienne ombre libérée, dont la faim dévorante pourrait avaler le monde" Chant de l'Enfant de dragon

Niirna était ballottée dans tous les sens, sa vision troublée. Elle distinguait vaguement le sol boueux et une multitude d'arbres autour d'elle. Elle remua légèrement et constata qu'elle était mains liées. Elle remarqua aussi qu'on l'avait dépossédée de ses habits et qu'on lui avait enfilé de vulgaires haillons par lesquelles le vent d'été s'infiltrait à loisir. Ses bottes si confortables lui avaient été volées, remplacées par deux vulgaires morceaux de tissus.

La carriole roula sur un caillou et la jeune femme fut malmenée par le mouvement brusque. Elle grogna de douleur. Son corps était meurtri et son crâne lui faisait un mal fou. Elle avait l'impression qu'un cheval lui piétinait l'arrière du crâne. Elle chercha une position moins douloureuse. Sa vision commençait à redevenir un peu plus nette.

La jeune femme tentait tant bien que mal de rassembler ses idées, elle était encore sonnée. Les moments précédant sa chute étaient encore flous dans son esprit. Elle ne se rappelait que de la nuit, des torches brusquement allumées dans l'obscurité et des soldats Impériaux surgissant des fourrés et s'élançant vers elle à grand cris, stoppant nette sa cavalcade nocturne. Son cheval avait paniqué et l'avait désarçonnée son crâne avait dû frapper une pierre quand elle était tombée.

Pour le moment, elle était incapable de réfléchir à la situation et elle se contenta de se tourner vers ses compagnons d'infortune, dont elle sentait la présence près d'elle. Elle croisa le regard d'un homme assis en face d'elle, un grand blond aux yeux bleus et à la barbe broussailleuse. Il portait une armure aux reflets de bronze et recouvert d'un tissu bleu-roi. Son visage était dur et robuste, celui d'un Nordique typique, tel qu'on lui avait décrit durant son enfance. Des gens de sa race, même rarement, elle en avait déjà vu, mais c'était la première fois qu'elle rencontrait une personne qui avait exactement la même couleur de cheveux qu'elle, si particulière au Nord de l'Empire.

A la suite de cet échange de regard, l'homme lui parla :

— Tiens, tu as fini par te réveiller ? Tu as essayé de traverser la frontière, pas vrai ? Et tu as foncé tête baissée dans une embuscade des Impériaux … tout comme nous et ce voleur, là.

L'homme qu'il avait désigné n'était vêtu lui aussi que de haillons et, bien que Nordique comme son voisin, il n'avait rien de notable, contrairement au quatrième et dernier passager de la carriole, assis en face de lui. D'un certain âge, il portait une armure entièrement noire, qui avait l'air d'une facture bien supérieure à celle de son compagnon. Il était vêtu de plus d'une cape de fourrure, noire elle aussi, mais surtout, détail insolite, il était bâillonné. Ses yeux, fixant le vide tandis qu'il réfléchissait, étaient aussi froids que de la glace et exprimaient de la colère. Il avait un visage fin, princier, avec des longs cheveux blonds miel et la barbe finement taillée. On ne pouvait qu'éprouver un sentiment de respect pour lui. Même ainsi maltraité, le personnage dégageait une présence et une autorité qui frappèrent Niirna. Elle ne savait pas ce qu'il avait fait pour mériter ce traitement, mais quand il tourna la tête et posa ses yeux sur elle, elle ne put réprimer un frisson.

Le voleur s'exclama :

— Maudits Sombrages ! Bordeciel allait parfaitement bien avant votre arrivée. L'Empire était calme et nonchalant. Si la Légion n'avait pas été à votre recherche, j'aurais pu voler ce cheval et je serais déjà arrivé à Lenclume.

Niirna assista silencieusement à l'échange. Le voleur remarqua qu'elle écoutait attentivement et l'apostropha :

— Vous, là-bas. Vous et moi, nous ne devrions pas être ici. Ce sont les Sombrages que l'Empire veut.

Elle n'eut même pas le temps de répondre que l'homme blond en armure répliqua :

— Nous sommes tous des frères et sœurs liés.

L'Impérial qui menait la carriole ordonna aux prisonniers de se taire, sans même se retourner. Le voleur fit fi de l'ordre et demanda au guerrier en désignant l'homme bâillonné :

— Et lui, pourquoi il est là ?

Le Nordique blond lui répondit avec toute la fierté que peut posséder un homme :

— Un peu de respect ! Vous parlez à Ulfric Sombrage, le vrai Haut-Roi.

— Ulfric ? Le Jarl de Vendeaume ? s'exclama le voleur avec surprise. C'est vous qui menez la rébellion.

L'homme bâillonné le regarda avec défi. Pour qu'un simple voleur connaisse son nom, il devait être un homme important de Bordeciel. Le voleur enchaîna alors, horrifié, comme s'il venait de comprendre quelque chose :

— Mais puisque vous vous êtes fait prendre … Par les dieux, où nous emmènent-ils ?

— Aucune importance, répondit l'homme blond. Sovngarde est au bout du chemin.

Le voleur gémit :

— Non, c'est impossible. C'est impossible !

Il était de plus en plus terrifié. Le guerrier ne le remarqua pas, ou peut-être l'ignora-t-il, et lui demanda comme si de rien n'était :

— Hé, de quel village venez-vous ?

