Saveurs d'Egypte
Personnages : OC, Bill Weasley
Genre : Aventure, romance
Résumé : Elle était conjureur de sorts. Bill comptait bien le devenir. Et il paraissait certain qu'au beau milieu de l'Egypte, les mésaventures de ces deux-là promettaient d'être mouvementées.
Disclaimer : Bill et le monde sorcier sont à JKR. Seuls quelques personnages sont issus de mon imagination.
Juste quelques précisions :
- J'ai annoté quelques mots égyptiens avec ce symbole °. Vous avez la signification du mot à la fin du chapitre. Rassurez-vous, je n'ai pas abusé des références égyptiennes.
- La seconde partie sera publiée la semaine prochaine. Elle est d'ors et déjà écrite, donc vous n'avez aucun souci à vous faire à ce sujet. Et une hypothétique troisième partie est à prévoir.
Merci à mes deux beta-lectrices, Owlie Wood et Meish Kaos !
Bonne lecture !
Partie 1
C'était évident qu'on me confierait la tâche d'accueillir le petit nouveau du service. Les gobelins ne sont pas connus pour leur goût du contact humain et mes éminents confrères ne se donneraient certainement jamais la peine de bousculer leur précieux emploi du temps pour de la bleusaille.
Etonnant qu'en Egypte, dans le service d'exploitation des ressources de Gringotts, la misogynie et l'arrogance soient si présentes, n'est-ce pas ? Moi, Asma Souakri, peux bien me vanter d'être la seule femme conjureur de sorts de la section égyptienne de la Banque des Sorciers. Le fait est que mes collègues masculins se sont arrangés dès mes débuts pour me confier toute la paperasse et les missions peu ragoûtantes. Comme s'ils allaient se risquer à donner une mission importante à une gamine, comme ils aiment à le dire dès que j'ai le dos tourné.
Très bien, je m'occuperai de leur William Weasley et je lui apprendrai tout ce qu'il faut pour qu'il ne se laisse pas dévorer par les requins du service. Ce que ces sorciers aux dents longues ignorent, c'est que dans le domaine de la recherche de toute trace de magie égyptienne ancienne, je suis allée à bonne école. Oh, sûrement pas comme eux et ce William Weasley, dans une académie d'excellente réputation d'Angleterre, d'Allemagne ou que sais-je encore. Mais je suis née au Caire, j'ai grandi au Caire, j'ai vagabondé toute mon enfance le long du Nil et, plus grande, j'ai poussé les limites de mon territoire jusqu'au désert et ses mystères.
Le parchemin qui nous est parvenu lors de mes dix ans en a surpris plus d'un. Mes parents, mes trois grands frères, mais pas moi, j'ai toujours pressenti que je n'étais pas normale. Désormais j'étais sorcière. Est-ce que ça changeait réellement quelque chose ? Gamine, le quartier de Darb-El-Husr juché à l'Est de la Citadelle me traitait déjà comme si j'étais une erreur de la nature que les autres enfants devaient éviter. Peu m'importait, parce que j'errais là où bon me semblait. Et les mystères du désert silencieux me paraissaient préférables à tout jeu enfantin.
J'ai été à l'Ecole magique de Boukaraf, soigneusement dissimulée aux yeux de tout moldu dans une oasis loin au Sud-Ouest du Caire. J'y ai étudié la magie, les sortilèges, l'art de se servir d'une baguette, tout ce qui ferait de moi une bonne et brave petite sorcière. Pendant les vacances, je passais mon temps à fuir le foyer parental alors que ma mère marmonnait qu'il était temps de penser à me trouver un gentil garçon pour me marier à la fin de mes études. J'usais d'un tapis volant acquis chèrement avec mes quelques économies et j'allais humer le sable sec du désert et la poussière des pyramides. Je pouvais regarder ces monuments des heures durant, juchée sur une dune avec une gourde cachée dans les plis beiges de ma djellaba.
J'ai passé un temps fou à épier des équipes de recherche dans les vallées ensablées. Je les regardais creuser inlassablement en quête de nouveaux trésors et objets magiques qui iraient alimenter les coffres de Gringotts sous le contrôle avide des gobelins. On avait fini par me surprendre et je m'étais retrouvée coincée dans une tente, honteuse de m'être faite prendre par les ouvriers de Gringotts, comme si j'avais commis un quelconque méfait. Du haut de mes quinze ans, j'avais lancé à la tête du responsable de chantier, venu observer l'intruse, que je savais parfaitement ce qu'ils faisaient et qu'ils n'essaient pas de me cacher qu'ils étaient sorciers, puisque je l'étais autant qu'eux. Après un rire tonitruant du chef qui m'avait valu de reculer de deux bons pas, il m'avait assuré que je pouvais rester. Ce que j'ai fait. Je l'ai suivi autant que je pouvais en dehors de mes classes, et de cette façon, il m'a enseigné toutes les ficelles du métier.
Croyez-moi, les théories fumeuses et les grands airs de tout ponte magicologue ne parviennent pas à la cheville des sages et rares conseils de Nadim Ghezali, simple chef de fouilles. Le visage tanné par le rude soleil et la barbe salie par la poussière, il connaissait tout des expéditions et des recherches entreprises par Gringotts. Il pestait sans cesse contre le manque de réalisme de ces conjureurs de sort beaux parleurs préférant se la couler douce durant les chaudes soirées du Caire, où l'odeur acre du whisky l'emportait sur la douceur amère de notre karkadé°.
