Ce one-shot a été écrit à l'occasion d'un jeu organisé par le Forum Francophone : il fallait écrire en une heure un texte sur le thème "blanche". C'est pour répondre à cette injonction que j'ai dérobé le stéthoscope et la canne de David Shore.
Costume de rigueur exigé
Il ne veut pas la blouse mais il veut bien la carte. Blanche, s'entend.
Vogler, bien sûr, a une autre façon de voir les choses. Il joue un jeu pour tyran de supermarché, pour génie du commerce (quel oxymore, laissez-le rire) et lui prétend qu'il est furieux contre Cuddy parce qu'elle se laisse manipuler, parce que les cent millions que pèse ce fils indigne flottent devant ses yeux, en vols de lits ailés, en nuages rebondis d'où de petits cancéreux souriant comme des angelots contemplent la deuxième rampe d'accès handicapé du parking nouvellement goudronné, et aveuglent le peu de bon sens qu'il lui restait encore malgré sa fonction, mais ce n'est pas vraiment de ça qu'il s'agit : en vérité sa colère cache sa déception, parce qu'il sait bien, même si à elle-même elle refuse de se l'avouer, que quelque part elle est contente, quelque part elle est soulagée, d'avoir une bonne excuse pour lui serrer la bride. La cause est juste, le bourreau s'est porté volontaire, la victime est certainement trop bornée pour s'enfuir (y a-t-il encore un docteur dans cet hôpital, y a-t-il encore quelqu'un qui se préoccupe de médecine ici, de la médecine d'ici, qui se refuse encore à sacrifier son patient du jour pour emmagasiner afin de tenir l'hiver, y fêter un gras Noël dont seul Vogler nous assure qu'il viendra ?) ; l'occasion est trop bonne, Madame la Doyenne n'aura même pas à s'en laver les mains.
Peu de gens à Princeton ‒ il sait que dans son cas, une phrase qui commence comme ça, on pourrait toujours l'élargir avant de la finir, parce qu'en ce qui le concerne, au fond ça veut toujours dire, peu de gens dans le monde, mais donc, à quoi bon ‒ ouais, peu de gens à Princeton, et il pourrait citer le nom de tous les concernés (bizarre ça, à croire qu'il y serait pour quelque chose) comprennent mieux que lui les pressions du pouvoir. Incroyable comme ces mêmes gens-là, ces rares initiés (les veinards !), sûrement pas disciples (faut pas rêver non plus, il a déjà entendu la sonnerie du portable de Cameron, tous les chefs ont leurs limites ‒ du moins sur un plan vertical), s'échinent à le lui expliquer, comme s'il n'en était pas conscient, comme si les faire trotter sur ses talons, les faire presque pleurer, tout est dans le presque, ne les avaient pas forcé à prendre conscience de combien il en était conscient.
Cuddy a constitué pour lui, au fil des années, un dossier de presse spécialisé sur l'effet "blouse blanche" et l'expérience de Milgram d'une taille et d'une exhaustivité proprement ahurissantes. Cumulés, tous les articles imprimés prennent une étagère entière et maintenant que Cameron la Méticuleuse fouille même les indésirables de sa messagerie pour s'assurer qu'il ne manque aucun de ceux qui lui sont envoyés par mail, il va falloir leur trouver davantage de place. Il est persuadé que leur lecture explique la détermination avec laquelle Foreman la porte encore souvent, la fameuse blouse ; et quand il est question de Foreman, il se trompe moins souvent que jamais (ce n'est pas une façon de parler). Chase n'avait pas semblé y prêter attention, mais bon, à quoi la prêtait-il, honnêtement, et puis dans ce domaine il devait avoir été instruit par l'expérience, noblesse oblige.
Bref, faudrait se décider : il abuse de son autorité, alors accoutrons-le du symbole de cette autorité, pour montrer qu'il se plie à ladite ? Oh, ça va, Wilson, oui, il voit la différence. La vérité ? C'est qu'il se fiche de l'une autant qu'il déteste l'autre. Le pouvoir du savoir, oui. Le savoir du pouvoir, quel intérêt ?
Au bout du compte, il espère surtout qu'il lui restera le tableau. Son ardoise effacée. Blanche, de préférence.
