Le sourire de la femme pirate
I - Le mal bleu

Note de l'auteur : Cette histoire fait suite à la série "les Arcanes de l'Arcadia". Elles sont cependant indépendantes et peuvent être lues séparément. j'ai repris beaucoup d'éléments du manga "full métal alchemist", en particulier les notions d'alchimie et de "principe d'équivalence", mais aucun des personnages de cette série. Pour les inconditionnels de Matsumoto, j'ai cédé à la tentation d'inclure dans l'histoire quelques lieux "pittoresques" du Leijiverse.

Bonne lecture...


Douleur

Emeraldas se tenait fermement au siège de commandement de son vaisseau, le "Queen Emeraldas". La femme pirate scrutait attentivement les écrans de contrôle qui délivraient régulièrement des messages d'avertissement.

La dernière bataille contre les mazones fut rude pour son navire. Entièrement automatisé par Tochiro Oyama, ce navire disposait d'une bonne puissance de feu et d'un système perfectionné d'autorégénération. Celui ci était à l'œuvre depuis plusieurs jours pour réparer ses gouvernes et des moteurs.

La femme pirate perdait un peu patience. L'action l'intéressait plus que les palabres de mécaniciens, surtout virtuels.

- Réparation secteur 5-G terminée à 100, annonça la voix synthétique de l'ordinateur.
- Bien, concentrez les nano-machines de réparation sur les secteurs 4-F et 56-J, trancha Emeraldas.
- Instruction prise en compte. Redéploiement en cours.

La Pirate se leva et se dirigea vers l'arrière de la passerelle. Une table, une vieille chaise constituaient l'ensemble du mobilier de repos du capitaine. Son repas, préparé par un cuisinier automatique, avait refroidi depuis longtemps. Elle perdait l'appétit et se forçait à manger. Mais son corps refusait d'obéir à certains de ses ordres depuis un jour ou deux, elle se sentait de plus en plus mal.

Elle s'assit quelques minutes, mais ces vertiges et cette sensation bizarre au ventre revinrent la tourmenter.

- Mais qu'est ce qu'il m'arrive ? murmura-t-elle. D'habitude, je suis plus vaillante que cela !

Sa joue la lançait plus intensément qu'hier. Jamais une simple balafre ne l'avait fait souffrir ainsi. La blessure reçue lors de son dernier séjour sur sa planète natale, Andromède ne semblait pas ordinaire. Vite, un miroir, la trousse de soin. Emeraldas ôta soigneusement le pansement que lui avait fait Tochiro juste avant de la quitter une nouvelle fois. Elle scruta attentivement la cicatrice fraîche.

Cette tache bleue grandissait encore et encore.

Aucun médicament ou traitement qu'elle avait prit ne venait à bout de ce mal étrange. La base de données médicales du "Queen Emeraldas" ne disposait d'aucune information fiable sur ce sujet. "Mal inconnu", se bornait à dire le terminal médical.

- Je ne vais quand même pas aller voir un médecin ! se dit elle. En plus, cette coloration me défigure. C'est assez déplaisant.

Emeraldas laissa le contrôle de son vaisseau à l'ordinateur central. D'un pas peu assuré, elle se dirigea vers sa chambre de repos. Elle essayait de déterminer la meilleure marche à suivre, mais les vertiges lui occupaient tout son esprit. Impossible de réfléchir dans de telles conditions.

Enfin, elle rejoignit son lit et s'écroula dessus, sans même avoir pris le temps d'enlever ses armes et vêtements. La douleur devint encore plus forte. En sombrant peu à peu dans un sommeil pénible, Emeraldas remarqua une nouvelle tache bleue, sur son fin poignet droit. Elle retira péniblement le gant de sa main endolorie. Le bleu marquait son poignet et une partie du dessus de son membre. Ses paupières devint lourdes, ses pensées confuses.

- Encore ? Mais que m'arrive-t-il ? Tochiro ! Tochiro ! répéta-elle dans un murmure. Je… Je…

Puis ce fut le noir. Emeraldas sombra dans le sommeil. L'ordinateur de contrôle analysa les paramètres vitaux de la femme pirate. Son état de santé était suffisamment inquiétant pour lancer une procédure d'urgence. Le "Queen Emeraldas" changea donc de trajectoire et se dirigea automatiquement vers la planète la plus proche. Dans le langage universel, un message de détresse médicale fut envoyé.