Ainsi, quelques années plus tard, je me retrouvai devant le Centre de Transports Magiques du Caire, un jeudi où la chaleur ne se faisait pas aussi pesante, mais où le vent jouait avec violence avec les voiles des femmes et les tentures des échoppes. Les Moldus passaient sans grand intérêt devant cette boutique désœuvrée de vieux tapis, la vitrine était poussiéreuse et si l'on approchait, les quelques marchandises amassées là n'avaient pas de quoi attirer le chaland. Même la vieille pancarte, se balançant au gré des bourrasques avait son inscription effacée par le temps.
Je n'entrai pas par la grande porte. Je contournai le bâtiment par une petite ruelle qui donnait sur l'arrière-boutique et me faufilai dans l'entrebâillement d'une porte en bois dont les gonds grincèrent sinistrement. Un chat vint se frotter contre le bas de ma robe, me faisant sursauter dans l'ombre du couloir dans lequel je m'étais avancée. Je posai la main contre le mur et fis encore quelques pas, jusqu'à sentir un relief étrange sous mes doigts ; j'y appliquai le bout de ma baguette. Une fine trace lumineuse se dessina sur le mur, éclairant subrepticement l'endroit désolé. Je fermai les yeux et passai lentement dans l'espace désigné.
J'avais eu cent fois l'occasion d'aller dans le Centre de Transports, dont une bonne dizaine en y entrant de cette façon. Il n'empêchait que le contraste entre l'arrière-boutique étouffante d'obscurité et la salle immense et éclairée me serrait toujours étrangement le coeur.
Il n'y avait pas foule en ce jour de semaine. Passaient par là un homme d'affaires russe engoncé dans des fourrures qu'il ôterait précipitamment en sortant d'ici et quelques mages kenyans en tenue traditionnelle, discutant avec agitation en faisant tinter leurs bracelets de bois.
Je jetai un regard plus aigu à l'ensemble de l'endroit et me dirigeai vers l'accueil où une jeune sorcière parut bien embêtée de me voir arriver du coin de l'œil, alors qu'elle y remettait savamment une touche de khôl.
- Bonjour, entamai-je. Le Portoloin de Londres prévu pour 10h21 ?
L'hôtesse prit les quelques secondes nécessaires à l'achèvement de son ouvrage, avant de refermer avec un bruit sec son miroir de poche et de se pencher vers un gigantesque grimoire, dont je voyais avec un amusement mal dissimulé les mots briller faiblement et disparaître remplacés par d'autres lignes et horaires.
- Il aura dix minutes de retard.
Elle ne sembla guère apprécier que je lève les yeux au ciel.
- Des problèmes au contrôle des valises des passagers, crut-elle bon d'ajouter.
Parfait. En espérant que ce cher Weasley ne se serait pas amusé à vouloir amener on ne sait quelle potion illicite.
- Très bien, marmonnai-je à l'hôtesse qui fixait avec un sourire narquois mes doigts pianotant nerveusement le comptoir.
J'allai m'asseoir dans un coin sur une chaise en bois usée par les milliers de visiteurs que recevait le centre.
J'ai toujours aimé le mystère et l'inconnu. Pourtant là, ignorer quel genre d'homme était Weasley ne me plaisait pas tant que ça. Il pouvait être un fils à papa espérant comme tous ceux du service qu'en restant dans un bureau, il pourrait trouver trésors et objets magiques puissants qui feraient sa gloire et sa renommée. Ambitieux, paresseux… Tout ça défilait dans ma tête et j'esquissai malgré moi une grimace en imaginant cette future collaboration qui pouvait facilement s'avérer désastreuse.
La voix doucereuse de l'hôtesse, amplifiée magiquement, résonna dans le hall, me sortant de ma léthargie pensive.
- Le Portoloin pour Londres apparaîtra en zone E dans une minute. Veuillez dégager la zone. Nous vous rappelons que pour des raisons de sécurité, il est interdit de faire usage de sa baguette magique dans l'enceinte du Centre de Transports Magiques du Caire. Merci de votre compréhension.
Je me dirigeai vers l'endroit mentionné, enlevant d'une main le léger voile qui couvrait mes longs cheveux nattés, pensant ainsi être plus présentable aux yeux de l'occidental.
Quelques autres visiteurs s'étaient réunis avec moi autour de la zone E délimitée par une ligne magique d'un violet jurant avec le reste de la salle d'une couleur sable. Le Portoloin apparut avec un bruit d'explosion, entraînant avec lui cinq sorciers. Il me fallut à peine deux secondes pour reconnaître William Weasley dans le jeune rouquin jetant des regards mi-amusés mi-intrigués tout autour de lui, tandis que les autres passagers se hâtaient vers la sortie avec une morgue désolante.
Son attitude me plaisait.
- Monsieur William Weasley, demandai-je en m'approchant de lui.
Il tourna un regard curieux vers moi et me serra vigoureusement la main.
- Je préfère qu'on m'appelle Bill.
Mes yeux s'égarèrent un instant de ses cheveux roux mi-longs attachés en catogan jusqu'au crochet de serpent à son oreille, et un vieux blouson en peau de dragon ne dépareillait pas le tout. Je n'aurai certainement pas imaginé ça.
- Asma Souakri, votre collaboratrice, je me présentai à mon tour.