— En quoi ça vous intéresse ?

— Les dernières pensées d'un Nordique doivent aller vers son foyer.

Niirna réfléchit à ses paroles. Elle était elle-même une Nordique, mais vers quel foyer devait se diriger ses pensées ? Bordeciel, ce pays qui l'avait vu naître, mais dont elle n'avait aucun souvenir, ou bien la Cité Impériale, en Cyrodiil, où elle avait grandi dans une prison d'ivoire ? Au final, avait-elle réellement eu un foyer ?

Elle avait des nausées et des vertiges : elle n'arrivait pas à comprendre ce qu'elle faisait là, ce qu'il se passait. La carriole s'inclina légèrement tandis qu'elle s'engageait dans une pente. Le mouvement martyrisa le corps meurtri de la jeune femme, tandis qu'elle tournait la tête pour observer les tours et fortifications d'un village quelques mètres plus bas. Des soldats s'activaient déjà à en ouvrir les massives portes de bois.

Le voleur répondit :

— Rorikbourg. Je ... Je suis de Rorikbourg.

Le premier chariot s'engagea dans un village, destination finale de leur voyage. Un soldat sur les fortifications cria à l'homme à la tête de leur cortège :

— Général Tullius, chef ! Le bourreau attend !

En entendant ces mots, le sang de Niirna se glaça et un frisson d'angoisse lui parcourut le corps. Une inquiétude vive s'empara d'elle : ils ne pouvaient pas exécuter une simple voyageuse qui n'avait rien fait contre l'Empire, n'est-ce pas ? C'était impossible.

Tandis que la jeune femme était prise de panique, une voix grave et autoritaire provenant de l'avant du convoi, certainement le général en question, répondit :

— Bien, dépêchons-nous d'en finir.

Le voleur se mit à murmurer :

— Shor, Mara, Dibella, Kynareth, Akatosh. Divins, s'il vous plaît, aidez-moi.

Niirna n'était pas certaine qu'une divinité pouvait les sortir de ce pétrin et de la mort vers laquelle ils avançaient. Le Sombrage, quant à lui, resta calme et analysa pragmatiquement la situation :

— Regardez-le, Général Tullius, Gouverneur militaire. On dirait que les Thalmor sont avec lui. Satanés Elfes ... Je parie qu'ils ont quelque chose à voir avec tout ça.

Niirna observa le fameux général Tullius qui s'était éloigné du cortège pour parler à deux Haut-Elfes à cheval. Même de là où elle était, elle pouvait voir que les Thalmor étaient droits sur leur monture, dans une attitude qui transpirait la condescendance et un sentiment de supériorité. Le Thalmor n'était pas réputé pour sa modestie, ni pour son amour des Humains. Tandis que le guerrier crachait son venin sur les Elfes, Niirna entendit une bribe de conversation entre Tullius et une des Elfes qui avait adopté un ton menaçant :

— Vous faites une erreur en exécutant Ulfric, Tullius.

La carriole bifurqua vers l'artère principale du village et la jeune femme n'entendit pas la suite de la conversation. Comme pour chercher une issue, elle se mit à détailler l'endroit du regard : ce village ne ressemblait en rien à la Cité Impériale, composé d'une rue principale à peine pavée. Les maisons étaient petites et faites de pierres taillées sans grand talent, le tout chapeauté par un toit de paille. On était loin des magnifiques maisons des notables de l'Empire. Elle n'imaginait pas ainsi sa première visite dans un village nordique. L'endroit n'était pas inconnu au guerrier :

— Donc, nous voilà à Helgen. J'y ai courtisé une fille autrefois. Je me demande si Vilod met toujours des genièvres, dans son hydromel. C'est amusant, ironisa-t-il. Quand j'étais petit les remparts et les tours des Impériaux me donnaient un sentiment de sécurité.

Elle le regardait : avait-il compris ce qu'ils les attendaient ? Comment pouvait-il être aussi calme ? Elle entendit d'une devanture de maison un enfant demandait :

— C'est qui, papa ? Ils font quoi ?

— Rentre à l'intérieur, fiston, répondit une voix grave.

— Pourquoi ? Je veux voir les soldats, moi !

— A l'intérieur. Immédiatement, ordonna le père.

— Oui, papa.

Cela paniqua encore plus Niirna : qu'est-ce cet enfant ne devait pas voir ? Le chariot avança encore de quelques mètres et stoppa net. Ils étaient arrivés sur la place du village. Le voleur, inquiet, demanda :

— Pourquoi nous arrêtons-nous ?

— A votre avis ? lui répondit le Nordique blond. La fin du voyage.

Après un court silence, il enchaîna avec un grand sourire :

— Allons-y. Ne faisons pas attendre les Dieux.

Niirna le regarda, les yeux écarquillés. Comment faisait-il pour ne pas être terrifié à la perspective d'être exécuté ? Etait-il fou ou inconscient ? Elle était pétrifiée par la peur, incapable de dire le moindre mot depuis son réveil. Le voleur, lui, céda totalement à la panique et s'exclama :

— Non attendez ! Nous ne sommes pas des rebelles !

Tandis qu'Ulfric descendait de la carriole, le voleur à sa suite, le Nordique fou s'exclama avec dédain :

— Affrontez la mort avec courage, voleur.

