Assise à la table de la cuisine, Lily faisait lentement tourner sa cuillère dans sa tasse de café. Un pli lui barrait le front, et son regard vert était perdu dans le vague. Dehors, la nuit commençait à tomber, et elle voyait par la fenêtre des enfants costumés, déjà surexcités à l'idée de tous les bonbons qu'ils recevraient ce soir-là. Ils passaient tous devant la maison sans la voir ; celle-ci était sous la protection du sortilège de Fidelitas.
Derrière elle, le bruit de la douche se faufilait par la porte entre-ouverte de la salle de bains. Quand celle-ci s'interrompit, Lily fut tirée de sa rêverie, et retira sa cuillère de son café maintenant froid. Elle entendait l'occupant de la salle de bains se déplacer dans celle-ci, s'essuyer et s'habiller, et elle sentait des papillons s'installer dans son estomac. Elle avait hâte qu'il en sorte, mais en même temps elle redoutait le moment où elle aurait à lui faire face.
Quand elle entendit finalement des pas s'approcher d'elle, elle prit une grande inspiration et se tourna. Sirius se tenait à quelques pas derrière elle, les pieds nus et la chemise ouverte, laissant entrevoir son ventre plat et son torse imberbe. Ses yeux sombres étaient posés sur Lily, et le sourire qu'il afficha quand elle se tourna pour lui faire face les fit étinceler. Mais son sourire se fana bien vite quand il vit l'expression sérieuse qu'arborait la jeune femme.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— Cet après-midi était une erreur, Sirius, dit-elle sans préambule.
Sirius sentit son cœur plonger.
— Ne me dis pas que tu t'attendais à autre chose, continua Lily en voyant la déception envahir le visage du jeune homme. Je suis la femme de ton meilleur ami !
Il se mordit la lèvre pendant que Lily se cachait le visage dans les mains. Oui, il savait qu'il avait fait quelque chose d'affreux, qu'il allait regretter. Il le savait depuis qu'il l'avait invitée. Mais il n'y pouvait rien ; il était amoureux de Lily depuis qu'il avait quatorze ans.
— Oh, putain, qu'est-ce que j'ai fait ? gémit Lily dans ses mains.
Sirius s'approcha d'elle, s'agenouilla à ses côtés, et tendit une main vers son épaule. Mais il l'avait à peine effleurée qu'elle s'était levée d'un bond.
— Je dois retourner à la maison, affirma-t-elle d'une voix forte en s'essuyant les joues.
Sans attendre de réponse de Sirius, elle entra dans la petite chambre attenante à la cuisine. Sirius n'eut que le temps de se relever qu'elle en était déjà ressortie, son fils endormi dans les bras. Elle se dirigea à grands pas vers la cheminée, dans le salon, et il la suivait, sans savoir quoi dire. Avant de tendre sa main vers le pot de poudre de cheminette, elle hésita, puis fit volte-face.
— On ne parlera jamais de ce qui s'est passé aujourd'hui.
Sirius la fixa un instant sans rien dire, estomaqué, avant d'acquiescer.
— Oui, bien sûr.
— Je suis venue parce que tu voulais voir Harry. C'est tout.
Ne faisant plus confiance à sa voix, Sirius ne fit que hocher la tête. Lily se tourna alors et, d'une main, attrapa une poignée de poudre qu'elle lança dans la cheminée. Quand les flammes devinrent vertes, elle se plaça au centre de celles-ci et prononça son adresse d'une voix claire. Après quelques secondes, quand rien ne se passa, elle fronça les sourcils et la répéta. Mais Sirius voyait déjà quelques flammes reprendre leur couleur orangée, alors il agrippa le bras de son amie et la tira brusquement vers lui.
— Sors de là, tu vas te faire mal !
Harry ouvrit les yeux et laissa échapper un petit cri énervé quand il frappa le torse de Sirius. Lily leva des yeux inquiets vers ce dernier.
— Qu'est-ce qui se passe, Sirius ? demanda-t-elle en tapotant le dos de son fils pour qu'il se rendorme. Pourquoi ça marche pas.
Sirius était déjà en train de rattacher sa chemise.
— Reste ici.
— Quoi ? Non, je viens avec toi !
— Et tu vas faire quoi avec Harry ?
Lily baissa les yeux vers son bébé, qui avait refermé les siens. Sirius lui posa une main sur l'épaule. Cette fois-ci, elle ne s'écarta pas.