A vrai dire, j'étais bien embarrassée sur la façon dont je devais me comporter face à cet atypique. Je m'étais attendue à un arrogant Sorcier-Pur qu'il faudrait que je mate doucement. C'était à ça que le service m'avait habituée.
- Enchanté ! J'avoue que j'ai eu peur un moment que ce soit un gobelin de la direction qui vienne m'accueillir ici, plaisanta-t-il tout en scrutant distraitement par-dessus mon épaule les fresques ornant les murs du Centre.
Je me retins de sourire, me rappelant qu'à Gringotts, c'étaient les gobelins qui tiraient toutes les ficelles. Il n'était pas bon de s'en moquer.
- Les gobelins ne sont pas connus pour leur goût du contact humain, je proférai cette généralité qui semblait avoir cours en Angleterre autant qu'en Egypte.
- Effectivement, répondit-il en étirant les bras et en prenant une profonde inspiration. Alors, me voilà en Egypte.
J'avoue qu'à son air badin, je n'ai pu réprimer un sourire.
- Ce n'est que le Centre de Transports, rectifiai-je.
- Et alors, qu'est-ce qu'on attend pour sortir d'ici ? demanda-t-il enthousiaste. Oh, mes valises peut-être ?
- Non, vos affaires seront directement amenées à la résidence.
Je lui fis signe de me suivre et l'entraînai à ma suite. J'avais pensé prendre une des cheminées du Centre de Transports pour revenir à l'Ensemble Gringotts. Mais puisqu'il semblait désireux de voir la ville, autant lui en donner l'occasion.
- La résidence ? s'enquit Bill en m'emboîtant le pas.
Je hochai la tête d'un air entendu. Evidemment, les gobelins savaient parfaitement s'occuper de l'information de leurs nouvelles recrues.
- Tout au Sud du Caire est dissimulé l'Ensemble Gringotts : les bâtiments administratifs, les bureaux en tout genre, les archives… La Banque des Sorciers offre aussi à ses employés des logements, expliquai-je tout en me retrouvant face à la sortie que j'avais empruntée quelques minutes plus tôt. Bien entendu, ce n'est que temporaire.
Et la plupart des conjureurs de sort se hâtaient de quitter ces appartements sordides qui correspondaient bien peu à l'image de marque qu'ils espéraient.
- Vivre juste à côté de Gringotts, je ne pouvais pas rêver mieux, grimaça Bill. Et vous, Souakri, vous vivez à la résidence ?
Je me figeai au moment d'appliquer ma baguette magique à l'emplacement réservé pour ouvrir la porte de sortie et me retournai vivement vers le rouquin qui me dévisageait.
- Je pense qu'on va se côtoyer suffisamment de temps. Il vaut mieux que tu gardes les formules de politesse pour les autres conjureurs et les dirigeants gobelins. Moi, c'est Asma, juste Asma. Et non, je ne vis pas à la résidence. Mes parents habitent dans un quartier moldu à quelques miles au Nord.
J'avoue que j'avais sciemment prononcé le mot « moldu ». Un autre test pour Monsieur Weasley, en quelque sorte. Car son curriculum vitæ indiquait clairement Sang-Pur, je ne me trompais pas sur ce point. Mais son air bonhomme et enchanté ne frémit pas d'un iota. D'une franche poussée dans le dos, je lui fis traverser le passage vers le couloir sombre et étriqué de la boutique de tapis. Lorsque je passai à mon tour, je manquai de tomber à la renverse sur ce cher Weasley complètement perdu dans la pénombre, cherchant à mettre la main sur sa baguette.
- Ça serait gentil de prévenir ! lança-t-il hargneusement.
Je l'empêchai de prononcer le mot Lumos et l'entraînai vers le plein air.
- Range ta baguette, on est en quartier moldu, je murmurai hâtivement alors que la rumeur de la foule me parvenait.
- Si on doit travailler ensemble, je crois qu'on va devoir travailler notre communication, souffla Bill avec sarcasme.
Je me retournai et le jaugeai d'un œil torve sans ajouter un mot.
- Je sens qu'on va bien s'amuser tous les deux, ironisa le rouquin en levant les yeux au ciel.
Décidément, il était vraiment très loin de ce que j'avais imaginé. Peut-être que le sorcier de bonne famille, imbu de lui-même, aurait été même préférable. Peut-être.
- Bon, on y va ? reprit-il. Je suis persuadé que tu connais le moindre recoin de cette ville. Il faut absolument que tu me montres tout ça !
D'accord, nous avions notre après-midi de libre. Mais jouer les guides touristiques, très peu pour moi !
- Je suis ta collègue de travail, pas ton guide, j'arguai, pas franchement réjouie de perdre le contrôle de la situation. Apparemment tu n'as pas l'air au courant.
Il recula lentement vers la grand-rue avec un sourire narquois, avant de se retourner et de s'élancer vers la foule sans plus un regard dans ma direction, me plantant dans cette ruelle sans regret.
J'avoue que ça m'avait fait fulminer. J'avais marché droit vers lui et l'avais rattrapé par la manche pour l'arrêter dans son entreprise insensée.
- Très bien. Mais on fait les choses à ma façon.
Inutile de préciser qu'à son expression victorieuse, j'avais eu la délicieuse impression de m'être faite avoir en beauté par un novice. Tout ça commençait fort bien.
