-Je vous sers un autre verre?

-Non, merci, ça ira.

Je posa un billet sur le comptoir et me relève dans un soupir. Déjà deux heures du matin, il est grand temps de me bouger. De la main, j'écarte les quelques hommes trop alcoolisés qui me barrent la route et franchit la porte de bois grinçante. Il fait sombre, beaucoup trop sombre, les lampadaires pour la plupart éteint ne me permettent même pas de regarder mes pieds. Je dois rentrer. Mon esprit brouillé ne m'aide pas à me souvenir par où je dois aller: nouveau bar, pas encore d'habitudes. Bon. Réfléchissons. Je dois trouver un taxi... Je regarde à droite et à gauche. Il y a beaucoup de circulation à gauche. Allons à gauche. Un pas maladroit après l'autre, je traverse la rue et me met en route, le temps s'est rafraîchit, j'enfonce mes mains dans mes poches et rentre ma tête dans mes épaules. Demain... Ce sera mon premier jour en tant que professeur dans ce lycée où j'ai été élève. C'est une partie de mon existence que j'ai cherché à oublier pendant des années mais il me semble que j'ai juste envie de revivre là-bas, dans ce quartier trop commun. Je hèle un taxi sans conviction, miracle : il s'arrête. Je monte à l'arrière sans un mot mais c'est sans compter sur le conducteur qui doit sacrément s'ennuyer pour vouloir me faire la conversation.

-Alors où je vous ramène ?

-19 avenue de... merde... 19 avenue Philippe Auguste...

-Heu... ça va vous revenir cher.

-Je sais.

Encore un soupir et je ferme les yeux après avoir attaché ma ceinture. Le regard de cet homme... Putain je suis presque sûr que je le connais. Le visage, faut que je fasse gaffe à son visage. Je rouvre un œil et regarde dans le rétroviseur. Je discerne à peine ses traits c'est génial, par chance il fini par reprendre la parole.

-Vous vous appelleriez pas Andrew ?

-Hm... vous êtes qui ?

-Alexandre !

-Ah, ouais.

Bon, Alexandre. Génial. Ça m'aide pas beaucoup. Je soupir de nouveau et referme les yeux en fouillant dans mes pensées. La voix ne me disant rien, ça doit dater un peu... comment il m'a reconnu alors ? Bon, peu importe. Il continue à me parler et je lui répond, sans grande conviction, trop de question.

-Tu bosses dans quoi maintenant ?

-Prof d'anglais, dans un lycée.

-C'est cool ! Lequel ?

-Sweet Amoris. Une grosse connerie.

Pas de réponse cette fois ci mais j'entends ses ongles gratter le volant. Alors ça daterait du lycée ? C'est bien possible, oui. Je rouvre un œil et le dirige vers lui. Blond comme pas mal d'Alexandre, des yeux bleus comme beaucoup de blond, ça m'aide beaucoup.

-Heu... j'veux pas me mêler de tes affaires mais t'es sûr que c'est une bonne idée ?

-T'as raison.

-Ah ?

-Te mêle pas de mes affaires.

Je referme les yeux dans un grognement. D'accord, ce type était définitivement dans le même lycée que moi et il sait ce qu'il s'est passé. Léger traumatisme j'imagine, il semblerait que je l'ai effacé de ma mémoire. La voiture s'arrête dans une rue déserte.

-Tu te souviens vraiment pas de moi, hein ?

-Non, en effet.

Je rouvre les yeux et dirige mon regard vers lui. Il semble bien moins réservé que tout à l'heure, je croise même directement son regard. Il est tourné vers moi, tout près. Beaucoup trop près. Je me tasse un peu dans le siège arrière, une boule au ventre, comme un malaise qui me prend brusquement mais me laisse conscient. Il détache sa ceinture, coupe le moteur et passe entre les deux sièges avant.

-Tu te souviens toujours pas ?

-T'approches pas.

-Ah, ça te revient.

Non, bizarrement ça ne me revient pas. Je détache ma ceinture à mon tour et pose ma main sur la portière pour l'ouvrir, pas de réaction de sa part jusqu'à ce que je tire la poignée vers moi. Là il me saisit le bras et me rabat en arrière, mon corps s'allonge sans aucune hésitation comme sous le coup de l'habitude. Rassembler ses pensées. Ses souvenirs.

-Si tu retournes là-bas, c'est que tu le réclames non ? Ça te manque à ce point ?

