Chapitre 1 L'épave

Les Limbes de l'espace, une vaste étendue mystérieuse qui terrorisait tous les voyageurs, il ne serait venu à personne l'idée de s'approcher volontairement de cette zone. Les deux vaisseaux présents en ces lieux semblaient pourtant faire fi des dangers que représentait cet étrange amas de gaz noir ainsi que de l'immense trou noir qu'il dissimulait. Il s'agissait de deux appareils d'exploration spatiale. Ils étaient assez grands et disposaient d'une très grande autonomie. La zone de vie des bâtiments était ronde. Elle comportait les zones de travail, la cuisine et la cabine. Le cockpit ressemblait à une tête d'oiseau longue et effilée comme le cockpit du légendaire concorde qui se déplaçait sur Terre autrefois. Les réacteurs de propulsion longeaient la zone de vie et étaient assez puissants pour tracter une épave.

Les deux jeunes femmes qui avaient choisi ces appareils ne l'avaient pas fait par hasard. En tant qu'archéologues spatiaux, elles savaient que si elles découvraient un ancien vaisseau sans vie flottant dans l'espace, elle devait disposer de moteurs suffisamment puissants pour pouvoir le tracter et l'emmener dans un endroit sûr afin de pouvoir l'explorer.

Ellie scrutait désespérément l'endroit en souhaitant enfin voir apparaître le vaisseau qu'elle désirait retrouver depuis tant d'années. L'appareil en question, aux yeux des spatiaux archéologues, était leur Saint-Graal. Beaucoup d'entre eux auraient tué pour le trouver car sa valeur historique comme financière était sans égal. Lui mettre la main dessus permettrait enfin de prouver qu'il n'était pas une légende et l'existence de son capitaine serait enfin établie.

Après avoir vaincu les terriens, la secte de Gaïa avait effacé tout le passé de l'humanité, il ne restait plus à celle-ci qu'une mémoire orale transmise de génération en génération depuis plus d'un siècle. Mais les histoires racontées finissent toujours par être déformées, l'orateur à un moment ou à un autre, pour captiver son auditoire transformait toujours les faits ou les exagérait, c'est pourquoi l'histoire de la conquête de l'espace par l'humanité commençait à ressembler à une série de contes ou de légendes qui effaçaient toute la réalité des faits historiques. Ellie espérait vraiment par ses recherches retrouver l'histoire de l'humanité et qu'enfin la vérité soit rétablie.

Après avoir procédé au nettoyage de la mémoire historique des humains, la secte de Gaïa avait expulsé de la Terre tous ceux qu'elle estimait ne pas être dignes d'elle, forçant des millions de personnes à l'errance. Face à l'incapacité des hommes à reconquérir leur planète d'origine, beaucoup de femmes étaient parties et avaient fondé, sur une petite planète qu'elles avaient baptisée Flora, une nouvelle communauté où la gente masculine n'était autorisée à mettre les pieds qu'en de rares circonstances et pour un temps très court. D'ailleurs, seules les élites pouvaient disposer de ce droit de visite exceptionnel. Ellie et Nynna, les deux seules spatiaux archéologues à être assez inconscientes pour approcher de ce triangle des Bermudes spatial provenaient de cette planète. Elles travaillaient pour le tout nouveau musée d'histoire et d'archéologie de Flora que la Présidente, après bien des tractations avec les religieux et la secte de Gaïa, avait enfin eut l'autorisation d'ouvrir. La Présidente avait toutefois prévenu tous les chercheurs du musée de faire très attention pour le choix de leurs découvertes et les sujets trop dérangeants étaient souvent passés à la trappe. Le sujet d'étude des deux femmes faisait justement partie de ceux qui avaient toutes les chances de finir dans les caves du musée, caché à jamais au regard de l'humanité. Cependant, elles étaient résolues à le sortir de l'ombre quitte à choquer les religieux et les dirigeants de Gaïa. Les peuples humains de toutes les planètes conquises à la hâte pour pouvoir sauver l'humanité commençaient à ne plus pouvoir supporter ce système qui les plaçait plus bas que terre. Les politiques, les puissances financières, industrielles et médiatiques, tout comme les militaires, s'entendaient bien pour tenir les populations sous une poigne de fer, mais la colère commençait à monter dans les basses classes et tout le Consortium de planètes commençait à ressembler à une vaste poudrière. Tout ce qu'il fallait, c'était un meneur ou l'image d'un meneur et le vaisseau mythique qu'Ellie et Nynna recherchaient serait parfait dans ce rôle.

