Janvier 1998
Je m'appelle Masuda Takahisa, j'ai douze ans et je sors avec mon sac sur le dos, mais je vais pas en cours. Pas aujourd'hui. Parce que qu'on est samedi et que je fais quelque chose que la plupart des garçons de mon âge font que rêver mais qui, pour moi, est une réalité quotidienne depuis maintenant trois mois. Quand j'y pense, ça me parait totalement dingue et j'ai encore du mal à y croire. Normalement, ce genre de truc arrive pas ou alors juste dans les dramas. Ou alors faut être un genre d'élu, comme dans les prophéties de romans. Je devais avoir une destinée pour que ça m'arrive. Combien de fois j'ai rêvé devant la télé en regardant des émissions où ils apparaissaient ? Des dizaines et des dizaines de fois je crois. Et à chaque fois, je me disais « si seulement je pouvais les approcher rien qu'une fois… »… tout en imaginant même pas que ça puisse être possible. Depuis que je les ai découverts, j'ai jamais arrêté de les admirer et je crois que c'est parce que je parlais sans arrêt d'eux, que ma mère a pris les devants. Je me souviendrais toujours du moment où elle est rentrée du travail en disant qu'elle avait une nouvelle à m'apprendre. J'étais alors loin de me douter de l'énormité de ce qu'elle allait me dire.
FLASHBACK
- Taka, trésor, assieds-toi, me dit-elle.
Etonné, je m'exécute et la fixe. Elle est excitée comme une gosse, au point qu'elle tremble presque et ça me rend curieux.
- Qu'est ce qui se passe, 'kaa-chan ?
Dans sa main, elle tient une feuille pliée en quatre, qu'elle me tend sans un mot de plus. Je la prends et regarde ses yeux brillants un moment, avant de me décider à déplier le papier. Dans le coin supérieur droit, il y a un en-tête. Qui me fait écarquiller les yeux. J'ai encore rien lu du contenu, mais rien que ça, j'hallucine déjà et il me faut plusieurs secondes avant de descendre le regard sur le texte imprimé. Et là, heureusement que je suis assis, parce que c'est tellement énorme…
- Co… comment…
- J'y suis allée directement pour m'informer. J'avais lu quelque chose sur internet.
- Pou… pourquoi ?
- Tu veux une chance de les approcher, ces Arashi que tu aimes tant, non ? Alors voilà.
FIN DU FLASHBACK
Cette chance que m'offrait ma mère, c'était rien de moins qu'une audition à la Johnny's Jimusho, l'agence qui avait recruté mes idoles. Inutile de dire dans quel état j'étais quand le grand jour est arrivé. Enervé, excité, stressé, terrifié, heureux… tout ça à la fois. Rien que d'entrer dans cet immense immeuble aux murs en verre poli, je me suis senti tout bizarre. Et ça a empiré quand on est entrés dans la pièce réservée aux candidats et leurs parents. Autour de moi, il y avait bien… cinq cent… nan quand même pas j'exagère, trois cent autres garçons, certains ayant l'air beaucoup plus vieux et d'autres ayant l'air super mignons. Moi, avec ma tête toute ronde et ma tignasse, je me sentais pas du tout à la hauteur et j'avais qu'une envie : dégager très vite. J'allais dire à ma mère qu'on partait, d'ailleurs, quand un des garçons s'est approché. Il était à peine plus petit que moi et sautillait presque en marchant.
FLASHBACK
- Salut, me dit-il dans un immense sourire.
- Salut.
- Pourquoi tu reste dans ton coin ?
- Je reste pas dans mon coin, je m'en vais.
- Sans avoir passé l'audition ?
- Je suis pas à ma place…
- Baka. Pourquoi tu serais moins à ta place que nous ?
Je sais pas quoi répondre et du coup, il en profite pour continuer.
- Allez viens, tu seras mieux avec nous que tout seul.