Planète Baxhou. Habitée exclusivement par des moines et nonnes humains vénérant la déesse Ashura.
Autorisation d'atterrissage et assistance médicale demandées.

En parallèle, l'ordinateur émis un autre message de détresse automatique sur une fréquence codée. Ce code n'était déchiffrable que par un seul vaisseau dans l'univers : L'Arcadia, commandée par le capitaine Harlock.

Le dirigeable se rapprochait lentement de la planète Baxhou. Leur ordinateur de contrôle accepta la demande d'assistance et donna l'autorisation d'atterrir. A première vue, le vaisseau semblait vide, vu que personne n'ouvrit une porte ou ne descendit sur la plate forme.

Baxhou, une petite planète à la végétation luxuriante, était depuis des temps immémoriaux une retraite monastique. Sa neutralité était rigoureusement respectée, aussi bien par les humanoïdes, les mazones que la lointaine planète Andromède.

La communauté de religieux, forte de quelques centaines de membres seulement, vénérait la déesse Ashura de la compassion. Depuis des générations, les moines partageaient leur temps entre la prière, la transmissions des connaissances du monde et la culture de plantes rares. A leur tête, une grande prêtresse fixait le rythme des activités et dispensait un enseignement mystique. Certains des moines étaient des médecins réputés.

Sur la plate forme d'atterrissage, un moine et un novice attendaient sagement qu'un signe de vie émane de cet étrange vaisseau en forme de dirigeable. Le moine était chauve, portait une grande toge bleue et blanche, l'habit habituel des médecins de la planète. Son visage était marqué par les rides, mais il y avait dans ses yeux noirs un parfum de sagesse et de calme. "Lueur du Ciel" était son nom religieux. Il avait été appelé ainsi car il s'agissait de l'un des meilleurs médecins soigneur de la communauté.

Le novice portait quant à lui une simple toge blanche écrue avec un filet bleu au niveau des manches. Xan n'était encore qu'un simple infirmier, qui apprenait son métier auprès du vieux soigneur. Il devait avoir à peine 17 ans, et était arrivé peu de temps auparavant au sein de la communauté. Après sa formation, il recevrait un nouveau nom en même temps que son nouvel habit de médecin. Mais pour l'instant son apprentissage débutait à peine.

Au bout d'un moment, les deux moines rentrèrent timidement dans le vaisseau aux coursives désertes. Le système de protection ne classa pas les deux visiteurs comme hostiles, et il les guida vers les quartiers d'Emeraldas. Xan découvrit la femme pirate inconsciente et appela son maître.

- Vénérable, regardez, une femme. Elle a l'air de souffrir !
- Je vais l'examiner, Xan. Regarde et apprends, répliqua le médecin avec un calme serein.
- Quelle sont ces tâches, maître ? demanda le novice en montrant les traces bleues.
- Puissante Ashura, jura "Lueur du ciel", le mal bleu !

Le moine s'agenouilla et entama une prière, aussitôt imité par son novice. Après quelques instants de recueillement, le médecin se releva et annonça d'un ton égal :

- Ce mal dépasse mes compétences, Xan. Il faut conduire cette jeune personne auprès de notre Grande Prêtresse. Sa vie est jeu je pense !
- Bien, maître. Je vais la transporter.

Le novice prit Emeraldas sur ses épaules dont le corps fiévreux suait à grosses gouttes. Ils repartirent dans les froides coursives du "Queen Emeraldas" en direction de la sortie. Une fois sur la plate forme, Xan alla quérir de l'aide pour transporter dans de bonnes conditions cette mystérieuse femme pirate.

