Option informatique obligatoire.

Quand Jean Kirschtein lut cette ligne pour la première fois sur son emploi du temps, il ne put se retenir de lever les yeux au ciel. Encore une perte de temps où on leur apprendrait à multiplier sur Excel et à « retirer le périphérique en toute sécurité ». Quel ennui. Tout le lycée y passerait cette année apparemment. Il constata en effet que ses horaires seraient mutualisés avec des classes de première et terminale. Pour une fois, il tâcha d'y voir un côté positif, ce serait un moyen d'aborder les terminales et les terminales lui permettraient certainement d'accéder à une certaine popularité, ladite popularité étant gage de tranquillité. C'était comme ça que Jean comptait survivre au lycée. Il avait écopé de quelques années plutôt compliquées au collège et il lui fallait se montrer pragmatique à présent. Ce n'était plus le moment d'être sentimental, autant mettre sa fierté de côté et coller aux basques de qui pourrait lui être bénéfique.

C'est le cœur empli de cette noble résolution que Jean passa pour la première fois la grille de son lycée. Un établissement plutôt banal, grisâtre et massif avec de hideuses fresques (probablement l'œuvre des terminales arts-plastiques) pour égayer tout ça. Heureusement, l'établissement était à deux pas d'une forêt et la cour, grande et verte, n'en était séparée que par un mince grillage. Ce n'était pas désagréable.

Il repéra rapidement son nom dans les listes affichées et se plaça légèrement en retrait pour observer les autres élèves arriver. Il ne connaissait personne, ceux de son collège avaient préféré un établissement plus proche de chez eux. La suite logique d'une scolarité sans surprise dans un trou paumé. Jean avait dû insister longuement auprès de sa mère, mais il avait fini par obtenir de poursuivre sa scolarité dans une autre ville en internat. Une chance de sortir du bled. Il avait hâte de sécher quelques jours pour parcourir la ville, de faire le mur le soir... de nobles perspectives !

Dans sa classe, il repéra rapidement une très jolie petite blonde qui discutait avec une terminale aux joues piquetées de taches de rousseur. D'ordinaire il trouvait ce détail plutôt mignon mais sur elle ça semblait presque incongru. Elle avait l'air si rude et adulte et cette espèce de marque juvénile était déplacée.

Puis, son regard tomba sur la personne la plus incroyablement cool à avoir jamais foulé le sol de cette planète. Mikasa Ackerman. C'était un signe, il avait déjà repéré ce nom sur la liste, un nom oriental ça saute aux yeux... ça ne pouvait être qu'elle. Mikasa Ackerman, donc, était la fille la plus classe de l'univers. Elle avait de longs cheveux noirs soyeux, un visage aux traits fins et délicats mais un regard sombre et dur. On aurait dit une héroïne de jeux vidéo du genre hyper érotisée et qui peut se battre en combinaison décolleté. Jean chassa ces images de son esprit. Mikasa (il l'appelait déjà par son prénom) était trop classe pour ça.

Il détesta immédiatement le garçon qu'elle suivait partout et qui semblait parfaitement inconscient de l'honneur suprême qu'elle lui faisait en le gratifiant de son auguste présence. Eren. Il s'appelait Eren. C'était un des rares mots qu'il entendit Mikasa prononcer au cours des premières heures de cours durant lesquels les professeurs présentèrent successivement leurs programmes. Elle passait son temps à l'interpeler à mi voix et le couvait littéralement des yeux.

Quelle insanité. Il était le garçon le plus répugnant que Jean ait jamais vu. Il avait vraiment l'air demeuré. La troisième roue de la moto, c'était Armin, un petit blond qui avait l'air à peine débarqué de sa primaire et qui suivait Mikasa et Eren comme un petit chien. Songeant qu'il pourrait passer par lui pour se rapprocher de la sacro-sainte divinité avec laquelle il allait partager ses heures de classe, Jean s'assit à côté de lui, oubliant sa résolution de sympathiser avec la petite blonde (une certaine Christa) qui lui aurait permis d'entrer en contact avec les terminales. On ne pouvait pas être pragmatique tout le temps entre la popularité et Mikasa, les hormones de Jean avaient choisi pour lui. Pendant les premières heures, Armin observa Jean du coin de l'œil et celui-ci fit mine de ne pas le remarquer, feignant la nonchalance ce qui s'avérait très compliqué puisqu'il était assis juste derrière Mikasa et résistait à grand peine à l'envie de renifler ses cheveux.