Je dois bien avouer que l'après-midi avait été plutôt agréable. J'aime ma ville. Et voir Bill ouvrir de grands yeux devant la citadelle de Saladin ou se pencher dangereusement par-dessus les remparts de la forteresse de Babylone, était un spectacle somme toute intéressant. Après avoir parcouru des dizaines de ruelles bordées de bâtisses de pierre effilées, nous avions savouré un jus de goyave dans un petit café du quartier copte. Et par la suite, j'étais parvenue à le raisonner et nous avions emprunté une cheminée pour rejoindre illico presto l'Ensemble Gringotts.
La nuit commençait déjà à tomber lorsque je le laissai à l'accueil de la résidence. Et je lui répétai au moins une bonne dizaine de fois d'être à l'heure le lendemain. Je n'avais pas l'intention de prêter le flanc aux moqueries de mes collaborateurs, qui ne manqueraient pas une occasion de se gausser de Bill et de moi.
Hélas, lorsque, le lendemain, j'arrivai aux aurores au bureau 57 du service d'exploitation des ressources - mon bureau, une sorte de réduit planqué au fond du couloir -, une voix grave me rappela vite aux dures réalités de ce monde.
- Alors, il est comment le petit nouveau ?
Je refermai sèchement le tiroir de mon bureau en croisant le regard aiguisé de McKee, quinquagénaire dont l'embonpoint et la tenue irréprochable évoquaient peu l'homme de terrain.
- Il est bien. Mais vous vous en rendrez mieux compte par vous-mêmes.
- Ménage-le quand même, badina McKee en jetant un regard méprisant sur mon bureau croulant sous les parchemins et sur les murs poinçonnés de plans et schémas en tout en genre.
Roulant des yeux, je me demandai quand cette enflure consentirait à avouer la vraie raison de sa visite. Mon bureau n'était pas à proprement parler un lieu très populaire.
- Ta recrue pourrait peut-être commencer par quelque chose de simple, fit-il en lissant l'extrémité de ses moustaches d'un gris passable. Un rapport sur les fouilles du site 34, par exemple.
Nous y voilà.
- Le site 34 est ton site, n'est-ce pas ? énonçai-je avec un sourire faux.
- C'est cela, répondit McKee en prenant ses aises sur la chaise face à mon bureau.
- C'est donc toi qui es en charge de ce rapport, raisonnai-je. Si tu veux que Weasley s'en occupe, c'est simple, laisse-lui la responsabilité du site 34. Ça serait même un plaisir.
Le visage du conjureur de sort vira au rouge cramoisi.
- Je ne vais pas lui confier un site de cette importance ! s'indigna-t-il.
- Alors ne lui refile pas la paperasse qui va avec.
Je baissai les yeux sur le rapport que j'étais en train d'étudier et n'entendis plus que la porte claquer. Je ne m'étais pas attendue à mieux de la part de ce vieux renard, pourtant je me sentais gênée. J'étais peut-être allée un peu loin, sans savoir exactement pourquoi. Jusque-là je m'étais contentée de désapprouver leurs manœuvres en pensée seulement.
Lorsque Bill apparut dans l'entrebâillement de la porte, je n'étais pas vraiment dans mon assiette.
- Bonjour Asma ! Tu vois, je suis à l'heure, entonna-t-il. Ce n'était pas la peine de me faire tout un sermon hier.
Un coup d'œil à l'horloge suffit à confirmer mes doutes. Il avait deux minutes de retard. Etrangement je ne ressentis pas l'envie de lui en faire part.
- Bonjour Bill.
Il fit le tour du bureau, scrutant avec attention les plans et les cartes fixés aux murs.
- Dis donc, c'est que ça a l'air très intéressant tout ça, s'exclama-t-il en pointant du doigt le schéma du sceptre d'Imhotep, grand-prêtre et conseiller à la cour d'un pharaon de la deuxième dynastie.
- Très intéressant, répétai-je en feuilletant machinalement un rapport.
- Et on commence quand le travail ? J'ai hâte de m'y mettre.
A croire que la visite de McKee m'avait rendue imperméable à tout l'enthousiasme débordant de Weasley. A ce moment-là je n'avais plus qu'une envie : m'abîmer dans un travail ennuyeux et rébarbatif. La léthargie des chiffres et des rapports administratifs me ferait peut-être oublier la galère dans laquelle je m'étais mise.
- Hé ! C'est quoi tous ces parchemins ? fit-il en fouillant une pile de manuscrits sous mon regard désabusé. Hygrométrie des sols, teneur magique détectée, mise sous secret, évaluation du PMRM… Qu'est-ce que ça signifie ?
- Potentiel Magique des Ressources Mortuaires. L'estimation de ce qu'on peut trouver dans un tombeau, en fonction du titre de la dépouille.
- C'est charmant. Une idée des gobelins burocrates sans doute. Toute cette paperasse, conclut Bill en englobant d'un grand geste le bureau entier. Puis Ressources Mortuaires, c'est macabre comme nom, tu ne trouves pas ?
La naïveté de ce garçon paraissait ne plus avoir de limites.
- La direction de Londres ne t'en a peut-être pas averti, mais notre boulot est quand même de dépouiller…
- Des tombes pour enrichir Gringotts et ses réseaux associés, me coupa Bill, j'ai saisi le concept. Mais de là à… évaluer le PMRM. C'est manquer de tact, tu ne trouves pas ? Si ces illustres sorciers égyptiens savaient qu'à notre époque, ils ne sont plus qu'un indicatif financier dans un dossier des archives de Gringotts, ils s'en retourneraient dans leur tombe… Enfin, façon de parler.