— Vous devez leur dire ! supplia l'autre. On n'était pas avec vous ! C'est une erreur !

Niirna aurait aimé dire la même chose, mais sa bouche était aussi sèche que le désert des Khajiits. La terreur lui avait asséché la gorge et tout courage avait fui hors de son corps. Les Impériaux s'étaient positionnés tout autour d'eux, empêchant toute fuite. Ce qui devait être une capitaine Impériale ordonna aux prisonniers :

— Avancez en direction du billot quand vous entendez votre nom. Un seul à la fois.

Le guerrier se moqua d'elle :

— L'Empire adore ses satanées listes.

La capitaine ne fit pas attention à lui et fit signe à un de ses soldats, tenant une liste entre ses mains, de commencer.

— Ulfric Sombrage, Jarl de Vendeaume.

Son guerrier s'exclama avec fierté tandis que son chef s'avançait :

— Ce fut un honneur, Jarl Ulfric !

L'Impérial continua :

— Ralof de Rivebois.

C'était son nom : il s'avança à la suite d'Ulfric. En passant près de celui qui tenait la liste, ils échangèrent un long regard plein de sous-entendus. Ils se connaissaient sans doute autrefois, avant de rejoindre deux camps opposés.

Un nouveau nom fut prononcé, celui du voleur : Lokir de Rorikbourg. Le voleur s'avança vers la capitaine et s'exclama dans une dernière tentative désespérée de convaincre les soldats Impériaux de leur erreur :

— Non, je ne suis pas un rebelle. Vous n'avez pas le droit.

Voyant que la capitaine ne réagissait pas, sans doute habituée à ce genre de plainte, Lokir tenta le tout pour le tout et partit en courant. Il cria aux Impériaux qu'ils n'arriveraient pas à le tuer. Niirna espéra pendant quelques instants qu'il réussisse à s'échapper : cela retarderait certainement son exécution et lui donnerait peut-être le temps de s'expliquer.

Mais alors qu'il remontait en courant la rue, la capitaine ordonna aux archers de tirer. Leur tir fut parfait et deux flèches se plantèrent dans le dos du bougre. Lokir mourut avant même de toucher le sol. La capitaine se retourna, le visage toujours aussi inexpressif, et demanda aux autres prisonniers d'un ton sans appel :

— Quelqu'un d'autre a envie de s'enfuir ?

Personne ne broncha, surtout Niirna: elle tenait à peine sur ses jambes. Du haut de ses seize étés, c'était le premier mort qu'elle voyait.

L'Impérial tenant la liste s'adressa à elle :

— Attendez. Vous, là ! Avancez !

Niirna s'exécuta et se retrouva face aux deux Impériaux. C'était le moment pour elle d'expliquer sa situation, d'où elle venait. Elle connaissait des personnes qui pouvaient la sortir de ce cauchemar, il fallait juste gagner du temps. Une multitude de discours traversa son esprit, mais lorsque l'Impérial lui demanda son nom, elle ne fut que capable de répondre dans un murmure :

— Niirna.

Tout en la cherchant sur la liste, le soldat dit :

— Vous avez bien mal choisi votre moment pour rentrer au pays.

Après quelques secondes, le soldat, surprit, demanda à son supérieur:

— Capitaine, que fait-on ? Elle ne figure pas sur la liste.

Une lueur d'espoir naquit, mais elle fut soufflée presque immédiatement. La capitaine semblait excédée par tous ces contretemps et répondit d'une voix glaciale :

— Peu m'importe qu'elle ne soit pas sur la liste. Elle rejoint le billot comme les autres.

— A vos ordres capitaine. Désolé. Au moins mourrez-vous ici, sur votre terre natale. Suivez le capitaine.

Si Niirna avait été en mesure d'apprécier l'ironie de la situation, elle aurait souri. Elle tenta d'apostropher la capitaineune nouvelle fois, mais cette dernière l'ignora . Elle rejoignit malgré elle les autres prisonniers qui attendaient à côté du billot. Le bourreau était présent, messager de la mort avec sa cagoule noire comme la nuit et sa hache aux reflets lunaires. La jeune femme prit place à côté d'Ulfric. Le Général Tullius, un Impérial d'un certain âge aux cheveux grisonnant, mais se tenant droit et fier dans son armure de général, se tenait face au Nordique :

— Ulfric Sombrage ! Certains ici, à Helgen, vous prennent pour un héros, mais un héros n'utilise pas un pouvoir comme celui de la Voix pour assassiner son roi et usurper son trône.

Ulfric répondit d'un grognement étouffé que Niirna ne comprit pas, pas plus ce qu'était cette "Voix" dont parlait le général, mais cela expliquait certainement le bâillon. Tullius continua son discours :

— Vous avez commencé cette guerre, plongé Bordeciel dans le chaos. Désormais, l'Empire va vous abattre et rétablir la paix.

A peine eut-il prononcé ces mots qu'un rugissement lointain se fit entendre par-delà les hautes montagnes qui entouraient le village. Tous en cherchèrent l'origine du regard et un garde demanda :

— Qu'est-ce que c'était ?

— Ce n'est rien, ordonna Tullius, impatient de mettre fin à la vie d'Ulfric. Continuez !