« Tu... heu... tu t'appelles Jean, c'est ça ? dit finalement Armin après s'être assuré par un regard absolument pas discret que leur professeur ne les regardait pas. »

Jean hocha la tête, cachant sa mâchoire crispée derrière sa main contre laquelle il appuyait son visage comme pour se retenir de se jeter dans l'opulente chevelure brune à quelques centimètres de son nez. La libido, cette abjecte souveraine, n'avait jamais frappé aussi fort.

« Tu es... interne ? »

Nouveau hochement de tête.

« Cool, nous ne sommes pas si nombreux d'après ce que j'ai compris. On est arrivés hier nous... Mikasa, Eren et moi. On vient de la même ville. »

Jean ne se donna pas la peine de réagir. Armin cessa ensuite toute discussion, interrompu par leur professeur qui avait fini par repérer leur bavardage. Il l'interrogea sur une notion de chimie qu'ils étaient censé avoir appris en cinquième mais dont Jean n'avait aucun souvenir et Armin sut parfaitement répondre malgré ses bégaiements. Jean se résolut donc de se montrer plus courtois avec lui. Outre ses connexions avec Mikasa, c'était une tête. Une tête, c'est toujours utile même si de ce côté, Jean n'avait franchement pas à se plaindre. Il passait même pour une tête lui-même... mais cette année, il en serait autrement !

A la récréation, il emboîta le pas à Armin (ainsi qu'aux deux autres subséquemment) et ils prirent possession d'un banc à l'abri du préau. Une fine averse avait commencé à tomber. Armin fit les présentations :

« Vous vous connaissez depuis longtemps ? demanda Jean.

- On a grandi ensemble... au foyer en fait, lâcha Armin après un temps, nous sommes comme qui dirait orphelins et c'est une sacrée chance qu'ils nous aient tous envoyés au même lycée.

- Mikasa est ma sœur adoptive, précisa l'autre abruti à l'égard duquel ladite sœur adoptive semblait porter une affection plutôt maladive si elle était fraternelle. »

Jean avait le nez pour tomber directement sur les cassos. Les orphelins de service qui devaient se fringuer chez Emmaüs, voilà ce qu'étaient ses nouveaux compagnons. Ses rêves de popularité s'éteignirent avec la bourrasque violente qui lui colla la délicieuse odeur des cheveux de Mikasa droit dans les naseaux.

Ça valait sûrement le coup.

D'ailleurs un événement surnaturel se produisit soudain. Mikasa tourna son visage vers Jean et dit doucement avec une intonation monocorde qu'elle n'abandonnait que quand il s'agissait d'Eren :

« Tu fais vieux pour un seconde.

- A côté d'Armin tout le monde aurait l'air plus mature, répondit Jean. »

Il se félicitait intérieurement de cette réponse du tac au tac qu'il avait réussi à articuler avec un certain détachement mais le silence qui s'ensuivit lui révéla assez lourdement la manière dont sa phrase avait été perçue. Armin se força finalement à rire mais Mikasa commenta :

« Ce n'est pas très gentil. »

Et l'autre abruti allait encore ajouter quelque chose vu ses sourcils froncés et ses poings serrés mais ils furent alors interrompus par la sonnerie. Ils changeaient de salle pour les cours suivant et comme les tables du labo de SVT permettaient à trois élèves d'être côtes à côtes. Eren, Mikasa et Armin abandonnèrent Jean sans grand regret. Ce dernier se retrouva avec deux autres élèves Connie et Sasha, deux imbéciles qui s'arrangèrent pour casser leur culture de levure... à trois reprises. D'abord en la transportant, puis au moment de la fixer dans le microscope et enfin en essayant de l'arracher des mains de Jean qui avait tenté de limiter la casse en la leur prenant.

Sinon ils passèrent leur temps à glousser en échangeant des blagues incompréhensibles. Jean finit le cours la tête enfouie dans les mains. C'était trop...

Chiant.

D'autant plus qu'il se rendit compte à la fin des cours que Connie et Sasha étaient aussi des internes. Heureusement, la petite blonde aussi et Jean s'empressa de l'aborder en remontant vers leurs dortoirs, discutant vaguement de leurs derniers cours. Elle était gentille. Ca en devenait même un peu exaspérant. A chaque fois que Jean partait pour critiquer un professeur, un camarade ou même un cours, elle changeait de sujet :

« Il a l'air spécial Eren quand même...