Ellie et Nynna scrutaient depuis des jours cette vaste étendue de nuages de gaz. Elles avaient l'impression par moment de faire partie intégrante de cet étrange endroit. Tous les vaisseaux qui avaient été pris au piège dans ce pseudo trou noir avaient été perdus corps et biens et les équipages n'avaient jamais eu le temps de s'échapper. Son attraction était tellement forte qu'il fallait garder une distance raisonnable pour ne pas être aspiré. Il était aussi nécessaire de mettre régulièrement les cartes à jour car il avait tendance à prendre de l'ampleur à certaines périodes et jamais de manière régulière et cyclique, ce qui faisait qu'il était un piège redoutable pour les navigateurs.

- Tu sais, je commence à me dire que c'est sans espoir, on ne le retrouvera jamais - avança en soupirant Nynna

- Il ne faut pas dire cela, ce trou noir a déjà relâché des vaisseaux et toujours à la date où ils ont disparu - affirma Ellie

- Oui et toujours dans un état catastrophique. Si jamais il réapparaît il n'y aura peut-être rien à étudier !

Ellie savait que Nynna avait de grandes chances d'avoir raison. Il était vrai qu'il relâchait les vaisseaux mais dans un tel état que les archéologues n'avaient plus grand chose à étudier. Cependant, elle espérait encore. Elle voulait croire en un miracle, comme par exemple que l'équipage d'exception qui était à son bord, dirigé par un capitaine légendaire, ait été capable de sauvegarder l'appareil avant de mourir. Il n'y avait plus d'espoir qu'il y ait des survivants, pas après cent dix années de disparition. Qui plus est, il était impossible qu'il y ait des descendants... pas avec une seule femme sur une quarantaine d'hommes d'équipage. Elle ne put s'empêcher de rire en pensant à la situation de cette jeune femme, enfermée à vie, sans échappatoire, avec quarante hommes comme compagnie. Elle avait de quoi s'occuper mais en même temps, elle aurait vite fait le tour !

Soudain, il y eut un mouvement très léger dans la zone gazeuse des Limbes. Ellie regarda attentivement, son radar commençait à biper indiquant qu'il avait détecté quelque chose. Son cœur commença à s'emballer. Ce pourrait-il qu'enfin le mythique vaisseau ferait son apparition.

- Calme-toi, Ellie, si ça se trouve ce n'est rien ou une vieille épave pourrie et pas ce que tu espères tant - pensa-t-elle tout en regardant plus attentivement l'espace qu'elle avait sous les yeux.

Il y avait bien quelque chose en approche. Le radar sonnait de plus en plus fort et la surface qu'il projetait sur l'écran de contrôle montrait que l'objet était de très grande taille, bien plus grand que les appareils habituels. Nynna, elle aussi recevait les mêmes informations. Elle lâcha sa partie de solitaire pour essayer de voir de quoi il retournait :

- Bon sang, Ellie, qu'est-ce que c'est ? Est-ce que tu le vois, tu es plus proche que moi et je ne distingue rien dans cette masse gazeuse ? - l''interrogea Nynna contrariée de ne pouvoir voir l'objet en approche.

- Je ne sais pas... Pour l'instant je ne vois pas grand-chose, c'est surtout le radar qui me donne des infos - indiqua Ellie qui tentait vainement de distinguer quelque chose à travers l'épaisse masse gazeuse qu'elle avait sous les yeux.

Pourtant, il y avait bien quelque chose qui glissait à travers le gaz, on pouvait apercevoir une forme, certes floue, mais immense, avançant très lentement. Et, soudain, Ellie commença à le distinguer. C'était un vaisseau à n'en pas douter, énorme qui plus est. Était-ce lui ? Son cœur cognait dans sa poitrine comme jamais auparavant. Il battait d'excitation, d'espoir et de peur tout à la fois. Elle était au bord de l'euphorie et ses mains commençaient à trembler. Brusquement, surgit du brouillard, la gigantesque tête de mort qui couronnait la proue du navire. C'était lui, l'Arcadia, après cent dix années d'errance dans le les Limbes, réapparaissait enfin !