Je le fixai, ébahie de cet avis d'Anglais fraîchement débarqué, et aussi soudainement, j'éclatai d'un rire franc. Et ça me fit un bien fou.
- Bien dit, Weasley, je lançai en lui tapant sur l'épaule. Allez, viens. J'ai des tonnes de choses à te montrer.
Il passa une main dans sa tignasse rousse, apparemment pas certain d'avoir compris ce revirement de situation. Mais me voyant décidée, il ne se le fit pas dire deux fois et m'emboîta le pas.
Passant en trombe dans le couloir, j'entendis tout juste la voix traînante de Danforth.
- Souakri, n'oublie pas que tu es déléguée pour la réunion vendredi soir avec Sicpol et la direction.
J'agitai mollement la main en guise de réponse.
Lorsque nous passâmes la grande arche qui délimitait l'entrée de l'Ensemble Gringotts, je levai les yeux d'un air satisfait vers le soleil ardent qui s'était levé au loin sur les dunes entraperçues à l'Est, en bas de la ville. C'est à ce moment-là que Weasley, la mine déconfite, se décida à poser des questions.
- Où on va comme ça ?
- Tu vas voir ce qu'est le métier de conjureur de sorts, affirmai-je d'un ton décidé.
Le rouquin arbora un sourire prévisible… qui disparut assez vite à la vue du moyen de transports que j'avais prévu pour nous rendre au site 9.
- Un tapis volant ? répéta-t-il incrédule.
- Tu t'attendais à quoi ? demandai-je, surprise par sa réaction. Vous n'en utilisez pas en Angleterre ?
Bill secoua lentement la tête, continuant d'examiner le tapis persan, les couleurs fanées par les intempéries et les franges effilochées par l'usure du temps.
- Non, plutôt des balais volants. Les tapis sont interdits depuis des années.
- Oh, c'est encore une de ces histoires de monopoles commerciaux. Ce cher Ministère britannique doit subir la pression de quelques entreprises de balais volants, si tu veux mon avis, fis-je remarquer.
L'air toujours dubitatif, il me regarda m'asseoir en tailleur sur le tapis flottant quelques centimètres au-dessus du sol.
- Moi qui avais espéré avoir pour collaborateur un jeune Anglais courageux et intrépide, me voilà servie ! soupirai-je avec une ironie qui fit bondir Bill.
Quelques minutes plus tard, nous survolions le Gebel Al Muqattam, ensemble de massifs rocheux accidentés, derrière lequel se dévoilèrent de vastes étendues d'un désert où se dissimulaient quelques-uns des sites, propriétés de Gringotts, sagement numérotées de 6 à 14.
Chemin faisant, j'expliquai au jeune Weasley les mesures de protection mises en place pour nous protéger des quelques Moldus curieux qui pourraient s'attarder dans les environs des chantiers de fouille. Quelques sorts repousse-moldus variant selon les habitudes étaient en général suffisants, peu d'autochtones et de touristes vaquant dans ces contrées hostiles. Par contre, les systèmes de protection et de repérage de toute forme de magie étrangère se perfectionnaient chaque année, nous obligeant à suivre de très près les évolutions de cette magie de pointe.
- Se protéger contre d'autres sorciers, c'est bien ça ? s'enquit Bill. Pourquoi ?
- Ce qui attire Gringotts par ici peut attirer bien d'autres organisations… plus ou moins en accord avec les législations internationales.
Il haussa un sourcil et scruta les étendues désertiques, cherchant sans doute à imaginer quelques sombres réseaux clandestins s'invitant là, à la recherche de trésors enfouis.
- Ici les Aurors ont souvent affaire à des trafics d'objets magiques. L'Egypte est une plaque tournante importante. Heureusement, la plupart du temps, les malfaiteurs préfèrent ne pas venir se frotter à nos systèmes de sécurité. C'est arrivé une fois à McKee. Je crois qu'il n'a toujours pas digéré le jour où son chef de chantier est venu lui annoncer que la tombe du mage éthiopien qu'ils venaient tout juste de mettre à jour, avait été vidée dans la nuit.
Tandis qu'il prêtait une oreille attentive à mes propos, je me faisais l'insolite réflexion que ce garçon m'avait au premier abord donné plutôt l'impression d'un insouciant que d'une âme studieuse.
- Sors ta baguette, l'empressai-je d'un ton détaché.
La vitesse de son geste m'étonna, autant que la crispation de sa main. Alors que je ralentissais le tapis et sortais à mon tour ma baguette, je compris la méprise.
- Arrête de regarder à droite et à gauche, persiflai-je. Personne ne va nous sauter dessus. Tu vas comprendre.
L'onde me parcourut sans doute pour la millième fois depuis toutes ces années, apportant toujours cette même impression de froid dans tout le corps. Ma baguette grésilla un peu et laissa échapper quelques faibles étincelles pourpres.
Le phénomène ne durait qu'un centième de seconde, mais il me donnait toujours ce sentiment de toute-puissance. Comme si je pouvais toucher la Magie du bout des doigts.
- C'était quoi… cette chose ? demanda Bill, ses yeux inquiets braqués sur sa baguette.
- Le champ de protection du site, répondis-je posément. On y est.
Il s'appuya par-dessus mon épaule, suivant la direction que j'avais indiquée, là où quelques secondes plus tôt, il n'y avait que sable à l'infini, apparurent comme par magie une activité intense, des nuées de sable et des lumières étranges.