Il me prend par la main, me tire après lui vers le gros de la troupe et, bizarrement, je me laisse faire, je sais pas pourquoi.
- Au fait, je suis Tegoshi Yuya et j'ai onze ans. Et toi ?
- Heu… Masuda Takahisa. J'ai douze ans.
- Oh, t'es plus vieux que moi… Bah c'est pas grave, je t'aime quand même tout plein, dit-il dans un nouveau sourire découvrant des dents blanches mais pas droites.
Je sursaute et cligne des yeux. Il me connait depuis pas cinq minutes et il dit ça ? C'est un rapide lui. J'ai jamais connu personne qui sorte ça si vite. Normalement, c'est le genre de truc qu'on dit qu'à sa famille ou ses amis les plus proches. Et pourtant ce Tegoshi…
Malgré moi, je regarde les autres. Je les dévisage, nous comparant.
- Arrête de stresser, on va bien s'amuser, me dit mon petit compagnon en souriant de plus belle.
C'est plus fort que moi, je lui souris aussi.
- Uwaaaah ! T'as des fossettes, c'est trop chouuuuuuuu ! s'exclame-t-il à ma grande gêne.
Je me sens rougir, mais il a pas l'air d'y faire gaffe. A toute vitesse, il me présente à un tas d'autres candidats, dont j'arrive pas à retenir les noms (j'ai retenu ceux qui sont trop louches genre Ichigaya, Kamenashi, Mizuhachi, Akanishi, Kawayama et Nakamaru. On a pas idée d'avoir des noms si longs…) et me fait asseoir près de lui. Je regarde ma montre. Sur la convocation, il est écrit quatorze heures. Il est treize heures cinquante-huit. Je regarde la seconde porte de la pièce avec un peu de peur. Je sais pas à quoi m'attendre, j'ai aucune idée de ce qu'on va me demander de dire ou de faire… bref c'est un peu beaucoup la panique. Et à côté de ça, Tegoshi, lui, a l'air parfaitement zen. Moi, je suis si tendu que j'ai l'impression que je vais me casser de l'intérieur.
Soudain, la porte s'ouvre et le silence se fait dans la pièce. Tellement brusque qu'il me rend presque sourd. Tous les regards se sont tournés vers la personne qui vient d'entrer : un grand-père. Je regarde mon voisin de banc d'un air interrogateur, mais il secoue la tête et hausse les épaules. Lui non plus sait pas qui c'est.
- Hello les boys, lance alors le grand-père, and welcome !
Je grimace. S'il se met à parler anglais, je suis mal. J'ai même pas commencé à l'apprendre à l'école, moi.
- Je suis Kitagawa Johnny, the boss of this agence. Vous pouvez m'appeller Johnny-san.
Woh, alors là, je suis surpris. Je pensais pas que le patron d'ici avait l'âge de pierre.
- Les auditions vont bigin soon. Mon assistant appellera everybody, one by one.
Il désigne un homme à côté de lui. Plutôt jeune je crois mais je suis assez nul pour donner des âges aux gens en fait. Il se décale pour faire l'appel comme à l'école et c'est là que je remarque un garçon à peu près de notre âge, qui a l'air d'être resté caché derrière eux depuis le début. Il a l'air super sérieux et du coup, je me demande qui c'est, surtout qu'il nous fixe tous.
- Tu sais qui c'est ? murmuré-je à Tegoshi sans quitter le garçon du regard.
- Tu sais paaaaaaas ? s'effare-t-il à mi voix. C'est Yamashita Tomohisa.
Le nom me dit rien du tout mais, à son ton, je devine qu'il est connu et que mon voisin l'admire. Peut-être autant que moi j'admire les Arashi.
- Il est connu ?
Cette fois, Tegoshi me regarde comme si j'étais un alien.
- Tu le connais paaaaas ? Comment c'est possible ça ? t'as vécu dans une caverne ou quoi ? Haaaaan la looooooooose… T'as pas entendu parler des 4-Tops ?