- Oh mon Dieu, ne me dis pas que c'est lui ... C'est dingue ! - s'exclama Nynna en se mettant la main devant la bouche, comme si elle ne pouvait croire ce qu'elle voyait ou ce qu'elle disait.

- Si c'est bien lui ! C'est l'Arcadia - lui confirma Ellie, ivre de joie.

Mais la joie fut de courte durée. La progression de l'Arcadia semblait de plus en plus difficile à cause de sa masse et de ses dimensions. Ce n'était pas un petit navire d'exploration mais un lourd navire de guerre puissamment armé.

- Oh non, non, non, non, non...Il va rester coincé - s'inquiéta Ellie

- Attends, ce n'est pas dit... Et merde ! Il s'est arrêté. - confirma Nynna, écœurée par ce coup de malchance.

En effet l'Arcadia avait cessé de progresser. On voyait à travers le brouillard que le vaisseau était sorti jusqu'à hauteur de la timonerie mais se retrouvait bloqué au niveau des ailes.

- Oh non pas ça, c'est trop bête ! On était à deux doigts de le récupérer ! - ragea Ellie.

- Qu'est-ce qu'on fait ? Il faudrait peut-être prévenir les autorités pour qu'elles viennent nous aider? - proposa Nynna désespérée.

- Tu rigoles ? On ne peut pas faire ça. Personne n'a le droit de circuler près des Limbes et qui plus est, si les autorités apprennent que l'Arcadia a réapparu, ils s'empresseront de le descendre. Non, il faut qu'on se débrouille toutes seules et qu'on le sorte de là.

- Génial ! Et tu veux que l'on fasse comment ? Qu'on le tracte peut-être ? - se moqua Nynna énervée par l'entêtement de son amie.

- Ça, c'est une bonne idée ! Tout ce qu'il lui faut, c'est peut-être juste un petit coup de pouce. On balance nos grappins et on tire à toute vapeur ! - décida Ellie.

- Tu es cinglée ! On va se faire aspirer par le trou noir ! - paniqua Nynna. On a déjà tracté des épaves mais jamais aussi près de lui, c'est de la folie !

- On ne risque rien, j'en suis certaine ! Les cordes de nos grappins sont assez longues, tu verras ça se passera très bien ! - insista Ellie déterminée à récupérer le vaisseau mythique.

- Si on finit dans le trou noir, je te jure que je te réglerai ton compte moi-même avant que celui-ci ne nous tue ! - s'exclama Nynna.

Bien qu'elle ait une peur grandissante, Nynna mit en route ses moteurs et s'apprêta à suivre la manœuvre de sa collègue. Ellie se plaça devant la proue de l'Arcadia, tout en faisant attention de garder une bonne distance entre elle et le trou noir. Elle regarda l'Arcadia grâce à la caméra placée à l'arrière de son vaisseau :

- Croisons les doigts, à vue de nez ça devrait passer - espéra Ellie.

Elle arma le grappin puis pressa le bouton de tir. Ce fut très juste, mais le grappin réussit à se ficher dans l'orifice du crâne qui représentait l'emplacement de nez.

- Tu t'apprêtes à lui récurer le nez toi-même, qu'est-ce que t'es crade comme fille ! - plaisanta Nynna en riant.

Nynna se plaça à côté de sa collègue. Il n'y avait que quelques centimètres qui séparaient les deux vaisseaux. La moindre erreur serait fatale. Si les cordes venaient à céder, ce serait la collision et la mort assurée. Nynna lança son grappin qui se ficha dans l'œil droit.

- Tu n'as pas honte ? Tu lui a crevé un œil ! -ironisa Ellie.

- Ce n'est pas grave, c'est le même œil que celui de son capitaine. Ils seront assortis comme ça.

- Heureusement pour nous qu'il est mort. Je ne suis pas sûre qu'il apprécierait ce genre d'humour. - remarqua Ellie.