- On ne vous apprend pas les effets des derniers champs de protection en vigueur, dans votre prestigieuse académie en Angleterre ? rétorquai-je avec cynisme, tandis que le tapis se posait au sol et que Bill en descendait d'un bond avec un soulagement certain.
Comme réponse, il se contenta de hausser les épaules. Evidemment, il devait connaître sur le bout de sa baguette les champs de protection et toutes leurs caractéristiques. De là, à faire la part des choses en entrant en contact avec l'un d'eux…
Je me positionnai au bout d'un massif rocheux à demi-couvert par le sable, qui surplombait le site, offrant une vue qui embrassait tout, des tentes de taille variée aux sorciers s'affairant à faire émerger du sable glissant une forme aux contours aiguisés.
Un bruit sourd me fit baisser les yeux. Bil avait dévalé la pente sableuse et marchait sans vergogne vers le chantier. Décidément il ne me laissait pas un instant de répit. Je glissai à mon tour en bas du surplomb.
Peu importait que les connaissances de Weasley en terme de dialecte égyptien ne soient réduites qu'à quelques bases. A première vue, l'ouvrier qu'il avait accosté, parvenait fort bien à comprendre ses gestes désordonnés et ses syllabes prononcées avec un fort accent britannique.
En tout cas, je n'aimais pas le voir s'introduire sur mon site, sans avoir eu l'occasion de le présenter auparavant. Ce garçon paraissait tout ignorer des bonnes manières.
- Bonjour Fahim, je vois que tu as déjà fait connaissance avec Monsieur Weasley, laissai-je échapper avec dédain, tandis que Bill se concentrait pour suivre mes propos en égyptien.
Le sorcier se montra enchanté de dévoiler l'ampleur de nos travaux à quelqu'un d'aussi enthousiaste et curieux que Bill. Et bon gré mal gré, je dus traduire et expliquer tout ce que la nouvelle recrue ne saisissait pas. Lorsque la journée prit fin, j'avais mal à la tête. Je n'avais jamais pensé qu'avoir un collaborateur puisse être aussi épuisant. Devant ses yeux, j'avais dû démonter et recréer les divers champs de protection, expliquer en détail les méthodes horriblement sophistiquées de détection des flux magiques émanant des tombes, et schématiser les techniques de fouille employées. Un cauchemar. Même alors qu'en début de soirée, nous nous sustentions d'une assiette de foul°°, il ne cessa de faire des remarques diverses et variées que je tentai d'ignorer le mieux du monde.
- Tu pourrais faire un effort tout de même, marmonna-t-il en triturant sa pitance du bout de sa fourchette.
Non, cette remarque-là, je ne parvins pas à l'ignorer.
- Un effort pour quoi exactement ? Parce que j'étais persuadée d'avoir fait des tonnes d'efforts pour toi aujourd'hui.
Le soupir que je poussai ne s'entendit pas dans la bourrasque de vent qui vint agiter la toile de la tente.
- La sociabilité, parler aux gens, sourire, des choses de ce genre, lança-t-il avec aplomb.
Parfait, Bill était ingrat en plus.
- Je suis vraiment désolée si ma conversation ne te plaît pas. Mais il me semble que je ne suis pas payée pour ça.
Il roula des yeux et attrapa distraitement une poignée de dattes. Le silence qui s'ensuivit me rendit nerveuse.
- Je suis sociable, finis-je par laisser échapper.
- Bien sûr, ironisa le jeune homme qui s'était installé nonchalamment sur une des couchettes de la tente.
Couchette qui ne lui était pas destinée puisque nous devions rentrer, mais visiblement c'était le cadet de ses soucis.
- Je suis sociable ! répétai-je furieuse de sentir qu'il puisse avoir raison.
- C'est bon, Asma. On a compris.
Je me levai vivement et sortis de la tente malgré le froid glacial tombé sur le désert dès lors que le soleil avait disparu à l'horizon. Une inspiration profonde et la sensation de l'air frais dans ma gorge me calmèrent.
En jetant un regard à l'immensité au-delà du chantier, je ressentis cette éternelle sensation d'appel. Il n'y avait là-bas personne, juste quelques êtres vivants, tentant de survivre dans cet environnement hostile. Et au milieu de tout ça, des vestiges de grands sorciers étaient dissimulés, espérant que jamais personne ne viendrait les profaner.
Surprise dans mes divagations, je sentis une étoffe lourde se poser sur mes épaules.
Bill était derrière moi. Ma main effleura distraitement la rudesse du blouson en peau de dragon que, dans un geste désuet, il venait de me donner.
- On rentre.
Ce n'était même pas une question. Et je le suivis jusqu'au tapis volant.
En m'endormant ce soir-là, il y eut beaucoup de sons et d'images qui virevoltèrent dans mes pensées. Mais la dernière sensation dont je me souvins juste avant de sombrer dans la quiétude du sommeil, fut le poids de ce blouson sur mes épaules.
J'aurais pu penser que le lendemain commencerait sous de meilleurs augures. Ma mère en décida autrement. Je venais à peine de me lever. Tout ce que je désirais, c'était un peu de thé bien chaud et piquer une ou deux figues, histoire de calmer ma faim avant de filer affronter Gringotts.
- Asma, à quelle heure es-tu rentrée hier soir ?
Je levai les yeux de mon thé. C'était exactement ça, le problème lorsqu'on vivait encore chez ses parents.