La capitaine se retourna vers une prêtresse qui se trouvait un peu à l'écart. Cela devait être une servante d'Arkay, Dieu du cycle de la Vie et de la Mort. Elle lui demanda de prodiguer les derniers rites aux prisonniers. La prêtresse commença sa litanie :

— Nous recommandons vos âmes à Aetherius, que les Huit Divins vous bénissent, car vous êtes le sel et la terre de Niirn, notre bien-aimée ...

Elle fut interrompue par un soldat Sombrage à droite de Niirna qui s'exclama :

— Pour l'amour de Talos, taisez-vous et finissons-en.

— Comme vous voudrez, répondit la prêtresse tandis que l'homme prenait place face au billot.

Sans une hésitation ni un tremblement, le soldat se permit même de se moquer des Impériaux et du bourreau tandis qu'il s'agenouillait :

— Allez, je n'ai pas toute la journée. Mes ancêtres me sourient, Impériaux. Pouvez-vous en dire autant ?

Niirna n'en croyait pas ses yeux. Étaient-ils tous complètements fous en Bordeciel pour ne pas être terrifié par la mort ? Lorsqu'il fut en position, le bourreau leva sa hache. Le temps sembla s'arrêter, immobile. Niirna n'entendait plus que le vent soufflant dans la forêt de pins qui entourait Helgen. Le craquement des arbres résonnait comme une douce mélodie.

Puis le temps reprit sa course et la hache s'abattit. Niirna eut juste le temps de détourner le regard avant que celle-ci ne tranche la tête du soldat. Si elle ne vit pas la scène, elle entendit distinctement le bruit de la lame découpant la chair et les os. Elle perçut le bruit sourd de la tête tombant dans un panier d'osier. La jeune femme avait envie de vomir.

Un soldat à côté de Niirna hurla :

— Chiens d'Impériaux !

Les villageois qui s'étaient rassemblés s'exclamèrent :

— Justice !

— Mort aux Sombrages !

Ralof, imperturbable, rendit hommage à son compagnon :

— Aussi courageux dans la mort que pendant toute sa vie.

Niirna eut à peine le temps de réaliser ce qui venait de se passer que la capitaine la désigna et ordonna :

— Maintenant, la Nordique en haillons !

Un nouveau rugissement se fit entendre. Il était beaucoup plus près. Tout le monde leva les yeux vers le ciel bleu, mais il n'y avait rien à l'horizon. Un garde interrogea la capitaine :

— Ça recommence. Vous avez entendu ?

— J'ai dit, au suivant ! s'emporta la capitaine.

Le garde, habitué à obéir, ne se fit pas prier. Avec un léger soupir, il dit à la jeune femme :

— Allez au billot ! Et dans le calme !

Niirna s'avança, non pas par courage, mais par crainte de prendre une flèche comme Lokir. Elle n'était pas courageuse face à la mort : elle était au bord de l'évanouissement, tremblante tout son corps. Tandis qu'elle s'approchait du billot, elle réalisa qu'elle allait vraiment mourir ici. Tout son périple n'avait abouti qu'à cela : sa mort dans un vulgaire village perdu dans la montagne. Toutes ces visions, ces appels pour rien. Elle avait été bien maligne sur ce coup-ci.

La jeune femme s'agenouilla et plaça sa tête sur le billot. Il était poisseux du sang du pauvre malheureux qui venait de mourir. Dans quelques instants, leurs sangs allaient s'entremêler. Une odeur métallique mélangée à celle de la terre et de la paille envahit ses narines et redoubla ses nausées.

Elle se tourna vers le bourreau, dernier espoir pour sa survie, mais ce dernier était impassible. Ce n'était pas son visage de jeune adulte à peine sortie de son adolescence qui allait émouvoir ce dernier.

La jeune femme écarquilla les yeux quand une immense créature apparut dans le ciel. La peur lui jouait-elle des tours ? Non, le Général Tullius l'avait aperçu lui aussi et elle l'entendit demander :

— Mais qu'est-ce que c'est que ça ?

La capitaine demanda aux sentinelles ce qu'elles voyaient, mais elles n'eurent pas le temps de répondre : la créature se posa brutalement sur la tour qui se trouvait juste à côté du billot, soulevant un nuage de poussière.

Elle était immense, son corps recouvert d'écailles plus sombres qu'une nuit sans lune, avec une gueule cruelle d'où brillaient des crocs blancs et une longue queue reptilienne qui s'enroula autours de la tour. Elle possédait de grandes ailes sur les pattes avant qui lui permettait de voler. L'espace d'un instant qui parut une éternité, ses yeux rouges emprisonnèrent ceux de Niirna et elle y lut une haine sans limite. A travers le voile de sa terreur, Niirna comprit : c'était un dragon.

Il la libéra de son regard, releva la tête et poussa un rugissement terrible. Tout le monde fut désarçonné par son souffle le bourreau en tomba à la renverse. Le Général Tullius réagit cependant immédiatement et ordonna à ses hommes :

— Ne restez pas plantés là ! Tuez cette horreur !

Le dragon émit un nouveau souffle dévastateur. Cette fois-ci, Niirna fut projetée au sol avec violence. Elle reçut des échardes de bois qui lui taillèrent le visage. Tullius ne démordait toujours pas et la jeune femme l'entendit hurler d'autres ordres, demandant aux soldats de mettre les villageois en sécurité.