De quoi il parle putain... je ferme les yeux, ses lèvres heurtent mon cou, ma main droite vient se poser sur ses cheveux et je le tire en arrière. Ah, non, je l'appuie contre ma gorge.

-Ah mais oui ça te manque... je vais bien m'occuper de toi.

Mes yeux s'ouvrent brusquement, je le tire en arrière et d'un coup de genoux le fait tomber sur le côté. Effectivement, ce n'était pas la première fois qu'il me touchait et là... mon cœur qui palpite de peur, ça ne peut pas être anodin. Je profite de sa surprise pour m'extirper de la voiture et parcourir la rue en courant. Mes idées se repositionnent rapidement dans un arrangement plus propice à la réflexion. Il connaît mon adresse, heureusement que je comptais déménager. Il sait où je vais bosser mais le lycée est très sécuriser. Il est chauffeur de taxi, mais j'ai une voiture. Il a essayé de coucher avec moi. Ça je ne me l'explique pas. Pourquoi ? La probabilité que ce soit un hasard diminue à mesure que j'avance.

La clé entre dans la serrure, les événements m'ont vraisemblablement dessoûlés, je ne devrais même pas avoir mal au crâne demain quelle chance ! J'entre dans mon petit appartement et poussa un carton de déménagement du pied puis je contourne les autres jusqu'au lit défait où je m'assoie. Il faudrait que je me change. Mon pied droit se pose sur le talon du gauche pour envoyer voler ma basket, la seconde résiste, je la frotte au sol et elle fini par se détacher mollement de mon pied. Je m'allonge enfin, contre la couverture glacée.


Foutu réveil. Con de réveil. Je grogne un moment en me retournant vers l'engin de malheur qui trouve sans doute très amusant de sonner chaque fois 15 minutes avant l'heure prévue. Je dois en racheter un autre, ça devient urgent... Une fois redresser, assit sur le bord du lit, je contemple la petite chambre dans laquelle rentre à peine le lit et le bureau que j'ai installé puis me relève pour prendre un carton et le poser sur les autres. Le déménagement est prévu pour mercredi après-midi, soit après-demain, j'ai intérêt à avoir organiser tout ça. Un soupir et je regagne la cuisine où je met la théière en route avant d'aller m'habiller. Premier jour, je dois faire bonne impression. L'appartement me semble atrocement vide bien qu'il soit emplit de tous le désordre que l'on doit à un déménagement en bonne et due forme : cartons fermés, ouverts, encore pliés, pile de livres à ranger et de CD que je n'écouterais plus mais que j'emporte malgré tout, clés de nostalgie et autres objets de mélancolie, ma vie s'étale sous mes yeux et le problème est que, malgré mes efforts, je suis incapable de la reconnaître.

Le trajet jusqu'au lycée est long à cause de mon appartement trop éloigner, c'est le but du déménagement de me rapprocher de mon lieu de travail, je caresse l'espoir de pouvoir faire un jour une nuit complète grâce à ça. La tête appuyé contre la vitre du bus qui me mène jusqu'à l'enfer paradisiaque où j'ai postulé quelques mois plus tôt, je regarde le paysage urbain qui défile. Enfin, urbain, c'est un bien grand mot. Il s'agit en fait plus d'une petite ville que d'un grand village, plusieurs airs naturelles pigmenté de quelques immeubles d'à peine une dizaine d'étages. C'est beau. La circulation est fluide, la pollution assez basse mais comme dans tout les lieux de ce monde... le pourcentage de con au mètre carré est affligent. Et cette petite ville fort agréable n'échappe pas à la règle du 90% d'abrutis pour 10% d'agacés. J'ai de beaux spécimens ici. Avec le conducteur, nous sommes 10 dans ce bus. Ce qui nous donne 9 abrutis. Devinez qui est l'agacé ? Mon regard se tourne vers un garçon sur le côté. Un jeune homme blond habillé d'une chemise blanche, très quelconque si ce n'est cette lueur dans son regard, la lueur du « je sais tout », celle qui vous fait savoir que lorsque vous allez vous adresser à lui il va sans cesse vouloir vous rabaisser pour vous montrer sa supériorité, reflet généralement d'un complexe d'infériorité ou d'un narcissisme profondément encré. Sur le siège devant lui, un garçon sur sa PSP, ignare certainement, de ceux qui joue pendant votre cours et trouverons comme excuse que l'écran « game over » est bien en anglais alors, finalement, il apprend. À côté de ce joueur, donc, un autre garçon affairé à rajuster le foulard du jeune geek qui semble un peu déranger par la manœuvre, il se ressemble énormément et ils portent les mêmes baskets, sûrement des jumeaux. Mon regard se tourne à présent vers ma propre ranger. Juste devant moi, je repère des cheveux rouges. Le garçon installé là laisse ses pieds sur le siège à ses côtés en appuyant son dos contre la vitre. De ce que j'en vois, c'est l'un de ces gothiques, rockeurs à moitié punk qui ne savent pas où est leur place et sont de toute façon rarement en cours. À ce demander ce qu'il fait dans le bus de si bon matin. Tout à l'avant, un ballon de basket tourne sur le doigt d'un garçon affairé dans un livre, visiblement ils ont un contrôle aujourd'hui, ça explique la présence du rockeur. En me tournant légèrement, je croise le regard d'un garçon, un regard vairons, un moment, il ralentit et s'arrête pour me fixer, les lèvres entrouvertes.

