L'aube est le moment parfait pour aller travailler dans le District Quatre. Les autres sont toujours couchés et les proies sont encore calmes. Lyne repousse les draps et pose doucement ses pieds au sol. Elle attrape sa combinaison sans bruits puis file à travers la maison pour atteindre la porte d'entrée. Elle soulève le crochet en évitant de le faire retomber, sort, puis tire lentement la porte vers elle pour la refermer sans grincements. Elle se faufile dans les ruelles sombres du village, trottinant silencieusement jusqu'à un lac éloigné du rivage. Le levé du soleil teintait l'eau d'un bel orangé saumon étincelant de toutes parts avec les vaguelettes. Lyne entre dans le lac sans hésitation, s'enfonçant jusqu'aux genoux, et longe la bordure parsemée d'herbes longues et emmêlées sur plusieurs mètres avant de fouiller sous les branches pour en tirer une vieille barque en bois. Elle se hisse à bord sans mal, puis plonge les rames dans l'eau calme.

Elle n'a pas le droit de pêcher, pas à son âge. Dans un an elle pourra.

Elle sent le petit air frais faire voleter ses longues mèches de cheveux autour de son visage. Elle aime humer l'air salé de la mer. Elle aime s'éloigner dans cette barque, voir l'immensité infinie de l'eau s'étendre devant elle.

Elle ne doit pas trop s'éloigner pour rentrer avant le lever des pacificateurs. Si elle se fait prendre avec des prises, elle se fera aussitôt fouetter en public.

Elle lance son filet, puis après quelques minutes, le ramène. Elle hisse un maigre butin à bord, mais cela suffira pour quelques jours. Ses frères et son père ramènent eux aussi leur quotas chaque jours. Mais aujourd'hui, il n'y aura pas de quotas, alors Lyne prend les devant pour ne pas faire de trous dans les réserves de la semaine. Aujourd'hui personne n'ira pêcher, car c'est le jour de la Moisson.

La Moisson, Lyne en est à sa dernière année, comme son jumeau, et aucun de ses frères n'a jamais été tiré au sort. Ils ne sont plus que trois cette année à faire parti de la Moisson, ses deux autres frères sont trop âgés. Dhyn, Dylan et elle.

Lyne est la seule fille de la famille. Sa mère est morte il y a plusieurs années d'une pneumonie. Une vague de froid a complètement gelé l'eau, les empêchant de faire leurs quotas, ce qui a valut au district une coupure d'électricité et de chauffage. À cause du froid et de l'obligation d'aller travailler malgré le peu de butin récolté, il y eu beaucoup de morts cette année là. Michael et Peter, ses deux frères aînés, ont permis à toute la famille d'avoir à manger. C'était peu comparé à ce qu'ils étaient habitués, mais au moins ils ne mourraient pas de faim. Dhyn, son frère jumeau, avait plus d'expérience dans la pose de pièges à marée basse que dans la pratique de la pêche. Il ne ramenait pas beaucoup de proies, mais c'était l'intention qui importait.

Lyne n'aime pas la Moisson. C'est un jour triste et plein d'anxiété pour tout le monde. Les tributs sélectionnés ne reviennent pour la plupart jamais. Le dernier remonte à dix ans. Finnick Odair. Devenu assez charmant d'ailleurs. C'est le plus jeune vainqueur depuis la création des Hunger Games. Il a gagné à quatorze ans. Aujourd'hui, il est le mentor de chaque tributs qui périssent, années après années. Cela doit être épouvantable d'avoir gagné les jeux et de ne pouvoir aider les autres, de les voir arriver, s'entraîner, puis mourir. Et ce, chaque années depuis ses quatorze ans.

Lyne secoue la tête pour enlever ces pensées tristes de son esprit. Ce qui tourmente Finnick Odair le regarde, pas besoin de s'en faire pour lui. Les Jeux sont bien la dernière chose à laquelle elle veut penser même si aujourd'hui, il sera difficile de ne pas y penser.

Elle remonte une nouvelle fois son filet, le vide sur le plancher de la barque, achève chacune de ses proies puis jette leurs entrailles à la mer avant de faire demi-tour. Elle fourre ses poissons dans son grand sac en toile qu'elle balance par dessus son épaule. La jeune fille fait le trajet en sens inverse, s'assurant qu'aucun pacificateur ne traîne dans les parages avant de s'élancer dans les ruelles désormais ensoleillées. Le ciel n'est pas très clair aujourd'hui, le temps va être maussade.