Ce dont Ellie et Nynna ne se doutaient pas, c'est qu'il y avait un observateur très discret qui assistait à toute la scène. Il avait été réveillé par les signaux radios émis par les deux appareils et commençait à essayer de comprendre ce qu'il se passait. Il sortait d'un long sommeil, paisible que les deux vaisseaux venaient de perturber.

Serions-nous sortis des Limbes? Je commence à percevoir des signaux. J'entends une conversation lointaine. Même en poussant mes capteurs à fond je n'entends presque rien. Ils doivent être endommagés. On dirait les voix de deux femmes. Qu'est-ce qu'elles font ici ?

- Bon, on y va, à trois on pousse les moteurs à fond d'accord ? - Proposa Ellie.

- Je ne sais pas... Il fait quelle taille ? Trois cents mètres de long au minimum. Je n'ose même pas imaginer son poids. Si on crame les moteurs en essayant de le tirer de là, on sera mal. -remarqua Nynna.

- Tu as raison, je suis si pressée que je n'avais pas pensé à ça. On va les programmer pour qu'ils aillent à vitesses maximale directement après leur allumage mais pendant un laps de temps très court. On renouvellera l'opération aussi souvent que nécessaire, jusqu'à ce que l'Arcadia bouge enfin.

Les deux femmes commencèrent la manœuvre. Plusieurs fois de suite les moteurs partirent au maximum de leur puissance pendant quelques secondes pour donner l'impulsion nécessaire au dégagement des ailes de l'Arcadia. Au bout d'une dizaine de tentatives, le vaisseau se dégagea, et, progressivement, glissa dans l'espace. Nynna et Ellie remirent les moteurs en mode normal puis elles le tractèrent le vaisseau jusqu'à un endroit non loin de la zone d'attraction des Limbes.

Je crois qu'on est enfin sorti. J'ai bien senti que quelqu'un nous remorquait. Ce doit être ces deux femmes, j'espère qu'elles n'ont pas d'intentions hostiles, je suis dans l'incapacité totale de riposter. Pourvu que ce ne soit pas des envoyées du gouvernement terrien ou des chasseurs d'épave.

- Victoire! On a réussi ! Il est tout à nous maintenant ! - s'enthousiasma Ellie.

- Ne parle pas trop vite, tu devrais le regarder, je n'ai pas l'impression qu'il ressemble beaucoup au vaisseau qu'on nous a décrit. Conseilla Nynna dubitative face à l'apparence du vaisseau mythique.

Ellie détacha son grappin et commença à longer l'Arcadia lentement. Elle ne put que constater qu'en effet, ce qu'elle voyait ne correspondait pas vraiment aux histoires qu'elle avait entendues étant enfant. Le bâtiment qu'on lui avait décrit était un élégant vaisseau d'un beau vert profond avec, à sa poupe une portion de caravelle, là où était en théorie, d'après les légendes, la cabine du capitaine. Le vaisseau qu'elle voyait ressemblait plus à un échappé de l'enfer. Le crâne de la proue était prolongé d'une colonne vertébrale. Le vaisseau était d'une couleur noirâtre et la zone de la cabine du capitaine faisait extrêmement gothique, bien loin de l'élégance racée dont tous les orateurs la parait. On était loin de la description faite dans les histoires racontées aux enfants pour faire leur éducation. Le vaisseau, avec l'absence totale de lumière à son bord, paraissait morbide, effrayant et Ellie se demanda si elle ne s'était pas emballée un peu trop vite.

- Dis-moi, tu crois vraiment que c'est l'Arcadia ? – s'inquiéta Nynna.

- C'est vrai qu'il ne ressemble pas vraiment à ce que l'on nous a dit mais il était le seul à avoir la tête de mort comme emblème avec le Queen Emeraldas, aucun autre vaisseau ne se serait permis de prendre cet étendard car en le faisant il aurait été voué à une destruction certaine. - affirma Ellie.

- Mais est ce que j'ai raison ou j'essaye juste de me convaincre? – s'interrogea-t-elle de plus en plus inquiète.

Soudain, un signal d'alarme retentit dans la cabine de Nynna. Par précaution, et pour éviter les rencontres désagréables, les filles avaient installé chacune à bord de leur vaisseau, des détecteurs qui leur permettaient d'être averties si un vaisseau ou une patrouille approchait. Ce que vit Nynna sur ses écrans n'était guère rassurant. Une patrouille approchait. Les militaires avaient probablement remarqué les mouvements dans les Limbes et venaient aux nouvelles.