A l'intérieur du "Queen Emeraldas", l'ordinateur retransmettait un appel lancinant, venant de l'autre bout de la galaxie…


Départ

Le capitaine Harlock buvait un verre tranquillement dans ses quartiers, sur son vaisseau l'Arcadia. Pour l'occasion, le pirate avait pris ses aises, en laissant sa cape et ses armes sur un fauteuil. Une femme aux cheveux bleus et sans bouche jouait paisiblement de la harpe. Mimee était la seule personne qu'Harlock tolérait dans ses quartiers. Une telle situation ferait naître bien des rumeurs sur d'autres navires, mais l'équipage de l'Arcadia s'en accommodait. Puis, une communication de la passerelle interrompit le calme ambiant de la cabine.

- Capitaine ? Ici Kei. Nous avons reçu un message codé, vous devriez venir en passerelle.
- C'est bon, j'arrive, répondit Harlock en vidant en vitesse son verre.

Il sortit de sa chambre et marchait vers le poste de commandement, situé dans les parties supérieures de son vaisseau. Sur le chemin, il croisa plusieurs membres de son équipage occupés à réparer les derniers dégâts subis. Lors de sa bataille contre les mazones, l'Arcadia fut mise à rude épreuve. L'arrivée inopinée d'un ami lui avait sauvé la mise, mais son vaisseau ne serait pas totalement remis avant quelques temps.

La passerelle était quasiment déserte lorsqu'Harlock y pénétra. Seule Kei Yuki, une femme blonde aux yeux bleus, assurait un quart à la console des transmissions. Les autres consoles ne renvoyaient aucun message, l'Arcadia sommeillait.

Les vitres renvoyaient une lumière jaune un peu diffuse. Les macro déserts de Karak étaient un abri idéal le temps d'effectuer quelques réparations. Ce lieu triste et désolé loin de tout système civilisé ne méritait pas vraiment son nom de désert. De nombreuses particules énergétiques issues d'une vieille supernova remplissaient les environs. Elles émettaient en permanence une sorte de lumière diffuse claire, camouflant aisément tout type de vaisseau.

- Qu'as tu reçu, Kei ? demanda Harlock en s'approchant de son opératrice radar.
- C'est un message venant du "Queen Emeraldas". L'ordinateur le décrypte.
- Un message crypté venant d'Emeraldas ?

Ce n'est pas de bon augure, pensa le capitaine. D'habitude, Emeraldas n'utilisait pas ces messages codés et rédigées à l'avance. L'ordinateur décrypta le message et afficha sa traduction sur l'écran central de visualisation :

Message du Queen Emeraldas à l'Arcadia. Urgence code 66.
Emeraldas grièvement malade/
blessée.
Vaisseau détourné sur planète (Baxhou) pour assistance médicale.
Demande soutien Arcadia.
Coordonnées : T 56 – G 51.

Harlock relut le message deux ou trois fois. Que s'était-il donc passé ? Il se ravisa et ordonna à Kei :

- Va me chercher Tochiro tout de suite, s'il te plait. Il doit encore être à l'infirmerie.
- A vos ordres capitaine, fit Kei en se levant.

Tochiro, l'ami d'Harlock qui avait conçu et construit l'Arcadia, avait été blessé lors de la première bataille de son vaisseau. Il en était quitte pour une belle bosse et un mal de tête redoutable. Le docteur préférait le garder sous son coude, pour éviter qu'il ne se surmène.

Kei Yuki revint quelques minutes après accompagné par Tochiro, un drôle de petit bonhomme de la taille d'un enfant. Ses lunettes étaient cassées et un énorme bandage remplaçait son vieux chapeau usé.

- Qu'y a t il Harlock ?
- Lis ce message, mon ami, se contenta de dire Harlock.

Tochiro parcouru le message à toute vitesse. A la fin de la lecture, ses yeux étaient largement ouverts et ses mains tremblaient.

- Harlock, il faut y aller. Tout de suite ! Emeraldas est malade ! S'il te plait, on ne peux pas la laisser, Harlock ! Harlock ! supplia Tochiro.
- D'accord, on y va ! Se contenta de répondre le capitaine Pirate.

L'Arcadia n'était pas tout à fait remise de ses blessures de guerre, mais Harlock savait pertinemment que Tochiro passerait plus de temps à penser à Emeraldas qu'aux réparations. Malgré son air distrait, le petit génie en était follement amoureux. Dans ces conditions, autant s'en aller tout de suite lui porter secours.

