Radius Klint avait 25 ans. Les jours se ressemblaient tous dans le dédale de couloirs sombres, et plus encore lorsque vous étiez face au mur gris et humide. Radius avait depuis longtemps appris à connaitre chaque fissure, chaque ligne, chaque arête de chaque pierre. Il savait qu'au fond, près de la planche couchette/table, il y avait une pierre plus pâle que les autres, que le mur en face des grilles était recouvert de mousse à certains endroits. Il connaissait l'exact encart entre chaque barreau à la meurtrière qui lui servait de fenêtre, bien qu'il n'ait plus osé regarder dehors depuis bien longtemps. Radius Klint connaissait tout de sa geôle. Il en avait fait le tour tellement de fois qu'il en avait perdu le compte. Il se souvenait avoir compté au début : les minutes, les heures, les journées, les semaines, les mois … il avait arrêté avant d'arriver aux années. Tellement plus simple d'oublier, d'effacer de son esprit qu'il n'était qu'un visage sale, qu'un corps amaigri parmi tant d'autres.
Plus simple aussi de faire la sourde oreille aux insultes, aux quolibets, aux regards mesquins des gardes. Il s'était défendu au début, mais cela avait vite cessé. Radius Klint avait 25 ans et était prisonnier à Azkaban depuis longtemps … si longtemps.
Ce matin-là, quelqu'un avait ouvert la porte de sa cellule. Pourtant la promenade hebdomadaire avait lieu l'après-midi. Deux gardes l'avaient tiré en dehors et l'avaient traîné jusqu'à un autre couloir. Celui-là était beaucoup moins sombre, les ouvertures étaient plus grandes et possédaient des vitres. La pierre était sèche, moins friables sous ses pieds nus. On l'avait fait entrer dans une pièce, fermée par une vraie porte. Il n'en avait plus franchi depuis son entrée à Azkaban. On l'avait assis sur une chaise en bois et il avait regardé un homme lui parler.
Radius Klint n'avait pas pu enregistrer tout le flot de paroles qui lui tombait dessus après avoir passé tant de temps dans le silence. On lui avait tendu un bâton, qu'il avait regardé sans comprendre. Un soupir énervé et puis une main qui force la sienne. Le contact presque oublié d'une baguette dans sa main. Elle est dans sa main droite, alors qu'il croit se souvenir être gaucher. Mais il n'a pas ce réflexe de changer de main. L'homme derrière le grand bureau continue de parler, Radius comprend quelques mots, ou du moins les enregistre : Mangemort mineur, probation, baguette, quelques sorts, utilitaires uniquement, sortir, libre.
Son cerveau, endormi par l'atmosphère stérile de la prison, n'assimile pas les informations. Des mains l'empoignent par les bras et il est à nouveau en mouvement. Retourne-t-il vers ses quelques mètres carrés de grisaille ? Non. Ce chemin n'est pas le même qu'à l'arrivée. Ou peut-être que si, mais une autre arrivée. Celle qui s'était déroulée il y avait 7 ou 8 ans, il ne sait plus. Il avait crié, clamé que la marque noire sur son bras n'était pas de son fait, qu'il n'avait pas eu le choix.
Enfin les gardes s'arrêtent devant une lourde porte en bois brut. Les gonds sont rouillés et grincent, sans doute faut d'être mis en action. Radius se sent poussé et il trébuche en avant. La porte se referme après son passage avec un second grincement sinistre. Le jeune homme regarde le sol, hagard. Il est pieds nus, sur un sol froid et trempé par les embruns. Il regarde autour de lui … le vide. Il lève les yeux au ciel … le vide. Tout est trop ouvert, trop bleu, trop vert, trop blanc, trop ! Où est le gris rassurant de son espace, de sa tanière ? Sa respiration se fait haletante, paniquée.
Où aller ? Que faire ? Supplier de rentrer à nouveau ? Il essaye. En vain.
Radius Klint a 25 ans et il marche droit vers le bord des rochers surplombant la mer. Radius Klint avait 17 ans quand il avait pris la marque, et il en a 25 lorsqu'il saute dans les tumultueuses eaux entourant Azkaban. Radius Klint avait 25 ans.
Dans son élégant bureau du 4ème étage, aile ouest, du Ministère de la Magie, Blaise Zabini maniait sa plume avec une lenteur soignée. Toute en boiseries luxueuses, à l'exception de la majestueuse cheminée, la pièce accueillait un monumental bureau en acajou, dos à une grande fenêtre. La lumière naturelle donnait une chaleur formelle au bureau, malgré le côté protocolaire du mobilier.
Le jeune homme était quelqu'un de méticuleux et fier, on pourrait presque dire qu'il était obsédé par le contrôle, chaque chose avait sa place. Sa pile de parchemins neufs était toujours posée à sa droite, son encrier préféré et sa plume fétiche à sa gauche. Sa plaque dorée clamant sa position était toujours bien en évidence, première chose visible lorsque l'on ouvrait sa porte. Blaise Zabini était fier et n'acceptait aucune contradiction et surtout détestait qu'on l'ignore. Pourtant, il y a avait une exception …
L'employé du Ministère posa sa plume après avoir signé d'un geste ample et souple, poussant un soupir désabusé. Il sabla sa lettre, laissant le sable magique s'imprégner de l'encre noire avant de lancer un evanesco. Sa fine écriture régulière recouvrait intégralement le parchemin comme les des notes de musique sur une portée même s'il se doutait qu'il avait perdu son temps. Blaise ouvrit le premier tiroir de son grand bureau d'acajou et en tira une enveloppe crème dans laquelle il glissa son parchemin. Un autre coup de baguette la scella avec son sceau personnel, celui de sa famille. Sur l'enveloppe il écrivit rapidement le nom de son correspondant.