- On a de la visite! - annonça Nynna à son amie - des militaires.

- Ce n'est pas vrai, ne me dis pas qu'ils viennent par ici ! - ragea Ellie dépitée.

- Si, il faut qu'on se tire d'ici et vite ! Conseilla Nynna fermement décidée à ne pas subir d'interrogatoire serré de la part des militaires.

- Mais qu'est-ce qu'on fait pour l'Arcadia, on ne peut pas le laisser ici ! - s'indigna Ellie.

- On n'a pas le choix si on se fait épingler par eux, on sera bonnes pour le bagne de Capo !

- On peut le tracter maintenant qu'il est dégagé. - proposa Ellie. Il faut juste trouver un endroit où le planquer !

- On ne peut pas l'emmener sur une planète habitable tant que je n'ai pas fait d'analyses microbiologiques dessus. Je ne veux pas prendre le risque de contaminer une planète avec une souche pathogène inconnue ! - prévint Nynna fermement.

- Mais il n'a pas de maladie ! Quel virus pourrait tenir dans le froid glacé des Limbes ! Il faut qu'on l'emmène en lieu sûr ! - insista Ellie paniquée à l'idée d'abandonner une pièce historique d'une telle importance.

- Ecoute Ellie, ton domaine c'est l'exploration spatiale, les navires de guerre et les civilisations anciennes. Mon domaine, c'est la microbiologie, la biologie et les maladies infectieuses. Sur ce coup, vue la gueule du vaisseau, je prends la décision, et je ne l'emmènerai sur aucune planète tant que je ne serai pas sûre qu'il soit sans risque. Désolée. - décida Nynna sur un ton qui ne permettait aucune contestation.

Ellie, angoissée au possible, commença à fouiller l'espace environnant à l'aide de son radar en espérant trouver une cache acceptable.

- J'ai trouvé un astéroïde avec un cratère très profond , il s'enfonce sur plusieurs kilomètres à l'intérieur de la roche. L'objet en question n'est pas très loin, on peut au moins l'emmener jusque-là bas ! - insista Ellie. D'après ma carte, c'est une ancienne mine. Il n'y aura pas de contamination car il n'y aura personne ! On y va ?

- D'accord, on va le planquer là-bas en attendant que les militaires dégagent. Accepta Nynna qui, elle aussi, refusait d'offrir à Gaïa la possibilité de faire disparaître un énième pan de l'histoire de l'humanité.

Nynna et Ellie commencèrent alors leur travail de remorqueurs. Elles emmenèrent l'Arcadia loin des militaires, en sécurité, à l'abri de tout regard indiscret.

Où nous emmènent-elles ? Il semblerait qu'elles soient très pressées. On dirait qu'elles ont poussé leurs moteurs à fond. Je commence à me demander si ce ne sont pas des pilleuses d'épave.

Le vaisseau de guerre le Flugelrad, fleuron de l'armée de Gaïa, arriva sur les lieux une demi-heure après le départ des filles, avec, à son bord, le dirigeant en chef de la secte de Gaïa. L'appareil effectuait des manœuvres d'entrainement à proximité des Limbes lorsqu'un écho du radar leur indiqua qu'une énorme masse était apparue dans ce triangle des Bermudes spatial.

- Il n'y a rien monsieur. Je ne distingue plus rien sur mes écrans, les trois vaisseaux ont disparu - affirma l'officier radar.

- Si nous n'avions pas eu cet ennui mécanique, nous saurions ce qu'il s'est passé - râla le commandant.

- Pourriez-vous me donner les dimensions de l'objet ? Je sais que nous ne pouvons en avoir une image précise car nous étions trop loin, mais nous avons au moins ses dimensions j'espère ? - Exigea le dirigeant de Gaïa.

L'officier se leva et se mit au garde à vous, terrorisé à l'idée de le décevoir, il déglutit et indiqua de la manière la plus sûre possible :

- Il mesure de trois cents à quatre cents mètres de long. Il dispose d'une forte batterie de canons et les moteurs étaient à l'arrêt au moment de sa sortie des Limbes. Ce sont les deux vaisseaux d'exploration qui l'ont aidé à sortir et qui l'ont probablement emmené monsieur.