- Je travaillais, maman.
Sa silhouette massive enveloppée d'une djellaba sombre, elle se leva et me tendit un des tahinas°°° qu'elle venait de préparer, d'un geste autoritaire qui ne pouvait souffrir de refus.
- Une jeune femme ne devrait pas traîner si tard, sermonna-t-elle.
Et je sentais arriver le couplet traditionnel, concernant ce qu'il était bon de faire lorsqu'on avait vingt-cinq ans. Etrangement, être célibataire, exercer un métier dans un milieu masculin et accessoirement être une sorcière, n'avaient jamais fait partie du code de bonne conduite selon les dires de Madame Souakri. Un peu dépassé, tout ça.
- J'étais sur un site, expliquai-je tout en goûtant du bout des lèvres la pâtisserie trop grasse et trop sucrée.
- A une heure pareille ? J'aimerais bien savoir ce que vous pouvez faire en plein milieu de la nuit, s'indigna-t-elle les lèvres pincées.
- J'ai dû montrer toute l'organisation à notre nouveau collaborateur.
L'étincelle dans les yeux noirs de ma mère éveilla quelques craintes dans mon esprit encore engourdi.
- Un nouveau collaborateur ? s'enquit-elle.
- C'est ça. Un jeune Anglais qui est arrivé avant-hier.
- Et c'est seulement maintenant que tu le dis ? s'exclama-t-elle en levant les bras au ciel d'une façon théâtrale. Mais invite-le à venir déjeuner, voyons !
Non, ça, c'était une mauvaise idée ! Je secouai lentement la tête, sans que ma mère en prit acte.
- A treize heures, ça sera parfait, décida-t-elle. Il faut que j'aille au souk. Je n'ai presque plus de cumin.
- Je ne suis pas sûre…
- Enfin Asma ! Quand on a un nouvel associé, jeune et Anglais qui plus est, il est normal de l'inviter. Il doit être perdu au beau milieu de ce pays, si loin de ses parents.
Les mots Bill et perdu me parurent incompatibles.
- Je vais lui préparer des spécialités locales. Il va être enchanté !
Je ne me rappelle pas qu'il y ait eu un moment où j'aurais pu donner mon avis.
- Asma, réveille-toi, veux-tu ! gronda ma mère tandis que Wahid, le petit dernier de la famille trottait jusqu'à la table. Tu vas finir par être en retard.
En un rien de temps, je me retrouvai dehors, mon sac planté précairement entre mes bras et un autre tahina enrobé de papier enfoui dans une poche par la généreuse main maternelle.
Je descendis l'étroite rue longeant la Citadelle, indifférente à mon sort. La température de ce début de matinée était agréable et les maisons résonnaient des cris joyeux de bambins se préparant à aller à l'école.
A l'instant, mon seul et unique souci était d'imaginer la confrontation entre ma famille envahissante et William.
Préférant avoir une journée calme, je décidai de consacrer la matinée aux rapports administratifs qui, malgré toutes mes réprobations, représentaient une part importante de notre travail. Bill fit la moue face à cette activité peu exaltante, ce qui ne l'empêcha pas de se montrer concentré et curieux.
C'était presque amusant de le voir compléter les rapports, raturant de sa plume et prenant l'air attentif d'un élève studieux.
- Bill, je…
- C'est fou quand même de devoir envoyer trois exemplaires d'un banal rapport d'hygrométrie, râla-t-il sans me prêter plus d'attention.
- Bill, tu es libre à déjeuner ?
Il releva la tête du parchemin, avec un sourire malicieux.
- Une invitation galante ? Après seulement deux jours, est-ce que c'est vraiment professionnel, ça ?
En percevant la raillerie, mes muscles se raidirent.
- Désolé.
Je me sentais atrocement gênée. Et lui, après ce vague mot d'excuse, ne paraissait pas l'être le moins du monde.
- C'est mes parents qui m'ont chargée de t'inviter, m'empressai-je d'expliquer, désirant dissiper le malentendu au plus vite. Tu comprends, ils ont appris que tu venais tout juste d'Angleterre. Et comme tu es mon nouvel associé, ils aimeraient mieux te connaître. Tu pourrais goûter à d'excellents plats, ma mère cuisine à merveille. Enfin tu n'es pas obligé d'accepter. Mais je pense que ça les rassurerait…
A ce moment-là de mes explications sans fin, Bill crut bon de m'arrêter.
- Pourquoi tes parents auraient besoin d'être rassurés ? s'enquit-il décontenancé.
J'en avais peut-être un peu trop dit.
- Et bien… balbutiai-je.
Je le vis se renverser sur sa chaise et poser ses bottes poussiéreuses sur le bureau entre deux piles de parchemin, et je me retins de lui faire une remarque désobligeante.
- Ça promet, cette rencontre familiale ! s'exclama-t-il narquois. J'imagine bien le tableau. Arrête-moi si je me trompe, mais à ton âge, il serait peut-être temps que tes parents arrêtent de s'inquiéter lorsque leur fille rentre tard en compagnie d'un garçon.
Les sous-entendus de ses propos me heurtèrent. Il était vrai que Bill m'avait raccompagnée chez moi la veille, mais je ne voyais pas en quoi ç'aurait pu paraître suspect.
- Je ne vois pas de quoi tu parles, rétorquai-je froidement.
- C'est ça.