- Kei, rappelle tout le monde. Nous partons immédiatement pour la planète Baxhou !
- A vos ordres, fit Kei en regagnant son poste.

Tochiro restait crispé et lisait encore et encore le message affiché. Il murmurait sans cesse, en tentant de communiquer avec le lointain vaisseau : Emeraldas, Emeraldas, Emeraldas…

En quelques minutes, l'Arcadia se retrouva en pleine effervescence. Tous les membres d'équipage s'affairaient à préparer le vaisseau pour un départ immédiat. Une fois tout le monde à son poste, le capitaine regagna la barre :

- Arcadia, en avant ! Cria-t-il d'une voix claire.

Les réacteurs se remirent en route, générant une poussée phénoménale. Le navigateur donnait des instructions via une console de commande pour programmer le saut hyperespace. La planète Baxhou, d'après ses coordonnées, se situait loin de leur position actuelle. Le voyage durerait un certain temps.

Le voyage fut une torture pour le pauvre Tochiro, qui s'était retiré seul dans son poste. Machinalement, il essayait de bricoler un vieil émetteur radio en miettes. Il jouait distraitement avec son tournevis lorsque le docteur rentra chez lui :

- Vous devriez dormir, au lieu de vous morfondre ainsi !
- Je ne peux pas, docteur… se plaignit Tochiro.
- Vous savez, se faire du souci n'a jamais résolu un problème.
- Je le sais bien…
- Alors reposez vous où je vais être obligé de devenir méchant !

Tochiro se ravisa et à contrecœur se mit au lit. Le docteur laissa à son intention un petit verre d'eau (avec un bon anxiolytique). Tochiro but le verre sans se poser de questions et sombra dans un sommeil sans rêves.

Le docteur ressortit de la chambre de Tochiro. Le capitaine Pirate l'attendait dehors, les bras croisés.

- Alors docteur ?
- Il va dormir un peu, il a besoin de repos. Sa blessure à la tête n'est pas grave, mais cela n'arrange pas les choses.
- Au fait… la planète Baxhou vous dit elle quelque chose ?
- Baxhou… il me semble qu'une communauté de moines y vit. Certains sont réputés pour être d'excellents médecins.
- Emeraldas aurait pu tomber plus mal, murmura Harlock.

Le capitaine rejoignit la barre de l'Arcadia en attendant la sortie de l'hyperespace. L'état de santé d'Emeraldas le préoccupait, mais ce sont surtout les réactions de Tochiro qui pouvaient poser problème. Son ami avait tendance à en faire beaucoup trop dès qu'il s'agissait de la femme qu'il aimait.


Pensées profondes

"Lueur du ciel" veillait depuis une heure sur la femme pirate, allongée sur un lit dans une grande chambre claire. La communauté vivait paisiblement dans un monastère en pierre de taille, perdu au milieu de jardins d'herbes rares. Les pièces spacieuses ne comportaient qu'un minimum de mobilier, mais il existait des chambres spéciales pour les hôtes de passage mieux pourvues.

Emeraldas dormait, le médecin lui ayant fait boire une potion tranquillisante. Le moine était en train de réciter une nouvelle prière lorsque la grande prêtresse fit son entrée.

Sa taille était supérieure à la moyenne et ses longs cheveux descendaient au niveau de ses pieds nus. Une simple toge composée de quelques morceaux de tissus blancs recouvrait ses formes harmonieuses. Ses yeux, d'un noir profond, renvoyaient une expression bienveillante. C'était pourtant la doyenne des nonnes vivant ici, et elle avait encore l'apparence physique d'une jeune novice.

- Xan m'a dit que tu me cherchais ? déclara la prêtresse.
- Oui, c'est exact, grande prêtresse Epiméthium répondit le moine. Cette jeune femme est arrivée seule dans son vaisseau, en demandant une aide de notre part.
- Je vais regarder cela.

La prêtresse ausculta Emeraldas pendant de longues minutes. Elle remarqua vite les deux taches bleues et la récente blessure à la joue gauche. Vus les symptômes et l'état du corps, la forme mortelle du "mal bleu" ne faisait aucun doute.