Les débris d'une maison tombèrent tout autour de la jeune femme, toujours immobile au sol. Elle était sous le choc, mais une voix la ramena à la réalité. C'était Ralof :

— Hé, camarade. Debout ! Allez, les Dieux ne nous donneront pas d'autre chance.

Dans un instant de lucidité, Niirna comprit où il voulait en venir et se remit soudainement sur pieds. Ralof avait reçu lui aussi des débris et une longue estafilade parcourait une de ses joues. Le sang coulait abondamment et venait se perdre dans sa barbe. Des soldats hurlaient un peu partout : c'était le chaos le plus total. Niirna ne savait où aller dans cette cohue, mais Ralof l'attrapa par le bras et la guida jusqu'à une tour où les prisonniers s'étaient réfugiés.

Il l'y poussa et ferma la porte derrière eux. Il se tourna immédiatement vers son chef et demanda :

— Jarl Ulfric ! Qu'est-ce donc que cela ? Les légendes auraient-elles dit vrai ?

— Les légendes n'incendient pas des villages, répondit le Jarl d'une voix pleine d'autorité.

Ulfric se tourna vers Niirna et la jeune femme crut discerner une fugitive lueur de soulagement dans ses yeux gris. Elle n'en était pas sûre : peut-être était-ce elle qui cherchait un peu de sollicitude dans les événements qu'elle subissait.

Le Jarl lui coupa les liens qui entravaient ses mains, la pris par le bras et la poussa vers les escaliers, grimpant en direction du sommet de la tour. Un soldat d'Ulfric était déjà au niveau supérieur en train de déplacer des rochers afin d'ouvrir le chemin.

Alors que Niirna allait poser un pied sur la dernière marche, le mur explosa. Le soldat fut projeté et un horrible craquement se fit entendre. Au milieu de la poussière, elle vit apparaître la tête impressionnante du dragon par l'ouverture et entendit dans un hurlement :

— Toor Shul !

Un long jet de flammes sortit de sa bouche et calcina tout l'étage. Ralof, qui se trouvait juste derrière elle, la tira en arrière. La chaleur vint leur lécher les membres et le visage, Niirna sentit une douleur mordante se diffusait dans son bras. Le dragon repartit aussi vite qu'il était venu, laissant un trou béant dans la tour. Ralof ne perdit pas une seule seconde et ordonna à la jeune femme :

— Tu vois l'auberge de l'autre côté ? Saute sur le toit et continue !

Niirna le regarda avec des grands yeux horrifiés. Elle était incapable de faire ce qu'il demandait. Elle ne voulait pas y aller seule. Ralof remarqua sa terreur et lui dit :

— Allez ! On te suit dès qu'on le peut !

La jeune femme se pencha sur le rebord afin d'estimer la distance. Elle pâlit : c'était un sacré saut. Elle soupira d'un coup et se concentra comme elle le put. Elle avait déjà sauté des hauteurs plus importantes dans sa jeunesse, prit finalement son élan et s'élança.

Lorsqu'elle sentit le rebord de l'ouverture sous ses pieds, elle donna une impulsion dans ses jambes et sauta. Le temps où elle resta suspendue dans les airs, elle aperçut la désolation de Helgen : les maisons étaient détruites, en flammes. Les villageois couraient dans tous les sens. Puis vint la chute, Niirna passa à travers le trou du toit et atterrit lourdement sur le plancher en bois.

Elle grimaça, mais ne s'arrêta pas pour autant. Elle roula sur elle-même dans un mouvement fluide et se mit à courir. Elle sauta rapidement à l'étage inférieur par un trou du plancher et sortit de la maison en flammes.

Dehors, deux gardes, l'arme au clair, essayaient tant bien que mal d'exécuter les ordres de leur général. Niirna reconnut la voix de celui qui tenait la liste quand il cria :

— Haming, viens par ici. Tout de suite !

Il s'adressait à un enfant complètement désemparé et terrifié. Quand il entendit la voix de l'Impérial, il courut à toute jambes vers eux. Il dépassa les gardes sans même s'arrêter et bouscula Niirna dans sa fuite. Au même moment, le dragon se posa au sol. La terre trembla sous son poids. L'Impérial hurla à son compagnon :

— Torolf ! Par les Dieux ... Recule !

Les deux hommes eurent à peine le temps de s'abriter qu'un long jet de flammes jaillit de la gueule du dragon. Il s'envola aussitôt à la recherche de nouvelles cibles. Le garde remarqua enfin Niirna :

— Encore en vie ? Restez près de moi, si vous voulez que ça continue.

Niirna jeta un coup d'œil derrière elle et ne vit nulle part Ralof ou Ulfric. Seule la fumée des bâtiments en train de brûler l'entourait. La cendre envahissait ses narines. Elle n'avait aucune envie de suivre un homme qui l'avait condamnée quelques minutes auparavant, mais il représentait sa meilleure chance de survie. Dès que la situation le permettra, elle s'éclipsera à nouveau. Elle opina du chef en direction du soldat. Celui-ci aperçut un autre garde qui passait par là et lui ordonna :

— Gunnar, occupes-toi du garçon. Je dois trouver le Général Tullius et rejoindre les défenses.

— Que les Dieux te guident, Hadvar, répondit-il en emmenant le garçon.