- C'est lui, c'est l'Arcadia...Réalisa le dirigeant.

- Vous en êtes sûr, votre altesse? De toute façon, après cent dix années dans les Limbes, ses occupants sont probablement morts et ce vaisseau est sûrement en ruine. Nous n'avons rien à craindre de lui - affirma le commandant.

- Je ne serais pas si sûr à votre place. Harlock n'est pas un client facile et si son vaisseau est sorti des Limbes, il vaut mieux commencé à être vigilant. Il ne faut jamais sous-estimer un ennemi de son envergure...

Ellie et Nynna arrivèrent enfin à l'astéroïde et pénétrèrent très profondément dans le cratère de la mine. Elles s'arrimèrent solidement à un quai de chargement puis coupèrent les moteurs.

- Y a plus qu'à attendre, maintenant. J'espère qu'ils ne vont pas rester trop longtemps.

- Ce que j'espère, moi - répliqua Nynna - c'est qu'ils ne nous ont pas pistées jusqu'à cette planque car s'ils nous bombardent là-dedans, on aura de gros problèmes !

- Que sera, sera, nous serons vite fixées de toute façon. Se contenta Ellie en s'installant confortablement dans son fauteuil.

En vue de la longue attente, elle récupéra sa veste, qu'elle plaça sur elle en guise de couverture. Pour ne pas éveiller les soupçons, les moteurs avaient été éteints et les systèmes placés au minimum afin de dégager le moins de chaleur possible, empêchant ainsi les militaires de localiser l'endroit où elles avaient trouvé refuge. La température avait vite baissée dans l'habitacle et comme elles étaient contraintes à l'immobilisme pour un moment il valait mieux bien se couvrir.

- C'était une folie dès le départ. Vouloir récupérer le mythique Arcadia... Je crois qu'on est dingues -plaisanta Nynna en riant.

- Pourtant, tu avoueras que comme énigme scientifique et historique, ce n'est pas mal. Se réjouit Ellie en regardant le vaisseau qui semblait dormir, son flanc collé au quai où il semblait reposer.

Elles attendirent de longues heures et finirent pas s'endormir. L'observateur, lui par contre, ne dormait pas, cogitant sans cesse sur l'étrange situation dans laquelle il se trouvait.

Bon, ne paniquons pas. On ne bouge plus, je n'ai aucun moyen de savoir où on est et les filles sont toujours là. D'habitude, j'apprécie énormément la compagnie des femmes mais là je me demande sur qui je suis tombé. Pourquoi n'ont-elles pas encore commencé à fouiller l'Arcadia ? Elles attendent quoi ? Une carte d'invitation ?

En même temps, si elles viennent à entrer, je n'aurai aucun moyen de me défendre, presque tous les systèmes sont morts, les commandes des mitrailleuses servant à assurer la sécurité du vaisseau en cas d'intrusion ont brûlées. Si ces filles ont des intentions hostiles, je ne pourrai rien faire. Mes signaux sont bloqués par la roche, je ne peux même pas contacter l'îlot pour le faire venir jusqu'à nous. Normalement elles devraient se dépêcher de voler tout ce qu'elles peuvent et partir...Un contretemps peut être...Ce qui me fait perdre des heures précieuses...

En théorie, lors du pillage, elles ne pourront accéder aux zones sensibles, toutes les portes blindées menant à elles ont été verrouillées. Ma précieuse cargaison est donc en sécurité, tout du moins pour le moment. Je dois patienter. Lorsqu'elles voudront fouiller l'Arcadia, elles le sortiront de son trou et je pourrai envoyer le signal d'alerte à l'îlot en espérant que même s'il arrive au bout des trois semaines de délais que j'ai calculé, étant donne le peu d'énergie qu'il me reste pour l'envoyer, les autorités ou tout autre vaisseau n'auront pas eu le temps de nous tomber sur le poil. Etant donné les circonstances, je n'ai pas le choix que de compter sur la chance pour effectuer ma périlleuse mission.