- Cette femme a été contaminée par le "mal bleu", lors d'un combat à l'épée, annonça Epiméthium.
- Pouvons nous faire quelque chose ? S'enquit le guérisseur.
- Je vais lire son esprit pour savoir ce qui s'est passé…

Un des secrets les mieux gardés dans la communauté était les pouvoirs psychiques que possédaient quelques uns de leurs membres. Certains bénéficiaient de prédispositions liés à leur origine ethnique, mais la pratique régulière d'activités spirituelles renforçait au fil du temps ces capacités. Les plus doués, comme la grande prêtresse, acquérraient la faculté de lire dans les pensées, voire plus.

- Cette femme se nomme Emeraldas… commença la prêtresse. Elle s'est rendue sur la planète maudite Andromède une semaine avant, poussé par l'amour qu'elle éprouve pour un homme. Elle a été blessée lors d'un combat, avec une lame empoisonnée. C'est l'origine de la maladie.
- Ce mal est donc récent, conclu le moine rassuré.

Xan, le novice fit irruption dans la pièce.

- Grande prêtresse Epiméthium, un vaisseau spatial demande l'autorisation d'atterrir et de venir voir cette femme.
- Bien, répondit Epiméthium. Mais sait on de qui il s'agit ?
- Les voyageurs ont affirmé s'appeler Harlock et Tochiro et être des amis de cette femme.

Tochiro, ce nom occupait une place importante dans l'esprit de cette femme, Emeraldas. Il s'agissait probablement de l'homme dont elle était amoureuse.

- Fais les venir jusqu'ici. Nous allons prier Ashura en attendant leur arrivée, déclara Epiméthium.
- J'ai compris, grande prêtresse.

Xan salua les deux personnes avant de se retourner et de se diriger vers la plate forme d'atterrissage. Le nouveau vaisseau était impressionnant, quoique de forme très différente du premier. Une fois posé, la porte d'accès s'ouvrit et un petit gnome à lunettes descendit en courant. Il portait un chapeau passé et troué, et se cachait dans un manteau trop grand et sans formes.

- Où est elle ? Où est Emeraldas ? Je veux la voir, je veux…

Xan fut surpris de la hardiesse de ce petit homme. Il allait parler lorsqu'une autre voix, plus grave, se fit entendre.

- Tochiro, du calme ! Cette personne doit sûrement nous accueillir et nous guider.
- Exact, répondit le novice en s'inclinant. Je me nomme Xan et je suis infirmier novice dans cette communauté.
- Je me nomme Harlock, répondit le Pirate, et mon compagnon s'appelle Tochiro.
- Suivez moi, messieurs, la Grande Prêtresse veille actuellement sur votre amie.

Harlock donna quelques instructions à Kei Yuki et à l'équipage. Xan précéda les deux invités et les conduisit dans la pièce où Emeraldas dormait.

En arrivant, Harlock vit une femme et un homme en pleine prière, agenouillés de part et d'autre d'un grand lit. Il reconnut sans peine les cheveux roux de la femme pirate. Elle semblait assez mal en point. Son visage suait à grosses gouttes.

Tochiro se précipita en courant vers elle :

- Emeraldas ? Réponds moi ! Dis quelque chose ? Qu'est ce qu'elle a ? Il faut…
- Du calme, déclara la Grande Prêtresse. Voici "Lueur du Ciel" dit elle en présentant le vieux moine ridé. Je me nomme Epiméthium et je veille sur cette communauté.
- Excusez nous. Qu'est il arrivé ? demanda Harlock,
- Votre amie est arrivée ici dans un étrange vaisseau, en demandant une assistance médicale, expliqua Epiméthium. "Lueur du Ciel" et moi-même avons pris soin d'elle.
- De quoi souffre-t-elle ? demanda Tochiro.

Le regard de la Grande Prêtresse s'assombrit. Elle baissa la tête, et annonça d'une voix calme :

- Cette femme est atteinte par le "Mal Bleu".
- Le … "Mal bleu" ? demanda Harlock.

Le capitaine Pirate semblait ignorer l'existence même de cette maladie. Il avait juste pensé à une fièvre maligne, sans doute une de ces maladies exotiques qui sévissent dans les Terres Océaniques Moribondes lointaines (ou "T.O.M." pour les connaisseurs).

