Je tenais ma valise derrière moi. Ma mère, Renée, était là, avec mon beau-père ; à côté d'eux, Charlie, mon père, tout le monde était venu me dire « au revoir ». J'avais l'impression de partir définitivement de l'Etat de Washington alors que je partais pour deux mois avec mes amis et mes entraineurs dans un camp d'été. Je n'arrivais pas à croire que ma mère et son nouveau mari avait fait le voyage de Phoenix à Seattle pour me voir cinq minutes à l'aéroport.
« Tu seras prudente Bella. » Elle ne se rendait pas compte que j'avais déjà 16 ans. J'étais prudente, c'est le reste du monde qui voulait ma perte, pas moi.
« Oui maman. » Je répondais, comme si c'était un message pré enregistré. Je regardais Charlie, mon père, le suppliant du regard d'intervenir mais il parlait avec un autre père... Le père de Jacob. Jacob était un indien quileute qui vivait à côté de chez mon père dans la bourgade de Forks et qui, depuis presque deux ans, était mon partenaire sportif en danse sur glace. Il mesurait près d'1m95, la peau basanée malgré le climat pluvieux de Forks, de beaux yeux bruns, des cheveux longs, noirs jais. Oui, Jacob était beau et il ne me laissait pas indifférente, mais c'était souvent le cas des couples sportifs : les mouvements étant souvent proches, très suggestifs, il était fréquent que les partenaires sur la glace finissent par vouloir être partenaires dans la vie, mais entre Jacob et moi, c'était de l'amitié, on avait toujours été bons amis, même petits, nous étions camarades de jeux, lui, ses sœurs, et moi. Il s'était mis au patinage pour moi, quand j'avais voulu me mettre à la danse. Il avait commencé à douze ans avec le projet de devenir mon partenaire plus tard. Depuis deux ans c'était chose faite.
Mon parcours avait été plus chaotique : petite ma mère m'avait inscrite à des cours de danse, mais très vite elle avait du se rendre à l'évidence, la danse et moi, c'était comme un éléphant dans un magasin de porcelaine : un massacre. Alors elle m'avait inscrite à autre chose.
A six ans, j'avais troqué tutus et chaussons pour collants et patins et, curieusement, j'avais beaucoup plus d'aptitude à me mouvoir sur des lames, que sur des pointes. Dès lors j'avais décidé de devenir championne du monde de patinage artistique mais vu que les compétitions mondiales n'étaient pas ouvertes aux fillettes de six ans qui rêvait d'une grande carrière, j'avais, à défaut, du me rabattre sur les compétitions locales. Très vite mes professeurs avaient vu en moi un espoir du patinage féminin. J'étais mignonne, fraîche, souriante, et surtout j'avais du talent : je ne patinais pas, non, pour patiner, il faut toucher la glace, moi, je volais.
En deux ans de pratique j'étais passé des compétitions locales aux compétitions de l'Arizona où je vivais avec ma mère, Renée, et son nouveau mari, Phil Dwyer. A dix ans, j'avais été repérée, on proposait à mes parents des formations pour moi. Ma mère avait décidé de voir avec mon père, Charlie, ce qui serait le mieux pour moi. J'allais entrer au collège, le patinage n'était peut-être qu'une passion de gamine, une passade. Oui mais voilà, c'était quelque chose où j'étais douée. Quand on me voyait évoluer à pied, on comprenait l'importance d'un sport de coordination de mes mouvements. J'étais maladroite, d'une timidité maladive, pas capable de coordonner mes mouvements, alors que sur la glace j'étais vivante... J'étais souriante, heureuse, je me mettais en scène, comme une actrice, je jouais ma scène, je vivais mes passages. A douze ans, mes entraineurs m'ont tourné vers la danse sur glace, parce qu'il semblait que ce choix serait le plus judicieux. Une médaille olympique, seule ou à deux restant une médaille olympique, mon rêve d'enfant ne se voyait pas menacé, j'avais accepté.
Mais très vite, il s'était posé le problème du partenaire ; à Phoenix, personne ne convenait, les garçons abandonnaient le patinage pour un sport plus viril que les collants sur patins, un sport où l'on impressionnait les filles, le football américain, le hockey sur glace, le body-building... Mon père a regardé de son côté, il savait que Jacob avait commencé le patinage et il lui a proposé pour voir si il pourrait patiner avec moi. Jacob en avait parlé avec ses entraineurs. Ils m'avaient fait venir d'Arizona pour un essai, et vu qu'il avait été concluant, j'avais démangé à Forks, chez mon père. Là-bas, pas de patinoire, mais il y en avait plusieurs pas trop loin. J'allais au collège tous les matins et je passais l'après-midi entre les cours de gymnastique, de musculation, de natation, de chorégraphies, et de patinage à proprement parlé. J'avais rajouté à cela un footing que je me forçais à faire le samedi et le dimanche matin dans les chemins du bois derrière la maison de Charlie. Avec ce régime spécial, je faisais partie de « l'élite » de l'état de Washington. A ce titre, nous partions préparer notre saison hivernale en Alaska encadrés par une équipe de professionnels.