Nynna se réveilla plusieurs heures plus tard avec l'estomac dans les talons. Elle sortit de la cabine de pilotage et se prépara un bol de nouilles instantanées puis retourna à son poste tout en dévorant son repas. Elle regarda son écran radar et son visage s'éclaircit d'un sourire lorsqu'elle vit que les militaires étaient partis.

- Réveille-toi ma grande. C'est bon, on est tranquille, ils se sont enfin barrés- annonça-t-elle à Ellie.

- Il était temps – Se réjouit-elle en s'étirant- ils ne vont pas me manquer ces cons-là. C'était qui ?

- Des militaires de la secte de Gaïa - indiqua Nynna inquiète.

- Les pires, en plus ! On l'a échappé belle ! - réalisa Ellie d'une voix blanche.

Elles remirent leurs moteurs en route mais durent détacher leur grappin. Elles passèrent au-dessus de l'Arcadia et accrochèrent la corniche du toit de la cabine du capitaine afin de sortir lentement le vaisseau du cratère. Elles le placèrent ensuite dans une zone lumineuse pour pouvoir l'observer tout à loisir.

Parfait, merci mesdames. Je lance le message. Il ne me reste que peu d'énergie au niveau de la radio. J'ai quelques batteries qui en ont encore en réserve... Pas de chance...Le système est bloqué je ne peux en rajouter . Espérons que le message arrive à bon port. Normalement, l'îlot n'est pas trop loin...Tout du moins je l'espère...Je ne sais combien de temps nous sommes restés piégés dans ce trou noir, pourvu que les systèmes vitaux de l'îlot fonctionnement toujours, sans quoi il sera parti à la dérive depuis longtemps et je n'aurai plus aucune chance d'accomplir ma mission.

- Il me faut un prélèvement de la coque pour une analyse biologique, tu y vas ? - proposa Nynna

- Pourquoi moi? Tu fais les prélèvements toi-même et moi je pars en exploration ! - décida Ellie qui ne pouvait plus attendre à l'idée de plonger dans les entrailles de ce monstre d'acier d'une technologie inégalée.

- Je te signale que l'Arcadia, c'était ton idée et il vaut mieux que l'une d'entre nous reste à l'écart car si l'épave est piégée, il faut que l'une puisse secourir l'autre. Alors vas-y ! Ordonna Nynna sagement

- A vos ordres madame ! - plaisanta Ellie en s'inclinant.

Ellie était bien trop pressée d'aller sur l'épave. Si Nynna ne voulait pas y aller, c'était son problème. Elle enfila sa combinaison spatiale et entra dans le sas. Le vide fut fait, Ellie ouvrit la porte qui glissa silencieusement tandis qu'apparaissait le noir infini de l'espace parsemé de points lumineux. Elle sortit doucement sous le ventre de son appareil et grâce au petit moteur de sa combinaison, elle atterrit sur la proue de l'Arcadia. Grâce à ses semelles magnétiques, elle commença à avancer sur le vaisseau, lentement mais sûrement.

- Est-ce que ça va ? - s'inquiéta Nynna.

- Ce n'est pas évident. Je n'ai pas l'habitude de circuler comme ça, sans gravité artificielle. Le sang va vite me monter à la tête et j'ai les oreilles qui commencent à bourdonner. Indiqua Ellie préoccupée.

- Normal, au vingtième et au vingt et unième siècle, les explorateurs spatiaux avaient le même problème. Rappela Nynna en regardant son amie progresser le long de la coque.

- Il y a une espèce de croûte collée sur l'Arcadia, c'est très bizarre. Révéla Ellie en tapotant du pied dessus.

- Est-ce que tu peux m'en avoir un morceau ? - la questionna Nynna qui souhaitait plus que tout de s'assurer que l'épave était sans danger pour tout être vivant.

- Je ne sais pas. Je vais essayer. - accepta Ellie.