Elle pousse la porte en bois qui grince bruyamment et dépose son sac sur la table. Son père est déjà levé.

- Bonne pêche? Demande-t-il en voyant le volume du sac.

- Pas mauvaise, répond-elle en débarrassant l'évier de tout ce qui l'encombrait.

- Sois discrète, tes frères ont besoin de repos.

Elle hoche la tête et vide le sac dans l'évier. Elle coupe la tête et la queue des poissons, puis se débarrasse de leurs écailles. Elle les sépare en deux afin de mieux retirer la colonne vertébrale et les arêtes, et les plonge ensuite dans une bassine d'eau pour les dessaler. D'ici ce soir elle changera l'eau, mais en attendant elle doit les laisser baigner. Michael est le premier à se lever. Ses cheveux noirs ébouriffés et ses yeux encore gonflés et humides, il s'avance dans la cuisine en reniflant l'odeur familière du poisson.

- Lequel d'entre vous dois-je embrasser? Demande-t-il en zyeutant la bassine d'eau.

- Ta sœur est la plus matinale, répond leur père en donnant une brève accolade à son fils.

Michael la taquine jusqu'à ce que Dhyn et Dylan arrivent à leur tour dans la cuisine.

- Lyne est allé pêcher? S'étonne Dylan, le plus jeune. Mais c'est le jour de la Moisson! Personne ne doit pêcher!

- Ça nous évite de faire un trou dans nos réserves, et puis, tant que l'on ne se fait pas attraper, personne ne le sait, rétorque la jeune fille en lui lançant un clin d'œil.

Le jeune garçon aux cheveux cuivrés fronce les sourcils et détourne le regard. Âgé de seize ans, Dylan est déjà beau garçon. Des yeux noisettes, des cheveux cuivrés, un corps harmonieux et robuste, un visage sculpté. Il doit déjà avoir pas mal de prétendantes. Ses autres frères ne sont pas sans restes non plus. Michael est de loin le plus désiré de la famille. Âgé de vingt deux ans, mesurant 1m87 au moins, il a déjà une carrure d'homme. Ses cheveux épais noirs sans cesse agités par le vent en font chavirer plus d'une, mais ses yeux verts en amande ne laissent personne indifférent. Héritage familial. Dylan est le seul à ne pas avoir les yeux verts. Peter est une version plus soft de Michael. Ils passent presque pour des jumeaux. Seuls leurs visages ne sont pas similaires. Peter est plus amical, moins mauvais garçon que son aîné. Quant à Dhyn et Lyne, ils ont tous les deux des cheveux bruns aux reflets cuivrés et des yeux verts en amande. Dhyn est plus grand que sa sœur, mais de seulement dix centimètres contrairement aux autres garçons de la famille. Il est tout aussi carré que ses frères mais sa peau est moins abîmée.

En effet, le sel ronge la peau des pêcheurs et le vent l'assèche, abîmant considérablement l'épiderme de la population du District Quatre. Les plus aisés se laissent tenter par des soins provenant du Capitole, mais les autres doivent se contenter de savon et d'eau claire. Ceux n'ayant pas atteint l'âge mûr sont préservés de cet effet, enlevant une contrainte aux stylistes des Jeux lorsqu'ils reçoivent les tributs.

Après avoir longuement observé ses frères, Lyne se lève de sa chaise et va prendre une douche. Bricoleur de nature, son père leur a bâti une douche de fortune. Mais c'est mieux que rien.

Elle entre dans la pièce et tire le battant devant le bac pour se camoufler. Elle se déshabille et entre dans le bac. L'air la fait frissonner. Une multitude de petits points de chairs se dressent sur sa peau. Elle dévisse le joint du tuyau et laisse l'eau froide couler sur elle. Les frissons s'accentuent. Elle se frotte activement la peau, se savonne à plusieurs reprises pour éliminer l'odeur de poisson de ses cheveux, puis se rince. Elle attrape une serviette et l'enroule autour de son corps. Elle tamponne tout son corps avec la serviette pour se sécher, puis s'assoit sur une chaise en bois.