-Lysandre, t'attends quoi là ?

La voix du rockeur, visiblement, ramène ledit Lysandre à la réalité, il détourne les yeux du mien avec une mine déconcertée et va s'installer à côté du garçon aux cheveux rouges qui lui a libérer la place. Étrange spécimen victorien. Cela dit, je n'ai rien contre, au contraire. La période Victorienne est pour moi la plus belle de l'histoire, c'est donc sans perte d'intérêt que je tente d'apercevoir un peu mieux sa tenue entre les deux sièges devant moi. Le bus s'arrête enfin devant l'établissement, je me lève du siège en forçant sur les abdos que je n'ai plus depuis quelques années et prend mon sac. J'ai l'air d'un ados parmi d'autre avec ce sac en bandoulière qui descend trop bas mais peu importe, j'en rachèterais un plus tard. J'entre dans l'établissement et me retrouve rapidement nez à nez avec le jeune Lysandre qui, une nouvelle fois, semble incapable de bouger. Je soutiens son regard dans rien dire, pour la simple et bonne raison que je ne trouve aucun mots, mes pensées elles-mêmes sont vidées de leur sens.

-Monsieur Collins ?

-Oui ?

C'est le blond arrogant qui m'a interpellé, je sors de ma semi-léthargie et contourne le jeune homme pour rejoindre l'autre, je ne l'entend pas bouger et, juste avant d'entrer dans une sorte de bureau aux tables disposées en rond, je lance un regard en arrière. Il me regarde encore. C'est... adorable. Enfin, si c'est un coup de foudre, autrement c'est juste flippant. Une fois la porte fermée, je me retrouve seul à seul avec le blond.

-La directrice est absente, elle m'a chargé de vous guider.

-Tu es ?

-Nathaniel monsieur, je suis en terminale S et délégué des élèves.

Je m'y attendais un peu. Un blond, avec cravate-chemise, ça ne pouvait être qu'en S. Mais je le voyais en première à vrai dire, pas plus. Enfin, peu importe. Il me tend une feuille. Génial. Ce lycée doit être pour la diversité : je suis en charge de 5 classes, une terminale S, une ES et une L ainsi qu'une classe de seconde et une classe de première ES. Voilà qui va être joyeux. Je soupir un peu, sans aucune discrétion hélas en voyant l'emploie du temps que me tend le jeune homme. Des horaires vraiment pourries. Enfin, on fera avec.

-Votre premier cours est dans une heure, alors la terminale L.

Il accompagne son affirmation par la démonstration, comme pour me prouver qu'il ne ment pas, en me montrant le créneau horaire sur le bout de papier que j'ai dans la main. Bon. Super. Au lieu de commencer avec le niveau tranquille d'une S, je me retrouve avec des bilingues. Enfin, je les surestime sûrement. Et le garçon, Nathaniel donc, affiche un sourire satisfait. Logique, délégué, désigné par la directrice pour me guider... Ah ce que ça doit être jouissif ! … une seconde. Je ne me trompe pas il... il me dépasse ce con ! Il a au moins 5cm de plus que moi ! Ah c'est la meilleure... je pensais pas que ma taille pourrait être un handicape. À bien y réfléchir, l'autre Vairons me dépasse aussi. Ça va poser un sérieux problème à mon égaux.