« Qu'est-ce que tu lis ? »

Loki ne réagit pas suffisamment vite pour empêcher son frère de lui dérober son livre.

« Rends-moi ça ! »

« Tu lis trop, mon frère » décréta Thor, tenant sans effort le Traité sur les Branches d'Yggdrasil hors de porté de son cadet. « Voilà pourquoi tu es si faible ! »

« Et toi, tu t'entraînes trop » rétorqua le prince brun. « Voilà pourquoi tu es si bête ! »

Thor éclata de rire.

« Moi, bête ? »

« Tu ne vois pas plus loin que le bout de ton nez ! » s'écria Loki, les joues tournant à l'écarlate. « Tu ne saurais pas reconnaître la subtilité même si elle te sautait dessus pour te mordre le nez ! Et rends-moi ce livre ! »

Hilare, le prince blond tendit la main contenant le livre au-dessus du rebord du balcon. Perdant son sang-froid, son cadet bondit sur lui. Surpris par la violence de l'assaut, Thor desserra les doigts.

Il y eut un faible floc quand l'ouvrage atterrit dans l'une des mares ornementales dispersées de ci de là dans les jardins du palais.

Arborant un sourire quelque peu contrit, Thor considéra son petit frère qui semblait tout à coup trouver l'idée de commettre un fratricide avec préméditation extrêmement séduisante.

« Oups ? »

« JE TE DÉTESTE ! » s'écria Loki avant de donner un grand coup de poing dans la poitrine de son aîné et de s'enfuir à toutes jambes, probablement pour aller pleurer ailleurs – comme une fille, parce que oui, Loki n'était qu'une fille.

Resté seul sur le balcon, Thor laissa libre cours à son hilarité. Vraiment, c'était si facile de provoquer la colère de Loki. Surtout quand il était question de livres. Il n'y avait qu'à corner une page ou faire une tache sur une reliure pour que Loki se conduise comme si Ragnarok venait d'arriver.

A tous les coups, le second prince d'Asgard allait bouder, refuser de se montrer aux repas, s'enfermer dans sa chambre pour pratiquer quelques tours de magie – tout indigne que cela soit pour un homme – jusqu'à ce que la Reine l'oblige à en sortir, après quoi, Thor lui présenterait ses excuses. Oh, Loki lui infligerait un ou deux vilains tours, mais il redeviendrait vite comme d'habitude.

Les choses s'étaient toujours passées ainsi, et Thor n'imaginait même pas la possibilité d'un changement.


Le seigneur Svadilfari avait beau consacrer sa vie à sa famille et à sa passion pour l'élevage de chevaux, il n'en était pas moins le seigneur de l'un des nombreux fiefs d'Alfheim, ce qui impliquait des responsabilités.

Si bien que lorsqu'il avait senti la perturbation magique au-dessus de son domaine, il avait pris son épée, fait seller sa monture favorite, présenté ses plus sincères excuses à sa seconde épouse pour devoir couper court à leur après-midi ensemble et s'était mis en route.

La journée était typique d'Alfheim, ensoleillée et juste assez chaude pour que le cavalier transpire légèrement sous ses vêtements, quelques nuages dans le ciel menaçant de crachiner sans prévenir. L'étalon souris avançait d'un bon pas, heureux de se dégourdir les muscles après une semaine d'inactivité due aux tempêtes de début printemps.

J'espère que ce n'est pas un de ces soi-disant magiciens Vanes qui a voulu faire son malin, se dit l'elfe en examinant les alentours. Les Vanes avaient une prédilection pour jouer les abrutis sur le domaine des Ljosalfar que les résidents de l'endroit n'arrivaient tout bonnement pas à comprendre. Peut-être était-ce dû à la présence parmi eux de leur ancien Prince héritier…

L'étalon s'arrêta brusquement et broncha. Svadilfari fronça les sourcils.

« Qu'est-ce qu'il y a ? »

La monture agita les oreilles et les pointa vers l'avant. L'elfe descendit de selle et écouta. Un léger grincement, là. Il posa la main sur la poignée de sa dague et s'avança prudemment.

La chaussure se détachait nettement sur l'herbe verte, tout le reste du corps dissimulé par un fourré à l'air plutôt piteux – Svadilfari était prêt à parier sur une expérience de métamorphose qui avait mal tourné. Un oiseau, peut-être ?

Il écarta résolument les branchettes feuillues pour identifier l'accidenté. Et se raidit.

« Et bien ça » murmura-t-il doucement.

Gisant par terre, habillé de vêtements de facture Asgardienne, était un garçon à la peau bleue couverte de cicatrices formant des motifs très significatifs pour l'homme instruit.

Un Jotunn.