L'agitation régnait dans l'aéroport de Seattle, beaucoup se battait pour des destinations plus réjouissantes que l'Alaska (avouez que ce n'est pas non plus le rêve de toute personne que de passer ses vacances dans le cercle polaire), mes parents continuaient de me donner leurs recommandations pour ce voyage, ma mère avait peur que j'oublie quelque chose d'essentiel comme ma brosse à dents, car il semblait évident qu'à part les ours, il ne devait pas y avoir beaucoup de monde là-bas, donc pas de superettes pour en racheter. Je me gardais bien de toutes réflexions concernant la situation similaire de Forks dont le nombre d'ours devait être, si ce n'est supérieur, du moins équivalent. Jacob se tenait près de moi, il souriait, son père n'avait pas pu venir, il avait des problèmes de locomotion assez importants, trop pour accompagner son fils.
Je regardais Jacob, gênée par les remarques de mes parents. Je n'avais qu'une hâte, embarquer. Mes camarades quittaient leurs parents. C'était curieux de voir que nous portions, tous à l'exception de Jacob, une veste de sport d'hiver verte avec un ours brun au nom de notre lycée, nous avions le jogging assorti. Jacob portait une veste de sport brune avec un loup et son nom brodé dessus, le jogging était assorti.
Je finis pas faire comprendre à mes parents que je devais aller me présenter à la sécurité et à l'embarquement. Il était temps de rejoindre mes amis. Nous étions six élèves à partir de Forks pour ce stage : Angela, elle patinait, d'ordinaire, seule mais elle participait au stage avec un autre patineur de couple, Eric ; qui n'avait pas de partenaire à son niveau pour l'instant. Et puis il y avait Jessica, une autre patineuse de couple. Elle patinait depuis un an avec Mike Newton, un jeune homme qui devait se contenter de bien présenter pour mettre en valeur la plastique et le talent de Jessica.
Enfin dans l'avion. Sur les rangées de trois sièges, j'étais assise près du hublot, à côté de moi se tenait Jacob dont la voisine était Angela. Jessica était la rangée de devant, entre Mike et Eric. Elle gloussait et ne cessait de se retourner pour nous dire combien c'était génial ! Oui, trop. J'étais peu emballé, et je ne comprenais pas pourquoi. Partir deux mois en Alaska était l'aboutissement d'un travail laborieux, j'aurai du être heureuse mais j'avais comme un mauvais pressentiment, et celui là n'émanait pas de ma peur de l'avion.
Les hôtesses vinrent demander à Jessica de se calmer, elles vérifiaient nos ceintures, nos sièges, nous récitaient les consignes de sécurité.
« En cas de dépressurisation de la nacelle, des masques à oxygène tomberont devant vous. Il convient d'attacher d'abord le votre avant de mettre celui de l'enfant à côté de vous. Des gilets de sauvetage se trouvent sous votre siège. … »
Les hôtesses s'étaient rassises, l'avion se dirigeait vers la piste. Le ciel était bleu, dégagé. La piste enfin, l'avion prit de la vitesse, les roues quittèrent le sol, on montait. Je serrais les poings sur les accoudoirs. Respirant profondément. On flottait, on volait. Bientôt il se stabilisa, et les hôtesses reprirent leurs occupations à passer entre nous. On nous servait thé, eau, jus de fruit, soda. Un plat chaud. On discutait avec les autres. Nous étions concurrents mais néanmoins amis depuis longtemps. Les victoires des uns étaient l'objet de joie pour les autres même si c'était à leurs dépens.
L'avion amorça sa descente. C'était donc ça l'Alaska ? Je découvrais Anchorage.
Récupérer nos bagages se révéla plus difficiles que prévu, et, un moment, nous avions cru qu'ils étaient partis à Hawaï. Mais non, nos valises apparurent sur le tapis roulant en dernières. Je pris la mienne. Pour deux mois je n'avais pas pris tant de choses, j'avais une valise, plus la petite pour les affaires de patinage. Jessica avait amené son armoire en trois sacs.
Nous devions nous rendre en taxi à la patinoire, là-bas nos entraineurs nous redirigeraient vers notre domicile pour les soixante prochains jours.
Ben Boeke Ice Arena
534 E. 16th Ave.
Anchorage
Alaska
99501