Je vais avoir l'air con, mais je secoue la tête en signe d'ignorance. Moi je connais Arashi, Arashi, Arashi et un peu Arashi aussi. Autant dire que le reste…
Pendant qu'on discute comme ça, un bon paquet de garçons défile dans la pièce à côté, puis s'en vont et je sais pas si c'est parce qu'ils ont pas été pris ou quoi. Et soudain, j'entends mon nom. Mon cœur s'emballe, j'ai à la fois super chaud et méga froid. J'ai envie de m'enfuir, mais mes jambes n'obéissent plus et je reste cloué sur place.
- Dépêche, me fait alors Tegoshi en me filant un coup de coude dans les côtes.
Aïe. D'accord, j'y vais. En traînant les pieds. Mes idoles me semblent loiiiiiiiiin d'un coup. Super méga loin. Je passe la porte, la referme… et reste debout devant Johnny-san, les bras ballants. Je dois vraiment avoir l'air bête. Et stressé aussi.
- Hello my boy, me salue-t-il en souriant. Assied-toi. C'est quoi ton name ?
Pas habitué à entendre un mélange bizarre d'anglais et de japonais, je commence par pas réagir, puis me décide.
- Ma… Masuda Taka…Takahisa.
- Détends-toi, my boy. Tout ira alright. Parles-nous de toi, ok ?
De moi ? Mais y'a rien à dire sur moi. Enfin presque rien quoi.
- Heu bah… je suis né à Tokyo le 4 juillet 1986, j'aime bien rigoler et manger des trucs, surtout des gyozas… Désolé, c'est nul mais je sais pas quoi dire.
- Don't worry, my boy, sourit Johnny-san. Now, dis-nous why tu veux entrer in this agence.
Ah ça c'est vachement plus facile comme question ! Tout de suite, je me sens plus inspiré.
- Parce que j'admire les Arashi plus que tout et que je rêve de les approcher ! m'exclamé-je. Et pour les approcher, faut que je devienne aussi bon qu'eux !
Un éclat de rire salue mes paroles, mais je sais pas si c'est bon signe ou pas.
- Voilà qui est franc, my boy. Ca me plait. Tu as déjà essayé de chanter ou de danser ?
- Heu ben… je chante des trucs dans ma chambre.
- Oh very good. Let me hear that.
Je le regarde avec des yeux ronds. J'ai pas compris un seul mot de ce qu'il vient de dire ? Il est dur à suivre, le papi.
- Tu peux chanter pour nous ? traduit-il.
- C'est-à-dire que je chante pas bien…
- No problem. Ca s'apprend. We just want to hear your voice. Chante, please.
Je me sens virer au rouge. J'ai jamais eu de public, ma voix est trop moche. J'ai même toujours refusé de mettre les pieds au karaoké par peur du ridicule. Mais là, j'ai pas le choix du tout. Je me lance donc sur une chanson que je connais depuis que je suis petit… et il m'interrompt à même pas la moitié. Le pauvre, j'ai du lui bousiller les oreilles, mais je l'avais prévenu que j'étais une catastrophe. Il échange quelques mots à voix basse avec son assistant, qui note des trucs sur un carnet, puis reporte son attention sur moi.
- Nous allons prendre some pictures of you now, dit Johnny-san.
- Des quoi ?
- Des photos, my boy.
Je grimace. J'aime pas les photos. J'ai jamais aimé ça… Mais là encore, j'ai pas le choix.
- Pourquoi ?
- To see si tu es photogénique of course ! Uehara-san, please.
Un homme que j'avais pas remarqué s'approche alors, un appareil photo dans les mains. Il me prend sous toutes les coutures, au point qu'avec le flash, je suis ébloui et que je vois des taches noires devant mes yeux. Et je dois sourire tout du long. Ca c'est pas trop dur, ma mère dit toujours que j'ai le sourire facile.
