Épisode 6, saison 1 : La récolte (Countrycide)

J'ai baissé les yeux.

De honte ? De gêne ? De peur ? Je ne sais pas. Mais ce regard qu'il m'a jeté, je n'ai pas pu le soutenir. Gwen avait-elle encore besoin de la ramener avec son jeu puéril ? Avais-je besoin moi-même de la ramener et, de surcroît, ramener Lisa sur le chapitre ? Si je m'étais tu, comme à mon habitude, personne ne m'aurait interrogé. On m'aurait forcément oublié. Mais il a fallu que je l'ouvre. Et que je mente la douleur et la rancœur étant encore trop vives, mon ancienne double vie et ses mensonges encore trop présents. Et ce prénom, Lisa à peine prononcé, il sonnait déjà faux. Mais c'était trop tard. Ce n'est pas l'embarras de Tosh ou Gwen qui m'a fait prendre conscience de mon erreur, mais ce fut le regard froid, coléreux et plein de reproche de Jack. Ce n'était pas la vérité que je venais de prononcer, on le savait tous les deux.

J'ai baissé les yeux tout en sachant que viendrait l'heure des explications ensuite.

Le retour a été silencieux, pesant, chacun perdu dans ses réflexions, ses cauchemars. Ma tête me faisait un mal de chien, j'avais encore les mains qui tremblent. Voir tout ces corps découpés, tout ce sang, ces « gens », cette terreur que j'ai ressentie, ces coups j'étais à bout. Les autres aussi. C'est Jack qui a conduit. Je l'observais du coin de l'œil. Il ne disait rien, ses yeux étaient ombragés mais, contrairement à nous, se dégageaient encore de lui une solidité, une force. Je ne savais pas comment il faisait : je n'étais que fêlures et je sentais que j'étais sur le point de me briser. Nos regards se sont croisés dans le rétroviseur.

J'ai baissé les yeux, je ne pouvais pas craquer à nouveau devant tout le monde.

Gwen et Owen sont partis de leur côté, Tosh du sien. Je m'apprêtais à quitter le hub quand Jack est arrivé. Il s'est dirigé vers moi. Il m'observait sans rien dire à quelques pas de moi. J'étais pris au piège, perdu. Je ne savais pas quoi dire ni quoi faire. Ma tête était un véritable chaos, tout tournait, tout s'emmêlait. Qui j'étais ? La pièce aurait semblé tourner sur elle-même s'il n'y avait pas eu ce point fixe, matérialisé par le regard de Jack sur moi. Par réflexe, de manière automatique, ne pouvant plus rien supporter, j'ai baissé les yeux.

J'ai baissé les yeux, la tête et les larmes se sont mises d'abord à couler silencieusement.

Et je me suis écroulé au sol, à genoux.. Ça cognait, ça tambourinait dans mon corps, dans mon cœur, je ne contrôlais plus rien, j'explosais. Les sanglots redoublaient ainsi que la douleur. Je manquais d'air, j'étouffais, je mourrais. Ça devait être ça, je mourrais. Il n'y avait plus rien.

Une main sur mon épaule. Celle de Jack. Je le percevais à peine.

Une main sous mon menton, qui m'a relevé la tête. Qui a relevé mon regard. Qui m'a relevé.

Des yeux inquiets, tristes mais résolument fermes. Des mots prononcés, loin, dont je percevais tout juste l'écho mais qui, lentement, se sont immiscés dans ma tête, ont pris sens, ont soulagé, apaisé. Pansements sur une hémorragie mais j'ai respiré à nouveau : je n'étais pas encore mort, pas tout à fait. Deux baisers chastes déposés successivement sur mon front et mes lèvres. De la chaleur, de la vie. Je m'y suis accroché, pour ce soir-là en tout cas.

Je soutenais son regard. Serais-je capable de ne plus me mentir, de ne plus lui mentir ? Serait-il capable de ne plus nous mentir ?