Ici au District Quatre, les femmes ont la chance d'avoir de quoi se faire belle assez facilement. Lyne ne fait ça que pour les grandes occasions. Autrement dit, pour la Moisson. Elle étale la mixture sur toute la longueur de sa jambe puis arrache bandes après bandes. Elle fait de même sous ses bras, au dessus de sa lèvre, entre ses sourcils, et à l'entrejambe. Ensuite elle coupe ses ongles de mains et de pieds et les fait baigner une bonne heure dans du lait. Elle coupe les pointes de ses cheveux et les fait aussi tremper dans une bassine de lait pendant une quinzaine de minutes. Après ça, elle se démêle délicatement les cheveux avec un peigne en bois à grandes dents puis va s'habiller.

Depuis que sa mère est morte, Lyne met ses robes lors de la Moisson, n'en ayant pas à elle. Elles sont donc assez vieilles et usées. Lyne s'arrête devant le carton et en sort plusieurs qu'elle étale sur son lit pour mieux les détailler. Certaines ne sont plus au goût du jour, d'autres sont trop usées pour être portées, et quelques-unes sont trop justes pour elle, Lyne ayant plus de formes que sa mère. Après plusieurs minutes à observer les robes, la jeune fille fait son choix. Une robe blanche en lin s'arrêtant à une vingtaine de centimètres au-dessus du genou, cintrée. À manches courtes, décolleté en V, une ficelle blanche à la taille pour resserrer la robe. Elle enfile des sous-vêtements puis passe la robe. Elle est un peu tendue au niveau de la poitrine et des hanches, mais le reste tombe bien.

Elle laisse ses cheveux sécher à l'air libre avant de les coiffer, évitant ainsi de faire des marques sur ses ondulations. Le repas du midi est assez silencieux. Tout le monde est un peu tendu à l'idée qu'un nom de la famille sorte. Les Colins sont très appréciés dans le village. Doués à la pêche, aimables, charmants et généreux. Des qualités oubliées désormais. Une fois le repas finit, Lyne va se brosser les dents et coiffe un peu ses cheveux avec ses doigts. Elle soupire et sort de la maison pour se rendre à la place principale du village.

Une estrade est installée, ainsi que des projecteurs et un écran géant. Finnick Odair se trouve déjà sur l'estrade avec l'hôtesse habituelle du Quatre. Le style du Capitole est assez particulier. La femme a une perruque bleu électrique, les lèvres et les paupières de cette même couleur, et une robe bouffante et brillante orange. La peau de son visage est recouverte d'une poudre blanche et ses ongles atteignent une longueur improbable. Lyne se sépare de ses frères pour aller dans la file destinée aux filles. Arrivée devant la table, une goutte de son sang est prélevée et elle va rejoindre un groupe de filles de son âge. Dhyn est de l'autre côté de l'allée. Des pacificateurs gardent les rangs en ordre, surveillant attentivement chaque mouvements. Le maire, Patrice Hamilton, un grand homme charismatique rasé de près, s'avance jusqu'au micro et commence son discours annuel.

- Bonjour à tous et à toutes, et bienvenue à cette nouvelle journée de Moisson. Comme vous le savez tous, cette journée représente le fondement de notre régime politique et donc, de la paix qui règne sur Panem. C'est un don de ce qui nous est cher, afin de rappeler que c'est grâce à ce système équitable que les horreurs provoquées par la guerre ont cessé. Chaque District offre un jeune garçon et une jeune fille âgé de 12 à 18 ans aux Jeux de la faim, et en échange le vainqueur devient riche et célèbre pour le reste de sa vie. Le Capitole nous protège, nous nourrit, nous loge et nous réchauffe, et ces tributs sont la seule contrepartie qu'ils demandent. Si le tribut gagne, il est en paix jusqu'à son âge le plus avancé. N'est-ce pas généreux de leur part?

Le maire s'éloigne et laisse la place à la femme qui s'avance à petits pas rapides vers le micro, un sourire figé aux lèvres.

- Bonjour à tous, bienvenue aux soixante-quatorzième Hunger Games, et puisse le sort vous être favorable! Clame-t-elle d'une voix sucrée. Après le magnifique discours de Monsieur Hamilton, que dire de plus sur ces Jeux?

Elle lance un rire qu'elle seule émet, n'obtenant aucune réponse, puis reprend sans perdre la face.

- Comme à chaque édition des Jeux, je vais sélectionner le tribut mâle et le tribut femelle qui auront la chance de se rendre au Capitole. Et bien sûr, les dames d'abord!