Ellie sortit un petit marteau et commença à frapper. Un morceau se décrocha qu'elle plaça dans une boîte à échantillon. La jeune femme plaça sa poulie aimantée sur le pas de tir du navire. Nynna envoya son grappin accompagné d'une corde. Ellie récupéra la corde, la passa dans la poulie puis replaça le reste de corde à dérouler le long du grappin. Elle lança ensuite le grappin qui se ficha au niveau du sas du vaisseau de son amie. Nynna récupéra son grappin ainsi que l'autre bout de la corde. Ellie accrocha l'échantillon puis elle le fit remonter jusqu'à Nynna. Celle-ci avait préparé son laboratoire pour analyse et enfilé une tenue stérile. Elle récupéra l'échantillon, cassa un petit morceau puis elle le plaça dans l'analyseur. Elle retourna ensuite en cabine pour s'assurer que tout allait bien pour Ellie.

- C'est bon l'analyse est lancée, tu peux continuer. - autorisa-t-elle calmement.

- J'y vais.

Ellie progressait lentement. Elle ne savait pas par où elle allait entrer. Personne ne disposait de plan concernant ce navire. Aucun bonimenteur n'avait eu le culot de prétendre être monté à bord et le connaître dans les moindres détails. Pour Ellie, sa seule chance de pouvoir monter à bord serait qu'il ait été créé par un ingénieur militaire car quelle que soit l'époque ou quel que soit le style, tous les ingénieurs suivaient les mêmes règles de base, c'est-à-dire des évacuations de secours sur les flancs des vaisseaux pour les combats rapprochés et les interventions d'urgence, comme les avaries sur la carlingue ainsi que la nécessité de pouvoir sortir pour réparer. Elle trouva le sas au pied de la timonerie, ce qui n'était pas vraiment conventionnel et plutôt risqué.

- J'ai trouvé un sas. Je vais essayer de l'ouvrir pour pénétrer à l'intérieur. - annonça-t-elle

- Fais attention.

Ellie trouva un digicode caché sous une trappe. Mais celui-ci, sans électricité, ne servait à rien. Elle continua de fouiller et trouva l'ouverture mécanique. Elle tourna la manivelle avec difficulté. Normal, cent dix années sans graissage, c'était sûr que cela allait être grippé. Une fois la porte ouverte elle vérifia son émetteur radio.

-Tu m'entends correctement ? Je vais entrer dans l'Arcadia. Indiqua-t-elle.

- Allume ta caméra, ton compteur de radiation, ainsi que ta lumière ! Ordonna Nynna très inquiète à l'idée qu'Ellie entra seule dans un tel endroit.

- Oui, maman...Sourit la jeune femme en obéissant sagement aux consignes.

La lumière portable qu'Ellie avait sur son casque suffisait à peine pour voir. Il faisait très sombre à l'intérieur et elle distingua difficilement l'échelle qui menait jusqu'à la timonerie. Et c'est en pensant à tout ce qu'elle avait à grimper qu'elle regretta ses chaussures à semelles magnétiques qui allaient la forcer à tout escalader à la force de ses bras et de ses jambes.

- Courage Ellie - se motiva-t-elle - ce n'est pas la mer à boire. Juste quoi, trente ou quarante mètres d'échelles à grimper ce n'est rien. Tu vas faire un peu de sport c'est tout.

Ce peu de sport prit tout de même près d'une heure. Lorsqu'Ellie arriva à la porte de sortie, elle était épuisée et décida que pour ressortir elle éclaterait une vitre de la timonerie plutôt que de redescendre par ce chemin. Le couloir d'accès à la salle était très haut de plafond et la porte de celle-ci vraiment gigantesque. Son cœur se mit à battre à la chamade. C'était la première fois qu'elle ressentait une sensation aussi forte. Elle avait horriblement peur mais elle était aussi très excitée comme un enfant le jour de Noel lorsqu'il ouvre ses cadeaux. Elle respira profondément puis tenta de faire le vide dans sa tête. Elle devait se calmer. Et alors que soin rythme cardiaque diminuait enfin, elle angoissa à l'idée de ce qu'elle risquait de trouver à l'intérieur, pourtant elle était mentalement préparée mais elle avait quand même peur du choc psychologique. Tout comme les sas, la porte de la timonerie disposait d'une ouverture mécanique. Ellie l'ouvrit et fut surprise par l'abondance de lumière qu'envoyait le petit soleil où gravitaient les petites planètes de ce système solaire.

Et bien il était temps, nous allons enfin être présentés. C'est qu'elles sont timides, ces dames.