- Le "Mal Bleu"…dit "Lueur du Ciel". Il s'agit d'une maladie rarissime causée par une bactérie à gram positif archaïque. Elle provoque une grande fièvre, des taches bleues qui s'étendent sur tout le corps.
- Comment peut on soigner ce "Mal bleu" ? demanda Tochiro.
- On ne peut pas le soigner, trancha le moine médecin. Cette maladie est réputée mortelle.

Harlock resta bouche bée, tandis que Tochiro s'écroula en pleurs en tenant fermement la main de la femme–pirate.

- Mais, s'il s'agit d'une bactérie, des antibiotiques doivent exister pour lutter contre le mal ? demanda Harlock.

- Hélas, nous n'en connaissons pas répondit le moine soigneur. Nous savons juste préparer des remèdes qui stoppent la progression de la maladie. Nous avons un jardin très complet d'herbes médicinales.

- Elle va donc … mourir ?
- Oui, je suis désolé. C'est tragique, une si jolie personne.

Tochiro, en entendant cela, s'emporta, les larmes aux yeux.

- Tragique ? C'est tout ce que trouvez à dire ? Tragique ?
- "Lueur du ciel", emmène Xan préparer d'autres potions pour cette femme, ordonna la Grande Prêtresse.

Le moine salua la Grande Prêtresse et sortit en direction de la pharmacie de la communauté. Xan suivit son maître sans dire un mot. Epiméthium ferma ensuite elle-même la porte de la pièce, pour ne pas être entendue.

- Tochiro, puis je lire dans vos pensées ? demanda-t-elle.
- Comment ?
- Je voudrais connaître les émotions que vous éprouvez pour cette jeune personne…
- Je… ne…

La Grande Prêtresse imposa ses mains sur le front de Tochiro et ferma les yeux. Une petite lueur scintilla quelques secondes et disparut. Harlock suivait d'un œil inquisiteur la scène. Cette femme dégageait une aura rassurante et son regard bienveillant inspirait confiance. Mais Harlock restait malgré tout suspicieux.

- Cette personne… Emeraldas… compte beaucoup pour vous. Je vois aussi une petite fille.

Tochiro ne pleurait plus, il était stupéfait par les pouvoirs dont disposaient cette Epiméthium. Elle regarda Harlock :

- N'y pensez même pas ! Trancha-t-il.

Je n'ai pas besoin de lire dans vos pensées, objecta la Prêtresse. Vous aussi êtes très attaché à cette jeune femme. Il existe peut être une solution pour sauver cette pauvre enfant…


Espoir de fou

Epiméthium guida Harlock et Tochiro dans sa chambre. La retraite de la Grande Prêtresse était lumineuse, un grand lit simple et quelques armoires constituaient ses seules richesses. Une vieille étagère en bois bicolore remplie de vieux livres donnait de bons indices sur ses occupations.

- Prenez place, dit elle en désignant deux sièges en bois rouge sculpté.

Elle se dirigea par la suite vers sa bibliothèque et prit un livre à la couverture bleue. L'ouvrage paraissait très vieux, ses pages jaunies étaient quasiment toutes cornées. Epiméthium s'assit à son tour et l'ouvrit à une page bien précise.

- Ce livre est l'un de nos plus vieux traités de médecine. Il fut rédigé des siècles auparavant, par un médecin très compétent. Il est écrit ici que le seul remède connu contre le mal dont souffre cette pauvre enfant est la Panacea Universalis.
- La… panacée universelle ? demanda Harlock, incrédule. C'est une légende, rien de plus.
- Une légende ancrée dans la réalité, corrigea la Grande Prêtresse. Très jeune, j'ai pu l'observer de mes propres yeux et voir ses effets.

Tochiro buvait les paroles d'Epiméthium. Il existait bel et bien un remède contre ce mal bleu incurable ! Mais ses faibles connaissances en médecine ne lui sauraient d'aucun secours. Tout aurait été plus simple s'il s'agissait d'un moteur à réparer.

- Comment se procurer cette … pacaneca… panacea universalis ? demanda Tochiro.