La femme s'avance de ce même pas rapide jusqu'au bocal en verre à sa gauche, remplit de petits bouts de papiers blancs. Lyne y est inscrite vingts fois. Une fois chaque années, et quatre fois de plus contre un peu de nourriture l'année de gel. Il y a un bon nombre d'autres filles dans ce bocal, inscrite plus qu'elle, elle a d'assez bonnes chances de s'en tirer une fois de plus, pour la dernière fois de sa vie. La main fine de la femme dessine un cercle invisible au-dessus des papiers, faisant durer le suspens, puis elle plonge sa main à travers le tas blanc. Les papiers remuent quelques instants, puis la main blanchâtre ressort avec un petit carré blanc entre son pouce et son majeur. La femme revient à sa place devant le micro et s'éclaircit la gorge. Lyne baisse les yeux, respirant de manière régulière pour éviter de cesser d'alimenter ses poumons par mégarde. Elle sent la chaleur monter en elle, le long de son échine, dans son ventre, sur sa nuque et jusqu'à ses joues. Sa gorge est toute sèche et nouée, l'empêchant de déglutir correctement.

Le silence est tel, qu'il en devient insupportable. Elle a envie de hurler, de frapper et de se mettre à courir pour ne pas avoir à supporter cette attente insoutenable. Puis, finalement, la femme prend une inspiration qui se fait clairement entendre au micro, avant d'annoncer le nom du tribut femelle.

Son sang se glace. Tout son corps se raidit. Lyne prend quelques secondes avant de relever la tête et la tourne directement vers Dhyn. Celui-ci la regarde bouche bée. Elle peut voir l'humidité s'accumuler dans ses yeux verts. Des bouchons se forment dans ses oreilles et elle n'entend plus que sa propre respiration, lente et courte. Les têtes commencent à se tourner vers elle, la toisant avec un regard mi désolé mi intrigué. La jeune fille serre la mâchoire, ferme fort les yeux puis les rouvre en avançant son pied droit en direction de l'allée centrale. Une fois lancée, elle ne devait plus s'arrêter. Elle ne devait surtout pas regarder en direction de ses frères. Elle ne le supporterait pas. Elle se force à respirer de manière régulière pour contenir ses émotions. Elle devait avancer, jusqu'à l'estrade, puis les caméras se tourneront vers le tribut mâle, et là elle pourrait relâcher sa respiration.

Elle écoute ses propres pensées et continue d'avancer au même rythme, d'une marche presque militaire: pied droit, pied gauche, pied droit, pied gauche … , jusqu'à arriver au pied de l'estrade. Le ciel tonne lorsqu'elle pose un pied sur les marches d'escaliers. Il allait pleuvoir d'ici peu. Elle continue de monter, sentant tous les regardes braqués sur elle. Elle peut se voir sur l'écran géant. Elle est presque aussi pâle que sa robe. Elle avance jusqu'à la présentatrice, qui la félicite, puis se tourne face au District Quatre en attendant que les caméras se tournent vers le tribut mâle.

Elle cherche son père et ses frères du regard. Tous trois se tiennent sur la gauche, le teint pâle et les yeux brillants. Peter pleure. Cela serre le cœur de Lyne. Elle ne les reverrait plus jamais, c'est la dernière fois qu'elle les voyait tous. Dhyn n'a plus à redouter d'être sélectionné à la Moisson et ils feront tout pour empêcher Dylan d'inscrire son nom en échange de nourriture. Sa famille n'est probablement plus en danger à cause des Jeux, elle est la seule à avoir été sélectionné et elle espère que Dylan ne le sera pas. Finalement, elle est plutôt rassurée d'avoir été choisie au lieu de devoir supporter de voir l'un de ses frères dans l'arène. Certes ça aurait été mieux si cette année le sort lui avait été favorable une fois de plus, mais au moins, ils sont désormais quasiment tous hors de danger. Cette pensée la soulage quelque peu.

Alors qu'elle est braquée sur ses pensées, le nom du tribut mâle retentit dans les sonos. Elle voit le visage de ses frères et de son père se décomposer.

Voilà, premier chapitre de cette fan-fiction. C'est la première fois que je publie une histoire (Elle est aussi sur Wattpad sous le même nom avec le même auteur et la même couverture), alors j'aimerais bien avoir vos avis, n'hésitez pas, je n'attends que ça. Merci beaucoup pour la lecture! C.