Drago marchait d'un pressé sur le quai de la gare de Londres, sans regarder derrière lui. Il avait franchi la plateforme 9/¾ depuis longtemps mais toujours aucun signe de son père. Le jeune homme réprima la tristesse qui serrait sa poitrine et s'assit lourdement sur un banc. Les passants le regardaient d'un mauvais œil et il le leur rendait bien. Il n'avait pas l'habitude d'être aimé et apprécié des gens mais plutôt craint et respecté. À vrai dire, après la fin de la guerre, il était craint et méprisé. Un changement que sa famille n'avait guère accepté. Les Malefoy étaient des gens fiers et peu importe que le monde ait changé, ils s'en tenaient toujours aux stupides idéologies de sang-purs et de haine des moldus. Drago avait en ce moment même, assis sur un banc dans la gare, de retour chez lui pour les vacances de Noël à la moitié de sa septième année à Poudlard, que son monde était aussi froid et vide de couleur que la neige qui valsait au dehors. Mais ça bien entendu tout le monde s'en fichait.
-Malefoy?
Une petite voix timide et interrogative le fit sursauter. Quelqu'un d'autre était assis sur le banc. Une fille aux cheveux bruns ondulés, aux grands yeux marrons limpides et aux joues rougies par le froid et le bonheur de rentrer chez elle. Habillée d'un manteau de fourrure et d'une magnifique capeline bleue, il faillit de pas la reconnaître tant elle paraissait enthousiasmée et épanouie. Si belle et si heureuse... Son total opposé, sa propre beauté était glacée, la sienne était chaude.
-Qu'est-ce que tu veux, Granger?
Elle lui fit un sourire adorable, un peu timide, qui lui fit tourner la tête. Ce comportement n'était pas dans ses habitudes. Même si après la guerre le trio d'or et lui avaient cessés de se considérer comme pires ennemis, l'indifférence avait été la seule attitude de la jeune femme à son égard. Alors pourquoi ce changement soudain?
-C'est tombé de ta valise...
Drago écarquilla les yeux. Une petite poupée de porcelaine pas plus grande que la main reposait dans la main tendue d'Hermione. Elle paraissait embarrassée. Il la saisit précipitamment et la fourra dans une poche de son manteau, lançant sans réfléchir:
-Ce n'est rien, c'est pour ma sœur...
-Ta... sœur?
Le jeune homme se mordit les lèvres. Il en avait déjà trop dit. Tentant de se justifier, il marmonna, les dents serrées:
-Oui, c'est son cadeau de Noël.
-Je ne savais pas... que tu avais une sœur. Elle ne va pas à Poudlard?
Drago se releva du banc, empoignant sa valise. Il n'aurait jamais dû parler de cela, mais cette idiote de Granger, avec son sourire chaleureux et ses interrogations, lui avait fait baissé les armes une seconde de trop. Et elle n'était pas stupide néanmoins. Ça, il le savait mieux que personne et l'avait toujours secrètement respectée pour son intelligence et sa vivacité, mais maintenant ces deux qualités lui posaient problème. Il dit d'un ton sans réplique, debout devant elle, la fixant droit dans les yeux:
-Elle est... malade. Je n'aurais jamais dû te parler de ça et je te défends de t'en mêler. Maintenant tu m'excuseras, mais je dois y aller. Oublie ce que je t'ai dit, ce n'est pas de tes affaires.
Et il s'éloigna d'un pas lourd, une main pressée contre la poche de son manteau où il avait déposé la frêle petite poupée, celle qui avait suffi à lui faire révéler son secret le plus intime à une femme qui ne lui avait jamais démontré aucune chaleur, aucune compassion. Une fille plutôt, Granger n'était encore qu'une enfant à ses yeux malgré ses formes et ses traits d'adulte. Elle n'avait pas vécu tout ce que lui avait surmonté. Elle était du bon côté, elle avait une famille, et elle n'avait pas une horrible marque sur le bras... Et elle n'avait pas de trésor fragile à protéger des regards des gens.
« - Patiente encore un peu Anaé. Grand frère rentre à la maison, » songea-t-il, les yeux soudain embués de larmes. Il les essuya avec rage, continuant de marcher vers la sortie sans un regard vers le banc qu'il avait laissé derrière lui. Hermione ne pourrait pas comprendre. Personne ne pouvait comprendre l'enfer qu'il vivait, même une fois la guerre finie.
Drago passa le seuil de l'immense porte de la gare, ignorant le vent hivernal en furie qui lui envoyait une avalanche de flocons au visage. Tant pis si son père ne venait pas à l'heure. Il n'en pouvait plus d'attendre. Il lui semblait qu'il n'avait pas vu l'enfant depuis des années, et même si ce n'était que quelques mois, il craignait que quelque chose soit arrivé. Après tout, on n'était jamais sûre de rien par rapport à son état de santé.
Le jeune homme était si préoccupé par sa petite sœur qu'il oublia de regarder devant lui en traversant la rue.
Il lui sembla qu'une éternité défilait tandis que la voiture arrivait vers lui, comme au ralenti. Et quand une douleur inhumaine traversa chaque fibre de son corps, Drago n'entendit pas le hurlement désespéré d'Hermione. Mais il eut vaguement conscience de tomber sur la rue glacée, du sang qui coulait et d'une main chaude posée sur son front. Anaé... Il ne la verrait plus jamais.