Heureusement, comme tout personnel du Ministère, il avait un perchoir avec son hibou professionnel dans son bureau. Notre homme à la peau sombre se leva et vint attacher la missive à la patte du messager :
« À Azkaban, Hermès. Tu connais le chemin. »
Le beau hibou grand-duc le fixa de ses grands yeux jaunes, comme pour lui signifier que cette dernière remarque était stupide, puis il prit son envol vers la fenêtre ouverte que Blaise referma derrière lui.
Un autre soupir lui échappa et c'est lentement qu'il regagna son fauteuil en cuir de dragon d'un rouge si sombre qu'il semblait noir. La tête basculée contre l'appui-tête, Blaise compta un instant.
« 317… c'est la 317ème lettre que j'expédie. » Souffla-t-il à voix haute. Mais c'est intérieurement qu'il se fit la réflexion que jamais, pas même une seule fois, il n'avait reçu de réponse de la part de son ami. Jamais. Il en avait envoyé une chaque semaine, chaque semaine depuis 8 ans sans en manquer aucune. L'ancien Serpentard ne savait pas vraiment pourquoi il continuait, il savait son ami vivant, mais lisait-il seulement son courrier ? Impossible de le savoir.
Ses réflexions furent interrompues par un poing contre sa porte. Il se rassit bien droit et effaça de son visage tout signe de tristesse qu'on aurait pu y lire quelques secondes auparavant. "Entrez !"
La porte tout aussi impressionnante que son bureau s'ouvrit pour laisser passer son secrétaire/stagiaire. Un jeune gamin tout juste sorti de Poudlard, un Serdaigle qui avait vite compris comment les choses marchaient dans ce service.
Monsieur Zabini, vous avez reçu votre Gazette du Sorcier.
« Ah. Oui bien, posez-la sur mon bureau. » Dit-il tout en tirant une paire de lunettes d'un autre tiroir. « Des choses intéressantes à signaler ? »
Le jeune garçon hocha la tête. Avant de poursuivre.
« Pas dans la Gazette, mais le Journal des Sorciers Indépendants rapporte la mise en vente de plusieurs boutiques sur le chemin de Traverse. Trois commerces ont fait faillite le mois dernier dans le même secteur. »
« Hum je vois. Merci, Hubert, disposez. »
Le stagiaire se garda bien de préciser qu'il ne s'appelait nullement Hubert et se contenta de hocher la tête et de disparaître en fermant la porte derrière lui. Blaise posa ses lunettes rectangulaires sur son nez retroussé et ouvrit la feuille de chou. Quelques accidents de balais, un salon des innovations magiques à Londres le mois suivant, un moldu mordu par une botte ensorcelée en Espagne, et… Blaise se figea. Il connaissait ce nom, ce prénom. Il se souvenait de ce gamin un peu secret, timide et qui vouait une admiration un peu trop enthousiaste à la divination. Radius Klint. 25 ans, comme lui, comme Drago. Prisonnier à Azkaban, comme… comme Drago.
Le corps du malheureux prisonnier en probation avait été retrouvé échoué sur des rochers. Et Blaise savait que ce n'était pas le premier. Il avait sans doute été le seul à suivre ces histoires, à avoir compté combien de prisonniers s'étaient donné la mort à la sortie d'Azkaban.
« 18. Mais certainement pas 19 ! » s'écria-t-il en se levant brutalement, abattant ses mains sur son bureau.
Il regarda autour de lui. Les murs étaient boisés, un cadre avec une splendide peinture d'un paysage de forêt au-dessus de la cheminée monumentale. Le sol avec des parqueteries sublimes dignes d'un musée dans les tons orange et marron. Le tapis tissé par des fées au vu de la finesse de la chose. Les splendides fauteuils en cuir de dragon, le plus cher pour monsieur Zabini. Sa belle plaque dorée qui criait le luxe "M. Zabini, Directeur Principal de l'Urbanisation Magique, zone A.". C'était pompeux, il faisait de l'argent et il ne s'en cachait pas, mais cette fois-ci il n'était pas sûr que son argent ou son œil pour l'aménagement urbain puisse beaucoup l'aider.
Blaise sortit une montre à gousset de son veston et donna deux coups brefs de sa baguette contre le cadran. Un calendrier remplaça alors les chiffres habituels. Blaise gronda.
« Affiche la libération prévue de Drago. »
Le mécanisme de sa montre se fit entendre et une date clignota sur le cadran. Blaise jura et rangea le précieux objet. Il lui restait 6 mois pour organiser quelque chose, faire quelque chose et peut-être, s'il était chanceux, pas uniquement pour Drago. Il avait déjà eu de la chance de réussir à connaître cette date, les informations sur Azkaban étaient filtrées au plus haut niveau et peu de gens pouvaient se vanter de connaître les secrets de la prison. Mais Blaise n'était pas un Serpentard pour rien ! Maintenant il ne lui restait plus qu'à établir un plan avec les bonnes personnes …