— C'est dangereux pour vous dehors, tu le sais, dit-il d'une voix douce. Reste ici avec Harry, je vais aller voir ce qui se passe.
Sirius attendit que Lily se soit assise sur le divan avant de se rendre dans l'entrée. Il attrapa son manteau et sortit de la maison, claquant la porte derrière lui et marchant à toute vitesse pour tenter d'ignorer l'inquiétude qui lui tordait les entrailles. Si la poudre de cheminette ne fonctionnait pas, c'était qu'elle ne trouvait pas la maison, et si la maison était introuvable…
James…
Enfin, il arriva dans la petite ruelle qu'il utilisait pour transplaner. Il dut aller plus loin que d'habitude, pour être sûr qu'aucun enfant ne le verrait de la rue, mais caché par la noirceur, il disparut.
Avec un « pop », il se matérialisa dans un petit bois du parc qui se trouvait à quelques pâtés de maison de la résidence des Potter. Il serra ses bras contre lui-même – il faisait plus froid à Godric's Hollow qu'à Londres – en pressant le pas vers la rue.
Les enfants du village étaient aussi sortis pour Halloween, et c'est seulement avec un peu de curiosité qu'ils regardèrent le grand jeune homme brun passer à côté d'eux presque au pas de course. Arrivé au coin de la rue de ses amis, Sirius freina sec, estomaqué.
Là où se trouvait auparavant la petite maison confortable ne se tenait plus qu'une ruine fumante. Les gens qui peuplaient la rue passaient devant sans la voir. Sirius vit même une petite fille déguisée en princesse enjamber une planche de bois enflammée sans lui adresser un regard.
Comme un automate, il s'avança vers les ruines. C'était ce à quoi il s'était attendu, sans vouloir se l'avouer, mais être confronté à cette vision, à la vérité, le secouait jusqu'au plus profond de lui-même.
— James ? appela-t-il d'une voix enrouée quand il arriva à la boîte aux lettres – qui montait maintenant la garde devant une maison qui n'existait plus.
Sirius ignora les regards perplexes des passants, qui le voyaient crier vers ce qui leur semblait être un terrain vide, et s'avança vers la montagne de débris.
— James !
La frénésie le gagnait, et il fouillait dans les décombres, évitant les flammes qui les parsemaient çà et là.
Après une quinzaine de minutes, il poussa les restes d'un fauteuil qui s'était trouvé dans le salon et trouva, derrière celui-ci, son meilleur ami. Il s'agenouilla à ses côtés en criant son nom, mais constata bien vite que c'était peine perdue. Il n'y avait aucune marque sur le visage de James, il semblait simplement endormi, mais Sirius sentit en le prenant dans ses bras qu'il n'y avait plus aucune vie à l'intérieur. Il passa de longs moments prostré dans les décombres, les bras serrés autour du corps de son meilleur ami, les paupières fermées avec force pour éloigner la douleur et la peine.
Mais petit à petit, il dut revenir à la réalité, et au fait que Lily attendait toujours des nouvelles. Il passa une main sur sa joue pour essuyer une larme qui avait coulé, laissant sans s'en apercevoir une longue traînée de suie sur sa peau, et se releva avec un craquement de genoux. Il jeta un regard vers la rue, mais les quelques personnes qu'il restait ne regardaient pas vers lui : il était à présent protégé par le Fidelitas aussi. Promettant à James qu'il reviendrait le chercher, il visualisa le perron de sa maison – il n'avait pas le temps de se rendre à la ruelle cette fois – et transplana.
Quand il réapparut, il se rendit compte qu'il avait passé plus de temps qu'il croyait à Godric's Hollow. Les rues de Londres étaient vides, les derniers fêtards rentrés chez eux pour déguster les friandises récoltées. La lumière de sa cuisine, par contre, était toujours allumée, alors il prit une grande inspiration et tourna la poignée.
Sirius avança doucement vers le salon. Lily était toujours sur le divan, ses genoux remontés sous elle et sa tête posée sur le dossier. Il n'eut que le temps de se demander comment il allait la réveiller qu'elle tourna vers lui des yeux emplis d'inquiétude.
— Il a trouvé la maison, n'est-ce pas ? demanda-t-elle, la voix tremblante.
Sirius baissa les yeux. Quand elle éclata en sanglots, il n'eut même pas le courage d'aller à elle.
Tout avait changé.