Bill, toujours aussi désinvolte, leva les yeux vers le plafond et finit par déclamer :
- Très bien. C'est avec plaisir que j'accepte l'invitation de vos parents, Mademoiselle Souakri.
Je me sentis rougir de honte et d'embarras face à son air entendu. Ma mère regretterait la situation humiliante qu'elle avait sciemment provoquée.
Bill ne cessa de s'amuser de ma gêne. Ce fut une longue matinée. Si j'avais eu un peu de cran, j'aurais tout envoyé balader. Et même si ça avait été le cas, je doute que Bill m'aurait laissé faire. Il semblait se faire une joie à l'idée de ce déjeuner, n'apaisant en rien mes appréhensions croissantes.
Alors que nous cheminions dans les rues étroites du Caire, Bill narrait avec exaltation les exploits culinaires de Madame Weasley, glissant des noms de plats barbares tels que tarte au potiron, gibier à la sauce à la menthe et d'autres. Et moi, je songeai très sérieusement à m'éclipser avant que la maison parentale n'apparaisse.
Tandis que mes yeux s'égaraient vers des ruelles annexes et particulièrement sombres, me laissant penser qu'une fuite par-là serait tellement simple, je sentis le bras de Bill s'enrouler avec autorité autour du mien. Le regard innocent qu'il tourna vers moi ne me dupa pas pour autant. Il me connaissait depuis à peine quelques jours, et pourtant l'idée effrayante qu'il ait vu clair dans mon jeu, me traversa. J'abandonnai, me laissant entraîner dans son sillage sans plus espérer d'échappatoire. La vue de la demeure de pierre ocre, enchâssée étroitement entre deux maisons similaires, me fit soupirer, et je la désignai du doigt.
- C'est ici.
Bill me relâcha, satisfait.
- Allons donc faire connaissance avec la famille Souakri, fit-il en s'avançant d'un pas conquérant.
Il frappa à la porte. Mon père ouvrit. Les présentations furent faites sans que j'eus à intervenir. Bill savait très bien faire ça tout seul. J'en profitai pour rester en retrait, observant d'un œil distrait tout ce manège : ma mère souriante, mon père d'un calme olympien et même un de mes grands frères venu à l'improviste.
Bill fut parfaitement à son aise, répondant à toutes les questions, tandis que ma mère l'incitait à reprendre d'un plat ou d'un autre. Étonnant comme mes parents se posaient des questions inutiles sur leur convive : s'il venait d'une famille de sorciers, ce que faisaient ses parents, où ils vivaient en Angleterre, s'il avait des frères et sœurs… Franchement, en quoi était-ce intéressant ? Je n'aimais pas beaucoup la tournure que tout ça prenait. William était mon collègue de travail, à quoi bon connaître son arbre généalogique ?
Le repas fini, je profitai de l'excuse toute trouvée que me procura mon petit frère Wahid, pour prendre mes distances. Jouant aux dames, je continuai tout de même à suivre d'une oreille attentive la conversation qui se poursuivait autour d'un thé à la menthe.
Rien de bien passionnant, si vous voulez mon avis. Pourtant, une fois le pied posé dehors, Bill paraissait particulièrement de bonne humeur.
- Tu as une gentille famille, Asma.
En tout cas, ça n'avait pas été aussi horrible que je l'avais imaginé. Même si je ne m'amuserais pas à répéter trop souvent l'expérience.
- Tu avais raison, ta mère est un vrai cordon bleu ! Je n'avais jamais goûté à des plats pareils, c'était délicieux, s'exalta-t-il en s'étirant paresseusement.
- N'y prends pas trop goût, marmonnai-je contrariée par son enthousiasme.
J'avais besoin de me changer les idées. Une après-midi d'inspection des sites sous ma responsabilité serait la bienvenue.
- Pourquoi il faut toujours que tu fasses la tête ? lança Bill en m'arrêtant. Si ça te gênait que je vienne voir ta famille, il fallait le dire.
- Et tu m'aurais écoutée ? persifflai-je.
Bill fit mine de réfléchir.
- Non.
Je repris ma marche, le laissant en arrière. Je ne pouvais même pas prétendre être réellement fâchée. Weasley était comme ça, j'étais comme ça. Ça s'arrêtait là.
Il me suivit en silence. Un comportement judicieux, me sembla-t-il, mais bien peu en accord avec le Bill que je pensais connaître.
- On va aller inspecter quelques sites, l'informai-je.
Il ne répondit pas.
Alors que nous traversions la place du souk, j'en vins presque à me demander s'il était toujours derrière moi. Me faufilant dans la foule, je me rendis compte que la situation me mettait mal à l'aise. Pourtant je n'osai pas me retourner, de peur de devoir constater que Bill n'était plus là.
Le soleil jouait à l'ouest du minaret, se profilant à l'horizon. La rumeur de la foule m'entourait et je me sentais seule.
Prise d'une envie soudaine, je me retournai et entrai en contact avec ce blouson en peau de dragon qui exhalait une odeur si particulière.
- Tu m'en veux ? demanda Bill d'une voix basse.
Je reculai d'un pas et levai les yeux.
- Non.
Il esquissa un sourire.
Un instant, j'ai pensé que la vie était nettement plus simple lorsque je me contentais de ma routine habituelle, seule.
° Karkadé : décoction de pétales d'hibiscus
°° Foul : plat préparé à base de fèves mijotées toute la nuit pour en faire une purée généralement servie dans un morceau de shami (pain)
°°° Tahina : pâte de sésame parfumée au citron