- J'ai vu que tu avais sympathisé avec lui et ses amis. Mikasa a vraiment de beaux cheveux non ?

- Hmm... j'ai pas fait attention.

- Et Armin m'a impressionnée en cours. Je n'aurai jamais été capable de répondre aussi précisément. »

Tout était bon pour faire des compliments. Ca en devenait presque flippant cette façon de perpétuellement voir le bon côté des choses. Alors qu'il allait la suivre dans un couloir de dortoirs, la terminale aux taches de rousseur qu'il avait aperçue avec elle le matin lui barra la route :

« On ne passe pas étage des filles.

- Vu ta tronche on aurait pu confondre, lança Connie qui remontait également vers les chambre juste derrière Jean et Christa.

- Comment ça ? demanda la terminale.

- Bah... tu as... l'air d'un garçon ! bégaya Connie, déstabilisé. »

La terminale haussa les sourcils et se contenta de laisser passer Sasha qui lui adressa une série de gestes grossiers derrière son dos pour faire rire Connie.

« Ils ont commencé à se disputer hier, murmura Christa, mais qui sait, peut-être que ça finira par passer... Oh mais... je te présente Ymir, c'est ma marraine. Ymir, voilà Jean, il est dans ma classe.

- Il y a un parrainage ? s'étonna Jean.

- Seulement pour ceux qui en valent la peine, lui asséna Ymir.

- Elle plaisante, précisa Christa, c'est juste que nous nous entendons bien et qu'elle a donc décidé de m'aider à m'intégrer. Voilà.

- Moi je dis qu'elle veut surtout t'aider à t'intégrer DANS SON LIT ! meugla Sasha du couloir des filles ce qui fit glousser Connie qui s'était arrêté au palier supérieur sans entrer dans le couloir des garçons et surveillait la conversation. »

Ymir ne leur accorda même pas un haussement de sourcils, elle se contenta de lentement se retourner vers le couloir ce qui fit aussitôt détaler Sasha qui s'enferma à double tours dans sa chambre... La porte qui claqua à l'étage indiqua à Jean que Connie avait fait de même. Courageux mais pas téméraires.

« On se voit au réfectoire, dit Christa avant de quitter Jean qui, un peu déboussolé, remonta lentement vers sa chambre. »

Dans l'escalier, il croisa alors Mikasa... seule. Elle venait de la chambre d'Eren et Armin et de toute évidence. Manifestement les filles avaient moins de mal que les garçons pour entrer dans le dortoir du sexe opposé. Elle regardait droit devant elle et n'adressa pas un regard à Jean. Vite... il fallait qu'il parle. C'était l'occasion ! Le moment idéal ! Elle était seule. Mais dire quoi ?

« Eh... M... Mikasa ? »

Elle se retourna très lentement vers lui libérant dans le mouvement de ses mèches une nouvelle bouffée du plus incroyable des aphrodisiaques. Jean se figea, le nez à l'air :

« Heum... tes... je... c'est très joli... tes cheveux... »

Elle se retourna et reprit sa marche comme si de rien n'était. C'était...

Blessant.

Mais le pire était à venir. L'autre abruti déboula alors de l'étage supérieur et rattrapa Mikasa dont les traits crispés s'adoucirent aussitôt. Jean ne se rendit pas compte qu'il avait commencé à les suivre sur quelques mètres. Entre deux banalités, l'autre abruti attrapa une mèche des cheveux de Mikasa entre ses doigts avec une atroce familiarité et lui dit :

« Tu devrais les couper non ? C'est un peu long. »

Un peu long. Voilà ce qui s'appelait l'ironie du sort. Connie qui descendait vers le réfectoire s'arrêta alors près de Jean :

« Ymir est partie ? La voie est libre chez les filles tu penses ? »

Jean écrasa sa main dans son dos.

« Eh ! Tu viens de t'essuyer sur moi ! s'indigna Connie, ça a pas intérêt à être de la morve !

- T'inquiète, maugréa Jean, c'était juste ma foi dans l'humanité. »

Connie le fixa avec incrédulité puis finit par éclater de rire :

« T'es tordu toi ! Bon alors, elle s'est cassée Ymir ? »

Jean le snoba et remonta vers sa chambre. Il ne descendit pas dîner ce soir là et ignora les quatre appels de sa mère ainsi que l'arrivée des garçons qui partageaient sa chambre pour mieux savourer son désespoir avec une complaisance non dénuée de sincérité.