- Very good, my boy. C'est terminé.
Je le regarde, inquiet.
- Je suis pris ?
- Nous appellerons tes parents pour leur communiquer notre décision. Bon travail, my boy. See ya soon.
Je comprends pas la fin de sa phrase, mais je réalise quand même que je dois sortir et aussi pourquoi les autres sont sortis comme ça. Je crois que c'est foutu. J'ai été nul et j'ai bousillé ma chance. Ma seule chance. Je souris par politesse et quitte la pièce avec l'envie de pleurer. Evidemment, Tegoshi me bondit dessus dès que je sors, à grand coup de « alors ? alors ? alors ? » et je lui explique que j'en sais rien.
- Bon courage pour ton tour. Salut, dis-je, certain de plus jamais le revoir de ma vie.
FIN DU FLASHBACK
Ce jour-là, je pensais vraiment m'être planté sur toute la ligne et j'en étais inconsolable. Même ma grande sœur, que j'aime tellement, a pas réussi à me faire oublier mon immense déception : tout espoir d'approcher un jour les membres d'Arashi s'était envolé, parce que j'étais trop maladroit. Dans les jours qui ont suivi, mon sourire ne réapparut pas une seule fois, au point que ma mère disait que son petit soleil était éteint. Et puis un jour, alors que je rentrais de l'école, elle m'a serré très fort contre elle. Comme elle le fait très rarement, j'ai cru à une catastrophe et j'ai tout envisagé y compris le pire, mais elle m'a vite rassuré en disant que tout allait pour le mieux et qu'on était invités à se rendre à l'agence au plus tôt. La nouvelle m'assomma, mais je voulais pas me réjouir trop vite. La déception, j'en étais pas encore revenu, alors… Mais malgré ce que j'avais décidé, je tenais plus en place, le samedi suivant, quand ma mère m'a ramené là-bas. J'oublierais jamais non plus le moment où la porte de l'immense bureau au sommet de l'immeuble s'est ouverte. Par contre, la suite est floue, parce que j'étais dans un état second. Il me semble avoir entendu Johnny-san me dire un truc du genre « félicitations and welcome, my boy. Good job » et me serrer la main. Je crois que ma mère a signé des tas de papiers auxquels j'aurais de toute façon rien compris et j'ai du signer moi aussi… sans savoir exactement ce que je signais tellement j'étais dans un autre monde. Ma mère est partie en me laissant seul avec mon désormais patron.
FLASHBACK
On est descendus de plusieurs étages et il m'a entraîné dans une pièce où une bonne vingtaine d'autres garçons se trouvaient déjà (j'ai reconnu mes noms à rallonge de l'audition. Kamenashi etc là). Il m'a expliqué que j'étais désormais un Junior et que j'allais devoir prendre des cours de chant et de danse (« surtout de danse » il a précisé) pour pouvoir devenir backdanser dans un premier temps (« c'est quoi ça ? », « ceux qui dansent derrière les groupes connus pour les mettre en valeur et rendre les choses plus jolies pour le public », « ah ok ») et que j'en avais pour des années en backdansers avant d'espérer pouvoir débuter dans un groupe. Ca me déprime un peu du coup, parce que j'avais pas pigé que la route serait si longue Enfin jusqu'à ce que je réalise que si on devenait hyper bons, on pourrait peut-être devenir backdansers d'Arashi.
Je sens venir la galère, mais bon…
On a appris que certains d'entre nous allait faire des photos. J'ai entendu défiler neuf noms, mais le mien est jamais arrivé. Johnny avait dit que j'étais photogénique, mais je dois pas l'être tant que ça vu qu'ils m'ont pas choisi. Pas que ça me gênais, j'aime pas trop les photos, mais quelque part c'était un peu vexant. A moins que ce soit pas une question d'être photogénique ou pas. Je sais pas sur quels critères ils ont choisi en fait.