Hadvar s'enfonça dans le village, Niirna le suivant de près, cherchant des yeux un signe de Ralof. Ils passèrent au milieu des débris de maisons en flammes. D'un coup, Hadvar s'arrêta et plaqua Niirna contre le mur d'enceinte du village. Le dragon refaisait un passage au-dessus de leur tête. De là, ils entendaient les Impériaux qui tentaient tant bien que mal d'organiser une défense.

C'est à ce moment que le dragon se posa sur le mur, juste au-dessus d'eux. La queue hérissée de pointes se logea juste à côté de la tête de la jeune femme. Niirna leva les yeux vers l'ombre qui obscurcissait le ciel et put voir à loisir les longues griffes acérées couleur ébène qui ornaient ses deux pattes. Elle n'osait plus respirer de peur que même le bruit de son souffle ne la trahisse. Hadvar, à ses côtés, tenait prêt son arme, bien décidé à se défendre corps et âme. Mais le dragon n'en avait pas après eux. Il poussa de nouveau un furieux rugissement :

— Vol Toor Shul !

Une vague de chaleur déferla sur Niirna et Hadvar et le dragon s'envola à nouveau. Hadvar ne perdit pas de temps et repartit en courant. Ils passèrent à travers une maison calcinée en ruine. Au milieu de celle-ci, un Impérial se trouvait près d'un villageois dont la peau n'était plus qu'un amas de chair de cloques. Tout n'était que chaos et destruction.

Ils passèrent à côté d'archers qui tentaient vainement d'abattre la créature, puis arrivèrent sur une place dégagée et retrouvèrent Ralof. En le voyant, Hadvar l'invectiva :

— Ralof, espèce de traître ! Hors de mon chemin !

— On s'enfuit, Hadvar, et tu ne nous arrêteras pas cette fois !

Niirna ne faisait pas attention aux deux hommes. Elle était complètement paniquée et ne pouvait détacher les yeux du dragon. Elle le regardait voler autour du village, détruire les bâtiments en atterrissant dessus. Elle était hypnotisée par les flammes qui sortaient de sa gueule aux crocs tranchants. Elle vit horrifiée un homme être lâché depuis le ciel et retomber à toute vitesse vers le sol. Son hurlement de terreur avant de s'écraser se fit entendre dans tout le village malgré la cacophonie des cris.

Encore une fois, ce fut la voix de Ralof qui la ramena à la réalité. Il l'appelait et lui faisait signe de la suivre. Elle ne fit même pas attention à Hadvar et courut vers le Nordique. Ils se réfugièrent dans le bâtiment le plus proche et Ralof verrouilla la porte derrière eux.

Le monde devint d'un coup silencieux. Seul les bruits étouffés et lointains du dragon se faisait entendre. Ce changement surprit la jeune femme qui se frotta vigoureusement les oreilles. Ce passage du chaos au calme soudain était perturbant, presque surréaliste.

Au milieu de la pièce, ils trouvèrent un Sombrage au sol. Ils s'en approchèrent et Ralof s'agenouilla à côté de lui avant de hocher tristement la tête : il était mort. Il lui adressa des dernières paroles :

— Nous nous rencontrerons de nouveau à Sovngarde, frère.

Puis il s'occupa de Niirna :

— Il semble que nous soyons les seuls à en être sorti. Pas de doute, cette chose était un dragon, comme ceux dans les histoires pour enfants et les légendes. Les annonciateurs de la fin des temps. Nous devrions bouger, mais reposes-toi quelques minutes. Je vais aller vois si je ne trouve pas une sortie.

— Merci, répondit simplement la jeune femme.

Niirna s'assit de tout son long contre un mur, un peu à l'écart du cadavre. Cela faisait beaucoup trop de morts dans une seule journée. Elle ferma les yeux et tenta d'oublier où elle était, ce qu'elle avait vécu et essaya de trouver un havre de paix dans son esprit. Mais soudain, des voix se firent entendre dans un des couloirs adjacents.

Niirna reconnut la capitaine Impériale. Ralof les entendit aussi et dégaina une hache qu'il avait récupérée. Il se colla au mur, à gauche de la porte d'où provenaient les voix. Il fit signe à Niirna de ne pas faire de bruit et de ne pas bouger : visiblement, elle allait servir d'appât.

La capitaine ordonna l'ouverture de la porte, et elle pénétra dans la salle, accompagnée d'un autre soldat. Surpris de trouver Niirna ici, ils stoppèrent net une fois le seuil franchi : ce leur fut fatal.

Ralof frappa à l'arrière des genoux de la femme, qui tomba au sol dans un hurlement. Son camarade se retourna en dégainant, mais pas assez vite. Ralof lui trancha la gorge d'un mouvement circulaire. Une gerbe de sang éclaboussa le mur. La garde porta ses mains à sa gorge tentant vainement de retenir le flot de sang, mais c'était inutile. Le Nordique ne fit pas attention à lui et se contenta d'achever la capitaine qui était au sol. Niirna était restée immobile.

Ralof avait éliminé les Impériaux avec une facilité déconcertante. Il vit son désarroi et s'approcha d'elle, posant une main sur son épaule :

— Allez, petite il faut te ressaisir ! C'était eux ou nous, tu comprends ? Je te donne deux minutes pour souffler et on repart.