La Grande Prêtresse changea d'expression et fixa avec beaucoup de tendresse le petit homme. Son regard renvoyait une expression de tristesse et se compassion profondes.

- Je ne le sais pas. Très peu de personnes savent fabriquer ce médicament. Lorsque je l'ai vu, j'étais bien jeune et je voyageais à Gun Frontier.

Gun Frontier. Ce lieu évoquait beaucoup de souvenirs pour Harlock et Tochiro. Gun Frontier était un repère de vauriens en tout genres, chasseurs de primes et autres sortes de canailles. Tochiro avait fait la connaissance d'Emeraldas là bas. Seulement, les têtes d'Harlock et de Tochiro y étaient mises à prix.

- Qui vous a montré cette panacée ? demanda Harlock.
- Il a dit s'appeler Yttrias. Il se prétendait alchimiste, mais comment être sur de ce que disait ce vieil homme ?
- Nous avons au moins un point de départ, se contenta de répondre Harlock.
- Si vous désirez partir à la recherche de ce médicament, sachez que les jours de cette jeune personne sont comptés. Malgré nos soins, elle ne survivra pas plus de deux semaines.

Le verdict fut accueilli comme une véritable sentence. Tochiro serrait les poings et regardait fixement son ami Harlock. Celui-ci était perdu dans ses pensées. Combattre un ennemi (voire une flotte toute entière) ne lui faisait pas peur. Chercher un ermite dans un lieu mal famé comme Gun Frontier ne figurait pas parmi ses activités favorites, mais il n'avait pas le choix.

- Très bien, nous devons partir pour Gun Frontier tout de suite, conclu Harlock. Je crois qu'il est préférable d'emmener Emeraldas…
- Je vous le déconseille fortement, répliqua la Grande Prêtresse. Son état est très grave. Soyez sans crainte, nous savons comment ralentir la progression du mal.

Epiméthium se leva et sans rien ajouter tira une corde près de son lit. Quelques instants plus tard, Xan le novice se présentait devant sa supérieure.

- Vous m'avez demandé Grande Prêtresse ?
- Oui, Xan. Harlock et Tochiro vont chercher la Panacea Universalis, un médicament très rare, pour soigner leur amie. Tu vas les accompagner, ce voyage sera utile et instructif pour toi.
- Mais, je ne suis qu'infirmier débutant, objecta le jeune Xan… peut être qu'un médecin expérimenté pourra …
- Non, Xan. Je sens que tu as un rôle important à jouer dans cette histoire. Accompagne-les.

Harlock foudroya du regard Epiméthium. L'Arcadia ne prenait pas de passager, encore moins s'ils sont imposés par une personne extérieure.

- Il n'en est pas question, trancha-t-il d'un ton sec.
- Xan vous sera utile. Je vous demande cela comme un service pour lui. Il doit découvrir le monde avant de devenir un moine accompli.
- Non, hors de question, répéta Harlock en fixant le jeune infirmier novice.

Xan regardait Harlock dans les yeux. Il semblait timide et réservé, mais on sentait parfois une forte détermination dans ce jeune homme.

- Harlock, intervint Tochiro, vu ce qu'ont fait ces moines pour Emeraldas, nous pouvons bien leur rendre ce service.

Harlock réfléchissait. Puis, face aux demandes de Tochiro et aux arguments de la Grande Prêtresse il se laissa convaincre. Mais il ne paraissait pas du tout enthousiaste pour se faire accompagner dans ce genre de voyage.

Les deux amis furent raccompagnés par la Grande Prêtresse vers la piste d'atterrissage. Xan les suivait en silence. Il monta lentement la passerelle de l'Arcadia. Harlock gardait son air sombre habituel. Le capitaine chargea Kei Yuki de prendre en charge leur "invité" pendant la durée du voyage.

L'Arcadia décolla quelques instants après et se prépara pour un saut warp vers Gun Frontier.

Harlock paraissait impassible, mais il ne pouvait s'empêcher d'éprouver un sentiment profond de culpabilité. Après tout, il avait insisté pour qu'Emeraldas se rende à sa place sur Andromède. Voici le résultat…