Niirna comprenait, mais elle n'avait jamais assisté à de véritables combats ni à la mort qui en découlait. Elle savait manier une arme en entraînement, mais tout cela n'avait été que du factice jusqu'à ce jour.

Ralof se dirigea vers les cadavres pour les fouiller et trouva une clef. Il l'essaya sur la deuxième porte de la pièce. La chance était avec eux, elle s'ouvrit :

— Allons-y avant que le dragon ne fasse s'effondrer le toit sur notre tête.

Niirna ne se le fit pas dire deux fois et ils arrivèrent devant un escalier s'enfonçant dans les sous-sols. N'ayant aucun autre chemin, ils descendirent.

Ils arrivèrent dans une zone de stockage de fournitures. La jeune femme remarqua une paire de bottes usées qui était abandonnée dans un coin et les enfila rapidement. Elle commençait à avoir les pieds en sang et qui sait combien de temps elle allait devoir courir encore.

Alors que tout était calme et qu'ils avançaient dans le couloir attenant, le sol et les murs se mirent soudainement à trembler, il y eu une secousse puis une partie du plafond s'effondra devant eux sans prévenir. C'était moins une, cependant, ils étaient bloqués. Ils pouvaient soit remonter, soit prendre une porte sur la gauche. Niirna interrogea Ralof du regard. Ce dernier haussa les épaules et s'engouffra dans la porte sans même réfléchir.

Dans la pièce, ils surprirent deux Impériaux en train de fouiller une étagère. En pleine conversation et avec le bruit de l'éboulement, ils ne les avaient pas entendus entrer.

— Prend tout ce qui est important et allons-y ! Le dragon est en train de tout brûler.

— J'ai juste besoin de prendre quelques potions supplémentaires.

Ralof ne perdit pas une seule seconde et chargea ses ennemis. Après un bref combat et une ou deux égratignures, les deux Impériaux étaient morts. Niirna n'avait même pas eu le temps de réagir que tout était déjà fini. Ralof essuyait le sang sur sa hache et ordonna milirairement à Niirna de fouiller les étagères à la recherche de quelque chose d'utile.

Elle obéit sans un mot, après avoir pris soin d'enjamber les cadavres en évitant de les regarder. Elle trouva quelques provisions et élixirs alchimiques. Elle fourra le tout dans un sac de toile qu'elle mit en bandoulière. Elle se rendait utile comme elle le pouvait. Ralof lui demanda :

— C'est bon ? Allons-y.

Ils poursuivirent leur périple, s'enfonçant toujours plus bas. Au bout de quelques minutes, ils entendirent le fracas des armes : on se battait en-dessous d'eux. Ralof s'élança et, le temps que Niirna le rejoignit, plusieurs Impériaux gisaient au sol, morts, entourés de Ralof et deux autres Sombrages. Alors qu'elle s'approcher, elle entendit le guerrier jurer. Furieux, il frappa du bout du pied un des cadavres :

— Par le sang d'un troll ! C'est une chambre de torture !

Niirna observa la pièce et elle blêmit. La pièce était parsemée de cages et d'un tas de machines, la plupart dotées de piques acérées. Elle entendait encore quelques gouttes de sang qui s'égouttaient de ces engins de malheur : elles avaient servi récemment. Elle ne pouvait croire que l'Empire utilisait ce genre de méthode.

Ralof de son côté demanda aux Sombrages :

— Est-ce que le Jarl Ulfric est avec vous ?

— Non. Je ne l'ai pas vu depuis l'arrivée du dragon.

Ralof parut soucieux : il s'inquiétait pour Ulfric. A n'en pas douter, il éprouvait un véritable amour pour son chef. Tandis que Ralof discutait avec ses compagnons de ce qu'il fallait faire, Niirna fouilla les alentours. Elle trouva une bourse avec quelques pièces d'or, des crochets et une dague. Elle hésita, puis finit par la prendre. Elle savait se battre, mais n'avait pas l'intention de rechercher l'affrontement. Néanmoins, la présence de l'acier froid la réchauffait d'un sentiment de sécurité.

Les guerriers décidèrent de continuer à explorer les souterrains, espérant trouver une sortie. Ralof prit la tête de l'expédition. Ils s'enfoncèrent pendant plusieurs mètres, descendant encore plus profondément. Ils ne croisèrent plus d'Impériaux et arrivèrent dans une salle dont une partie du mur donnait sur une grotte.

C'était une sortie secrète. Ils continuèrent tout de même à avancer prudemment, à bonne vitesse, le bruit de leur pas émettait un léger écho sur la roche. Pour plus de discrétion, ils n'allumèrent pas de torche et restèrent dans une relative obscurité. L'air était aussi plus frais dans la caverne. Un cours d'eau se fit entendre et tous les quatre débouchèrent dans une immense pièce.

A peine eurent-ils le temps de se repérer qu'un Sombrage devant Niirna s'effondra au sol, une flèche plantée dans le front. Un mince filet de sang s'écoulait sur son visage et ses yeux bleus exprimaient la surprise. La jeune femme recula instinctivement dans le boyau tandis que Ralof et l'autre Sombrage se ruèrent à l'attaque de soldats Impériaux. Le combat dura plusieurs minutes. Quand elle sortir de sa cachette, quatre Impériaux gisaient morts et Ralof semblait blessé : il saignait, mais il n'en avait cure et ils continuèrent sans un mot.

Ils suivirent le cours d'eau, espérant que celui-ci débouchait à l'air libre. Malheureusement, le cours d'eau s'infiltra dans un espace trop étroit pour eux et, avant de prendre un boyau plus large qui bifurquait sur leur droite, ils décidèrent de faire une courte pause. Ils se désaltérèrent tous les trois et Niirna en profita pour faire un bandage à Ralof.

Alors qu'elle serrait bien fort le bout de tissu sur le torse du Nordique, elle remarqua un nombre impressionnant de blessures. Ralof était un homme qui s'était visiblement battu un nombre incalculable de fois, ce qui expliquait qu'il tuait sans émotion ses ennemis : il en avait pris l'habitude. Niirna avait la peau aussi lisse que celle d'un enfant, tout comme l'était son âme, pas encore entachée par le pourpre des combats. Après cinq minutes de pause, ils s'engagèrent dans le boyau et tombèrent dans une immense caverne.

Elle n'était pas remplie d'Impériaux, certes, mais c'était pire : des araignées géantes, certaines de la taille d'un cheval de trait, nichaient là. Cela en était trop pour Niirna, qui en avait une phobie maladive. De peur, elle se blottit instinctivement contre Ralof. Le Nordique lui passa la main dans le dos dans un geste réconfortant et lui fit signe de ne pas bouger.

Avec l'autree Sombrage, ils allèrent au combat et frappèrent mortellement quelques araignées. Les autres s'enfuirent rapidement devant la résistance de leurs proies. Ralof guida Niirna à travers la salle et lui confia :

— Moi aussi, je hais ces satanées bestioles. Trop d'yeux.

— Les pattes … ce sont les pattes que je trouve immonde, répondit-elle, crispée.

Ralof ria de bon cœur. Ils arrivèrent dans une nouvelle caverne et il lui fit brusquement signe de s'arrêter. Il lui murmura en pointant une forme devant eux :

— Il y a un ours devant nous. Tu le vois ? Je préfère l'éviter pour le moment. Nous allons passer discrètement : toi, moi et puis Olaf. Vas-y tout doucement et attention où tu mets les pieds.

Niirna, tremblotante, s'engagea dans la caverne. L'ours dormait profondément : la jeune femme entendait sa respiration lourde. Elle mettait précautionneusement un pied devant l'autre, priant les Divins de ne pas marcher sur les petits os qui recouvrait la tanière de l'animal. La roche sous elle était humide et ne facilitait pas l'exercice.

Heureusement pour Niirna, elle avait passé sa jeunesse à s'échapper de sa chambre et maîtrisait bien ce genre d'épreuve, le risque de mort imminente en moins. Elle passa sans encombre et se retrouva sur une corniche qui s'ouvrait sur un nouveau tunnel. Ralof passa lui aussi sans difficulté.

Olaf était à la moitié du chemin quand il glissa et tomba dans un cliquetis d'armure à réveiller les morts. L'ours se réveilla avec un rugissement et se jeta instantanément sur le pauvre homme. La bête le saisit avec sa mâchoire et le projeta sur plusieurs mètres. Il atterrit près de Ralof et Niirna. Il tendit la main vers eux, mais l'ours le tira brutalement en arrière et commença à le déchiqueter avec ses griffes. Quelques gouttes vermeilles éclaboussèrent le visage de la jeune femme. Ne pouvant rien faire pour l'aider, Ralof et Niirna prirent leurs jambes à leur cou, seulement poursuivis par les cris de douleur et d'agonie du Sombrage.

Leur course dura quelques minutes et ils débouchèrent enfin à l'air libre. Alors qu'ils reprenaient leur souffle, le dragon les survola une dernière fois en poussant un rugissement, et se dirigea vers l'horizon. Ralof la plaqua sous un rocher et observa prudemment le ciel. Niirna vit du coin de l'œil le dragon s'éloigner et disparaître, aussi instantanément qu'il était apparu.

Ralof la releva :

— On dirait qu'il est parti pour de bon cette fois. On a aucun moyen de savoir si quelqu'un d'autre en est sorti vivant, mais l'endroit ne va pas tarder à grouiller d'Impériaux. Nous ferions mieux de déguerpir. Ma sœur Gerdur se trouve à Rivebois, un peu plus bas sur la route. Je suis sûr qu'elle va nous aider. Tu peux m'accompagner si tu le souhaites.

Niirna ne savait pas où aller, ni à qui se confier, mais Ralof l'avait sauvée à plusieurs reprises aujourd'hui : elle le jugeait digne de confiance. Elle répondit avec toute la gratitude dont elle était capable :

— Merci pour ton aide Ralof. Je te suis.

Pendant qu'ils s'accordaient une courte pause, les brumes du matin commencèrent à se disperser et Niirna découvrit la vallée de Bordeciel s'offrir à elle. De la terreur, elle passa à l'émerveillement : elle n'avait jamais rien vu d'aussi beau. Malgré le fait qu'elle était blessée et perdue, elle fut subjuguée par les majestueuses montagnes enneigées à l'horizon et les immense pins qui les entouraient. Le vent frais de Bordeciel lui caressa le visage et lui emplit les poumons. Soudain, un sentiment familier la parcourut : elle avait l'impression d'avoir déjà connu cet endroit, d'y être liée.

Avait-elle retrouvé son foyer ?